Zitiervorschlag: Jacques-Vincent Delacroix (Hrsg.): "L. Discours.", in: Le Spectateur français avant la révolution, Vol.1\050 (1795), S. 385-391, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4161 [aufgerufen am: ].


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L. Discours.

Entretien avec une Femme jalouse.

Ebene 2► Dialog► J’ai reçu, il y a quelques jours, la visite d’une grande femme dont l’œil noir paroissoit encore irrité. N’est-ce pas au Spectateur que je parle, m’a-t-elle demandé d’une voix brusque ? Oui, madame. « Monsieur, a-t-elle repris, il faut que vous me vengiez. Je suis trompée par mon mari ; ce n’est pas à lui que j’en veux, mais à une petite femme grosse comme le poing, fragile comme un verre. L’artificieuse créature, a-t-elle ajouté, en élevant sa main d’un air furieux, que ne puis-je l’anéantir ! . . . . Monsieur, ne pourriez-vous pas m’aider à la déshonorer, à la rendre si méprisable que mon mari n’osat pas en approcher ? » Croyez-vous, madame, lui ai-je répliqué, qu’il ne puisse aimer dans le mode que vous ou votre rivale ? Quand j’aurai déshonoré celle-ci, [386] vous viendrez me prier d’en déshonorer une autre ; voulez-vous que je passe ma vie à déshonorer votre sexe ? Monsieur, il n’est pas question de tout mon sexe ; je ne suis pas la plus laide des femmes, et quand je la serois, je prétendrois encore que mon mari ne doit aimer que moi : je ne l’ai pris que pour être l’unique objet de ses affections ; c’est à cette condition que je lui ai fait le sacrifice de mon bien : j’ai acheté son cœur, il ne peut le donner à une autre sans me faire un vol, et celle qui l’accepte devient sa complice.

Comme je me défie beaucoup de ces femmes qui ne sont jalouses que du cœur, Madame, lui ai-je dit d’un air ingénu, ne vous tromperiez-vous pas ? Est-ce bien le cœur que vous avez acheté ?

Votre question est un peu impertinente, m’a-t-elle répondu ; quoi qu’il en soit, un homme se doit tout entier à sa femme, et je suis celle de mon mari.

Permettez-moi, lui ai-je dit, de vous faire encore une petite question. Monsieur votre époux a-t-il une figure intéressante ? A-t-il une taille riche, élevée ? Marche-t-il avec noblesse ? Il ne sait que trop, monsieur, [387] m’a-t-elle répliqué d’un air confus, qu’il réunit tous ces avantages qui séduisent les malheureuses femmes.

Avouez, ai-je repris, que s’il ne les avoit pas eus, vous ne lui auriez pas fait le sacrifice de votre fortune, quand même vous n’auriez pas pu douter qu’il n’eut le cœur le plus tendre, l’ame la plus généreuse.

Quelle conséquence, m’a-t-elle demandé en rougissant, voulez-vous tirer de là ?

Qu’il pourroit bien vous être infidèle, parce qu’il auroit les mêmes goûts que vous.

Plût à dieu qu’il les eut, a-t-elle repris avec véhémence, il auroit pour son odieuse maîtresse la haine que je ressens !

Je vous assure que lorsque vous cesserez d’aimer le cœur d’un homme jeune, grand, bienfait, il détestera celui d’une jolie femme, vive, pétillante d’amour et de plaisir.

Je ne m’attendois pas, a-t-elle réparti d’un air grave, qu’un Spectateur me feroit une pareille réponse ; elle n’est ni honnête, ni galante.

Je vous demande pardon ; mais j’ai cru, madame, que vous ne veniez chercher que la vérité.

[388] Et moi, monsieur, j’imaginois que vous la présentiez avec plus de graces.

Je ne donne point de graces à la vérité, parce que j’ai toujours pensé qu’elle ressemblait aux femmes qui n’en ont jamais plus que lorsqu’elles sont sans voiles.

Elle a fait ce qu’elle a pu pour ne pas sourire, et s’est levée, en me disant qu’elle voyoit bien que je ne voulois pas lui être utile, qu’elle trouveroit sans moi le moyen d’humilier sa rivale.

