Amusement XV. Laurent Angliviel de la Beaumelle Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Karin Heiling Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Mario Müller Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 19.04.2018 o:mws.6595 La Beaumelle, Laurent Angliviel de: La Spectatrice danoise, ou l'Aspasie moderne, ouvrage hebdomadaire. Tome I. Copenhague: s.i. 1749, 113-120 La Spectatrice danoise 1 015 1748 Dänemark Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Liebe Amore Love Amor Amour Frauenbild Immagine di Donne Image of Women Imagen de Mujeres Image de la femme Sitten und Bräuche Costumi Manners and Customs Costumbres Mœurs et coutumes Denmark 10.0,56.0 Italy 12.83333,42.83333 United Kingdom England England -0.70312,52.16045 Spain -4.0,40.0 Roman Empire 12.48499,41.8925 Germany 10.5,51.5 France 2.0,46.0 Russia Moscow Moscow 37.61556,55.75222

Amusement XV.

Marié depuis peu, content, je n’en sçai rien.

La Fontaine.

Entrons dans le charmant païs du Mariage. Peu de gens en connoissent la Carte ; beaucoup en connoissent les lieux de plaisance ; tout le monde a reçu de la Nature le désir d’y voïager ; mais presque personne n’en a reçu le bonheur d’y voïager avec succès. Je me le figure comme une Montagne, dont les avenuës sont riantes, mais dont le séjour est désagréable. La félicité réside au sommet ; au pied l’on trouve la volupté, qu’on prend pour elle. Au milieu le dégout, plus loin le chagrin & le repentir ; mais un peu plus haut l’espérance, qui malheureusement n’est visible, qu’à un petit nombre de yeux perçans.

Presque tous les voïageurs veulent arriver au sommet. Ceux qui prennent le sentier de l’Intérêt, sentier fort large & fort battu, n’y parviennent jamais. Ceux qui choisissent celui de l’Amour sont en général plus heureux. Ceux qui marchent dans le chemin de la sensualité sont obligés de revenir sur leurs pas. Ceux qui suivent la route étroite de la Raison & de l’Amour y arrivent en un instant. La Félicité se livre à eux, entretient le feu sacré dont brûle leur cœur, & communique une partie de ses attributs à leur chére moitié. Les deux Epoux, toûjours Amans, sont par conséquent toûjours heureux. L’ennui n’altére point leur union. Leurs démêlés ne roulent que sur la vivacité de leurs sentimens réciproques. Enfantés par l’Amour, ils sont couronnés par le Plaisir ; si la source de la Volupté s’épuise, celle de la tendresse ne tarit pas. La sensibilité ne dépend point des faveurs. Ce n’est point qu’il ne soit disgracieux de s’aimer toûjours de même, sans pouvoir cependant se le prouver toûjours mais la délicatesse a des ressources, qui supléent à ce défaut. Un tendre regard vaut une joüïssance. Mais n’est-ce point une belle chimère, que je viens de décrire ? Quel couple fortuné l’a réalisée ?

On seroit heureux dans le Mariage, si on ne le regardoit pas, avant que d’y entrer, comme le centre du bonheur. On s’étoit promis trop de plaisirs, il faut décompter, peut-être parce qu’on en avoit trop goûté en idée : de l’imagination à la réalité il y a toûjours du déchet ; parce que l’imagination impétueuse & vive empiéte par l’ardeur du désir sur ce qu’elle doit posséder. A-t-on obtenu ce qu’on souhaite ? On trouve dans le cœur un vuide, dont il ne faut chercher la cause que dans la précipitation avec laquelle l’impatience du désir avoit couru au devant de l’objet. On avoit espéré avec fondement, on avoit imaginé avec excès : Ce n’est pas cela, dit-on ; & on se trompe. C’est cela même ; mais rogné par la tricherie de l’imagination.

Il ne faut voir le Mariage qu’en perspective. Dans le lointain l’Himen est beaucoup plus aimable que l’Amour. De près il ne presente plus que du froid dans les yeux, du sérieux dans l’air du visage, du glaçant dans les manières. On est surpris qu’une figure soit si différente d’elle-même ; on se dépite de son illusion ; on a peine à en croire ses yeux. Mais si l’on consulte son cœur, il confirme cette mortifiante méprise. N’y a-t-il point de remède à cet inconvénient ? Maris en herbe ! essaïez celui-ci. Avant le Mariage, aiez des yeux de Linx. Après le Mariage, devenez aveugles.

