Citazione bibliografica: Laurent Angliviel de la Beaumelle (Ed.): "Amusement IX.", in: La Spectatrice danoise, Vol.1\009 (1748), pp. 65-72, edito in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4182 [consultato il: ].


Livello 1►

Amusement IX.

Citazione/Motto► Dévinez qui je suis, je vous le donne en mille. ◀Citazione/Motto

Livello 2► Metatestualità► Je m’étois promis bien des plaisirs de mon Incognito. Je ne me suis pas trompée. Croiroit-on que la Curiosité du Public m’a plus satisfaite, que le bon accüeil qu’il a fait à mes Feuilles ? Cela est bizare, & pourtant réel. Accoutumée à faire l’anatomie de mes sentimens, j’ai cherché la cause de ce plaisir, j’ai trouvé, que, tout bien pesé, ce n’étoit qu’un trait assez grossier d’amour-propre, & que je n’étois charmée, qu’on tâchat de me déviner, que parce que je croïois, que mes Lecteurs s’imaginoient que mes Amusémens les amusoient assez pour désirer d’en connoître l’auteur. Quoiqu’il en soit je me suis extrêmement réjoüie jusqu’ici de toutes les conjectures, que j’ai oüi former sur le véritable nom d’Aspasie. Voici ce qu’on m’a écrit là-dessus ce matin.

Livello 3► Lettera/Lettera al direttore► « Je vous envoie, Made., 3. paquets à votre adresse, que je reçus hier au soir. Vous ne sçauriez vous imaginer, combien je suis persécuté. Mr. de G. - - - déploïa ces jours passés toutes les voiles de son éloquence, pour penétrer ce [66] Mistére. Mais à d’autres. Je lui fis voir qu’un éléve d’Harpocrate sçait se taire. Je lui demandai naïvement, s’il avoit le même talent ? il me jura qu’oüi : mais je lui donnai pour toute réponse, qu’à son éxemple je pouvois aussi retenir ma langue sur un secret qui m’étoit confié. A cela point de réplique. Il soupçonne une Dame de beaucoup d’esprit, dont je vous dirai le nom ; & ce qui le confirme dans cette idée, c’est que dans le même moment, elle m’envoïa demander une feüille, & il reconnut sa livrée. Mais ce que j’admire, c’est que cette Dame, de la pénétration de laquelle je me méfiois (elle en a une bonne doze) est à peu près dépaïsée. Car elle me pria de faire ses complimens à Aspasie, quand même elle porteroit perruque. Ainsi, vous n’avez rien à craindre de ce coté-là. Elle n’est pas la seule, qui vous métamorphose en Homme. Presque toutes vos Lectrices ont donné dans cette idée. Je ne puis pas faire deux pas en ville, que je ne sois environné de curieux, Je crains, qu’on ne me suive pour découvrir mes liaisons, & je n’en ai pas d’assez ancienne datte avec vous, pour qu’on n’établit pas des soupçons bien-fondés sur mes allées & venuëes. J’ai l’honneur &c.

G. Fursman. ◀Lettera/Lettera al direttore ◀Livello 3

Que la Dame en question me permette de lui réciproquer ses complimens, & de lui dire, que j’avois cru mon style assez féminin, pour me flatter, qu’en Connoisseuse comme elle est, elle ne me feroit pas l’injure de me croire affublée d’une Perruque. Autoritratto► Grace à la prudente Nature, je porte la Coiffe ; & faite comme je la suis, je ne me crois, en honneur, bonne à autre chose. Indolente, timide, & n’aïant des anciennes Danoises, que l’amour de la Patrie, voilà des qualités qui justifient ma modestie, si tant est que j’en aïe. Je ne ferai pas façon de dire, qu’il me prend quelque fois de furi-[67]eux dépits d’être née femme. Mais quelques retours sur moi-même me font bientôt rentrer dans ma sphére. Racconto generale► Je me réjoüis pourtant d’une prophétie qui courut, & qui venoit de Paris, que, le 1er. d’Octobre, les hommes seroient changés en femmes, & les femmes en hommes. Je fus même assez sotte, pour croire au Prophête ; son merveilleux étoit si vraisemblable ! Sur ce plan j’avois arrangé mes idées. Je dressai même mes batteries ; & la connoissance que j’ai de mon séxe me dit, que je ne fus pas la seule. Je ferai ceci, me disois-je ; je ferai cela. Mais, ne disiez-vous point ? j’attaquerai celle-là, j’attaquerai celle-ci. Oh qu’oüi ! C’est un article qui ne fut pas oublié, je vous en réponds. J’ajoûterai même, (car je suis en train d’ingénuité) que je triomphois déjà de l’une, que je n’avois qu’à me baisser pour prendre l’autre. Pas l’ombre de crüelle : mon imagination, comme on voit, alloit au grand galop ; mais dans ma folie il y avoit pourtant de la raison. Car, je vous prie, si les hommes sont si foibles, quand ils sont hommes, c’est-à-dire, dans leur force même, ne doivent-ils pas être encore plus foibles, quand vous les supposez femmes, c. à. d. foibles par état ? Le prémier d’Octobre, qui fût bien Capotte ? Ce fut moi. Pas le moindre petit changement, Je me retrouvai d’autant plus femme, que j’avois plus attendu le moment où je deviendrois homme, & que je l’avois même été durant quinze jours en idée. J’eus besoin de toute ma Philosophie, pour me consoler de la perte de ma chimére, dont la singularité m’avoit séduite. Encore, si je m’étois retrouvée plus jolie ; mais un coup d’œil que je lançai sur mon miroir ne me donna qu’un avis mortifiant. Je rappelai tous les avantages de mon séxe, je les comparai avec ceux dont je m’étois flattée, je les pesai dans la balance de la raison ; je trouvai une égalité parfaite de bonheur & de plaisir. Pour dissiper un reste de chagrin, je me mis en tête d’ [68] écrire mes réfléxions sur les travers de la vie. Puis, je formai le plan d’Aspasie, & je parus en qualité de Spectatrice anonyme. Je me trouve bien du voile Mystérieux qui me couvre. ◀Racconto generale ◀Autoritratto

