La Spectatrice danoise: Amusement VII.

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Livello 1

Amusement VII.

Citazione/Motto

Epoux ! Voulez-vous faire une bonne maison ?
sur le commandement point de délicatesse ;
Point de Maître ni de Maîtresse,
Que le bon-sens & la raison.

Pavillon.

Livello 2

I.

Le bonheur de la vie dépend de l’union du Mariage ; & l’union du mariage dépend de la Sympathie des Mariées. Que le bonheur de la vie dépende du Mariage, c’est ce qu’on ne contestera point, si l’on veut se donner la peine de réfléchir sur le penchant naturel qu’un séxe a pour l’autre. Quand nos désirs commencent à nous avertir, que nous avons un cœur, la nature nous dit, qu’il manque, pour ainsi dire, à nôtre être une partie essentielle à sa tranquillité. Ce cœur cherche à se donner, à s’unir étroitement à un autre cœur, à faire un tendre commerce de sentimens mutüels. Mais quand il a obtenu ce qu’il désire, il sent qu’il lui faut quelque chose de plus. Un amour Platonique ne sçauroit le satisfaire. Il cherche à s’assurer la possession de son thrésor, à s’attacher ce qu’il aime par les liens les plus forts La Nature, cette sçavante Maîtresse, ne lui en offre qu’un seul moïen. Il le saisit avec avidité. Il vole dans des bras cheris. L’instinct le conduit à l’amour, l’amour à l’Hymen, l’Hymen au comble de ses vœux légitimes. Mais cet accord, pour le rendre heureux, cette union pour être durable, ne doit point être fondée sur d’aveugles désirs. Elle doit avoir pour baze le concert des caractéres, l’harmonie des humeurs, l’indulgence réciproque. Sans cela, le Mariage destiné à notre félicité fait notre infortune. Pour une rose, nous y trouvons mille épines ; ses délices se changent en amertume. On croïoit entrer dans un Paradis terrestre ; on ne trouve qu’un enfer. Que cet état est triste ! mais qu’il est commun !

II.

Quelle est la Sympathie, qui doit régner dans le mariage pour le maintenir dans l’état de bonheur ? Est-ce ce je ne sçai quoi, qui fait que deux personnes s’aiment dès la prémière entrevüe, & sentent qu’elles sont faites justement l’une pour l’autre ? Non ; car combien de mariages malheureux, quoique contractés sur la bonne opinion qu’on avoit de ce je ne sçai quoi ? Combien de ménages discordans, quoiqu’établis sur une inclination réciproque & involontaire, née au prémier coup d’œil ? Qu’un amour capricieux a uni de cœurs incompatibles ? Au contraire, combien d’époux heureux, quoique dabord rebelles à ses loix ? Combien qui joüissent d’un bonheur parfait, quoiqu’ils n’aïent jamais été au-delà de la simple amitié ? Le je ne sçai quoi est donc fort sujet à faire des qui pro quo. Et il est dangereux de se fier entiérement à lui, quoiqu’il soit certain, que, joint à la conformité des caractères, il a une force, que rien ne peut altérer. La ressemblance des goûts, des penchans, des passions n’établit-elle pas la Sympathie ? Je serois tentée de le croire, si je ne voïois tous les jours des Antipathies marquées entre des personnes qui ont cette ressemblance. Il est vrai qu’ils ne sont pas intéressés à vivre bien ensemble ; mais pourtant ils le sont, à s’accorder. La Sympathie seroit-elle une chimère ? Pas tout à fait ; mais peut <sic> s’en faut. D’un côté, il est impossible de trouver deux individus, dont les désirs, les pensées aboutissent au même centre. De l’autre, il est aisé d’en montrer des éxemples. On croira que je me contredis. Mais point du tout. C’est que la Raison, quand elle prêside dans un Mariage, de deux volontés n’en fait qu’une. On n’est pas d’accord dans le fonds, parce qu’il n’est guéres possible qu’on envisage les objets sous la même face ; mais on céde par complaisance. On se fait un devoir de ne pas raisonner, ou de ne pas montrer qu’on raisonne. On tâche d’aller au devant de ce qui plaît à ce qu’on aime ; ou bien l’on est entrainé par l’autorité & la supériorité de génie. L’indulgence réalise la Sympathie, qui n’est qu’un être de raison, si on la fait consister dans la conformité des pensées & des désirs. Cela n’empêche pas, qu’il n’y ait un certain désir de plaîre, dont ont <sic> ignore la source, qui opére cet acquiéscement volontaire, qui entretient la paix, & qui cimente l’union.

III.

