La Spectatrice danoise: Amusement XV.
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Amusement XV.
Citazione/Motto
Marié depuis peu, content, je n’en sçai rien.
La Fontaine.
Livello 2
Entrons dans le charmant païs du
Mariage. Peu de gens en connoissent la Carte ; beaucoup en
connoissent les lieux de plaisance ; tout le monde a reçu de la
Nature le désir d’y voïager ; mais presque personne n’en a reçu
le bonheur d’y voïager avec succès.
On seroit heureux dans le Mariage, si on
ne le regardoit pas, avant que d’y entrer, comme le centre du
bonheur. On s’étoit promis trop de plaisirs, il faut décompter,
peut-être parce qu’on en avoit trop goûté en idée : de
l’imagination à la réalité il y a toûjours du déchet ; parce que
l’imagination impétueuse & vive empiéte par l’ardeur du
désir sur ce qu’elle doit posséder. A-t-on obtenu ce qu’on
souhaite ? On trouve dans le cœur un vuide, dont il ne faut
chercher la cause que dans la précipitation avec laquelle
l’impatience du désir avoit couru au devant de l’objet. On avoit
espéré avec fondement, on avoit imaginé avec excès : Ce n’est
pas cela, dit-on ; & on se trompe. C’est cela même ; mais
rogné par la tricherie de l’imagination. Il ne faut voir le
Mariage qu’en perspective. Dans le lointain l’Himen est beaucoup
plus aimable que l’Amour. De près il ne presente plus que du
froid dans les yeux, du sérieux dans l’air du visage, du glaçant
dans les manières. On est surpris qu’une figure
soit si différente d’elle-même ; on se dépite de son illusion ;
on a peine à en croire ses yeux. Mais si l’on consulte son cœur,
il confirme cette mortifiante méprise. N’y a-t-il point de
remède à cet inconvénient ? Maris en herbe ! essaïez celui-ci.
Avant le Mariage, aiez des yeux de Linx. Après le Mariage,
devenez aveugles. Il y a peu de bons Mariages ; parce qu’il y a
peu de Mariages. Prendre une Femme, parce que sa dot met en état
d’avoir un Carrosse doré, une bonne meute, un train nombreux de
Domestiques, une Table bien servie, c’est passer contract avec
un metal, auquel la folie humaine a donne <sic> du prix.
Prendre une Femme comme on achette une Etoffe ; être surfait,
mésoffrir, accepter après bien des négociations réciproques ;
c’est commercer. Prendre une Femme, parce que sa beauté, son
teint de lys & de roses, ses yeux amorçans ont fait sur le
cœur une vive impression, sans songer, qu’une Femme est à la
vérité le plus friand morçeau du monde, mais en même tems celui
dont on se lasse le plus vite, c’est se contenter, c’est faire
alliance avec la plus infidelle des passions, c’est faire une
sottise en faveur d’un plaisir vif quoique grossier, mais qui
amène toûjours à sa suite la satiété. Prendre une Femme, parce
qu’il faut une compagne, la choisir jeune & belle pour être
amusé, pour avoir Société, c’est délirer en plein bon-sens.
Qu’est-ce donc que se marier ? C’est en suivant le penchant
secret de la Nature s’unir avec une personne, estimable par sa
vertu, aimable par son caractère, choisie sans intérêt, cherchée
à loisir, éxaminée avec discernement, nécessaire à la
tranquillité du cœur. Ce n’est pas tout. Il faut que cette
personne vous choisisse par les mêmes motifs, trouve en vous les
mêmes qualités, soit guidée par les mêmes vûes. Voilà un
véritable Mariage. Tous les autres n’en portent que le nom.
C’est une merveille, quand ils en ont les
plaisirs. Mais malheureusement celui que je viens de craïonner
n’est qu’un être de raison. C’est bien dommage ! La Société la
plus libre, c’est le Mariage ; la Société la plus forcée, c’est
le Mariage ; La Société la plus malheureuse, c’est encore le
Mariage. Le prémier est le plus nécessaire, le second est le
plus injuste, le troisiême est le plus naturel, vu les deux
autres. Le mot Oüi, a une vertu Magique. Il unit les humeurs les
plus discordantes, les cœurs les moins sympathisans, les esprits
les plus incompatibles. Il assortit l’étourdi avec la sérieuse,
le sage avec la folle, le sot avec la spirituelle, le libertin
avec la vertueuse. Il allie la Roture avec la Noblesse, la
richesse avec la pauvreté, la viellesse <sic> avec la
jeunesse. Il égalise toutes les conditions, tous les âges, tous
les états. Qu’il est puissant ! Quelqu’un ajoûtera, que ses
liens ne durent que quelques jours, & s’écriera, qu’il est
foible ! Et je dis, moi, que l’homme est bien ridicule de faire
dépendre son bonheur de la prononciation de trois sillabes.
