La Spectatrice danoise: Amusement IX.
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Livello 1
Amusement IX.
Citazione/Motto
Dévinez qui je suis, je
vous le donne en mille.
Livello 2
Metatestualità
Je m’étois promis bien des
plaisirs de mon Incognito. Je ne me suis pas trompée.
Croiroit-on que la Curiosité du Public m’a plus satisfaite,
que le bon accüeil qu’il a fait à mes Feuilles ? Cela est
bizare, & pourtant réel. Accoutumée à faire l’anatomie
de mes sentimens, j’ai cherché la cause de ce plaisir, j’ai
trouvé, que, tout bien pesé, ce n’étoit qu’un trait assez
grossier d’amour-propre, & que je n’étois charmée, qu’on
tâchat de me déviner, que parce que je croïois, que mes
Lecteurs s’imaginoient que mes Amusémens les amusoient assez
pour désirer d’en connoître l’auteur. Quoiqu’il en soit je
me suis extrêmement réjoüie jusqu’ici de toutes les
conjectures, que j’ai oüi former sur le véritable nom
d’Aspasie. Voici ce qu’on m’a écrit là-dessus ce matin.
Que la Dame en question me permette de lui
réciproquer ses complimens, & de lui dire, que j’avois
cru mon style assez féminin, pour me flatter, qu’en
Connoisseuse comme elle est, elle ne me feroit pas l’injure
de me croire affublée d’une Perruque. Pourquoi donc, me dira-t-on, vous donnez-vous la
peine de désabuser ceux de vos Lecteurs, qui vous prennent
pour un homme ? Pourquoi ? Parce que ce soupçon m’est
injurieux. Si mes Feüilles plaisent, je veux qu’on en fasse
honneur à mon séxe ; si elles ne plaisent pas, je ne veux
point qu’on les mette sur le compte de qui n’y a point de
part. Je serois fort fâchée, par éxemple, que l’Aucteur
<sic> des Délices de Dannemarc, que je ne connois que
par ses ouvrages, fût chargé injustement de toutes mes
fautes, de toutes ces négligences, de tous ces défauts de
stile, qu’on ne pardonneroit pas à un Ecrivain comme lui,
dont on attend de la Correction, de l’élégence, de la
pureté, mais qu’on doit pardonner à une femme, qui se mêle
d’écrire. « Je ne connois point de Dame, (disoit en ma
présence un Décisionnaire universel) qui écrive assez bien,
pour qu’on puisse lui attribüer cet ouvrage avec quelque
fondement. J’en connois vingt, lui répondis-je avec
vivacité, qui sont en état d’écrire infiniment mieux. » Ce
n’est point une hyperbole. (1°.) En tout païs les femmes ont
plus d’esprit que les hommes. (2°.) En Dannemarc l’esprit
des unes est aussi bien cultivé que celui des autres. D’où
il s’ensuit évidemment, que, selon le cours ordinaire des
choses, nous devons être plus capables qu’eux d’écrire,
principalement sur la Bagatelle, qui est, pour ainsi dire,
notre élément. Je ne doute pas, que nous ne pussions leur
damer le Pion, & peut-être égaler les Françoises, si,
affranchies du Préjugé, nous voulions perfectionner nos
Talens. A propos de Préjugé, quelques femmes de ma
connoissance en ont un, assez plaisant. Elles imaginent
qu’on n’écrit que pour vivre ; & suivant ce beau
systême, elles font l’honneur à Aspasie de
croire, qu’un vil interêt lui a mis la plume à la main. « Je
ne puis penser, ma Chére, me disoit une Précieuse, d’un ton
sucré, qu’Aspasie soit femme de Condition ; car je n’en
connois point, qui soit réduite à tirer sa subsistance de
son écritoire. » Et qui vous a dit, ma Chére, puisque Chére
y a, qu’Aspasie est de qualité ? Dans sa 1e Feüille, elle
vous permet de la ranger dans la classe des Bourgeoises ou
des Comédiennes. Peu lui importe, quel état on lui donne,
pourvu qu’elle amuse. Après avoir laissé le champ libre à
vos conjectures, est-elle responsable de l’assertion du
Gazetier, qui l’a, certainement à son insçu, annoncée,
peut-être pour ce qu’elle est, peut-être pour ce qu’elle
n’est pas, & assurément pour ce qu’elle ne voudroit pas
paroître ? Et puis, d’où sçavez-vous, qu’on n’écrit que pour
vivre ? De cent femmes, Auteurs, montrez m’en une, qui n’ait
pas écrit pour la gloire ? Dailleurs, il est aisé de
distinguer un Ecrivain famélique, à qui chaque feüille vaut
un plat, d’avec un Ecrivain, qui écrit à son aise, qui n’est
esclave que de ses caprices. La Spectatrice, en jasant avec
vous réguliérement deux fois la semaine, enrichit sa
raison ; mais je vous assûre, qu’elle n’augmente point la
dépense de sa table. Loin d’entendre crier ses entrailles à
jeun, avant que de s’ériger en Auteur, elle risque fort
d’être obligée de réformer sa cuisine, parcequ’elle a fait
cette folie. Que vous connoissez mal la Carte ! Elle ne pût
pas seulement trouver ici un Libraire, qui voulût se charger
de son ouvrage. Ailleurs, elle l’eût regardé dèslors comme
détestable. Mais, connoissant la profonde ignorance de ces
Messieurs, elle ne se rebuta point, mais prit le parti de se
faire imprimer à ses frais & dépens. 2000 éxemplaires de
chaque feüille peuvent-ils se débiter ici ; Combien
croïez-vous qu’elle ait de Lecteurs ? Deux-cens ; de sorte
que si ce mince débit dure six mois, sa langue sera forcée
au silence, ou sa table à une grande frugalité.
