Sugestão de citação: Laurent Angliviel de la Beaumelle (Ed.): "Amusement IV.", em: La Spectatrice danoise, Vol.1\004 (1748), S. 25-32, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4178 [consultado em: ].


Nível 1►

Amusement IV.

Citação/Divisa► Courons après la Gloire, Ami ; l’Ambition
Est du cœur des humains la grande passion
. ◀Citação/Divisa

Voltaire.

Nível 2► L’amour de la Gloire est un désir de nous distinguer, & d’étendre, s’il se peut, notre vie au-delà du Tombeau ; désir qui nous est aussi naturel, que celui de la conserver. C’est un sentiment intime que la nature a versé dans tous les cœurs. C’est un principe actif & divin, qu’elle a gravé, ou du moins craïonné dans l’ame de tous les hommes. L’éducation ne fait que le déveloper, l’éxemple que l’entretenir, l’occasion que le porter à son véritable degré de maturité. Ce n’est point une qualité qu’on acquiére ; c’est un don gratuit du Ciel, & non le fruit pénible du travail.

On peut le comparer à un feu secret, qui cherche à se nourrir, à éclater, à s’élancer, & à s’embraser de plus en plus ; mais ce n’est que dans les belles actions & dans les tra-[26]vaux entrepris pour le bien de la société, qu’il trouve des alimens pour s’entretenir, des routes pour se produire, des passages pour s’élever, &, si je l’ose dire, une sorte d’ame & de souffle pour s’enflammer & se perpétüer.

Aussi voïons-nous, que cette passion est la passion des grands hommes. C’est la pierre de touche, comme l’élément des belles Ames ; si c’est l’intérêt qui affecte le plus délicatement, le motif qui touche le plus vivement l’homme, c’est aussi le plus général.

C’est à lui que nous devons ces éxemples de rare valeur, qu’ont donnés tant de grands Capitaines, qui se sont acquis une renommée encore plus étenduë que leurs conquêtes. Exemplum► Pierre le Grand travailla moins pour ses peuples, que pour sa gloire. Ce fût ce désir insatiable, qui l’engagea à s’éloigner du thrône pour apprendre à le remplir dignement. ◀Exemplum A qui devons-nous ces superbes monumens de la grandeur & de la magnificence du Peuple Romain, qui font l’admiration de tous les voïageurs ? à l’amour de la Gloire. C’est à elle que nous sommes redevables de ces ingénieuses, de ces étonantes productions de génie, qui perpetuënt le sçavoir & le bon goût dans la République des Lettres.

L’amour de la gloire est l’ame de tout. Tous les hommes sont ses tributaires ; mais tous ne lui consacrent pas leurs talens. Entrainés souvent par des passions obscures, ils se piquent à cet égard d’insensibilité. On voit des Ecrivains tâcher de prouver qu’elle est une chimére ; & ils font si bien, qu’ils ne prouvent autre chose au public, si non qu’ils sont ses esclaves ; tant il est vrai que presque toutes les actions des hommes sont comme des conséquences naturelles de ce principe ineffaçable & universellement répandû.

[27] A le considérer indépendamment de ses heureuses suites, il faut convénir, que ce n’est qu’un bon vens après le naufrage ; mais, outre que la Nature arrache quelquefois de notre folie ce qui lui auroit été refusé par notre raison, il est certain qu’il est faux de dire, que travailler à s’immortaliser, ce soit travailler pour les lettres d’Alphabet, qui forment le nom que l’on veut transmettre à la postérité. Il y a visiblement du réel dans ce désir. Vivre dans le souvenir des hommes, c’est, si l’on veut, peu de chose après la mort ; mais il est bien doux de pouvoir, quand on vit, se dire, se promettre qu’on vivra, dès qu’on ne sera plus, & qu’on sera placé avec distinction dans le temple de Mémoire. Je ne vois pas d’idée plus délicieuse, d’espoir plus satisfaisant.

On ne sçauroit donc approuver le sentiment de ces esprits chagrins, de ces ames venduës à l’indolence & à la lâcheté, qui traitent de folie une si noble passion, qui est, pour ainsi dire, l’écôle de l’Héroïsme. Qu’ils répandent leur bile misantropique sur les divers foibles de l’homme, ils ont un champ assez vaste ; mais qu’il <sic> respectent le vertueux penchant qui nous encourage dans nos travaux, nous soutient dans nos fatigues, nous forme à la grandeur d’ame. C’est l’envie de perpetuër notre éxistence, qui enfante les grands projets, qui les pousse avec vigueur, qui les porte au plus haut point.

