La Spectatrice. Ouvrage traduit de l'anglois: Livre neuvieme.

Permalink: https://gams.uni-graz.at/o:mws.6546

Nível 1

Livre Neuvieme.(*1)

Nível 2

Citação/Lema

Il n’y a rien de plus court & de plus incertain que le regne de la pompe & de l’orgueil des humains ; l’inconstante fortune n’est constante que dans ses variations & ses vicissitudes ; elle ôte aussi promptement qu’elle avoit donné ; elle vient, vous embrasse, vous rebute ensuite & se retire ; mais soit qu’elle reste auprès de lui, soit qu’elle s’en aille, l’homme sage montre à ce sujet peu de joye ou de tristesse.
On a reconnu de tout tems qu’il n’y a rien de plus incertain & de plus inconstant que les grandeurs humaines. Quoi donc de plus étrange, que de voir des personnes parfaitement convaincues que la sagesse & la vertu constituent seules la véritable grandeur, poursuivre cependant avec ardeur ces frivoles honneurs que la faveur confére, & qui peuvent leur être enlevés dans un instant par ce même soufle qui les en a revêtus !

Metatextualidade

Les vicissitudes remarquables que nous avons vû arriver dans ces derniers tems, & d’autres auxquelles nous nous attendons chaque jour, nous conduisent naturellement à faire cette réflexion ; d’ailleurs elles occupent tellement l’attention du public, qu’on nous excuseroit vraisemblablement si nous nous bornions à ce seul sujet ; cependant les désirs, ou plutôt le défi de Mr. Politico, la promesse que nous avons faite au public, dans notre dernier discours, & la reconnoissance que nous devons à la personne de qui nous avons reçu la lettre suivante, sont autant d’obligations dont nous ne pouvons nous dispenser sous quel prétexte que ce soit.

Nível 3

Carta/Carta ao editor

Madame la Spectatrice. « 

Narração geral

J’eus le bonheur d’être introduit dernièrement dans une assemblée très polie, composée principalement de Dames, dont quelques-unes étoient Hanoveriennes, mais parloient très bon Anglois, une surtout se distinguoit plus que les autres par les agrémens de sa conversation. Je ne sçais pas comment on vint à parler de politique, mais comme on vint à faire mention de la malheureuse antipathie qui semble regner entre les sujets de sa Majesté dans la Grande Bretagne, & ceux de ses Etats d’Allemagne, il s’éleva alors une dispute, dans laquelle la Dame dont je viens de parler, & une Dame de ce pays eurent une occasion favorable de développer dans tout son jour leur bon sens & leur éloquence naturelle, & elles parloient l’une & l’autre si bien, que le reste de la compagnie sensible au plaisir de les entendre, se garda bien de les interrompre en se déclarant pour l’une ou pour l’autre. Il y a certainement quelque chose de si pathétique & de si persuasif dans l’éloquence de votre sexe, quand vous entreprenez de plaider en faveur d’une cause où vous avez un intérêt réel, que tout ce qui sort de votre bouche en reçoit un double poids. Je dois avouer, que ma raison leur cédoit tour à tour ; j’étois convaincu, refuté, convaincu de nouveau, aussi souvent que l’une ou l’autre parloit : chaque argument employé par ces belles antagonistes, me paroissoit avoir plus de force que toutes les harangues de Ciceron, quand même je les anrois <sic> entendues prononcées par ce grand Orateur, avec toute ces graces inimitables que l’histoire lui attribue.
Je ne crois pas que ma mémoire m’ait été jamais plus utile que dans cette occasion, parce qu’elle a recueilli fidelement tout ce qui s’est dit durant cette dispute. J’eus soin de le mettre par écrit à mon arrivée chez moi, & je vous l’envoye à présent, persuadé que vous le recevrez avec plaisir. Je serai bien aise de le voir publié par votre canal, avec telles observations que vous jugerez à propos de faire sur les differens argumens. Si vous y trouvez quelques fautes, soit dans les faits, soit dans les termes dont on se sert, je vous conjure de les rectifier ; en cela vous ferez justice aux auteurs qui disputoient sans passion & sans préjugé, & à qui il ne peut être échappé aucune méprise, en sorte que vous devez uniquement les rejetter sur celui qui a transcrit cette conversation. » J’ai l’honneur d’être avec la plus grande consideration, Madame, Votre très humble & très obéissant Serviteur,
A. B. Rue de St. James ce 16. Nov. 1744. « P.S. Vous ne trouverez pas dans le manuscrit le commencement de la dispute, la raison en est, que plusieurs personnes de la compagnie avoient leur part dans ce qui a précedé ; & lorsque ces deux Dames se firent les premières questions & les premières reparties, je ne pensois pas que la dispute dût devenir particulière entr’elles ; ensorte que je fus moins attentif au commencement, & que je n’ai pû me rappeller aussi exactement que je l’aurois souhaité ce qui se dit alors. »

Nível 4

Dialogue :

Entre une Dame Angloise, & une Dame Hanoverienne, dans lequel on développe la vraie raison, pourquoi les deux peuples ont malheureusement si peu d’affection & destime <sic> l’un pour l’autre.

