Presque tous les voïageurs veulent arriver au sommet. Ceux qui prennent le sentier de l’Intérêt, sentier fort large & fort battu, n’y parviennent jamais. Ceux qui choisissent celui de l’Amour sont en général plus heureux. Ceux qui marchent dans
On seroit heureux dans le Mariage, si on ne le regardoit pas, avant que d’y entrer, comme le centre du bonheur. On s’étoit promis trop de plaisirs, il faut décompter, peut-être parce qu’on en avoit trop goûté en idée : de l’imagination à la réalité il y a toûjours du déchet ; parce que l’imagination impétueuse & vive empiéte par l’ardeur du désir sur ce qu’elle doit posséder. A-t-on obtenu ce qu’on souhaite ? On trouve dans le cœur un vuide, dont il ne faut chercher la cause que dans la précipitation avec laquelle l’impatience du désir avoit couru au devant de l’objet. On avoit espéré avec fondement, on avoit imaginé avec excès : Ce n’est pas cela, dit-on ; & on se trompe. C’est cela même ; mais rogné par la tricherie de l’imagination.
Il ne faut voir le Mariage qu’en perspective. Dans le lointain l’Himen est beaucoup plus aimable que l’Amour. De près il ne presente plus que du froid dans les yeux, du sérieux dans l’air du visage, du glaçant dans les manières. On est surpris
Il y a peu de bons Mariages ; parce qu’il y a peu de Mariages. Prendre une Femme, parce que sa dot met en état d’avoir un Carrosse doré, une bonne meute, un train nombreux de Domestiques, une Table bien servie, c’est passer contract avec un metal, auquel la folie humaine a donne <sic> du prix. Prendre une Femme comme on achette une Etoffe ; être surfait, mésoffrir, accepter après bien des négociations réciproques ; c’est commercer. Prendre une Femme, parce que sa beauté, son teint de lys & de roses, ses yeux amorçans ont fait sur le cœur une vive impression, sans songer, qu’une Femme est à la vérité le plus friand morçeau du monde, mais en même tems celui dont on se lasse le plus vite, c’est se contenter, c’est faire alliance avec la plus infidelle des passions, c’est faire une sottise en faveur d’un plaisir vif quoique grossier, mais qui amène toûjours à sa suite la satiété. Prendre une Femme, parce qu’il faut une compagne, la choisir jeune & belle pour être amusé, pour avoir Société, c’est délirer en plein bon-sens.
Qu’est-ce donc que se marier ? C’est en suivant le penchant secret de la Nature s’unir avec une personne, estimable par sa vertu, aimable par son caractère, choisie sans intérêt, cherchée à loisir, éxaminée avec discernement, nécessaire à la tranquillité du cœur. Ce n’est pas tout. Il faut que cette personne vous choisisse par les mêmes motifs, trouve en vous les mêmes qualités, soit guidée par les mêmes vûes. Voilà un véritable Mariage. Tous les autres n’en portent que le nom. C’est une
Le mot Oüi, a une vertu Magique. Il unit les humeurs les plus discordantes, les cœurs les moins sympathisans, les esprits les plus incompatibles. Il assortit l’étourdi avec la sérieuse, le sage avec la folle, le sot avec la spirituelle, le libertin avec la vertueuse. Il allie la Roture avec la Noblesse, la richesse avec la pauvreté, la viellesse <sic> avec la jeunesse. Il égalise toutes les conditions, tous les âges, tous les états. Qu’il est puissant ! Quelqu’un ajoûtera, que ses liens ne durent que quelques jours, & s’écriera, qu’il est foible ! Et je dis, moi, que l’homme est bien ridicule de faire dépendre son bonheur de la prononciation de trois sillabes. N’est-il pas vrai ?
Y a-t-il du bien à dire de cet Oüi, si fecond en peines & en plaisirs ? Disons en ; Il fait quelquefois d’un bourru un enjoüé, d’un sournois un galant homme, d’un débauché un bon Péré de famille, d’une prude une femme aimable, d’une coquette une femme vertüeuse &c. Ajoûtons, qu’il fait d’autres Métamorphoses si désagréables, qu’on a raison de ne pas lui tenir compte des bonnes qu’il opére.
Il est des gens, qui se fuïent eux-mêmes, pour se désennuïer, ils se marient ; ils prennent une femme, à peu près comme on se jette dans un fauteüil pour se délasser. L’ennui revient : ils e <sic> trouvent leur femme, & ils en sont plus piqués, que s’ils se retrouvoient eux-mêmes.
