Cita bibliográfica: Jacques-Vincent Delacroix (Ed.): "XLI. Discours.", en: Le Spectateur français avant la révolution, Vol.1\041 (1795), pp. 309-314, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4152 [consultado el: ].


Nivel 1►

XLI. Discours.

Sur un Projet qui a précédé les Aérostats.

Nivel 2► Metatextualidad► Il y a quelque temps, que n’appercevant plus rien qui fût digne d’être transmis à la postérité, je conçus le projet d’aller chercher dans d’autres contrées quelques sujets qui pussent amuser ou instruire mes lecteurs. Il n’entroit pas trop dans mes idées de voyager comme Solon et Licurgue. Ces grands philosophes alloient lestement à pied en Egypte. J’imaginai donc un moyen tout simple ; c’é-[310]toit de proposer à mes souscripteurs de m’entretenir une chaise de poste avec deux chevaux, pour aller tantôt en Espagne, en Italie ; tantôt dans les pays du Nord. Je suis persuadé que pas un d’eux n’eût balancé à seconder mon projet, je n’ai que lieu de me louer de leur générosité ; j’ai l’avantage de couter parmi eux plusieurs princes du sang, qui me donnent noblement neuf francs par an pour charmer leur ennui et intéresser leur cœur. D’après cela, on peut juger si le reproche que l’on fait depuis si long-temps aux grands seigneurs, de ne pas encourager les talens, n’est pas bien injuste.

Mais, comme dans ce siècle, il ne s’agit que d’avoir un peu de patience pour voir arriver des merveilles, j’ai attendu que quelque savant me fournit le moyen de faire beaucoup de chemin en peu de temps, et à très-peu de frais. Je n’ai pas été trompé dans mon espoir ; voilà un expédient dont je prie mes souscripteurs de profiter sur le champ. ◀Metatextualidad Nivel 3► « M. Desforges, chanoine de l’église royale de Sainte-Croix d’Etampes, annonce, promet et garantit qu’il fera, pour quiconque le voudra, une voiture volante, avec laquelle on pourra, du fond d’une profonde vallée, [311] s’élever en l’air, et voler à son gré, à droite ou à gauche, ou directement, sans le moindre danger, et si facilement, qu’on pourra faire plus de cent lieues de suite sans être fatigué. On pourra, quand on aura le vent bon, faire au moins trente lieues par heure, vingt-quatre par un temps calme, et dix par un temps contraire. Lorsqu’il y aura de ces ouragans, de ces vents furieux qui arrachent des arbres, on ne s’exposera pas à voler : on fera comme les oiseaux, qui se tiennent tons cachés, quand le vent est violent. Lorsqu’on voudra voler vite, le conducteur, pour ne pas être incommodé de la trop grande affluence d’air, aura sur l’estomac une feuille de carton, et un bonnet de carton qui lui prendra toute la tête, et sera garni d’un verre vis-à-vis des yeux, pour qu’il puisse voir et diriger sa course. La voiture sera si forte, que rien ne pourra la briser, ni les vents, ni aucune secousse. On pourra voler aussi doucement qu’on voudra, et l’on sera tellement maître de son vol, qu’on pourra s’arrêter et descendre quand on le jugera à propos. La voiture sera couverte : on y sera à l’abri de la pluie. Pour fournir cette [312] voiture si commode, si nécessaire, (sur-tout à un spectateur), M. Desforges exige que l’on dépose 10000 livres chez un notaire, qui seront le dédommagement de ses peines. Il consent à n’être payé, que lorsque la voiture volante aura été éprouvée par lui-même, et qu’il aura volé aussi-bien qu’il l’a annoncé en présence de celui qui aura déposé les 10000 livres. La voiture volante sera faite aux dépens de l’inventeur, dans l’espace de six semaines au plus tard. » ◀Nivel 3

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler à nos lecteurs, que nous devons à l’abbé de la Chapelle l’avantage d’aller sur l’eau ; l’abbé Desforges nous procurera celui de nous élever en l’air : avec du temps et des abbés, nous braverons un jour les quatre éléments.

J’espère que mes souscripteurs voudront bien se hâter de déposer les 10000 liv. chez un notaire, pour que je puisse écrire à monsieur l’abbé Desforges, de travailler sur-le-champ à ma voiture. J’imagine déjà me voir un bonnet de carton sur la tête, parcourant fièrement les airs, observant les êtres qui ramperont à mes pieds : lorsqu’ils élèveront leurs regards vers le ciel, ils m’apperce-[313]vront, et s’écrieront avec transport : Voilà le spectateur qui passe.

Ma voiture, une fois faite, je n’en sors plus ; je fondrai comme un oiseau de proie sur la boutique des fournisseurs ; je laisserai tomber d’une main une pièce d’argent, et de l’autre, je saisirai ce dont j’aurai besoin, puis je m’éloignerai avec la vitesse de l’aigle. A l’approche de la nuit, je descendrai sur le sommet d’une montagne, et j’attendrai le retour de la lumière. Je ne remplirai plus mes feuilles de ces entretiens si frivoles, de ces petites remarques qui déparent mes spéculations ; j’observerai l’action de la nature ; le ciel et la terre seront les feuillets de mon livre. Si je puis m’élever à quelques lieues du sol, peut-être aurai-je le plaisir de donner plus d’un démenti à nos savans astronomes. Je placerai un télescope dans ma voiture ; et je gagnerai toujours par-dessus eux, le point d’élévation, d’où je pourrai observer la marche des planètes, et le cours des astres.

Je m’élancerai au-dessus de l’Océan, je verrai la tempête se former à mes pieds. Je lutterai contre ces tourbillons qui soulèvent les flots, et jettent l’effroi sur la surface des [314] mers. Je rendrai compte à mes souscripteurs de ce qui se passe chez les Lapons, chez les Patagons, chez les Eskimaux, chez les Hottentots. Que de choses je leur apprendrai !

Quel sera l’étonnement des peuples qui me verront descendre au milieu d’eux ! A l’aide de quelques phosphores, ne pourrois-je pas ; . . . mais gardons-nous d’augmenter le nombre des fourbes qui ont abusé le genre humain. ◀Nivel 2 ◀Nivel 1