Diálogo

La Dame Hanoverienne. Tout ce que vous alleguez contre nous n’est qu’imaginaire, pendant que nous avons contre vous des sujets de plainte réels & indisputables. Ne nous avez-vous pas privés de la présence de notre cher souverain, & de toute son illustre famille ? Ne jouissez-vous pas à présent de tous ces avantages, auxquels nous avons un droit naturel ? Et non contens de cela, vous nous enviez encore le peu que nous en possedons. Que de plaintes, que de murmures n’entend-on pas parmi vous lorsqu’on parle d’un voyage de sa Majesté dans ses Etats d’Allemagne, même lorsque la nécessité de vos propres affaires demande sa présence sur le continent ? Et n’est-il pas clair que ceux d’entre nous qui l’accompagnent ici sont regardés de mauvais œil, comme des personnes intruses contre vos droits ? Ses domestiques même sont enviés par un peuple qui voudroit jouir de tous les avantages de son regne, & en priver ceux qui sont nés sous le même climat, & dont quelques-uns ont été nourris dès leur enfance auprès de sa Majesté. Y a-t’il rien de plus cruel, de plus injuste à notre égard, ou même de plus contraire au respect qui est dû à ce Prince, que de vouloir lui ôter le privilége de choisir ses propres domestiques ? La D.A. Je ne crois pas, Madame, qu’il y ait parmi nous des gens assez aveugles, pour n’appercevoir pas les avantages inestimables, que nous a procurés l’accession au trône de l’illustre famille qui l’occupe aujourd’hui ; & jamais les Anglois n’ont été regardés comme un peuple ingrat & dépourvû d’hospitalité ; beaucoup moins peut-on nous imputer à présent ces vices avec quelque ombre de raison, depuis que nous avons fait tous nos efforts pour montrer combien nous sommes sensibles à la bonté que le feu Roi & son successeur ont eue, de nous prendre sous leur protection. N’avons-nous pas annullé cette clause dans l’acte de succession, qui porte que sa Majesté ne fera pas le voyage de Hanover, sans le consentement de son parlement ? N’avons-nous pas augmenté la liste civile presqu’au double de ce qu’elle étoit sous les regnes précedens ? N’avons-nous pas renoncé à notre ancien privilége, de coudre le redressement de nos griefs aux actes pour accorder à sa Majesté des subsides ? N’avons-nous pas accordé sans reserve tous les subsides qu’on nous a demandés, & consenti à tous les (I2) vôtes de crédit, qu’on nous a proposez ? Ce ne sont pas là, j’en suis sûre, des actes de pur devoir, mais de la plus fervente affection, & de la plus grande confiance qu’aucun Monarque ait jamais trouvé dans ses sujets ; & quoique je reconnoisse volontiers que nous ne pouvons rien faire de trop, je trouve cependant que c’est manquer de générosité, que de diminuer le mérite de ces œuvres de surérogation & de leur donner une couleur intéressée. D’un autre côté, ce n’est nullement l’avantage de ce Royaume que sa Majesté fasse si souvent le voyage d’Hanover ; & quoiqu’en consentant à toutes les demandes de la couronne, notre liberté ne soit pas actuellement en danger, elle peut souffrir dans la suite de cette grande facilité. La D. Han. Avec quelle facilité ne donne-t-on pas à chaque chose un tour favorable ! Un étranger aux affaires d’Angleterre, pourroit s’imaginer sur ce que vous dites, que le Prince a des obligations immenses à son peuple : pendant que réellement tout ce que vous avez fait pour lui, sous un extérieur de zèle & de fidélité, n’étoit que pour votre propre intérêt, comme je ne doute point d’en convaincre tous ceux qui m’écoutent. Premièrement vous avez éprouvé l’utilité du séjour de sa Majesté à Hanover, parce que plusieurs négociations y ont été passées avec succès, ce qui ne seroit pas arrivé sans la présence du Roi, & comme vous étiez engagés dans des embarras par des traités précedens, dont vous ne saviez pas quand vous auriez besoin de son assistance pour vous en demêler, vous avez jugé sagement qu’il falloit annuller une clause, qui auroit pû le retenir ici, jusqu’à ce qu’il eût été trop tard, soit pour former des alliances en faveur de la Grande Bretagne, soit pour prévenir celles que les puissances du continent