Je n’en connois pas de plus sûr, lui ai-je répondu, que d’avoir plus de charmes et d’esprit qu’elle ; et à moins qu’elle n’en ait prodigieusement, ai-je ajouté d’un air très-pénétré, il ne vous sera pas difficile de le mettre en usage.

Je crois que vous voulez faire votre paix ; vous devenez plus honnête.

Je remarquai un changement si subit dans son regard, que je craignis qu’elle ne voulut se consoler de la perte du cœur de son mari. Comme je ne me sentois pas en disposition de lui offrir le mien, je me suis incliné en lui presentant la main pour la conduire à mon escalier. ◀Dialog

Maintenant qu’elle ne m’entend plus, je [389] dirai franchement que la jalousie est une passion aussi cruelle qu’elle est injuste. Persécuter un homme parce qu’il n’aime pas, c’est vouloir commander au sentiment le plus libre. Combien de femmes font tous leurs efforts pour abaisser leurs rivales, et ne font rien pour s’élever au-dessus d’elles !

Sans les graces de la figure, sans l’attrait de l’esprit, sans les charmes des manières, comment espérer de fixer le cœur de l’homme, déjà si porté à l’inconstance ?

Est-ce avec une humeur sombre, une ame inquiète, un ton aigre et murmurant, un air grondeur, que l’on se flatte de lutter contre une rivale tendre et enjouée, caressante ? Dans un voyage que j’ai fait à Lyon, j’ai connu une de ces malheureuses victimes de la jalousie qui se précipitoit sans cesse sur les pas de son mari ; elle ne lui donnoit jamais le temps de revenir ; elle le poursuivoit sans relâche. Tantôt les cheveux épars, on la voit sur un balcon élever les mains au ciel, prononcer le nom de l’infidèle d’une voix sanglotante. Un autre jour, son visage baigné de pleurs vient contraster avec la figure animée d’une maî-[390]tresse triomphante ; le public l’a plaint : son mari l’évite, et personne ne l’aime.

Il est, à la vérité, des hommes bien inconséquens dans leurs amours ; il en est qui s’arrachent des bras de la beauté, pour aller se précipiter dans ceux d’une laideur capricieuse. On a vu des maris assez stupides pour soupirer aux pieds du vice et de l’ignorance, pendant qu’ils auroient pu trouver le bonheur auprès de la vertu et de l’esprit.

L’amour est le fils d’une mère sortie du sein des flots ; il se plaît dans l’orage et au milieu des tempêtes : le calme l’ennuit, il se lasse de la paix du mariage et va au loin chercher la guerre. L’inquiétude l’irrite et la crainte l’enflamme ; il dédaigne les conquêtes faciles ; il faut des exploits à son courage. Femmes froides et dissimulées, vous êtes ses plus redoutables ennemies ! Vous voyez d’un œil tranquille ce héros si fier, abattu à vos pieds, écumant de rage et d’orgueil. Après vous avoir livré d’inutiles combats, il vous rend ses armes impuissantes, vous demande la paix ; mais d’une main cruelle vous le chargez de chaînes et le délaissez. Vous êtes aussi humi-[391]liées à votre tour ; vous recontrez quelquefois sur votre passage l’indifférence dont le bouclier impénétrable émousse tous les traits et irrite les desirs.

Voilà comme ce feu qui avoit été donné à l’homme pour l’animer, le consume ; comme le sentiment qui devoit le rendre heureux a répandu autour de lui le trouble, les alarmes. Heureux, heureux celui qui n’a jamais ressenti ses flammes pénétrantes, et qui a pu lui fermer son cœur !

Un <sic> femme qui est abandonnée d’un mari qu’elle aime, n’a rien de mieux à faire pour le ramener que de lui offrir une figure noblement indifférente, que de se parer avec plus de soin, que de mettre encore plus de goût dans ses ajustemens, que de cultiver les talens qu’elle a reçus, que de déplorer ses peines dans la solitude, et de se montrer toujours aimable à la société. Bientôt il sera poursuivi par le cri public ; il entendra si souvent faire l’éloge de celle qu’il l’outrage, qu’à moins qu’il ne soit le plus méprisable des hommes, il redeviendra le plus tendre des maris. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1