Le Spectateur français avant la révolution: LIX. Discours.
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Nivel 1
LIX. Discours. Sur un genre de mort
inventé par le luxe et l’avarice.
Nivel 2
Une
jeune personne qui présente souvent sa jolie petite figure à la
grille de son couvent, comme l’oiseau impatient qui court sans
cesse et allonge son bec à travers les fils de sa cage, me prie
avec instance de venir à son secours.
Nivel 3
Carta/Carta al director
Monsieur le Spectateur,
m’écrit-elle, ma mère est veuve depuis un an et on
prétend qu’elle s’ennuye bien fort de n’avoir pas un
mari à tourmenter. Un officier-général, qui a deviné ses
désirs, lui fait très-régulièrement sa cour ; mais on
voudroit bien de part et d’autre se débarrasser d’une
petite fille qui est venue au monde, on ne sait pas
pourquoi, et qui paroit très-décidée à y rester. Comme
il ne seroit pas honnête de la renvoyer d’où elle est
venue, on a imaginé de la tuer sans qu’elle en meure :
je ne sais pas trop si vous me comprenez.
Vous savez, Monsieur, que dans les familles d’un certain
rang, trois ou quatre grandes filles sont fort
embarrassantes, et qu’on prend assez ordinairement le
parti de les faire disparoître de ce monde, sans
pourtant les envoyer dans l’autre, on les affable d’une
longue robe noire, on jette sur leur figure un voile, et
rien ne ressemble davantage à un enterrement. J’ai deux
amies qui ont éprouvé ce triste sort : l’orgueil nous a
tuées, se répètent-elles quelquefois d’une voix qui me
pénètre le cœur. Pour moi, Monsieur, ce ne sera pas
l’orgueil qui me tuera ; mais peu importe de quelle main
parte le coup, il n’en est pas moins douloureux. On
commence à vouloir me familiariser avec le poignard ;
l’assassin me le met souvent sous les yeux. Vous ne
devineriez pas quel est cet assassin. C’est ma mère :
oui, Monsieur, c’est elle-même ; elle vient me voir deux
fois la semaine avec une de ses amies qui est son
complice. « Eh bien ! ma chère enfant, es-tu toujours
dans la même résolution ? Ah ! que tu es heureuse de ne
pas être dans ce vilain monde, où l’on ne voit que des
méchans, où le vice règne, où la perfidie tend ses
pièges ! » Et puis, se tournant vers son
amie : « ma fille prend le parti le plus sage ; elle
consacre ses jours à Dieu : sa vie sera pure comme
l’époux qu’elle choisit ; quoiqu’il m’en coûte de la
perdre, son bonheur me console ; » et affectant ensuite
un air de tendresse : « te perdre, s’écrie-t-elle,
perdre mon enfant ! non, je ne la perdrai pas pour cela,
je la verrai tous les jours, nous serons deux sœurs que
l’amitié unira. Si elle étoit dans le monde, ce seroit à
elle d’aller consoler sa mère ; lorsqu’elle sera
religieuse, sa mère viendra partager sa joie ». Voilà,
Monsieur, avec quel ton doucereux on me conduit au bord
du précipice. J’espère pourtant me tenir ferme pour n’y
pas tomber : je m’attend qu’on employera les reproches,
les menaces, la violence pour m’y jetter. Ah ! monsieur
le Spectateur, vous qui prêchez tous les mois, ne
pourriez-vous pas sermoner un peu ces mères qui
reprennent avec tant de sang-froid la vie qu’elle ont
donnée à leurs enfans, qui les ensevelissent tout vivans
et étouffent leur voix, de peu qu’on ne les entende
murmurer et se plaindre ?