Il en est, qui se hâtent de prendre la qualité de Mari ; pour porter plutôt celle de Pére ; ils craignent, que leur illustre Famille ne s’éteigne ; c’est-à-dire qu’ils épousent leurs Ancêtres. La prémière fille, qui leur tombe sous la main est celle qu’ils choisissent pour leur donner des héritiers de leur nom. En ont-ils ? se voïent-ils renaître dans une petite famille ? Lit à part, mauvaise humeur, incomplaisance extrême. C’est beaucoup, si l’on ne fait pas des vœux ardents pour le Veuvage.
Fillettes ! n’écoutez point un Amant, assez lâche pour vous menacer un jour de vous sevrer des plaisirs de l’Hyménée, & assez aimable pour vous faire trembler de cette menace. Au lieu d’un Epoux, vous n’auriez qu’un Tyran. Un homme a-t-il sçu, prendre sur sa femme assez d’ascendant pour oser la punir, en se rélégant la nuit dans un autre appartement, elle ne pourra maintenir cet équilibre précieux, qui fait l’agrément du Mariage, & qui lui est même essentiel.
Amans ! ne donnez jamais vore <sic> main à celle qui la refuse. On peut forcer les villes ; on ne sçauroit forcer les cœurs ; & le consentement du cœur est nécessaire au Mariage.
Selon le systême du menu Peuple, ne battre sa femme que de tems en tems, c’est la bien traiter.
Quelqu’un a dit, que les Maris sont Maîtres en
On a dit, que c’étoit être malheureux, même que d’être heureux en femme. Fausse pensée. On a dit, que toute la gloire des femmes est d’être les canaux par lesquels les hommes viennent au monde. Idée extravagante. On a dit, que le bon-t-on de la bonne compagnie étoit de médire des femmes & de les draper en leur présence : Opinion ridicule ; usage digne des François. Vous verrez, que cette Nation imitera enfin la Galanterie Moscovite ; & il ne lui manquera pas d’Ecrivains, qui en feront l’apologie.
Ne trouvera-t-on jamais le secret de peupler le monde sans femmes, s’écrioit
Ceux, qui déclament le plus vivement contre le Mariage, se trouvent enfin mariés sans sçavoir comment. Les filles qui éxaltent le Célibat sont ordinairement celles, qui le haïssent le plus. Il est des personnes de l’un & de l’autre séxe, qui ne se marient point, précisément parce qu’elles aiment les plaisirs du Mariage, & qu’elles veulent toûjours les aimer. C’est un mets dont on ne se rassasie point, quand on est libre d’en goûter ou de n’en goûter pas. Rien ne pèse plus à l’homme que l’esclavage, même l’esclavage volontaire. Rien ne le dégoûte plus que la loi du devoir, quelque douce qu’elle soit. Il est esclave de ses plaisirs, & ne sçauroit l’être, quand ces plaisirs sont permis ou commandés.
Quelques-uns voudroient changer de femme, comme on change d’habits. Ce sont les Maris dégoutés par tempérament. D’autres voudroient trocquer leur femme comme on trocque une Montre. Ce sont des Maris dégoutés par l’uniformité des mets. D’autres la trocqueroient de bon cœur contre le Veuvage, à la liberté duquel ils renonceroient, en suite ; ce sont les Maris jaloux, les Maris qui ont sujet de l’être, les Maris qui, au lieu d’une femme, n’ont qu’une Mégère, les Maris qu’une Etoile inévitable poursuit, & qui ne sçavent pas se soumettre de belle grace au destin.
L’habitude d’être aimé dégoûte du plaisir de l’être. Cette habitude & ce dégoût rendent les Amans volages, des Maris infidelles, des femmes
S’il étoit permis de se marier aussi souvent qu’on voudroit, on verroit un plus grand nombre de bons Maris & de femmes fidelles. Ne serions-nous si inconstans, que parce qu’il nous est défendu de l’être ? Dans le bon tems de la
Point de ménage plus tranquille, que celui des Turcs. La pluralité des femmes en est la cause. Dix femmes, qui obeïssent, disent-ils, sont moins embarrassantes qu’une femme qui n’obéit pas. Leur sensualité y trouve son compte ; mais la délicatesse ne sçauroit avoir entrée dans un serrail ; aussi n’est-elle pas faite pour les Asiatiques.
Les Mariages le moins Mariages sont les plus agréables. Une possession paisible devient insipide. Quand on peut se marier mystérieusement, on goûte tous les plaisirs de l’Hymen, assaisonnés de ceux de l’Amour. Je ne m’étonne plus, que les Mariages de conscience soient si communs en
Les Filles, qui, suivant l’usage reçu, permettent à leur futur les carresses & les baisers, ne sont pas ordinairement fort heureuses, quand elles sont Féminisées. Que donnent-elles à leurs Maris, que ce qu’ils avoient presque obtenu déjà : Nos Demoiselles ne font pas l’amour avec assez de dignité. Faut-il être surpris, qu’elle <sic> ne trouvent dans le Mariage que peu d’agrémens ?