N’est-il pas vrai ? Y a-t-il du bien à dire de cet Oüi, si
fecond en peines & en plaisirs ? Disons en ; Il fait
quelquefois d’un bourru un enjoüé, d’un sournois un galant
homme, d’un débauché un bon Péré de famille, d’une prude une
femme aimable, d’une coquette une femme vertüeuse &c.
Ajoûtons, qu’il fait d’autres Métamorphoses si désagréables,
qu’on a raison de ne pas lui tenir compte des bonnes qu’il
opére. Il est des gens, qui se fuïent eux-mêmes, pour se
désennuïer, ils se marient ; ils prennent une femme, à peu près
comme on se jette dans un fauteüil pour se délasser. L’ennui
revient : ils e <sic> trouvent leur femme, & ils en
sont plus piqués, que s’ils se retrouvoient eux-mêmes. Il en est d’autres, si fort accoutumés à chercher
les plaisirs, qu’après les avoir épuisés, ils veulent tâter
enfin du Mariage. Ils prennent une femme à peu près comme on
prend un verre de Ratafia pour entrer en belle humeur. Le traité
se conclut. Deux jours après le Mariage leur paroit trop
sérieux. Leur enjoûment en souffre. Ils revolent à la bagatelle.
Mais le souvenir importun, qu’ils sont mariés, empoisonne tous
leurs amusémens. Il en est, qui se hâtent de prendre la qualité
de Mari ; pour porter plutôt celle de Pére ; ils craignent, que
leur illustre Famille ne s’éteigne ; c’est-à-dire qu’ils
épousent leurs Ancêtres. La prémière fille, qui leur tombe sous
la main est celle qu’ils choisissent pour leur donner des
héritiers de leur nom. En ont-ils ? se voïent-ils renaître dans
une petite famille ? Lit à part, mauvaise humeur, incomplaisance
extrême. C’est beaucoup, si l’on ne fait pas des vœux ardents
pour le Veuvage. Fillettes ! n’écoutez point un Amant, assez
lâche pour vous menacer un jour de vous sevrer des plaisirs de
l’Hyménée, & assez aimable pour vous faire trembler de cette
menace. Au lieu d’un Epoux, vous n’auriez qu’un Tyran. Un homme
a-t-il sçu, prendre sur sa femme assez d’ascendant pour oser la
punir, en se rélégant la nuit dans un autre appartement, elle ne
pourra maintenir cet équilibre précieux, qui fait l’agrément du
Mariage, & qui lui est même essentiel. Amans ! ne donnez
jamais vore <sic> main à celle qui la refuse. On peut
forcer les villes ; on ne sçauroit forcer les cœurs ; & le
consentement du cœur est nécessaire au Mariage.
Le divorce est l’éxil du Mariage. En vient-on là ?
on se rend la fable de la Ville. La séparation est pourtant
quelquefois nécessaire ; mais elle est impraticable, quand la
femme adore son Mari, malgré ses mauvais procédés, & que le
Mari a la politique de cajoller en public la femme qu’il
maltraite à la Maison, ce raffinement de méchanceté Maritale
n’est point, je m’imagine, connu en Dannemarc. Selon le systême
du menu Peuple, ne battre sa femme que de tems en tems, c’est la
bien traiter.
Cette bizarerie vraîment Russe, & vraisemblablement
fabuleuse, ne fait pas honneur à mon séxe. Le cœur des hommes
nous seroit-il assez cher, pour en acheter à tel prix la
possession ; & des coups de bâton nous tiendroient-ils lieu
de sentimens ? Quelqu’un a dit, que les Maris sont Maîtres en
Allemagne, Valets en Angleterre, Compagnons en France, Géoliers
en Italie, Tyrans en Espagne. Et en Dannemarc que sont-ils ?
Maris. Et que de devoirs & de qualités renfermées dans ce
nom ! On a dit, que c’étoit être malheureux, même que d’être
heureux en femme. Fausse pensée. On a dit, que toute la gloire
des femmes est d’être les canaux par lesquels les hommes
viennent au monde. Idée extravagante. On a dit, que le bon-t-on
de la bonne compagnie étoit de médire des femmes & de les
draper en leur présence : Opinion ridicule ; usage digne des
François. Vous verrez, que cette Nation imitera enfin la
Galanterie Moscovite ; & il ne lui manquera pas d’Ecrivains,
qui en feront l’apologie. Ne trouvera-t-on jamais le secret de
peupler le monde sans femmes, s’écrioit Sarrasin ? Otez-nous, si
vous voulez, de l’Univers. Figurez vous un peuple d’hommes.