Il y a peu de bons Mariages ; parce qu’il y a peu de Mariages. Prendre une Femme, parce que sa dot met en état d’avoir un Carrosse doré, une bonne meute, un train nombreux de Domestiques, une Table bien servie, c’est passer contract avec un metal, auquel la folie humaine a donne <sic> du prix. Prendre une Femme comme on achette une Etoffe ; être surfait, mésoffrir, accepter après bien des négociations réciproques ; c’est commercer. Prendre une Femme, parce que sa beauté, son teint de lys & de roses, ses yeux amorçans ont fait sur le cœur une vive impression, sans songer, qu’une Femme est à la vérité le plus friand morçeau du monde, mais en même tems celui dont on se lasse le plus vite, c’est se contenter, c’est faire alliance avec la plus infidelle des passions, c’est faire une sottise en faveur d’un plaisir vif quoique grossier, mais qui amène toûjours à sa suite la satiété. Prendre une Femme, parce qu’il faut une compagne, la choisir jeune & belle pour être amusé, pour avoir Société, c’est délirer en plein bon-sens.

Qu’est-ce donc que se marier ? C’est en suivant le penchant secret de la Nature s’unir avec une personne, estimable par sa vertu, aimable par son caractère, choisie sans intérêt, cherchée à loisir, éxaminée avec discernement, nécessaire à la tranquillité du cœur. Ce n’est pas tout. Il faut que cette personne vous choisisse par les mêmes motifs, trouve en vous les mêmes qualités, soit guidée par les mêmes vûes. Voilà un véritable Mariage. Tous les autres n’en portent que le nom. C’est une merveille, quand ils en ont les plaisirs. Mais malheureusement celui que je viens de craïonner n’est qu’un être de raison. C’est bien dommage ! La Société la plus libre, c’est le Mariage ; la Société la plus forcée, c’est le Mariage ; La Société la plus malheureuse, c’est encore le Mariage. Le prémier est le plus nécessaire, le second est le plus injuste, le troisiême est le plus naturel, vu les deux autres.

Le mot Oüi, a une vertu Magique. Il unit les humeurs les plus discordantes, les cœurs les moins sympathisans, les esprits les plus incompatibles. Il assortit l’étourdi avec la sérieuse, le sage avec la folle, le sot avec la spirituelle, le libertin avec la vertueuse. Il allie la Roture avec la Noblesse, la richesse avec la pauvreté, la viellesse <sic> avec la jeunesse. Il égalise toutes les conditions, tous les âges, tous les états. Qu’il est puissant ! Quelqu’un ajoûtera, que ses liens ne durent que quelques jours, & s’écriera, qu’il est foible ! Et je dis, moi, que l’homme est bien ridicule de faire dépendre son bonheur de la prononciation de trois sillabes. N’est-il pas vrai ?

Y a-t-il du bien à dire de cet Oüi, si fecond en peines & en plaisirs ? Disons en ; Il fait quelquefois d’un bourru un enjoüé, d’un sournois un galant homme, d’un débauché un bon Péré de famille, d’une prude une femme aimable, d’une coquette une femme vertüeuse &c. Ajoûtons, qu’il fait d’autres Métamorphoses si désagréables, qu’on a raison de ne pas lui tenir compte des bonnes qu’il opére.

Il est des gens, qui se fuïent eux-mêmes, pour se désennuïer, ils se marient ; ils prennent une femme, à peu près comme on se jette dans un fauteüil pour se délasser. L’ennui revient : ils e <sic> trouvent leur femme, & ils en sont plus piqués, que s’ils se retrouvoient eux-mêmes.

Il en est d’autres, si fort accoutumés à chercher les plaisirs, qu’après les avoir épuisés, ils veulent tâter enfin du Mariage. Ils prennent une femme à peu près comme on prend un verre de Ratafia pour entrer en belle humeur. Le traité se conclut. Deux jours après le Mariage leur paroit trop sérieux. Leur enjoûment en souffre. Ils revolent à la bagatelle. Mais le souvenir importun, qu’ils sont mariés, empoisonne tous leurs amusémens.

Il en est, qui se hâtent de prendre la qualité de Mari ; pour porter plutôt celle de Pére ; ils craignent, que leur illustre Famille ne s’éteigne ; c’est-à-dire qu’ils épousent leurs Ancêtres. La prémière fille, qui leur tombe sous la main est celle qu’ils choisissent pour leur donner des héritiers de leur nom. En ont-ils ? se voïent-ils renaître dans une petite famille ? Lit à part, mauvaise humeur, incomplaisance extrême. C’est beaucoup, si l’on ne fait pas des vœux ardents pour le Veuvage.