Une femme, qui n’aime point son Mari, aime ordinairement ailleurs, & par conséquent le hait comme un obstacle à ses plaisirs. Delà les mésintelligences & les froideurs marquées. La Coquetterie bannit ordinairement l’union des familles. La France est le seul païs, où les Dames vivent également bien avec leurs maris. Bien plus : elles ont l’art d’unir ceux-ci avec ceux-là de la plus étroite amitié. Quelqu’un qui s’opposse aux manèges honteux de sa véritable moitié, est regardé comme un perturbateur de repos public. On passe pour Galant-homme, quand on se prête de bonne grace aux galanteries de sa femme, & qu’on entre tout doucement dans la Grande Confrairie. Un Mari infidelle à sa femme renonce à la paix de mariage. Notre Jalousie est terrible, sur-tout quand nous ne pouvons pas nous venger, ou qu’il nous manque des vengeurs, ou qu’il s’en présente, qui ne nous plaisent pas. Nous sentons, nous nous éxagérons l’injustice qu’il y a à porter ailleurs une portion de plaisir, qui nous est duë ; nous n’imaginons rien de plus criminel ; Nous ne regardons cet objet qu’à travers le microscope d’un amour-propre outragé. Nous ne donnons point de bornes à notre colére. L’attachement d’un homme est ce qui nous flatte le plus ; son inconstance nous blesse souverainement. Maris ! cachez avec soin vos clandestines amours ; ou craignez tout d’une femme irritée & méprisée.

IV.

Livello 3

Racconto generale

Un Mari ramena plaisamment la paix dans son ménage, & la vertu dans le cœur de sa Femme. Elle étoit Coquette, mais Coquette fieffée. Les amans pleuvoient dans sa maison. Notre homme s’en apperçut, & fit du tapage ; on lui rit au nez, & on le renvoïa dans son appartement. Il prit patience : il fit bonne mine à sa femme ; il la mit un jour de belle humeur ; & lui dit : « Madame ! Vous aimez le plaisir ; Vous n’en trouvez pas assez avec moi ; Vous en cherchez ailleurs ; c’est fort naturel : à cela je n’ai rien à dire. Vous êtes ma femme & non mon esclave. Cependant, en ami, vous me permettrez de vous dire, que la vie galante que vous menez pouroit vous nuire. Votre honneur en souffrira vraisemblablement, si vous ne prenez vos précautions. N’y auroit-il pas moïen de concilier cet honneur avec votre goût pour les plaisirs ? Comme je m’y intéresse vivement, j’ai cherché un expédient, & l’ai trouvé. Voila quatre clefs que j’ai commandées, une pour chaque amant, & chacune pour des portes différentes. Vous pourrez leur donner audience séparément. Vous leur ferez aisément accroire, que vous aimez à tomber avec décence, à mettre du grand dans votre chute. Vous y gagnerez doublement ; ils vous en aimeront & estimeront beaucoup plus, & vous joüirez à vôtre gré des délices de cette politique. En un mot vous ne dérogerez point à votre réputation, & vous augmenterez les revenus de vos plaisirs. » Ce petit discours prononcé gravement & d’un ton amical fit une profonde impression sur la Dame. Elle se jette aux piéds de son mari, lui jure une fidélité désormais inviolable. Le Mari s’attendrit, se laisse fléchir, & depuis ce tems-là est l’homme du monde le plus heureux.

V.

Metatestualità

Puisque je suis en train de conter, qu’il me soit permis d’ajoûter ici un éxemple, qui fait foi, que les femmes ne sont pas moins habiles que les hommes.

Livello 3

Racconto generale

Une Dame de qualité vivoit depuis long-tems en froideur avec son mari, qui dégouté de son pain quotidien, entretenoit une grisette à beaux deniers comptans. Celle-ci écrivit un jour à son amant ; la Dame vit venir un petit postillon, & se douta du fait. Elle lui demanda le billet. Le Mercure ne voulut pas le lâcher ; mais un écu qu’elle lui glissa dans la main le rendit plus traitable. Elle ouvre le Poulet ; & y lit :

Livello 4

Lettera/Lettera al direttore

« Venez à midi, mon Cœur, éprouver les transports de l’amour le plus tendre & le plus vif. Deux perdrix vous attendent à dîner ».
Elle recachète le billet, & dit au drôle d’attendre son mari. Il arrive, lit la lettre, & va dans l’appartement de sa femme. Il la trouve à sa toilette, dans ce désordre, où les graces sont si touchantes, il lui dit des douceurs ; elle l’agace finement. Il vole dans ses bras ; & s’énivre d’un nectar, dont il s’étoit sevré depuis long-tems. Il veut sortir, sous prétexte qu’il est prié à diner. La Dame le retient, l’amuse, éxige, pour prix de ses faveurs, qu’il lui serve de femme de chambre. Elle se met, pour changer de Linge, dans l’état ou étoit Eve dans le Jardin d’Eden. Tant de charmes ébloüissans l’échauffent, l’embrasent. Il se hâte de les couvrir. Il nage dans une mer de délices. Le badinage fini (car tout finit en ce monde) « allez donc à présent, lui dit sa femme, manger les deux perdrix, qui vous attendent. » Le Mari honteux & confus, avoüa ses torts, se remit dans la voïe des bons procédés, dont il ne s’éloigna plus, la remerica <sic> de son artifice ; & il ne tint pas à lui, qu’il ne demandât son pardon d’une maniére à l’obtenir bien plutôt.

VI.