Autant voudroit-il vout <sic> figurer un peuple de
Démons ; si la bonne humeur, si la gaieté de la femme ne servoit
de contrepoids à vôtre caractère dominant, si vous ne vous
humanisiez a notre écôle, si votre férosité n’étoit
contrebalancée par notre douceur, si par notre
commerce vos mœurs ne prenoient insensiblement la teinture des
notres, le monde ne seroit qu’un enfer. Ceux, qui déclament le
plus vivement contre le Mariage, se trouvent enfin mariés sans
sçavoir comment. Les filles qui éxaltent le Célibat sont
ordinairement celles, qui le haïssent le plus. Il est des
personnes de l’un & de l’autre séxe, qui ne se marient
point, précisément parce qu’elles aiment les plaisirs du
Mariage, & qu’elles veulent toûjours les aimer. C’est un
mets dont on ne se rassasie point, quand on est libre d’en
goûter ou de n’en goûter pas. Rien ne pèse plus à l’homme que
l’esclavage, même l’esclavage volontaire. Rien ne le dégoûte
plus que la loi du devoir, quelque douce qu’elle soit. Il est
esclave de ses plaisirs, & ne sçauroit l’être, quand ces
plaisirs sont permis ou commandés. Quelques-uns voudroient
changer de femme, comme on change d’habits. Ce sont les Maris
dégoutés par tempérament. D’autres voudroient trocquer leur
femme comme on trocque une Montre. Ce sont des Maris dégoutés
par l’uniformité des mets. D’autres la trocqueroient de bon cœur
contre le Veuvage, à la liberté duquel ils renonceroient, en
suite ; ce sont les Maris jaloux, les Maris qui ont sujet de
l’être, les Maris qui, au lieu d’une femme, n’ont qu’une Mégère,
les Maris qu’une Etoile inévitable poursuit, & qui ne
sçavent pas se soumettre de belle grace au destin.
Que je plains ceux, dons <sic> la fortune est allée
se loger dans les rides d’un visage antique ! L’habitude d’être
aimé dégoûte du plaisir de l’être. Cette habitude & ce
dégoût rendent les Amans volages, des Maris infidelles, des
femmes coquettes.
Pouvoit-il ne pas l’être ? Une femme qui avoüe tard sa
tendresse en a une bonne provision, comme celle, qui aime
difficilement, aime quatre fois plus qu’une autre. S’il étoit
permis de se marier aussi souvent qu’on voudroit, on verroit un
plus grand nombre de bons Maris & de femmes fidelles. Ne
serions-nous si inconstans, que parce qu’il nous est défendu de
l’être ? Dans le bon tems de la République Romaine, le Divorce
étoit facilité par les loix ; le Divorce étoit pourtant fort
rare. Pourquoi ? Parce que le Mariage étoit une Société libre.
Une femme, que son Mari peut congédier, quand il lui plaît, est
nécessitée à faire le bonheur de son Mari ; & elle se plie
aisément à cette nécessité-là. Point de ménage plus tranquille,
que celui des Turcs. La pluralité des femmes en est la cause.
Dix femmes, qui obeïssent, disent-ils, sont moins embarrassantes
qu’une femme qui n’obéit pas. Leur sensualité y trouve son
compte ; mais la délicatesse ne sçauroit avoir entrée dans un
serrail ; aussi n’est-elle pas faite pour les Asiatiques. Les
Mariages le moins Mariages sont les plus agréables. Une
possession paisible devient insipide. Quand on peut se marier
mystérieusement, on goûte tous les plaisirs de l’Hymen,
assaisonnés de ceux de l’Amour. Je ne m’étonne plus, que les
Mariages de conscience soient si communs en France. Les Dames
perpétueront vraisemblablement cette méthode. Que nous sommes
heureux, de n’en avoir pas eu besoin jusqu’ici ! Gare que notre
tour ne vienne. Les Filles, qui, suivant l’usage reçu,
permettent à leur futur les carresses & les baisers, ne sont
pas ordinairement fort heureuses, quand elles sont Féminisées.
Que donnent-elles à leurs Maris, que ce qu’ils avoient presque
obtenu déjà : Nos Demoiselles ne font pas l’amour avec assez de
dignité. Faut-il être surpris, qu’elle <sic> ne trouvent
dans le Mariage que peu d’agrémens ?
Livello 3
Je me le figure comme une Montagne, dont les avenuës sont
riantes, mais dont le séjour est désagréable. La félicité
réside au sommet ; au pied l’on trouve la volupté, qu’on
prend pour elle. Au milieu le dégout, plus loin le chagrin
& le repentir ; mais un peu plus haut l’espérance, qui
malheureusement n’est visible, qu’à un petit nombre de yeux
perçans. Presque tous les voïageurs veulent arriver au
sommet. Ceux qui prennent le sentier de l’Intérêt, sentier
fort large & fort battu, n’y parviennent jamais. Ceux
qui choisissent celui de l’Amour sont en général plus
heureux. Ceux qui marchent dans le chemin de
la sensualité sont obligés de revenir sur leurs pas. Ceux
qui suivent la route étroite de la Raison & de l’Amour y
arrivent en un instant. La Félicité se livre à eux,
entretient le feu sacré dont brûle leur cœur, &
communique une partie de ses attributs à leur chére moitié.
