La Spectatrice danoise: Amusement XIV.
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Ebene 1
Amusement XIV.
J’ai le plus joli petit Epagneul du monde :
D’un côté, je serois bien fâchée, qu’on pût le mettre au rang
des Automates ; De l’autre, je la serois beaucoup, qu’on pût
l’élever au rang des êtres raisonnables. Je ne voudrois pas le
prémier, pour son honneur, auquel ses gentillesses m’intéressent
assez vivement. Et l’on sçait qu’on nous plait à peu de frais.
Je ne voudrois pas le second, pour l’honneur de la Nature
humaine, qui me tient fort à cœur, dépuis que je me suis avisée
de devenir tout de bon un Etre Pensant. Que vous importe dans le
fonds, me dira-t-on ? Ne doit-il pas vous suffire que votre
Epagneul vous amuse ? Qu’est-il nécessaire de vous
embarquer dans des Raisonnemens abstraits, pour lui fixer un
état, qui vous rendront peut-être incertaine sur le votre ?
Quand on est attachée à un objet, comme je la suis à mon
Epagneul, il est naturel, d’être curieux sur cet article, de
chercher la cause de cet attachement, d’éxaminer s’il est bien
fondé, de dévélopper le principe de tous ces jolis tours, dont
je suis charmée. Qu’il me soit donc permis de prendre l’essor,
de philosopher un peu, de rechercher si les Bêtes ont une Ame,
ou non. Je ne prétends pas faire de nouvelles découvertes ;
outre que je n’ai point l’esprit systématique, je suis venuë
trop tard pour donner du nouveau. Je veux simplement me
déterminer sur quelqu’une de celles qui ont été faites. Le
Méchanisme des Bêtes n’est plus à la mode ; & peut-être
est-il surprenant qu’il ait si long-tems eu la vogue. Qu’une
Chienne soit une machine, une pure machine, montée avec
industrie, c’est ce qui paroit du prémier coup d’œil dénué de
toute vraisemblance. Aussi les Cartésiens avoient-ils la
précaution de dire, que cette opinion n’est pas faite pour les
Philosophes ordinaires, & qu’il faut même un grand effort
d’imagination pour l’embrasser. Quoiqu’il en soit, un
Raisonnement badin de M. de Fontenelle suffit pour renverser ce
systême. D’ailleurs le
Méchanisme des Bêtes a des conséquences fâcheuses pour la Raison
de l’Homme. Car si les Bêtes ne sont que des Automates, si elles
doivent à une certaine construction d’organes les merveilles que
nous leur voïons faire, & qui ont bien assurément de quoi
nous étonner, qui nous assurera, que notre Ame
n’est pas matérielle comme la leur, & que nos Organes
beaucoup plus délicats, des esprits animaux plus abondans, des
fibres dont les ressorts joüent avec plus de facilité, une
conformation plus parfaite de cerveau, ne nous rendent pas les
services, que nous mettons sur le compte d’une substance
distincte, ne forment pas ce que nous apellons Raison, & ne
font pas uniquement la supériorité que nous avons sur les
animaux ? Mais il ne s’agit de rejetter une opinion seulement à
cause de ses conséquences. Celle de Des Cartes a d’autres
défauts essentiels. (10.) Elle n’a d’autre appui, qu’une
conjecture, ingénieuse, si l’on veut, mais peu solide ; (20.)
Elle n’explique point tous les Phénoménes que nous admirons dans
les Bêtes ; (30.) Elle est évidemment contraire à l’expérience,
contre laquelle il n’y a point de systême qui tienne. Que nous
dit-elle, l’expérience ? Que les Bêtes ont une Ame. Comment, une
Ame ! Oüi. Vous ne me nierez pas, que la Perception, qui a la
prérogative d’être la prémiere sorte d’Opération de l’esprit, la
prémiére sorte de Pensée ne soit une des qualités de la Brute.