Pourquoi donc, me dira-t-on, vous donnez-vous la peine de désabuser ceux de vos Lecteurs, qui vous prennent pour un homme ? Pourquoi ? Parce que ce soupçon m’est injurieux. Si mes Feüilles plaisent, je veux qu’on en fasse honneur à mon séxe ; si elles ne plaisent pas, je ne veux point qu’on les mette sur le compte de qui n’y a point de part. Je serois fort fâchée, par éxemple, que l’Aucteur <sic> des Délices de Dannemarc, que je ne connois que par ses ouvrages, fût chargé injustement de toutes mes fautes, de toutes ces négligences, de tous ces défauts de stile, qu’on ne pardonneroit pas à un Ecrivain comme lui, dont on attend de la Correction, de l’élégence, de la pureté, mais qu’on doit pardonner à une femme, qui se mêle d’écrire.

« Je ne connois point de Dame, (disoit en ma présence un Décisionnaire universel) qui écrive assez bien, pour qu’on puisse lui attribüer cet ouvrage avec quelque fondement. J’en connois vingt, lui répondis-je avec vivacité, qui sont en état d’écrire infiniment mieux. » Ce n’est point une hyperbole. (1°.) En tout païs les femmes ont plus d’esprit que les hommes. (2°.) En Dannemarc l’esprit des unes est aussi bien cultivé que celui des autres. D’où il s’ensuit évidemment, que, selon le cours ordinaire des choses, nous devons être plus capables qu’eux d’écrire, principalement sur la Bagatelle, qui est, pour ainsi dire, notre élément. Je ne doute pas, que nous ne pussions leur damer le Pion, & peut-être égaler les Françoises, si, affranchies du Préjugé, nous voulions perfectionner nos Talens.

A propos de Préjugé, quelques femmes de ma connoissance en ont un, assez plaisant. Elles imaginent qu’on n’écrit que pour vivre ; & suivant ce beau systême, elles font l’honneur à [69] Aspasie de croire, qu’un vil interêt lui a mis la plume à la main. « Je ne puis penser, ma Chére, me disoit une Précieuse, d’un ton sucré, qu’Aspasie soit femme de Condition ; car je n’en connois point, qui soit réduite à tirer sa subsistance de son écritoire. »