Fillettes ! n’écoutez point un Amant, assez lâche pour vous menacer un jour de vous sevrer des plaisirs de l’Hyménée, & assez aimable pour vous faire trembler de cette menace. Au lieu d’un Epoux, vous n’auriez qu’un Tyran. Un homme a-t-il sçu, prendre sur sa femme assez d’ascendant pour oser la punir, en se rélégant la nuit dans un autre appartement, elle ne pourra maintenir cet équilibre précieux, qui fait l’agrément du Mariage, & qui lui est même essentiel.

Amans ! ne donnez jamais vore <sic> main à celle qui la refuse. On peut forcer les villes ; on ne sçauroit forcer les cœurs ; & le consentement du cœur est nécessaire au Mariage. Je ne vous aime point, disoit une Demoiselle à quelqu’un qui la recherchoit, &, qui plus est, je ne vous aimerai jamais. Estimable, si vous mettez fin à vos poursuites importunes, vous deviendrez méprisable à mes jeux <sic>, si vous les continuez, & odieux, si vous y réusissez. C’étoit parler net. Mais malheureusement elle étoit riche ; & le Cavalier, quoiqu’homme d’esprit, aimoit ce mérite-là. Il s’obstine. Il vient à bout de ses desseins. Sa femme est infidelle ; elle le lui avoit promis, & c’est peut-être la promesse qui nous coute le moins à tenir ; Le Mari tempête, crie, se plaint de la décoration aussi grotesque que peu équivoque de son front montré au doigt. Il l’apprend à ceux qui l’ignorent par une séparation dans les formes. Double tort. Un homme est toûjours coupable, quand sa femme a tort, & toûjours ridicule, quand il instruit le Public des torts de sa femme.

Le divorce est l’éxil du Mariage. En vient-on là ? on se rend la fable de la Ville. La séparation est pourtant quelquefois nécessaire ; mais elle est impraticable, quand la femme adore son Mari, malgré ses mauvais procédés, & que le Mari a la politique de cajoller en public la femme qu’il maltraite à la Maison, ce raffinement de méchanceté Maritale n’est point, je m’imagine, connu en Dannemarc.

Selon le systême du menu Peuple, ne battre sa femme que de tems en tems, c’est la bien traiter. En Moscovie, des coups de bâton bien appliqués sont les plus tendres preuves de l’Amour conjugal. En ce pais-là, une femme est inconsolable, quand son Mari n’éxerce pas sur ses épaules les forces de son bras, à peu près autant qu’une Françoise le seroit, si l’heure précise du rendez-vous ne lui présentoit pas son Amant, une Espagnole, si son adorateur ne s’enrhumoit pas sous ses fenêtres à tirer des sons de sa guittare, une Hollandoise, si le Médecin lui défendoit de fumer, une Danoise, si on lui retranchoit son Thé. Cette bizarerie vraîment Russe, & vraisemblablement fabuleuse, ne fait pas honneur à mon séxe. Le cœur des hommes nous seroit-il assez cher, pour en acheter à tel prix la possession ; & des coups de bâton nous tiendroient-ils lieu de sentimens ?

Quelqu’un a dit, que les Maris sont Maîtres en Allemagne, Valets en Angleterre, Compagnons en France, Géoliers en Italie, Tyrans en Espagne. Et en Dannemarc que sont-ils ? Maris. Et que de devoirs & de qualités renfermées dans ce nom !

On a dit, que c’étoit être malheureux, même que d’être heureux en femme. Fausse pensée. On a dit, que toute la gloire des femmes est d’être les canaux par lesquels les hommes viennent au monde. Idée extravagante. On a dit, que le bon-t-on de la bonne compagnie étoit de médire des femmes & de les draper en leur présence : Opinion ridicule ; usage digne des François. Vous verrez, que cette Nation imitera enfin la Galanterie Moscovite ; & il ne lui manquera pas d’Ecrivains, qui en feront l’apologie.

Ne trouvera-t-on jamais le secret de peupler le monde sans femmes, s’écrioit Sarrasin ? Otez-nous, si vous voulez, de l’Univers. Figurez vous un peuple d’hommes. Autant voudroit-il vout <sic> figurer un peuple de Démons ; si la bonne humeur, si la gaieté de la femme ne servoit de contrepoids à vôtre caractère dominant, si vous ne vous humanisiez a notre écôle, si votre férosité n’étoit contrebalancée par notre dou-ceur, si par notre commerce vos mœurs ne prenoient insensiblement la teinture des notres, le monde ne seroit qu’un enfer.

Ceux, qui déclament le plus vivement contre le Mariage, se trouvent enfin mariés sans sçavoir comment. Les filles qui éxaltent le Célibat sont ordinairement celles, qui le haïssent le plus. Il est des personnes de l’un & de l’autre séxe, qui ne se marient point, précisément parce qu’elles aiment les plaisirs du Mariage, & qu’elles veulent toûjours les aimer. C’est un mets dont on ne se rassasie point, quand on est libre d’en goûter ou de n’en goûter pas. Rien ne pèse plus à l’homme que l’esclavage, même l’esclavage volontaire. Rien ne le dégoûte plus que la loi du devoir, quelque douce qu’elle soit. Il est esclave de ses plaisirs, & ne sçauroit l’être, quand ces plaisirs sont permis ou commandés.