Mais n’a-t-elle qu’une Ame sensitive ? Il est très probable,
qu’elle a aussi l’imagination en partage, c’est-à-dire, une
sorte de Perception, par laquelle l’esprit apperçoit sans
l’action présente de l’objet sensible sur les sens : il ne l’est
pas moins, que le sentiment intime lui apprend l’existence des
changemens ou des mouvemens de son esprit. Elle est aussi
capable d’attention. Quand l’objet lui plait, l’intéresse, sa
perception est constante & accompagnée de quelque effort,
pour connoître cet objet. Qu’est-ce que l’Idée ? C’est, à
proprement parler, une Perception, qui représente tellement une
chose, qu’on peut la concevoir clairément. Il faudroit n’avoir
jamais vu de Bêtes, pour croire, qu’elles ne partagent point
avec nous ce privilége. Mais leur Ame ne se borne pas au
présent ; elle sçait aussi se réplier sur le passé. Leur Mémoire
retient & rappelle les Perceptions qu’elles ont déjà eües
par le secours des sens. Leurs idées sont à la vérité fort
bornées. Mais les notres ne sont-elles pas imparfaites ? Elles laissent toûjours quelque chose à découvrir dans
un objet ; elles ne les montrent, pour ainsi dire, que par
parcelles ; & l’objet le plus mince est pour elles un fonds
inépuisable. Voudrions-nous éxiger des Bêtes une plus grande
étenduë d’esprit, que celle que nous avons ? N’est-il pas
naturel, que, moins parfaites, que nous ne le sommes, elles nous
soient inférieures en délicatesse & en nombre de
Perceptions ? Non seulement les Bêtes perçoivent, mais encore
elles jugent. Elles comparent deux idées, elles voïent les
rapports de convenance ou de différence dans leurs objets, elles
décident ; & leurs jugemens s’opérent comme les notres avec
la rapidité d’un éclair. Bien plus : Ils sont moins sujets à
révision, que ne le sont les notres ; sans doute parce que leurs
organes ont des perfections que les notres n’ont pas. Ajoutez à
cela, qu’elles raisonnent, si par raisonner, vous entendez,
comme on fait ordinairement, décider une question sur la liaison
qu’on lui trouve avec quelque jugement préalable. Elles font cet
assortiment de Propositions, dont une suit de quelqu’autre. Mais
s’il est vrai, que leurs raisonnemens n’ont pas la même
profondeur que les notres, il ne l’est pas moins, qu’ils n’ont
pas les mêmes défauts. Leurs Sillogismes vraisemblablement
péchent plus dans la forme, mais assurément ils péchent moins
dans la matiére. Les Sophismes leur sont presqu’inconnus. Qui
vous a, me dira-t-on, appris de si belles choses ? D’où
sçavez-vous, que les Bêtes perçoivent, jugent, raisonnent ? De
leurs actions : Quand je vois la République des Abeilles,
capable de servir de modéle aux Etats les mieux policés, la
discipline éxacte, qui régne dans leurs ruches, les précautions
qu’elles prennent, avant que de fonder une nouvelle Colonie ;
Les Angles de leurs Loges compassés avec une justesse
Géométrique ; Les différentes occupations des membres de ce
petit Etat, les remèdes que leur Reine apporte aux accidens
imprévus, vous voulez que j’attribuë à un pur instinct tant de
merveilles ? J’aimerois autant lui faire honneur des
Chefs-d’œuvre de l’esprit humain.
Sérieusement, pour rendre raison de cet
événement mémorable à jamais dans les Annales des Abeilles, ne
faut-il pas leur accorder la Pensée & la Réfléxion, ne
faut-il pas convenir, qu’elles ont fait ces raisonnements : « Ce
Reptile est nuisible à notre travail, donc nous devons
l’empêcher de nous nuire ? Nous ne pouvons pas le chasser, donc
nous devons le couvrir de Miel. » &c. ? N’est-ce pas là un
tour de maître voleur ? Pour l’expliquer, ne faut-il pas avoüer,
que ces deux Animaux en étoient convenus en leur patois.
Que dirai-je de l’industrie des Castors, qui se bâtissent des
Maisonnettes à triple étage, pour se garantir des inondations,
& à fausses portes pour se dérober à leurs ennemis ? du
Renard, qui est aussi fin qu’un Jésuite ? Du Cerf, qui prend
mille détours différens, pour échapper aux Chasseurs ? Après
qu’on l’a lancé, qu’il coure par instinct ; soit <sic>. Je
le veux, quoi que je pusse demander ce que c’est que cet
instinct ; mais qu’on ne me nie pas qu’il se
détourne, parce qu’il juge, que c’est le seul moïen d’échapper.