Voilà ce que j’ai à répondre à ceux qui m’accusent de m’être
habillée à la Gréçque, pour gagner de quoi pourvoir à mon
entretien. J’ai été obligée de réfuter cette prévention,
parce que je me suis apperçuë, qu’elle commençoit à prendre,
toute ridicule qu’elle est. Du reste, je laisse au Public à
décider, si mes feüilles sentent son auteur à jeûn.
Quelques-uns de mes Lecteurs me trouvent (c’est ce que je
leur ai oüi dire) trop de sçavoir pour une femme, &
d’autres, trop pour une fille, de sorte que, sur ce pié-là,
je ne suis ni fille ni femme. Je ne conçois rien à ces beaux
raisonnemens. Supposez-moi élevée avec quelque soin, remplie
du désir d’apprendre, empressée à m’instruire, capable de
retenir & de penser. Vous pouvez faire cette supposition
sans un grand effort, sans choquer la vérité, sans blesser
même la vraisemblance. Eh bien ! que s’en suit il ? Que vous
raisonnez mal. D’ailleurs, je ne crois pas être encore
sortie de ma sphère. En tout cas, au moindre signe du
Public, je suis prête à rentrer dans ma Coquille. Plaire est
mon objet ; si ennuïer est mon destin, je congédierai ma
Muse. Au moins pourrai-je me dire, que j’ai tenté de
détruire le Préjugé où l’on est à l’égard de mes charmantes
compatriotes, & que je leur ai fraïé un chemin, dans
lequel quelques-unes d’entre elles pourront marcher avec
plus de succès que moi. Quelques personnes m’ont prise pour
Françoise. Quoiqu’en femmes nous n’aïons que peu de chose
qui vaille de cette aimable Nation ; cependant je leur en
fais mes remercîmens. D’autres (voïez s’il faut disputer des
goûts) m’ont prise pour Allemande. Hé ! Messieurs !
laissez-moi en possession de la Naissance que la Nature m’a
donnée. Le titre de Spectatrice Danoise est, ma foi, tout ce
que j’ambitionne. Quelques-uns m’ont non seulement
métamorphosée en Homme, mais encore en Prêtre. Je dessers,
selon eux, l’Eglise du Holm. Cette idée est assez
singuliére. Elle est neuve assurément. Qu’on se figure donc
Aspasie en fraize, en bonnet, & en robbe noire. Encore
passe, si d’un coup d’imagination on m’avoit fait Abbé de
Toilette ; Mais Prêtre ! C’est à quoi je ne m’étois
attenduë. Que dirai-je de ceux, qui m’ont Espagnolisée
quoique les Espagnols soient assez clair-semés dans cette
ville ? Je vous jure, que je ne sçaurois pas s’il y a une
Espagne au monde, si je n’avois un Epagneul.
