Le Spectateur français avant la révolution: L. Discours.
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L. Discours. Entretien avec une Femme
jalouse.
Maintenant
qu’elle ne m’entend plus, je dirai franchement que
la jalousie est une passion aussi cruelle qu’elle est injuste.
Persécuter un homme parce qu’il n’aime pas, c’est vouloir
commander au sentiment le plus libre. Combien de femmes font
tous leurs efforts pour abaisser leurs rivales, et ne font rien
pour s’élever au-dessus d’elles ! Sans les graces de la figure,
sans l’attrait de l’esprit, sans les charmes des manières,
comment espérer de fixer le cœur de l’homme, déjà si porté à
l’inconstance ? Est-ce avec une humeur sombre, une ame inquiète,
un ton aigre et murmurant, un air grondeur, que l’on se flatte
de lutter contre une rivale tendre et enjouée, caressante ? Dans
un voyage que j’ai fait à Lyon, j’ai connu une de ces
malheureuses victimes de la jalousie qui se précipitoit sans
cesse sur les pas de son mari ; elle ne lui donnoit jamais le
temps de revenir ; elle le poursuivoit sans relâche. Tantôt les
cheveux épars, on la voit sur un balcon élever les mains au
ciel, prononcer le nom de l’infidèle d’une voix sanglotante. Un
autre jour, son visage baigné de pleurs vient contraster avec la
figure animée d’une maîtresse triomphante ; le
public l’a plaint : son mari l’évite, et personne ne l’aime. Il
est, à la vérité, des hommes bien inconséquens dans leurs
amours ; il en est qui s’arrachent des bras de la beauté, pour
aller se précipiter dans ceux d’une laideur capricieuse. On a vu
des maris assez stupides pour soupirer aux pieds du vice et de
l’ignorance, pendant qu’ils auroient pu trouver le bonheur
auprès de la vertu et de l’esprit. L’amour est le fils d’une
mère sortie du sein des flots ; il se plaît dans l’orage et au
milieu des tempêtes : le calme l’ennuit, il se lasse de la paix
du mariage et va au loin chercher la guerre. L’inquiétude
l’irrite et la crainte l’enflamme ; il dédaigne les conquêtes
faciles ; il faut des exploits à son courage. Femmes froides et
dissimulées, vous êtes ses plus redoutables ennemies ! Vous
voyez d’un œil tranquille ce héros si fier, abattu à vos pieds,
écumant de rage et d’orgueil. Après vous avoir livré d’inutiles
combats, il vous rend ses armes impuissantes, vous demande la
paix ; mais d’une main cruelle vous le chargez de chaînes et le
délaissez. Vous êtes aussi humiliées à votre
tour ; vous recontrez quelquefois sur votre passage
l’indifférence dont le bouclier impénétrable émousse tous les
traits et irrite les desirs. Voilà comme ce feu qui avoit été
donné à l’homme pour l’animer, le consume ; comme le sentiment
qui devoit le rendre heureux a répandu autour de lui le trouble,
les alarmes. Heureux, heureux celui qui n’a jamais ressenti ses
flammes pénétrantes, et qui a pu lui fermer son cœur ! Un
<sic> femme qui est abandonnée d’un mari qu’elle aime, n’a
rien de mieux à faire pour le ramener que de lui offrir une
figure noblement indifférente, que de se parer avec plus de
soin, que de mettre encore plus de goût dans ses ajustemens, que
de cultiver les talens qu’elle a reçus, que de déplorer ses
peines dans la solitude, et de se montrer toujours aimable à la
société. Bientôt il sera poursuivi par le cri public ; il
entendra si souvent faire l’éloge de celle qu’il l’outrage, qu’à
moins qu’il ne soit le plus méprisable des hommes, il
redeviendra le plus tendre des maris.
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Dialog
J’ai reçu, il y a quelques jours,
la visite d’une grande femme dont l’œil noir paroissoit
encore irrité. N’est-ce pas au Spectateur que je parle,
m’a-t-elle demandé d’une voix brusque ? Oui, madame.