L’homme n’a que quelques momens de vie ; sa naisance & sa mort se touchent de près. Il ne peut parer le coup qui va couper le fil de ses jours : qu’il est petit ! Il se roidit contre la nécessité, il cherche une nouvelle vie ; il s’en crée, pour ainsi dire, une immortelle. Porté sur les aîles de la Gloire, il triomphe de la mort même. Qu’il est grand !

Je ne prétends point par-là canoniser les abus, qui ne naissent que trop souvent d’un désir si légitime. Je n’ai point [28] oublié, qu’on prodigue souvent une admiration injuste à des crimes heureux & brillans ; je ne parle que de la solide, de la véritable gloire ; & c’est une injustice, que de la rendre responsable des mauvaises suites de nos préjugés. Je sçai, que plus on éxamine ce qu’il y a d’éclatant dans quelques Conquérans, plus on les méprise. C’est un peu de dorure sur du plâtre ; mais les véritables Héros ne perdent rien à être vûs de près ; ils gagnent à l’éxamen. La critique conduit à leur panégyrique, & leurs tombeaux mêmes rappellent leur grandeur.

La Raison & l’amour de la Gloire sont deux sœurs, qui, loin de se séparer, doivent être toûjours d’une parfaite intelligence. Le désir de la gloire dans un Guerrier ressemble ordinairement à l’ardeur de la fiévre ; mais dans un homme sage, il ressemble à la chaleur naturelle.

Outre les délices, qu’elle nous fait goûter dans ce monde ; elle nous offre un avenir certain, qu’elle développe à chaque instant à nos yeux. Considérer l’origine de l’homme, c’est chercher des sujets de pitié & de honte ; mais considérer la gloire à laquelle il parvient, c’est vouloir s’épuiser en sujets d’admiration.

Nível 3► L’Homme, dit un Moderne, ne meurt que le moins qu’il lui est possible ; ◀Nível 3 & l’on ne déracinera jamais de son cœur les semences de cet heureux instinct, qui le porte à vouloir vivre toûjours. Sans cet instinct, à quoi seroit-il réduit ; avec cet instinct, à quoi ne peut-il pas prétendre.

Qu’on se figure une société d’hommes dont l’Ame fût inaccessible à cette passion ; qu’en résulteroit-il ? une indolence entiére, une inaction générale, une indifférence totale pour le beau, pour le grand, nulle émulation dans les arts, nulle inclination au bien, nulle distinction entre le vice & la [29] vertu, le dépérissement, l’extinction, l’anéantissement de cette société.

Nível 3► Mais si nous nous formons l’idée d’un Etat, dont tous les membres aiment la gloire, ou la vertu soit récompensée, ou les titres ne tiennent pas lieu de mérite, nous nous formerons l’idée d’un Etat heureux & florissant. La prospérité & la vertu y régneront de concert. Les beaux arts y fleuriront, l’art militaire s’y perfectionnera, les sciences y seront portées au plus haut degré, les Manufactures y soutiendront le Commerce. Que sçai-je ? un tel Roïaume sera une pépiniére de Héros en tout genre. Tous ceux, qui le composeront, arriveront au même but, quoique par des sentiers & des succès différens. L’un se bornera à mériter l’estime de ses sages concitoïens ; l’autre, poussé par une ambition toûjours subordonée à l’honneur, achetera une vie immortelle par le mépris d’une vie périssable. L’autre bâtira sur des fondemens inébranlables l’édifice de sa réputation. Chacun se piquera d’exceller dans sa profession. Tous procureront le bien public, qui par une heureuse harmonie deviendra le bien de chaque particulier, dont toutes les actions, tous les plans, toutes les vuës seront autant de lignes, qui aboutiront à leur centre commun, l’amour de la Gloire. Les femmes mêmes ne seront point inutiles à la prospérité de l’Etat. L’émulation produira bien des sçavantes & des Héroïnes. ◀Nível 3

Metatextualidade► Je pourrois montrer ici, que cette passion n’est point contraire au Christianisme ; mais je réserve à traiter une autre fois cette matiére. ◀Metatextualidade Je me contenterai de remarquer, qu’il n’est pas croïable, qu’un Ouvrier d’une sagesse infinie donne à son chef-d’œuvre une imperfection aussi essentielle que celle-là, & qu’il éxige que nous détruisions des penchans nés avec nous. Nous devons les lui consacrer ; c’est le moïen de [30] les sanctifier, & d’éviter l’inconvénient, dans le quel tombent ceux, qui travaillent pour la vie présente, comme si elle ne devoit jamais finir.