Ceux qui m’ont transformée en Actrice de la Comédie
Françoise, n’ont guére mieux rencontré, & seroient bien
embarassés, si on les prioit de dire, sur quelle raison ils
s’appuïent. Il est des gens qui se sont figurés, que mes
Feüilles Hebdomadaires cesseroient bientôt. Oui ; si on
cesse de les lire. Mais si on continue, j’ai des matériaux
pour dix ans. Tant que les hommes seront Hommes,
c’est-à-dire, Fourbes, Flatteurs, Avares, Ambitieux,
Médisans, Dévots, Laches, mon imagination ne sera point à
sec. J’aurai toûjours quelque chose à dire pour les
ridiculiser. Leurs sottises seront pour moi une source
intarissable d’amusémens. Ne lâchât-on qu’un trait sur
chaque travers de l’esprit humain, il y en auroit pour faire
cinquante volumes. Que seroit-ce, si l’on s’attachoit à
développer les défauts du cœur ? Combien de siécles ne
faudroit-il pas, pour connoître tous les détours de cet
immense Labyrinthe ? on s’imagine, que qui a vu un homme les
a tous vus. Mais outre qu’il y a entre les hommes autant de
différence, qu’entre le reste des Animaux, & que leurs
cœurs ne se ressemblent pas plus que leurs visages, un seul
homme suffit pour fournir de la matiére à je ne sçai combien
de Livres. Etudiez-le avec application, tournez-le de touts
sens, éxaminez-le mille & mille fois, regardez-le à
travers le meilleur Microscope, suivez-le pas à pas, ne
laissez échapper aucun de ses traits, vous verrez, qu’à
mesure, que vous avancerez, vous aurez toûjours plus de
chemin à faire, jusqu’à ce qu’effraïé par la prodigieuse
longueur de cette étude, vous la laisserez-là. Je puis donc
faire fonds sur un grand nombre de sujets : Et je serai
peut-être plus embarassée de la quantité, que je ne la
<sic> serai de la stérilité de la matiére, Telle
qu’une Bergére, qui va cueillir dans les prés une Guirlande
pour le jour de sa fête, & qui, voïant de tous côtés des
fleurs également belles, ne sçait laquelle elle doit laisser
ou choisir. Le spectacle du Monde est le plus curieux, le
plus intéressant, comme le plus négligé de tous les
spectacles. Qui sçauroit en profiter, travailleroit à coup
sûr à sa perfection. Mais malheureusement, on n’y paroît que
pour joüer les autres, tandis que les autres se joüent de
nous. Quelqu’un me disoit, qu’il y avoit du crime à s’en
amuser ; cela seroit peut-être vrai, s’il y avoit de la
possibilité à corriger le genre humain. Je ne m’accommode
point d’une Morale si sévère. J’aime infiniment mieux rire
que pleurer des sottises humaines. Outre que le Rôle de Démocrite est plus assorti à mon humeur, &
qui n’est pas asservi à la sienne ? le Badinage, assaisonné
de sel, est, ce semble, plus propre à nous corriger, que ne
l’est un sérieux effarouchant. L’Homme, dans l’option, aime
mieux être méprisé que tourné en ridicule. Le ridicule
reste ; le mépris s’efface plus aisément. Le ridicule est
ordinairement fondé ; le mépris dépend beaucoup de
l’opinion. Je pourrois ajoûter, que nous ressemblons à des
malades, auxquels il faut adoucir & emmieller l’amertume
des remédes. Mais cette comparaison est usée, & a essuïé
au moins cent Editions. Quoiqu’il en soit, rions, badinons ;
turlupinons les hommes. Qu’ils soient les prémiers à rire
des défauts qu’un miroir fidelle met sous leurs yeux ; nous
en avons tous : malheureux, si nous y succombons ; sages, si
nous sçavons les combattre, heureux si nous en triomphons !
Quelle bigarure ! dira-t-on ? Pas deux mots de suite sur le
même sujet ! Que voulez-vous ? C’est là mon goût, Ami
Lecteur ! Faites-vous y, ou ne me lisez plus. Incapable de
réfléchir deux Minutes sur le même objet, je prends mes
coudées franches. Diversité, c’est ma Devise. Ce n’est pas,
que je ne pusse tout comme un autre, à l’aide d’une
transition fine, imperceptible, vous faire passer d’un sujet
à un autre ; Mais à quoi bon tâcher de vous dérober mes
écarts ? vos yeux de Linx les appercevroient bientôt ; Et
quel gré me sçauriez-vous de vous avoir voulu tromper
adroitement ? Pas le moindre. Il n’en est pas des lecteurs
comme des Amans. Ceux-ci ne découvrent point les défauts
qu’on leur cache. Plus une Belle s’efforce à couvrir son jeu
par mille articifices <sic>, plus ils sont aveugles,
plus ils l’aiment. Mais un Lecteur va droit au but. Il ne se
déride qu’à bonnes enseignes. Il juge sans partialité, l’art
ne peut le séduire. Il vaut donc mieux ne se pas mettre en
frais de transition, lui en abandonner le soin, car il aime
qu’on lui laisse quelque chose à faire, le gagner par le
solide & le vrai. La moitié des livres seroient réduits
à bien peu de feüillets, si on en retranchoit les
Complimens, les figures inutiles, l’appareil des liaisons,
& bien des morceaux superflus, qui sont souvent ceux qui
ont le plus couté à l’Auteur. A quoi, par éxemple, se
réduiroit cette feüille, si on avoit la cruauté de la mettre
à l’alambic de la Raison ? A rien.