Quelques-uns voudroient changer de femme, comme on change d’habits. Ce sont les Maris dégoutés par tempérament. D’autres voudroient trocquer leur femme comme on trocque une Montre. Ce sont des Maris dégoutés par l’uniformité des mets. D’autres la trocqueroient de bon cœur contre le Veuvage, à la liberté duquel ils renonceroient, en suite ; ce sont les Maris jaloux, les Maris qui ont sujet de l’être, les Maris qui, au lieu d’une femme, n’ont qu’une Mégère, les Maris qu’une Etoile inévitable poursuit, & qui ne sçavent pas se soumettre de belle grace au destin.

J’oublierai, disoit un Mari à sa femme, le fameux passage de St. Paul, pourvu que vous vous en souveniez. Vous serez la Maîtresse, pourvu que vous ne veuilliez pas la paroître. La Dame profita de l’avis, & fut heureuse. Je serai votre fortune, disoit une vieille à quelqu’un qu’elle grilloit d’épouser, mais à condition que vous pourvoirez à mes plaisirs. Vos complaisances seront la régle de mes bienfaits. Le jeune homme, ennuié de sa fatigante sempiternelle ne put joüer son rôle jusqu’au bout. Adieu l’héritage, qu’il avoit couché en joüe. Il revint ; il avoüa ses torts ; il offrit des preuves d’amour & de repentir. Il ne fut point écouté. Sa femme s’étoit déjà pourvuë d’un Galant, dont elle païa les services de son bien. L’Histoire dit, que le Galant commença d’aimer sa vieille ridée, dès qu’il s’apperçut, que le Mari contrefaisoit l’amoureux, pour renoüer avec la succession. Que je plains ceux, dons <sic> la fortune est allée se loger dans les rides d’un visage antique !

L’habitude d’être aimé dégoûte du plaisir de l’être. Cette habitude & ce dégoût rendent les Amans volages, des Maris infidelles, des femmes coquettes. Le Comte de - - - très riche parti, fort aimable Cavalier, n’avoit qu’à jetter le mouchoir. C’étoit à qui s’en saisiroit. Ses prémiers soupirs étoient infailliblement écoutés. Il les portoit ailleurs, partout même accüeil. A la fin il s’avisa de les éloigner de la Capitale. La Province lui offrit ce qu’il lui falloit. Un jeune cœur lui resista pour la prémiére fois. Jusques là il n’avoit été que vainqueur, gloire qu’il partageoit avec ses richesses. Il commença dès-lors à devenir conquérant ; & c’est la gloire la plus flatteuse. Il fut aimé d’abord ; mais il fallut en arracher l’aveu ; & il ne l’arracha qu’avec peine. Il épouse sa Belle. Il est heureux. Pouvoit-il ne pas l’être ? Une femme qui avoüe tard sa tendresse en a une bonne provision, comme celle, qui aime difficilement, aime quatre fois plus qu’une autre.

S’il étoit permis de se marier aussi souvent qu’on voudroit, on verroit un plus grand nombre de bons Maris & de femmes fidelles. Ne serions-nous si inconstans, que parce qu’il nous est défendu de l’être ? Dans le bon tems de la République Romaine, le Divorce étoit facilité par les loix ; le Divorce étoit pourtant fort rare. Pourquoi ? Parce que le Mariage étoit une Société libre. Une femme, que son Mari peut congédier, quand il lui plaît, est nécessitée à faire le bonheur de son Mari ; & elle se plie aisément à cette nécessité-là.

Point de ménage plus tranquille, que celui des Turcs. La pluralité des femmes en est la cause. Dix femmes, qui obeïssent, disent-ils, sont moins embarrassantes qu’une femme qui n’obéit pas. Leur sensualité y trouve son compte ; mais la délicatesse ne sçauroit avoir entrée dans un serrail ; aussi n’est-elle pas faite pour les Asiatiques.

Les Mariages le moins Mariages sont les plus agréables. Une possession paisible devient insipide. Quand on peut se marier mystérieusement, on goûte tous les plaisirs de l’Hymen, assaisonnés de ceux de l’Amour. Je ne m’étonne plus, que les Mariages de conscience soient si communs en France. Les Dames perpétueront vraisemblablement cette méthode. Que nous sommes heureux, de n’en avoir pas eu besoin jusqu’ici ! Gare que notre tour ne vienne.