Et qui vous a dit, ma Chére, puisque Chére y a, qu’Aspasie est de qualité ? Dans sa 1e Feüille, elle vous permet de la ranger dans la classe des Bourgeoises ou des Comédiennes. Peu lui importe, quel état on lui donne, pourvu qu’elle amuse. Après avoir laissé le champ libre à vos conjectures, est-elle responsable de l’assertion du Gazetier, qui l’a, certainement à son insçu, annoncée, peut-être pour ce qu’elle est, peut-être pour ce qu’elle n’est pas, & assurément pour ce qu’elle ne voudroit pas paroître ? Et puis, d’où sçavez-vous, qu’on n’écrit que pour vivre ? De cent femmes, Auteurs, montrez m’en une, qui n’ait pas écrit pour la gloire ? Dailleurs, il est aisé de distinguer un Ecrivain famélique, à qui chaque feüille vaut un plat, d’avec un Ecrivain, qui écrit à son aise, qui n’est esclave que de ses caprices. La Spectatrice, en jasant avec vous réguliérement deux fois la semaine, enrichit sa raison ; mais je vous assûre, qu’elle n’augmente point la dépense de sa table. Loin d’entendre crier ses entrailles à jeun, avant que de s’ériger en Auteur, elle risque fort d’être obligée de réformer sa cuisine, parcequ’elle a fait cette folie. Que vous connoissez mal la Carte ! Elle ne pût pas seulement trouver ici un Libraire, qui voulût se charger de son ouvrage. Ailleurs, elle l’eût regardé dèslors comme détestable. Mais, connoissant la profonde ignorance de ces Messieurs, elle ne se rebuta point, mais prit le parti de se faire imprimer à ses frais & dépens. 2000 éxemplaires de chaque feüille peuvent-ils se débiter ici ; Combien croïez-vous qu’elle ait de Lecteurs ? Deux-cens ; de sorte que si ce mince débit dure six mois, sa langue sera forcée au silence, ou sa table à une grande frugalité.

[70] Voilà ce que j’ai à répondre à ceux qui m’accusent de m’être habillée à la Gréçque, pour gagner de quoi pourvoir à mon entretien. J’ai été obligée de réfuter cette prévention, parce que je me suis apperçuë, qu’elle commençoit à prendre, toute ridicule qu’elle est. Du reste, je laisse au Public à décider, si mes feüilles sentent son auteur à jeûn.

Quelques-uns de mes Lecteurs me trouvent (c’est ce que je leur ai oüi dire) trop de sçavoir pour une femme, & d’autres, trop pour une fille, de sorte que, sur ce pié-là, je ne suis ni fille ni femme. Je ne conçois rien à ces beaux raisonnemens. Supposez-moi élevée avec quelque soin, remplie du désir d’apprendre, empressée à m’instruire, capable de retenir & de penser. Vous pouvez faire cette supposition sans un grand effort, sans choquer la vérité, sans blesser même la vraisemblance. Eh bien ! que s’en suit il ? Que vous raisonnez mal. D’ailleurs, je ne crois pas être encore sortie de ma sphère. En tout cas, au moindre signe du Public, je suis prête à rentrer dans ma Coquille. Plaire est mon objet ; si ennuïer est mon destin, je congédierai ma Muse. Au moins pourrai-je me dire, que j’ai tenté de détruire le Préjugé où l’on est à l’égard de mes charmantes compatriotes, & que je leur ai fraïé un chemin, dans lequel quelques-unes d’entre elles pourront marcher avec plus de succès que moi.

Quelques personnes m’ont prise pour Françoise. Quoiqu’en femmes nous n’aïons que peu de chose qui vaille de cette aimable Nation ; cependant je leur en fais mes remercîmens. D’autres (voïez s’il faut disputer des goûts) m’ont prise pour Allemande. Hé ! Messieurs ! laissez-moi en possession de la Naissance que la Nature m’a donnée. Le titre de Spectatrice Danoise est, ma foi, tout ce que j’ambitionne.

Quelques-uns m’ont non seulement métamorphosée en Homme, mais encore en Prêtre. Je dessers, selon eux, l’Eglise du Holm. Cette idée est assez singuliére. Elle est neuve assurément. Qu’on se figure donc Aspasie en fraize, en bonnet, & en robbe noire. Encore passe, si d’un coup d’imagination on m’avoit fait Abbé de Toilette ; Mais Prêtre ! C’est à quoi je ne m’étois attenduë.

Que dirai-je de ceux, qui m’ont Espagnolisée quoique les Espagnols soient assez clair-semés dans cette ville ? Je vous jure, que je ne sçaurois pas s’il y a une Espagne au monde, si je n’avois un Epagneul.

[71] Ceux qui m’ont transformée en Actrice de la Comédie Françoise, n’ont guére mieux rencontré, & seroient bien embarassés, si on les prioit de dire, sur quelle raison ils s’appuïent.