Peut-on mieux copier l’homme d’importance, qui promet
tout dans le peril, & ne tient rien, quand on l’en a tiré ?
Quel Comédien entreroit mieux dans le caractère d’un faquin ? Je
défie le plus franc Cartésien de refuser la Pensée à un Limier
bien élevé, après qu’il l’aura éxaminé attentivement. J’imagine,
qu’un Chasseur de profession seroit en état de fournir aux
Philosophes de fort bons Mémoires, en faveur de l’Ame des Bêtes.
Non seulement elles sçavent discerner ce qui leur est avantageux
d’avec ce qui ne l’est pas, mais encore elles sont capables,
jusqu’à un certain degré, de bien & de mal, de vertus &
de vices. Je m’explique : Certaines qualités & certains
défauts sont affectés à quelques animaux. Le Chien a la fidélité
en partage ; L’Ours la férocité. Or le Chien peut à force de
caresses & de leçons devenir encore plus fidelle qu’il ne
l’est naturellement, & l’Ours peut s’humaniser ; d’où il
s’ensuit qu’à tout prendre les Bêtes peuvent être vertueuses ou
vicieuses, rélativement ux <sic> services qu’elles nous
rendent. Nous les trouvons extrêmement bornées en mille
occasions. Cela ne prouve rien. Notre esprit, que nous pourrions
aisément étendre, est si rétréci par l’erreur & le préjugé,
que je ne conçois pas, comment nous trouvons
étrange, que celui des Bêtes soit si limité. Je voudrois bien
sçavoir, si bien des hommes, dont les actions paroissent bornées
aux besoins de la vie animale, ne sont pas presqu’aussi stupides
qu’elles. Qu’on lâche un enfant, à qui l’on n’aura point parlé,
dans leur compagnie, je doute fort, qu’il aît plus d’esprit, que
quelques-unes en ont. Cette raison, dont on fait tant de bruit,
ne nous rend pas de grands services, quand elle n’est pas
cultivée. Peut-étre que les bornes, que nous appercevons dans
celle des Bêtes, ne viennent que de ce que certaines choses ne
sont pas du ressort de leur Ame. Quoiqu’il en soit, elles ont
comme nous des goûts, des passions, du penchant à l’amitié ou à
la haine. Tous les singes sont malins ; quelques chiens n’ont
pas voulu survivre à leur maître. Il est bien difficile, que
toutes ces qualités ne soient que de pures modifications de la
Matière. Cet argument ne me paroit point conclüant.
L’uniformité de leurs vuës n’est peut-être qu’apparente, &
vient de ce que nous ne sommes pas assez clairvoïans, pour en
découvrir la variété. D’ailleurs la Nature, qui, loin d’être
prodigue, fait tout avec la dernière œconomie, varie assez les
genres, pour qu’on ne doive pas éxiger d’elle une différence
sensible dans les espèces. On peut dire encore, que leur Ame n’a
pas, ni à beaucoup près, le même degré de perfection, que la
notre, ou bien que les organes de leur corps ne sont pas
également propres à réfléchir sur leur Ame toutes les
impressions des objets. Destitutées <sic> de la parole,
elles ne peuvent étendre ni perfectionner leur entendement. Le
défauts <sic> d’éducation est peut-être ce qui les rend si
viles à nos yeux. Peut-être se mocquent-elles à leur tour de
notre ignorance en certaines choses, dont la connoissance leur
paroit essentielle. Quelle uniformité ne remarque-t-on pas dans
les pensées de la plupart des hommes ? Prenez un Laboureur, qui
n’a jamais porté son esprit plus loin que la Charruë & le
Hoïau. Tirez-le des bornes étroites, où sa Raison a toûjours été
comme emprisonnée, vous ne le trouverez guéres capable de
raisonner. Une ou deux régles, vraies ou fausses, sont la baze
des raisonnemens du Peuple. Otez leur ces maximes. Les voilà
désorientés. Plus de Compas. Plus de Boussole. Avant Des