Les Filles, qui, suivant l’usage reçu, permettent à leur futur les carresses & les baisers, ne sont pas ordinairement fort heureuses, quand elles sont Féminisées. Que donnent-elles à leurs Maris, que ce qu’ils avoient presque obtenu déjà : Nos Demoiselles ne font pas l’amour avec assez de dignité. Faut-il être surpris, qu’elle <sic> ne trouvent dans le Mariage que peu d’agrémens ?

Amusement XV. Marié depuis peu, content, je n’en sçai rien. La Fontaine. Entrons dans le charmant païs du Mariage. Peu de gens en connoissent la Carte ; beaucoup en connoissent les lieux de plaisance ; tout le monde a reçu de la Nature le désir d’y voïager ; mais presque personne n’en a reçu le bonheur d’y voïager avec succès. Je me le figure comme une Montagne, dont les avenuës sont riantes, mais dont le séjour est désagréable. La félicité réside au sommet ; au pied l’on trouve la volupté, qu’on prend pour elle. Au milieu le dégout, plus loin le chagrin & le repentir ; mais un peu plus haut l’espérance, qui malheureusement n’est visible, qu’à un petit nombre de yeux perçans. Presque tous les voïageurs veulent arriver au sommet. Ceux qui prennent le sentier de l’Intérêt, sentier fort large & fort battu, n’y parviennent jamais. Ceux qui choisissent celui de l’Amour sont en général plus heureux. Ceux qui marchent dans le chemin de la sensualité sont obligés de revenir sur leurs pas. Ceux qui suivent la route étroite de la Raison & de l’Amour y arrivent en un instant. La Félicité se livre à eux, entretient le feu sacré dont brûle leur cœur, & communique une partie de ses attributs à leur chére moitié. Les deux Epoux, toûjours Amans, sont par conséquent toûjours heureux. L’ennui n’altére point leur union. Leurs démêlés ne roulent que sur la vivacité de leurs sentimens réciproques. Enfantés par l’Amour, ils sont couronnés par le Plaisir ; si la source de la Volupté s’épuise, celle de la tendresse ne tarit pas. La sensibilité ne dépend point des faveurs. Ce n’est point qu’il ne soit disgracieux de s’aimer toûjours de même, sans pouvoir cependant se le prouver toûjours mais la délicatesse a des ressources, qui supléent à ce défaut. Un tendre regard vaut une joüïssance. Mais n’est-ce point une belle chimère, que je viens de décrire ? Quel couple fortuné l’a réalisée ? On seroit heureux dans le Mariage, si on ne le regardoit pas, avant que d’y entrer, comme le centre du bonheur. On s’étoit promis trop de plaisirs, il faut décompter, peut-être parce qu’on en avoit trop goûté en idée : de l’imagination à la réalité il y a toûjours du déchet ; parce que l’imagination impétueuse & vive empiéte par l’ardeur du désir sur ce qu’elle doit posséder. A-t-on obtenu ce qu’on souhaite ? On trouve dans le cœur un vuide, dont il ne faut chercher la cause que dans la précipitation avec laquelle l’impatience du désir avoit couru au devant de l’objet. On avoit espéré avec fondement, on avoit imaginé avec excès : Ce n’est pas cela, dit-on ; & on se trompe. C’est cela même ; mais rogné par la tricherie de l’imagination. Il ne faut voir le Mariage qu’en perspective. Dans le lointain l’Himen est beaucoup plus aimable que l’Amour. De près il ne presente plus que du froid dans les yeux, du sérieux dans l’air du visage, du glaçant dans les manières. On est surpris qu’une figure soit si différente d’elle-même ; on se dépite de son illusion ; on a peine à en croire ses yeux. Mais si l’on consulte son cœur, il confirme cette mortifiante méprise. N’y a-t-il point de remède à cet inconvénient ? Maris en herbe ! essaïez celui-ci. Avant le Mariage, aiez des yeux de Linx. Après le Mariage, devenez aveugles. Il y a peu de bons Mariages ; parce qu’il y a peu de Mariages. Prendre une Femme, parce que sa dot met en état d’avoir un Carrosse doré, une bonne meute, un train nombreux de Domestiques, une Table bien servie, c’est passer contract avec un metal, auquel la folie humaine a donne <sic> du prix. Prendre une Femme comme on achette une Etoffe ; être surfait, mésoffrir, accepter après bien des négociations réciproques ; c’est commercer. Prendre une Femme, parce que sa beauté, son teint de lys & de roses, ses yeux amorçans ont fait sur le cœur une vive impression, sans songer, qu’une Femme est à la