Comme je n’écris pas pour une classe particulière d’hommes, mais pour tous les ordres en général, que l’on ne s’étonne pas si l’on trouve dans mes feuilles, tantôt des avis aux mères de famille, quelquefois des conseils aux vieillards, des leçons à la jeunesse, des avertissemens aux femmes trop sensibles, des reproches à celles qui ne le sont pas assez. Ma qualité de Spectateur m’élève au-dessus de l’humanité, me donne le droit d’en parcourir tous les rangs, d’élever la voix contre tout ce qui me choque. C’est par cette raison que j’oserai aujourd’hui, dans ce discours, donner quelques avis aux prédicateurs. Les hommes chargés de dire la vérité, doivent se plaire à l’entendre, de quelque bouche qu’elle sorte.
Les prédicateurs ont succédé aux prophêtes dans la fonction sublime d’annoncer
Il faut qu’un prédicateur se considère toujours au milieu d’une assemblée qui n’a que l’intelligence du cœur ; il ne doit donc lui prêcher qu’une morale simple comme elle. Je voudrois qu’après s’être préparé sur l’évangile aux grandes vérités qu’il va annoncer, il s’entretînt avec la foule qui l’écoute,
Le peuple doit être instruit des dogmes de sa religion ; mais il faut s’attacher davantage, et revenir plus souvent aux points principaux de la morale, en faire sur-tout quelqu’utile application à une circonstance présente ou peu éloignée. C’est un genre d’éloquence qui est trop négligé ; c’est cependant le seul qui convienne au peuple. Il faut des objets sensibles à des hommes qui n’ont que des sens. S’il s’est commis un meurtre dans les environs, c’est-là un sujet pathétique. Mettez au jour l’ame atroce du coupable ; faites-le reparoître à leurs yeux séduits, les mains teintes de sang, en exécration aux hommes et à lui-même. Si vous savez à propos placer près du monstre l’image de l’homme de bien, les avantages de la vertu sortiront de ce contraste d’une manière bien frappante, et se réfléchiront long-temps sur ces ames grossières, mais sensibles. Profitez sur-tout de l’impression récente, et ne donnez pas aux imaginations, encore frappées d’épouvante, le temps de se refroidir et de devenir tranquilles.
C’étoit encore par une raison semblable qu’il ne les prêchoit jamais sur la mort. La mort, disoit-il, n’est qu’un point dans la durée ; il n’est presque pas apperçu de mes villageois : je serois bien cruel de les avertir de la nécessité de mourir.
Du plan qu’il s’étoit fait, il en résultoit un grand avantage pour eux et pour lui. Il n’étoit point regardé comme un ministre qui n’avoit que des oracles effrayans à prononcer. Jamais il ne les renvoyoit épouvantés : aussi, étoit-il toujours sûr d’avoir une foule nombreuse d’auditeurs. Comme il n’en exigeoit que des vertus possibles, et dont le germe étoit dans le cœur, la conviction s’y établissoit, et leur foi n’étoit jamais douteuse.
Ce qui me satisfaisoit sur-tout dans ses prédications, c’étoit le soin qu’il prenoit de faire chérir à ses auditeurs les peines et les travaux de leur condition : il les attachoit à leurs champs, à leur chaumière. Les descriptions simples et naïves qu’il faisoit de la vie champêtre, m’attendrissoient et me donnoient
Il avoit sagement remarqué que la passion dont le peuple souffre le plus, est une envie secrette qu’il porte au riche. Il faisoit sentir à ses villageois que dans la distribution des biens et des peines, le ciel étoit juste ; que les grands avoient leurs misères propres, comme eux-mêmes ils avoient leur bonheur particulier. Il ne cherchoit point à leur faire perdre ce respect qui établit entre les uns et les autres un commerce réciproque de bonté et d’obéissance, mais il relevoit assez la noblesse et l’utilité de leurs travaux, pour les porter à s’estimer eux-mêmes, et les empêcher de regarder comme un malheur, peut-être comme une <sic> opprobre, l’avantage d’être nés au hameau et de fertiliser les campagnes.
Je remarquois que ce bon vieillard ne se reposoit jamais sur un autre du soin d’instruire son troupeau, et je l’en remerciois pour le plaisir que j’avois à l’entendre. Je ne céderai, me disoit-il, jamais à un autre l’honneur d’enseigner la vertu. La vérité, ajoutoit-il, n’est pas toujours bien
Ces raisons étoient trop convaincantes pour que je n’en fûsse pas frappé. J’y voyois une satire bien vraie de ces curés qui laissent à des prêtres pauvres la fatigue de prêcher et d’instruire, et se chargent uniquement du soin facile de se faire honneur des revenus du bénéfice.
Le moyen le plus sûr d’étendre l’empire de la religion, c’est de la montrer toujours douce et bienfaisante. Hélas ! combien de fois le tyran, le persécuteur n’ont-ils pas abusé de son nom pour s’élever au-dessus des loix et satisfaire leur vengeance ! Pour rendre les hommes heureux, il ne faut pas, comme le prétend l’auteur du