Cartes, qu’étoit la science du Raisonnement ? On peut dire, que
jusqu’à lui les hommes ont ignoré l’Art de Penser. Que sçait-on,
si parmi les animaux, il ne s’élevera pas un jour quelque Des
Cartes, qui répandra la lumière dans tous les esprits ? si les
hommes peuvent instruire les Bêtes jusqu’à un certain point, de
quel succès ne seroient pas suivies les leçons de quelque habile
Chien, par éxemple, qui auroit l’avantage d’être entendu de ses
semblables ? Au moins y a-t-il grande apparence, qu’il
perfectionneroit l’Art de Chasser. Il s’ensuit de tout ce que je
viens de dire, que Les Bêtes ne sont pas si Bêtes que l’on
pense. Mais ne s’ensuit-il pas, que notre Ame peut être
matérielle ? Point du tout. Car je n’avance point, que celle des
Bêtes la soit. Au contraire, de ce que je sens par moi-même, que
la Matière ne sçauroit penser, j’en conclus, que les Bêtes, qui
pensent, ont deux substances distinctes. Mais que deviennent ces
Ames ? Ce quelles deviennent ! eh ! que m’importe ? Contente de
leur en avoir trouvé une, je ne veux pas me donner la peine de
leur assigner un Logement. Peut-être passent-elles dans quelque
autre Animal ? Peut-être ne sont-elles autre chose, que les
substances de quelques esprits, ou, comme le dit le P. Bougeant,
(*2) des Diables condamnés à animer ces
Créatures. Tout ce que je sçais, c’est que toutes les fortes
preuves, qui me convainquent de l’éxistence de mon ame,
concourent à me convaincre de l’éxistence des Ames subalternes
des Bêtes. Ne m’en demandez pas davantage ; si vous me pressez,
je bâtirai, à l’éxemple de Leibnitz, sur un amas de mots, que
nous n’entendrons ni vous ni moi, un beau Systême, que vous ne
détruïrez pas aisément.
Zitat/Motto
Voici quel est mon
Compliment
Sur la plus belle des Fauvettes ;
Quand elle revient ou vous êtes,
Ah ! m’écriai-je alors avec étonnement,
N’en déplaise à mon Oncle, elle a du jugement.
Sur la plus belle des Fauvettes ;
Quand elle revient ou vous êtes,
Ah ! m’écriai-je alors avec étonnement,
N’en déplaise à mon Oncle, elle a du jugement.
Mlle. Des Cartes.
Ebene 2
Metatextualität
Ces vers, que la Niéce du fameux
Des Cartes envoia à Mademoiselle de Scudery au sujet d’une
Fauvette, qui tous les étés venoit réguliérement à sa
campagne, m’ont fait naître l’idée de m’amuser sur l’Ame des
Bêtes.
Ebene 3
« Mettez, dit il,(*1) une Machine de Chien & une Machine de
Chienne, l’une auprès de l’autre, il en pourra résulter une
troisiême petite Machine, au lieu que deux Montres seront
l’une auprès de l’autre, toute leur vie, sans faire jamais
une troisiême Montre. Or, toutes les choses, qui étant deux
ont la vertu de se faire trois, sont d’une noblesse bien
élevée au dessus de la Machine. »
Metatextualität
Mais voici quelques faits particuliers & bien avérés,
qui prouvent, que les Bêtes ont la faculté de percevoir, de
juger, de raisonner, d’agir conformément aux conséquences
déduites des leurs Principes ; & en faut-il d’avantage
pour faire des êtres Raisonnables ?
Ebene 3
Un Limaçon s’étant glissé dans une
Ruche de Mouches à miel, malgré les sentinelles, voilà toute
la petite République en allarmes. On entend un grand
Bourdonnement. La Reine assemble son Conseil. On délibère.
Jamais affaire de plus grande importance ne fut mise sur le
tapis. Les avis furent, selon toutes les
apparences, fort partagés. Chasser l’ennemi, c’étoit tenter
l’impossible. Le laisser dans la Ruche, s’étoit s’obliger à
la déserter. L’attacher ouvertement, c’étoit s’exposer à de
grands perils ; & dans ces conseils-là, on ne se pique
pas, comme dans les notres de prodiguer la vie des sujets.