vérité le plus friand morçeau du monde, mais en même tems celui dont on se lasse le plus vite, c’est se contenter, c’est faire alliance avec la plus infidelle des passions, c’est faire une sottise en faveur d’un plaisir vif quoique grossier, mais qui amène toûjours à sa suite la satiété. Prendre une Femme, parce qu’il faut une compagne, la choisir jeune & belle pour être amusé, pour avoir Société, c’est délirer en plein bon-sens. Qu’est-ce donc que se marier ? C’est en suivant le penchant secret de la Nature s’unir avec une personne, estimable par sa vertu, aimable par son caractère, choisie sans intérêt, cherchée à loisir, éxaminée avec discernement, nécessaire à la tranquillité du cœur. Ce n’est pas tout. Il faut que cette personne vous choisisse par les mêmes motifs, trouve en vous les mêmes qualités, soit guidée par les mêmes vûes. Voilà un véritable Mariage. Tous les autres n’en portent que le nom. C’est une merveille, quand ils en ont les plaisirs. Mais malheureusement celui que je viens de craïonner n’est qu’un être de raison. C’est bien dommage ! La Société la plus libre, c’est le Mariage ; la Société la plus forcée, c’est le Mariage ; La Société la plus malheureuse, c’est encore le Mariage. Le prémier est le plus nécessaire, le second est le plus injuste, le troisiême est le plus naturel, vu les deux autres. Le mot Oüi, a une vertu Magique. Il unit les humeurs les plus discordantes, les cœurs les moins sympathisans, les esprits les plus incompatibles. Il assortit l’étourdi avec la sérieuse, le sage avec la folle, le sot avec la spirituelle, le libertin avec la vertueuse. Il allie la Roture avec la Noblesse, la richesse avec la pauvreté, la viellesse <sic> avec la jeunesse. Il égalise toutes les conditions, tous les âges, tous les états. Qu’il est puissant ! Quelqu’un ajoûtera, que ses liens ne durent que quelques jours, & s’écriera, qu’il est foible ! Et je dis, moi, que l’homme est bien ridicule de faire dépendre son bonheur de la prononciation de trois sillabes. N’est-il pas vrai ? Y a-t-il du bien à dire de cet Oüi, si fecond en peines & en plaisirs ? Disons en ; Il fait quelquefois d’un bourru un enjoüé, d’un sournois un galant homme, d’un débauché un bon Péré de famille, d’une prude une femme aimable, d’une coquette une femme vertüeuse &c. Ajoûtons, qu’il fait d’autres Métamorphoses si désagréables, qu’on a raison de ne pas lui tenir compte des bonnes qu’il opére. Il est des gens, qui se fuïent eux-mêmes, pour se désennuïer, ils se marient ; ils prennent une femme, à peu près comme on se jette dans un fauteüil pour se délasser. L’ennui revient : ils e <sic> trouvent leur femme, & ils en sont plus piqués, que s’ils se retrouvoient eux-mêmes. Il en est d’autres, si fort accoutumés à chercher les plaisirs, qu’après les avoir épuisés, ils veulent tâter enfin du Mariage. Ils prennent une femme à peu près comme on prend un verre de Ratafia pour entrer en belle humeur. Le traité se conclut. Deux jours après le Mariage leur paroit trop sérieux. Leur enjoûment en souffre. Ils revolent à la bagatelle. Mais le souvenir importun, qu’ils sont mariés, empoisonne tous leurs amusémens. Il en est, qui se hâtent de prendre la qualité de Mari ; pour porter plutôt celle de Pére ; ils craignent, que leur illustre Famille ne s’éteigne ; c’est-à-dire qu’ils épousent leurs Ancêtres. La prémière fille, qui leur tombe sous la main est celle qu’ils choisissent pour leur donner des héritiers de leur nom. En ont-ils ? se voïent-ils renaître dans une petite famille ? Lit à part, mauvaise humeur, incomplaisance extrême. C’est beaucoup, si l’on ne fait pas des vœux ardents pour le Veuvage. Fillettes ! n’écoutez point un Amant, assez lâche pour vous menacer un jour de vous sevrer des plaisirs de l’Hyménée, & assez aimable pour vous faire trembler de cette menace. Au lieu d’un Epoux, vous n’auriez qu’un Tyran. Un homme a-t-il sçu, prendre sur sa femme assez d’ascendant pour oser la punir, en se rélégant la nuit dans un autre appartement, elle ne pourra maintenir cet équilibre précieux, qui fait l’agrément du Mariage, & qui lui est même essentiel. Amans ! ne donnez jamais vore <sic> main à celle qui la refuse. On peut forcer les villes ; on ne sçauroit forcer