« Monsieur, a-t-elle repris, il faut que vous me vengiez. Je
suis trompée par mon mari ; ce n’est pas à lui que j’en
veux, mais à une petite femme grosse comme le poing, fragile
comme un verre. L’artificieuse créature, a-t-elle ajouté, en
élevant sa main d’un air furieux, que ne puis-je
l’anéantir ! . . . . Monsieur, ne pourriez-vous pas m’aider
à la déshonorer, à la rendre si méprisable que mon mari
n’osat pas en approcher ? » Croyez-vous, madame, lui ai-je
répliqué, qu’il ne puisse aimer dans le mode que vous ou
votre rivale ? Quand j’aurai déshonoré celle-ci, vous viendrez me prier d’en déshonorer une autre ;
voulez-vous que je passe ma vie à déshonorer votre sexe ?
Monsieur, il n’est pas question de tout mon sexe ; je ne
suis pas la plus laide des femmes, et quand je la serois, je
prétendrois encore que mon mari ne doit aimer que moi : je
ne l’ai pris que pour être l’unique objet de ses
affections ; c’est à cette condition que je lui ai fait le
sacrifice de mon bien : j’ai acheté son cœur, il ne peut le
donner à une autre sans me faire un vol, et celle qui
l’accepte devient sa complice. Comme je me défie beaucoup de
ces femmes qui ne sont jalouses que du cœur, Madame, lui
ai-je dit d’un air ingénu, ne vous tromperiez-vous pas ?
Est-ce bien le cœur que vous avez acheté ? Votre question
est un peu impertinente, m’a-t-elle répondu ; quoi qu’il en
soit, un homme se doit tout entier à sa femme, et je suis
celle de mon mari. Permettez-moi, lui ai-je dit, de vous
faire encore une petite question. Monsieur votre époux
a-t-il une figure intéressante ? A-t-il une taille riche,
élevée ? Marche-t-il avec noblesse ? Il ne sait que trop,
monsieur, m’a-t-elle répliqué d’un air confus,
qu’il réunit tous ces avantages qui séduisent les
malheureuses femmes. Avouez, ai-je repris, que s’il ne les
avoit pas eus, vous ne lui auriez pas fait le sacrifice de
votre fortune, quand même vous n’auriez pas pu douter qu’il
n’eut le cœur le plus tendre, l’ame la plus généreuse.
Quelle conséquence, m’a-t-elle demandé en rougissant,
voulez-vous tirer de là ? Qu’il pourroit bien vous être
infidèle, parce qu’il auroit les mêmes goûts que vous. Plût
à dieu qu’il les eut, a-t-elle repris avec véhémence, il
auroit pour son odieuse maîtresse la haine que je ressens !
Je vous assure que lorsque vous cesserez d’aimer le cœur
d’un homme jeune, grand, bienfait, il détestera celui d’une
jolie femme, vive, pétillante d’amour et de plaisir. Je ne
m’attendois pas, a-t-elle réparti d’un air grave, qu’un
Spectateur me feroit une pareille réponse ; elle n’est ni
honnête, ni galante. Je vous demande pardon ; mais j’ai cru,
madame, que vous ne veniez chercher que la vérité. Et moi, monsieur, j’imaginois que vous la
présentiez avec plus de graces. Je ne donne point de graces
à la vérité, parce que j’ai toujours pensé qu’elle
ressemblait aux femmes qui n’en ont jamais plus que
lorsqu’elles sont sans voiles. Elle a fait ce qu’elle a pu
pour ne pas sourire, et s’est levée, en me disant qu’elle
voyoit bien que je ne voulois pas lui être utile, qu’elle
trouveroit sans moi le moyen d’humilier sa rivale. Je n’en
connois pas de plus sûr, lui ai-je répondu, que d’avoir plus
de charmes et d’esprit qu’elle ; et à moins qu’elle n’en ait
prodigieusement, ai-je ajouté d’un air très-pénétré, il ne
vous sera pas difficile de le mettre en usage. Je crois que
vous voulez faire votre paix ; vous devenez plus honnête. Je
remarquai un changement si subit dans son regard, que je
craignis qu’elle ne voulut se consoler de la perte du cœur
de son mari. Comme je ne me sentois pas en disposition de
lui offrir le mien, je me suis incliné en lui presentant la
main pour la conduire à mon escalier.