Les deux Epoux, toûjours Amans, sont par conséquent toûjours
heureux. L’ennui n’altére point leur union. Leurs démêlés ne
roulent que sur la vivacité de leurs sentimens réciproques.
Enfantés par l’Amour, ils sont couronnés par le Plaisir ; si
la source de la Volupté s’épuise, celle de la tendresse ne
tarit pas. La sensibilité ne dépend point des faveurs. Ce
n’est point qu’il ne soit disgracieux de s’aimer toûjours de
même, sans pouvoir cependant se le prouver toûjours mais la
délicatesse a des ressources, qui supléent à ce défaut. Un
tendre regard vaut une joüïssance.
Metatestualità
Mais n’est-ce point une belle
chimère, que je viens de décrire ? Quel couple fortuné l’a
réalisée ?
Eteroritratto
Je ne vous aime point, disoit une
Demoiselle à quelqu’un qui la recherchoit, &, qui plus
est, je ne vous aimerai jamais. Estimable, si vous mettez
fin à vos poursuites importunes, vous deviendrez méprisable
à mes jeux <sic>, si vous les continuez, & odieux,
si vous y réusissez. C’étoit parler net. Mais
malheureusement elle étoit riche ; & le Cavalier,
quoiqu’homme d’esprit, aimoit ce mérite-là. Il s’obstine. Il
vient à bout de ses desseins. Sa femme est infidelle ; elle
le lui avoit promis, & c’est peut-être la promesse qui
nous coute le moins à tenir ; Le Mari tempête, crie, se
plaint de la décoration aussi grotesque que peu équivoque de
son front montré au doigt. Il l’apprend à ceux qui
l’ignorent par une séparation dans les formes. Double tort.
Un homme est toûjours coupable, quand sa femme a tort, &
toûjours ridicule, quand il instruit le Public des torts de
sa femme.
Esempio
En Moscovie, des
coups de bâton bien appliqués sont les plus tendres preuves
de l’Amour conjugal. En ce pais-là, une femme est
inconsolable, quand son Mari n’éxerce pas sur ses épaules
les forces de son bras, à peu près autant qu’une Françoise
le seroit, si l’heure précise du rendez-vous ne lui
présentoit pas son Amant, une Espagnole, si son adorateur ne
s’enrhumoit pas sous ses fenêtres à tirer des sons de sa
guittare, une Hollandoise, si le Médecin lui défendoit de
fumer, une Danoise, si on lui retranchoit son Thé.
Livello 3
J’oublierai, disoit un Mari à sa
femme, le fameux passage de St. Paul, pourvu que vous vous
en souveniez. Vous serez la Maîtresse, pourvu que vous ne
veuilliez pas la paroître. La Dame profita de l’avis, &
fut heureuse.
Livello 3
Je serai votre fortune, disoit une
vieille à quelqu’un qu’elle grilloit d’épouser, mais à
condition que vous pourvoirez à mes plaisirs. Vos
complaisances seront la régle de mes bienfaits. Le jeune
homme, ennuié de sa fatigante sempiternelle ne put joüer son
rôle jusqu’au bout. Adieu l’héritage, qu’il avoit couché en
joüe. Il revint ; il avoüa ses torts ; il offrit des preuves
d’amour & de repentir. Il ne fut point écouté. Sa femme
s’étoit déjà pourvuë d’un Galant, dont elle païa les
services de son bien. L’Histoire dit, que le Galant commença
d’aimer sa vieille ridée, dès qu’il s’apperçut, que le Mari
contrefaisoit l’amoureux, pour renoüer avec la succession.
Livello 3
Eteroritratto
Le Comte de - - - très riche
parti, fort aimable Cavalier, n’avoit qu’à jetter le
mouchoir. C’étoit à qui s’en saisiroit. Ses prémiers
soupirs étoient infailliblement écoutés. Il les portoit
ailleurs, partout même accüeil. A la fin il s’avisa de
les éloigner de la Capitale. La Province lui offrit ce
qu’il lui falloit. Un jeune cœur lui resista pour la
prémiére fois. Jusques là il n’avoit été que vainqueur,
gloire qu’il partageoit avec ses richesses. Il commença
dès-lors à devenir conquérant ; & c’est la gloire la
plus flatteuse. Il fut aimé d’abord ; mais il fallut en
arracher l’aveu ; & il ne l’arracha qu’avec peine.
Il épouse sa Belle. Il est heureux.