les cœurs ; & le consentement du cœur est nécessaire au Mariage. Je ne vous aime point, disoit une Demoiselle à quelqu’un qui la recherchoit, &, qui plus est, je ne vous aimerai jamais. Estimable, si vous mettez fin à vos poursuites importunes, vous deviendrez méprisable à mes jeux <sic>, si vous les continuez, & odieux, si vous y réusissez. C’étoit parler net. Mais malheureusement elle étoit riche ; & le Cavalier, quoiqu’homme d’esprit, aimoit ce mérite-là. Il s’obstine. Il vient à bout de ses desseins. Sa femme est infidelle ; elle le lui avoit promis, & c’est peut-être la promesse qui nous coute le moins à tenir ; Le Mari tempête, crie, se plaint de la décoration aussi grotesque que peu équivoque de son front montré au doigt. Il l’apprend à ceux qui l’ignorent par une séparation dans les formes. Double tort. Un homme est toûjours coupable, quand sa femme a tort, & toûjours ridicule, quand il instruit le Public des torts de sa femme. Le divorce est l’éxil du Mariage. En vient-on là ? on se rend la fable de la Ville. La séparation est pourtant quelquefois nécessaire ; mais elle est impraticable, quand la femme adore son Mari, malgré ses mauvais procédés, & que le Mari a la politique de cajoller en public la femme qu’il maltraite à la Maison, ce raffinement de méchanceté Maritale n’est point, je m’imagine, connu en Dannemarc. Selon le systême du menu Peuple, ne battre sa femme que de tems en tems, c’est la bien traiter. En Moscovie, des coups de bâton bien appliqués sont les plus tendres preuves de l’Amour conjugal. En ce pais-là, une femme est inconsolable, quand son Mari n’éxerce pas sur ses épaules les forces de son bras, à peu près autant qu’une Françoise le seroit, si l’heure précise du rendez-vous ne lui présentoit pas son Amant, une Espagnole, si son adorateur ne s’enrhumoit pas sous ses fenêtres à tirer des sons de sa guittare, une Hollandoise, si le Médecin lui défendoit de fumer, une Danoise, si on lui retranchoit son Thé. Cette bizarerie vraîment Russe, & vraisemblablement fabuleuse, ne fait pas honneur à mon séxe. Le cœur des hommes nous seroit-il assez cher, pour en acheter à tel prix la possession ; & des coups de bâton nous tiendroient-ils lieu de sentimens ? Quelqu’un a dit, que les Maris sont Maîtres en Allemagne, Valets en Angleterre, Compagnons en France, Géoliers en Italie, Tyrans en Espagne. Et en Dannemarc que sont-ils ? Maris. Et que de devoirs & de qualités renfermées dans ce nom ! On a dit, que c’étoit être malheureux, même que d’être heureux en femme. Fausse pensée. On a dit, que toute la gloire des femmes est d’être les canaux par lesquels les hommes viennent au monde. Idée extravagante. On a dit, que le bon-t-on de la bonne compagnie étoit de médire des femmes & de les draper en leur présence : Opinion ridicule ; usage digne des François. Vous verrez, que cette Nation imitera enfin la Galanterie Moscovite ; & il ne lui manquera pas d’Ecrivains, qui en feront l’apologie. Ne trouvera-t-on jamais le secret de peupler le monde sans femmes, s’écrioit Sarrasin ? Otez-nous, si vous voulez, de l’Univers. Figurez vous un peuple d’hommes. Autant voudroit-il vout <sic> figurer un peuple de Démons ; si la bonne humeur, si la gaieté de la femme ne servoit de contrepoids à vôtre caractère dominant, si vous ne vous humanisiez a notre écôle, si votre férosité n’étoit contrebalancée par notre dou-ceur, si par notre commerce vos mœurs ne prenoient insensiblement la teinture des notres, le monde ne seroit qu’un enfer. Ceux, qui déclament le plus vivement contre le Mariage, se trouvent enfin mariés sans sçavoir comment. Les filles qui éxaltent le Célibat sont ordinairement celles, qui le haïssent le plus. Il est des personnes de l’un & de l’autre séxe, qui ne se marient point, précisément parce qu’elles aiment les plaisirs du Mariage, & qu’elles veulent toûjours les aimer. C’est un mets dont on ne se rassasie point, quand on est libre d’en goûter ou de n’en goûter pas. Rien ne pèse plus à l’homme que l’esclavage, même l’esclavage volontaire. Rien ne le dégoûte plus que la loi du devoir, quelque douce qu’elle soit. Il est esclave de ses plaisirs, & ne sçauroit l’être, quand ces plaisirs sont permis ou commandés. Quelques-uns