Il est des gens qui se sont figurés, que mes Feüilles Hebdomadaires cesseroient bientôt. Oui ; si on cesse de les lire. Mais si on continue, j’ai des matériaux pour dix ans. Tant que les hommes seront Hommes, c’est-à-dire, Fourbes, Flatteurs, Avares, Ambitieux, Médisans, Dévots, Laches, mon imagination ne sera point à sec. J’aurai toûjours quelque chose à dire pour les ridiculiser. Leurs sottises seront pour moi une source intarissable d’amusémens. Ne lâchât-on qu’un trait sur chaque travers de l’esprit humain, il y en auroit pour faire cinquante volumes. Que seroit-ce, si l’on s’attachoit à développer les défauts du cœur ? Combien de siécles ne faudroit-il pas, pour connoître tous les détours de cet immense Labyrinthe ? on s’imagine, que qui a vu un homme les a tous vus. Mais outre qu’il y a entre les hommes autant de différence, qu’entre le reste des Animaux, & que leurs cœurs ne se ressemblent pas plus que leurs visages, un seul homme suffit pour fournir de la matiére à je ne sçai combien de Livres. Etudiez-le avec application, tournez-le de touts sens, éxaminez-le mille & mille fois, regardez-le à travers le meilleur Microscope, suivez-le pas à pas, ne laissez échapper aucun de ses traits, vous verrez, qu’à mesure, que vous avancerez, vous aurez toûjours plus de chemin à faire, jusqu’à ce qu’effraïé par la prodigieuse longueur de cette étude, vous la laisserez-là.

Je puis donc faire fonds sur un grand nombre de sujets : Et je serai peut-être plus embarassée de la quantité, que je ne la <sic> serai de la stérilité de la matiére, Telle qu’une Bergére, qui va cueillir dans les prés une Guirlande pour le jour de sa fête, & qui, voïant de tous côtés des fleurs également belles, ne sçait laquelle elle doit laisser ou choisir.

Le spectacle du Monde est le plus curieux, le plus intéressant, comme le plus négligé de tous les spectacles. Qui sçauroit en profiter, travailleroit à coup sûr à sa perfection. Mais malheureusement, on n’y paroît que pour joüer les autres, tandis que les autres se joüent de nous. Quelqu’un me disoit, qu’il y avoit du crime à s’en amuser ; cela seroit peut-être vrai, s’il y avoit de la possibilité à corriger le genre humain. Je ne m’accommode point d’une Morale si sévère. J’aime infiniment mieux rire que pleurer des sottises humaines. Outre que le Rôle de [72] Démocrite est plus assorti à mon humeur, & qui n’est pas asservi à la sienne ? le Badinage, assaisonné de sel, est, ce semble, plus propre à nous corriger, que ne l’est un sérieux effarouchant. L’Homme, dans l’option, aime mieux être méprisé que tourné en ridicule. Le ridicule reste ; le mépris s’efface plus aisément. Le ridicule est ordinairement fondé ; le mépris dépend beaucoup de l’opinion. Je pourrois ajoûter, que nous ressemblons à des malades, auxquels il faut adoucir & emmieller l’amertume des remédes. Mais cette comparaison est usée, & a essuïé au moins cent Editions.

Quoiqu’il en soit, rions, badinons ; turlupinons les hommes. Qu’ils soient les prémiers à rire des défauts qu’un miroir fidelle met sous leurs yeux ; nous en avons tous : malheureux, si nous y succombons ; sages, si nous sçavons les combattre, heureux si nous en triomphons !

Quelle bigarure ! dira-t-on ? Pas deux mots de suite sur le même sujet ! Que voulez-vous ? C’est là mon goût, Ami Lecteur ! Faites-vous y, ou ne me lisez plus. Incapable de réfléchir deux Minutes sur le même objet, je prends mes coudées franches. Diversité, c’est ma Devise. Ce n’est pas, que je ne pusse tout comme un autre, à l’aide d’une transition fine, imperceptible, vous faire passer d’un sujet à un autre ; Mais à quoi bon tâcher de vous dérober mes écarts ? vos yeux de Linx les appercevroient bientôt ; Et quel gré me sçauriez-vous de vous avoir voulu tromper adroitement ? Pas le moindre. Il n’en est pas des lecteurs comme des Amans. Ceux-ci ne découvrent point les défauts qu’on leur cache. Plus une Belle s’efforce à couvrir son jeu par mille articifices <sic>, plus ils sont aveugles, plus ils l’aiment. Mais un Lecteur va droit au but. Il ne se déride qu’à bonnes enseignes. Il juge sans partialité, l’art ne peut le séduire. Il vaut donc mieux ne se pas mettre en frais de transition, lui en abandonner le soin, car il aime qu’on lui laisse quelque chose à faire, le gagner par le solide & le vrai. La moitié des livres seroient réduits à bien peu de feüillets, si on en retranchoit les Complimens, les figures inutiles, l’appareil des liaisons, & bien des morceaux superflus, qui sont souvent ceux qui ont le plus couté à l’Auteur. A quoi, par éxemple, se réduiroit cette feüille, si on avoit la cruauté de la mettre à l’alambic de la Raison ? A rien. ◀Metatestualità ◀Livello 2 ◀Livello 1