Livello 3
Lettera/Lettera al direttore
« Je vous envoie, Made.,
3. paquets à votre adresse, que je reçus hier au
soir. Vous ne sçauriez vous imaginer, combien je
suis persécuté. Mr. de G. - - - déploïa ces jours
passés toutes les voiles de son éloquence, pour
penétrer ce Mistére. Mais à d’autres.
Je lui fis voir qu’un éléve d’Harpocrate sçait se
taire. Je lui demandai naïvement, s’il avoit le même
talent ? il me jura qu’oüi : mais je lui donnai pour
toute réponse, qu’à son éxemple je pouvois aussi
retenir ma langue sur un secret qui m’étoit confié.
A cela point de réplique. Il soupçonne une Dame de
beaucoup d’esprit, dont je vous dirai le nom ; &
ce qui le confirme dans cette idée, c’est que dans
le même moment, elle m’envoïa demander une feüille,
& il reconnut sa livrée. Mais ce que j’admire,
c’est que cette Dame, de la pénétration de laquelle
je me méfiois (elle en a une bonne doze) est à peu
près dépaïsée. Car elle me pria de faire ses
complimens à Aspasie, quand même elle porteroit
perruque. Ainsi, vous n’avez rien à craindre de ce
coté-là. Elle n’est pas la seule, qui vous
métamorphose en Homme. Presque toutes vos Lectrices
ont donné dans cette idée. Je ne puis pas faire deux
pas en ville, que je ne sois environné de curieux,
Je crains, qu’on ne me suive pour découvrir mes
liaisons, & je n’en ai pas d’assez ancienne
datte avec vous, pour qu’on n’établit pas des
soupçons bien-fondés sur mes allées & venuëes.
J’ai l’honneur &c. G. Fursman.
Autoritratto
Grace à la prudente Nature, je porte la
Coiffe ; & faite comme je la suis, je ne me crois,
en honneur, bonne à autre chose. Indolente, timide,
& n’aïant des anciennes Danoises, que l’amour de la
Patrie, voilà des qualités qui justifient ma modestie,
si tant est que j’en aïe. Je ne ferai pas façon de dire,
qu’il me prend quelque fois de furieux
dépits d’être née femme. Mais quelques retours sur
moi-même me font bientôt rentrer dans ma sphére.
Racconto generale
Je me réjoüis pourtant
d’une prophétie qui courut, & qui venoit de
Paris, que, le 1er. d’Octobre, les hommes seroient
changés en femmes, & les femmes en hommes. Je
fus même assez sotte, pour croire au Prophête ; son
merveilleux étoit si vraisemblable ! Sur ce plan
j’avois arrangé mes idées. Je dressai même mes
batteries ; & la connoissance que j’ai de mon
séxe me dit, que je ne fus pas la seule. Je ferai
ceci, me disois-je ; je ferai cela. Mais, ne
disiez-vous point ? j’attaquerai celle-là,
j’attaquerai celle-ci. Oh qu’oüi ! C’est un article
qui ne fut pas oublié, je vous en réponds.
J’ajoûterai même, (car je suis en train d’ingénuité)
que je triomphois déjà de l’une, que je n’avois qu’à
me baisser pour prendre l’autre. Pas l’ombre de
crüelle : mon imagination, comme on voit, alloit au
grand galop ; mais dans ma folie il y avoit pourtant
de la raison. Car, je vous prie, si les hommes sont
si foibles, quand ils sont hommes, c’est-à-dire,
dans leur force même, ne doivent-ils pas être encore
plus foibles, quand vous les supposez femmes, c. à.
d. foibles par état ? Le prémier d’Octobre, qui fût
bien Capotte ? Ce fut moi. Pas le moindre petit
changement, Je me retrouvai d’autant plus femme, que
j’avois plus attendu le moment où je deviendrois
homme, & que je l’avois même été durant quinze
jours en idée. J’eus besoin de toute ma Philosophie,
pour me consoler de la perte de ma chimére, dont la
singularité m’avoit séduite. Encore, si je m’étois
retrouvée plus jolie ; mais un coup d’œil que je
lançai sur mon miroir ne me donna qu’un avis
mortifiant. Je rappelai tous les avantages de mon
séxe, je les comparai avec ceux dont je m’étois
flattée, je les pesai dans la balance de la raison ;
je trouvai une égalité parfaite de bonheur & de
plaisir. Pour dissiper un reste de chagrin, je me
mis en tête d’écrire mes réfléxions sur
les travers de la vie. Puis, je formai le plan
d’Aspasie, & je parus en qualité de Spectatrice
anonyme. Je me trouve bien du voile Mystérieux qui
me couvre.