voudroient changer de femme, comme on change d’habits. Ce sont les Maris dégoutés par tempérament. D’autres voudroient trocquer leur femme comme on trocque une Montre. Ce sont des Maris dégoutés par l’uniformité des mets. D’autres la trocqueroient de bon cœur contre le Veuvage, à la liberté duquel ils renonceroient, en suite ; ce sont les Maris jaloux, les Maris qui ont sujet de l’être, les Maris qui, au lieu d’une femme, n’ont qu’une Mégère, les Maris qu’une Etoile inévitable poursuit, & qui ne sçavent pas se soumettre de belle grace au destin. J’oublierai, disoit un Mari à sa femme, le fameux passage de St. Paul, pourvu que vous vous en souveniez. Vous serez la Maîtresse, pourvu que vous ne veuilliez pas la paroître. La Dame profita de l’avis, & fut heureuse. Je serai votre fortune, disoit une vieille à quelqu’un qu’elle grilloit d’épouser, mais à condition que vous pourvoirez à mes plaisirs. Vos complaisances seront la régle de mes bienfaits. Le jeune homme, ennuié de sa fatigante sempiternelle ne put joüer son rôle jusqu’au bout. Adieu l’héritage, qu’il avoit couché en joüe. Il revint ; il avoüa ses torts ; il offrit des preuves d’amour & de repentir. Il ne fut point écouté. Sa femme s’étoit déjà pourvuë d’un Galant, dont elle païa les services de son bien. L’Histoire dit, que le Galant commença d’aimer sa vieille ridée, dès qu’il s’apperçut, que le Mari contrefaisoit l’amoureux, pour renoüer avec la succession. Que je plains ceux, dons <sic> la fortune est allée se loger dans les rides d’un visage antique ! L’habitude d’être aimé dégoûte du plaisir de l’être. Cette habitude & ce dégoût rendent les Amans volages, des Maris infidelles, des femmes coquettes. Le Comte de - - - très riche parti, fort aimable Cavalier, n’avoit qu’à jetter le mouchoir. C’étoit à qui s’en saisiroit. Ses prémiers soupirs étoient infailliblement écoutés. Il les portoit ailleurs, partout même accüeil. A la fin il s’avisa de les éloigner de la Capitale. La Province lui offrit ce qu’il lui falloit. Un jeune cœur lui resista pour la prémiére fois. Jusques là il n’avoit été que vainqueur, gloire qu’il partageoit avec ses richesses. Il commença dès-lors à devenir conquérant ; & c’est la gloire la plus flatteuse. Il fut aimé d’abord ; mais il fallut en arracher l’aveu ; & il ne l’arracha qu’avec peine. Il épouse sa Belle. Il est heureux. Pouvoit-il ne pas l’être ? Une femme qui avoüe tard sa tendresse en a une bonne provision, comme celle, qui aime difficilement, aime quatre fois plus qu’une autre. S’il étoit permis de se marier aussi souvent qu’on voudroit, on verroit un plus grand nombre de bons Maris & de femmes fidelles. Ne serions-nous si inconstans, que parce qu’il nous est défendu de l’être ? Dans le bon tems de la République Romaine, le Divorce étoit facilité par les loix ; le Divorce étoit pourtant fort rare. Pourquoi ? Parce que le Mariage étoit une Société libre. Une femme, que son Mari peut congédier, quand il lui plaît, est nécessitée à faire le bonheur de son Mari ; & elle se plie aisément à cette nécessité-là. Point de ménage plus tranquille, que celui des Turcs. La pluralité des femmes en est la cause. Dix femmes, qui obeïssent, disent-ils, sont moins embarrassantes qu’une femme qui n’obéit pas. Leur sensualité y trouve son compte ; mais la délicatesse ne sçauroit avoir entrée dans un serrail ; aussi n’est-elle pas faite pour les Asiatiques. Les Mariages le moins Mariages sont les plus agréables. Une possession paisible devient insipide. Quand on peut se marier mystérieusement, on goûte tous les plaisirs de l’Hymen, assaisonnés de ceux de l’Amour. Je ne m’étonne plus, que les Mariages de conscience soient si communs en France. Les Dames perpétueront vraisemblablement cette méthode. Que nous sommes heureux, de n’en avoir pas eu besoin jusqu’ici ! Gare que notre tour ne vienne. Les Filles, qui, suivant l’usage reçu, permettent à leur futur les carresses & les baisers, ne sont pas ordinairement fort heureuses, quand elles sont Féminisées. Que donnent-elles à leurs Maris, que ce qu’ils avoient presque obtenu déjà : Nos Demoiselles ne font pas l’amour avec assez de dignité. Faut-il être surpris, qu’elle <sic> ne trouvent dans le Mariage que peu d’agrémens ?