Comment donc s’en défaire ? On se détermine à le couvrir de
Cire, à fin que l’odeur du cadavre n’infecte point la ville.
Les ordres sont donnés pour éxécuter ce projet. Tout le
Peuple se met à l’ouvrage. Eh vite, eh vite ! on enduit à
l’envi d’un miel glüant le témeraire Limaçon ; une Pyramide
de Cire, où il est enséveli, sert de monument à une victoire
si glorieuse.
Ebene 3
Deux Loups alloient ordinairement de compagnie
roder autour d’un Bercail. Le Berger vigilant rendoit
toûjours leurs visites infructueuses. Tous leurs stratagêmes
ne réussissoient point. Il fallut donc en tenter un nouveau.
Ils le tentèrent. Un beau jour le Berger vit venir l’un des
deux loups. Il sort de sa cabane, pour garantir son
troupeau ; Mais à peine s’est-il mis à courir après, que le
Camarade du Poursuivi sort à point nommé de l’autre côté du
bois, & enléve une Brebis.
Exemplum
Dans plusieurs contrées du nouveau
Monde, les Américains ne mangeoint <sic> point les
oiseaux : aussi les Oiseaux n’étoient-ils point farouches.
Mais les Européens, qui ne leur faisoient point de quartier,
les ont rendus comme ceux d’Europe. Pour se deshabitüer de
cette longue familiarité, qu’ils avoient avec les naturels
du païs, n’ont-ils pas fait ce Sillogisme ? Nous devons fuir
tous ceux qui en veulent à notre vie, or ces nouveaux Vénus
en veulent à notre vie, donc nous devons les fuir.
Ebene 3
Exemplum
On raconte d’un Perroquet un
trait fort joli, qui n’est point étranger à mon sujet.
Il prouve démonstrativement, que les Bêtes pensent non
seulement comme les hommes, mais encore qu’elles parlent
avec autant d’esprit & de jugement qu’eux. Ce
Perroquet étoit né dans l’Ile de Bantam, ou l’on en
trouve beaucoup de blancs, qui jasent dans la dernière
perfection ; il étoit le Mignon d’Henri VIII Roi
d’Angleterre. Un jour il s’émancipa d’aller voir les
jardins du Palais, qui joignoit à la Tamise. Et
insensiblement le bruit, qu’il entendoit de l’autre côté
de la rivière, l’aïant attiré vers la Terrasse, pour
entendre la voix humaine, dont il étoit éperdument
amoureux, le piel lui manqua, voilà le pauvre Perroquet
dans l’eau. Comment s’en tirer ? Il se rappella fort à
propos certaines paroles qu’il avoit entendües, &
cria de toutes ses forces : a bott a bott for twenti
Pounds : vite un batteau, vite un batteau pour vingt
livres Sterlings. Un Batelier accourut, & sauva
l’oiseau, qu’il rapporta au Roi. Henri VIII. lui dit,
que le Perroquet devoit fixer la récompense qu’il
méritoit. La proposition fut acceptée. On questionna
l’échapé de la Tamise. Alors ce singe de la voix &
des affections humaines dit d’un ton fier &
dédaigneux. Give the knave a groot : donnez quatre sols
à ce maraud-là.
Ebene 3
Il me semble d’avoir lu
dans le Spectacle de la Nature, que l’esprit d’imitation,
qui régne dans les ouvrages & dans les actions des
différentes espèces d’Animaux, prouve qu’ils ne sont point
raisonnables ; si les hirondelles pensoient, dit cet Auteur,
celles de la Chine bâtiroient-elles leur nid comme celles de
France ?
Exemplum
Les Habitans des
Iles Marianes étoient si novices à l’égard des commodités de
la vie, qu’ils ne connoissoient pas même l’usage du Feu, que
les Espagnols leur enseignèrent. Ceux-ci avoient beau leur
faire un étalage pompeux du bonheur & de la sagesse des
Européens, ces Insulaires ne pouvoient pas comprendre, qu’il
y eut dans l’Univers un peuple plus sage & plus heureux
qu’eux. Ils ne comprenoient pas mieux, que la variété des
plans établit la supériorité de mérite.