Hazarderai-je de dire, que, sur le pié ou les choses sont, il faut distinguer l’homme du Chrétien. Il seroit à souhaiter que l’on alliât ces deux qualités, & que celui, qui est passioné pour la gloire, raportât tout à l’Auteur de la véritable ; mais malheureusement on réfléchit peu sur ses devoirs, & cette perfection doit être plutôt l’objet de nos vœux que celui de nos espérances. L’amour de la Gloire pourroit naître d’un fonds d’humilité. Il peut être produit par quelques réfléxions saines sur notre néant, réfléxions bien propres à nous faire aspirer à quelque chose de plus relevé.

Si, malgre tout cela, on trouve, que l’amour de la gloire renferme quelque chose de contraire aux loix de la sagesse, je prierai de pardonner à la Cause en faveur des Effets.

Il a un avantage, qui plaide puissamment pour lui ; je veux parler de la preuve qu’il nous fournit de l’immortalité de l’Ame ; si l’Ame n’étoit immortelle, les Hobbes, les Bailes, & les autres Matérialistes auroient-ils fait tant d’efforts pour parvenir à l’immortalité. Des Créatures, dont les pensées anticipent sur l’avenir, & souhaitent naturellement la conservation de leur être, seroient-elles enfermées dans les bornes étroites du Temps ?

Je ne vois rien de plus beau, de plus délicieux, de plus consolant que ce désir. Après lui avoir long-tems sacrifié, la Gloire est reconnoissante ; elle se livre à nous, & quand nous la tenons elle nous dédommage avec usure des soins qu’elle nous a couté <sic>. Est-il difficile alors de mourir [31] avec tranquillité. Avec quel Stoïcisme ne se détache-t-on pas de la vie ? Avec quel œil de dédain ne regarde-t-on pas ce monde ? On sçait qu’on s’y est multiplié & reproduit. Rien n’est plus satisfaisant. Rien n’est plus propre à diminuer l’horreur naturelle qu’inspire le fatal moment, qui doit voir finir nos jours. C’est là une source de plaisirs purs, vifs, & durables. C’est un Epicuréisme approuvé par la Raison.

Nível 3► Exemplum► On a dit, que la plus grande gloire d’une femme étoit de ne faire parler d’elle ni en bien ni en mal. Je trouve cette sentence ridicule, quoiqu’elle soit de Périclès, le mari d’Aspasie. Assurément il ne l’avoit point apprise à l’écôle de sa charmante moitié. Elle étoit un éxemple frappant du contraire ; si cette maxime étoit bonne pour les Athéniennes, elle ne l’étoit pas pour les Lacédemoniennes. L’Histoire est pleine de traits qui nous prouvent, qu’elles ne le cédoient point en générosité à leur Maris. Une Mére, qui apprit, que son Fils avoit pris la fuite dans un combat, lui écrivit : « On fait courir ici des bruits désavantageux à ta gloire, fais les cesser au plutôt, ou bien cesse d’être. » Si ce sentiment n’avoit pas regné parmi elles, auroient-elles défendu avec tant de bravoûre les murs de leur ville. Sans elles, Sparte auroit été perduë sans ressource. ◀Exemplum ◀Nível 3

Penser & ne pas aimer la Gloire sont deux choses incompatibles. L’Amour-propre nous est naturel ; & l’amour de la gloire est une suite nécessaire de l’amour-propre. Comme je ne me plais point à la singularité, je ne ferai pas façon d’avoüer, que je ne péche point de ce côté-là ;

Et que j’aime la Gloire en fille d’Apollon.

Mon séxe est, généralement parlant, fort ambitieux ; & je connois bien des femmes, qui souhaitent la Métamorphose, [32] qu’un habile Astrologue a prédit derniérement, & qui doit arriver, dit-on, le prémier d’Octobre. Combien en est-il, qui, dans le choix, préféreroient le titre & l’emploi de Capitaine d’Infanterie au titre fastüeux & brillant de Comtesse ? elles n’osent le dire, elles ne seroient pas cruës. On s’imagine, que nous ne sommes faites que pour le plaisir. On ne nous laisse que le mérite des vertus obscures. Ne guérira-t-on jamais le genre humain de ce préjugé ? Je n’ose l’espérer. La Gloire est si précieuse, que les hommes voudront vraisemblablement la garder toute entiére pour eux. C’est un thrésor, qu’ils ne voudront jamais partager. Peut-être craignent-ils de trouver en nous des rivales trop redoutables. Ils ont vû de tems en tems des Héroïnes, qui leur ont montré qu’il nous est très-possible de les éclypser.

Metatextualidade► Texte, qui doit servir pour le 4me Amusément.

Citação/Divisa► Eh bien ! soit : voïons l’Opera
De l’humeur, dont je suis, tout me divertira
. ◀Citação/Divisa

Van Effen. ◀Metatextualidade ◀Nível 2 ◀Nível 1