Les désunions, qui régnent dans les mariages, procédent ordinairement de l’une de ces deux causes, ou de ce qu’on se marie par amour sans égard aux convenances, ou par convenance sans égard à l’amour. Jeunesse ! defiez vous de l’amour. Rien n’est plus séduisant, rien n’est si trompeur ; il se présente à vous sous une face aimable ; mais l’illusion ne dure pas toûjours. Les sens ne vous font point un fidelle rapport. La joüissance fait évanoüir le phantôme. Résistez à ce Dieu puissant, ennemi du bonheur & de la raison.

Citazione/Motto

On peut lui résister, quand il commence à naître ;
Mais non pas le bannir s’il s’est rendu maître :
Il entre avec douceur, mais il régne par force.

Corneille, Hora.

Parens ! ne vous laissez point tenter par l’appas de l’intérêt. La tendresse conjugale ne se vend ni s’achète. Le cœur ne dépend que de lui-même. Que vos enfans ne soient pas comme de tendres victimes, immolées à votre cupidité, & à votre ambition. Un mariage mal assorti est une pépinière de désordres. Ne permettez pas qu’ils n’y cherchent que les plaisirs des sens, & le rassassimement d’une passion aveugle ; mais ne vous prescrivez pas aussi de n’y chercher que l’interêt. Vous devez être leurs guides, & non leurs tyrans. Conseillez ; mais ne forcez pas.

VII.

Eteroritratto

Ceux qui se marient sur la foi de la bonne mine ou de la beauté, vivent rarement en paix ; on se familiarise avec l’objet le plus agréable ; & dés-lors il cesse de l’être.

Eteroritratto

Ceux, que les talens de l’esprit unissent, sont sujets au même dégoût. On s’accoûtume à l’esprit, comme au plus beau visage. Il est vrai que l’impression en dure plus long-tems ; & que l’esprit se perfectionne tous les jours, au lieu que la Beauté se flêtrit à mesure qu’on la contemple.

Eteroritratto

Ceux, qui épousent de riches laides, entretiennent rarement une concorde sincére. Si elle est vieille, ils s’ennüient d’une femme qui s’obstine à être eternelle ; si elle est jeune, on n’ose espérer la fin de son martyre. Car les Laides ne partent ordinairement pour l’autre monde que fort tard.

Eteroritratto

Ceux, qui aïant l’ame trop belle pour faire l’amour à un coffre-fort, & s’attachent aux qualités du cœur, s’exposent au malheur de traîner une vie languissante, s’ils ne sont pas riches. Car enfin, on ne vit pas de vertu. Dailleurs, l’idée seule, qu’on va mettre des mendians au monde, qui du berçeau ne feront qu’un saut à l’hôpital, est capable d’empoisonner les plaisirs les plus doux.
Pour joüer à jeu sûr, il faudroit allier aux graces du corps, les talens de l’esprit, & les perfections du cœur. Mais où trouver une personne qui réunisse ces trois qualités dans un haut degré ? cet assemblage est bien rare ; mais il est encore plus difficile de trouver un homme digne de posséder un pareil bijou. Quoiqu’il en soit,

Citazione/Motto

Quand il faut dire oui, pour plus dire non,
On n’y sçauroit, ma foi, faire trop de façon,

VIII.

Le Mariage, me disoit un homme d’esprit, est la société la plus propre à unir ; & néanmoins la plus désunie. On s’aimoit avant le mariage : après le mariage, c’est beaucoup, si l’on ne se hait pas. Je lui répondis, qu’on ne pouvoit s’aimer, quand on aimoit si fort les richesses. En Amérique on fait commerce d’hommes ; en Europe, on fait commerce de femmes. Le mariage est devenu un véritable marché. La premiére qualité qu’on demande d’une fille, c’est sa dot. Quelques mille écus de plus ou de moins font conclure la societé la plus mal-assortie, ou rejetter le parti le plus avantageux du côté des véritables richesses ; sur le pié que les choses sont aujourd’hui, je suis extrêmement surprise de ne pas voir plus de mariages malheureux. Nous aimons le luxe, & par conséquent nous nous attachons aux riches partis autant & plus qu’une autre Nation : Cependant, je le dis avec plaisir à la gloire de la Patrie, l’union & la fidélité conjugale semblent s’être réfugiées en Dannemarc. On y voit peu de ces scènes, dont les acteurs sont ordinairement la fable & la risée du public.

IX.

J’ai souvent remarqué, qu’un mariage est fort paisible, quand le Mari porte la juppe, & sa femme les culottes. J’ai remarqué aussi, que si les affaires du dedans en alloient mieux, celles du dehors en alloient beaucoup plus mal.

X.

Si l’union est bannie d’un ménage, j’en accuse la Femme. C’est sa faute, si elle ne raméne pas son mari. C’est q’uelle <sic> ne veut pas s’en donner la peine. Nous autres femmes, nous avons tant de ressources, nous connoissons si bien la carte du cœur, que nous pouvons mener à notre gré l’homme le moins souple. L’union depend toûjours de nous.

Metatestualità

Sujet donné.

Citazione/Motto

L’or peut se partager, mais non pas la loüange,
Le plus grand Orateur, quand ce seroit un Ange
Ne contenteroit pas, en semblables desseins,
Deux Belles, deux Héros, deux Auteurs, ni deux Saints.

La Fontaine.