auroient pû former contre ses intérêts. Je pense que vous donnez le second rang à l’accroissement de la liste civile dans votre supputation des obligations nationales ; mais, Madame, pouvez-vous nier qu’en ceci l’Angleterre n’ait pas regardé sa propre grandeur ? La magnificence du souverain ne montre-t-elle pas l’opulence du royaume, & outre le plaisir de satisfaire votre ostentation, n’éleve-t’elle pas votre reputation au déhors, n’augmente-t’elle pas votre crédit & n’engage-t’elle pas les étrangers à jetter leur argent dans vos fonds ? Cependant en dépit de tous les avantages qui en resultent en votre faveur, quoiqu’il soit tout-à-fait nécessaire de soutenir d’une manière conforme à leur dignité, les différentes branches de la famille royale, je suis fâchée de dire que cette augmentation a essuyée de fortes oppositions, & qu’elle n’a passé qu’en excitant des murmures, que quelques-uns d’entre vous ne devroient pas se rappeller sans rougir. A l’égard de cette vieille coutume de coudre le redressement des griefs aux actes où vous accordez des subsides, elle devoit nécessairement finir quand il ne restoit plus de sujets de plainte ; ce qui est évident, puisque les mêmes personnes qui ont excité tant de clameurs, ont dès lors non seulement abandonné cet article, mais sont encore convenues qu’elles avoient honte de l’avoir soutenu. Mais par-dessus tout, je suis surprise qu’une Dame de si bon sens, & qui est impartiale à d’autres égards, fasse mention des subsides accordés à sa Majesté, comme d’une faveur particulière qu’on lui ait faite. Comment équiper vos flottes, maintenir vos armées, payer les étrangers pour leur assistance ou du moins pour leur neutralité ? Comment conserver des intelligences, entretenir des espions dans toutes les cours étrangéres, & fournir à plusieurs autres articles de la même nature ? Fait-on tout ceci avec de l’air ? De simples paroles protégeront-elles votre commerce, vous defendront-elles contre la tyrannie & contre le papisme ? L’obligation à ce sujet réside donc entièrement dans le peuple, puisque le Prince met en usage toute sa sagesse pour faire servir au bien de ses sujets l’argent qu’ils lui donnent. Si vous m’accordez ceci, comme toute personne sensée doit le faire, les votes de crédit ne sont qu’un appendice aux subsides accordés par le parlement, ensorte que sa Majesté puisse lever toutes les sommes dont elle a besoin, lorsque les membres des deux chambres sont retirés à la campagne, & qu’on ne pourroit pas les rassembler aussi promptement que l’exigence des affaires le requerroit. Ainsi, Madame, je me flatte d’avoir montré en peu de mots, que toutes ces preuves si vantées d’amour & de fidélité envers votre Roi, sont autant d’obligations qui vous regardent vous mêmes ; & que si vous n’êtes pas toujours disposés à les donner, vous devez être un peuple autant méprisé que méprisable. La Dame Angl. Il seroit aisé à une personne même qui vous seroit très inférieure en esprit & en éloquence, de soutenir une opinion qui est trop delicate pour être traitée avec cette liberté & cette franchise que la vérité demande ; mais j’ai cette consolation, qu’on peut trouver les repliques qu’il ne me convient pas de faire, dans les harangues de nos plus dignes représentatifs en parlement, aussi bien que de ceux qui ont maintenant apostasié la cause de la liberté. Mais, Madame, à mon avis, vous vous êtes écartée de la question, & au-lieu de prouver que l’Angleterre n’avoit aucune plainte à faire contre Hanover, comme vous sembliez l’entreprendre, vous confondez les obligations que nous avons à sa Majesté, avec celle que nous devons avoir, suivant vous, d’aimer son pays. Ce n’est pas là une bonne manière de raisonner ; mais je vous suivrai dans vos raisonnemens autant que je pourrai, & peut-être vous vaincrai-je avec les mêmes armes dont vous avez fait choix. Supposons que nous n’ayons fait que notre devoir, & que nous sommes à présent indispensablement obligés de maintenir ces puissans armemens qui coûtent tant à la nation : supposons encore que les subsides & les vôtes de crédit sont une conséquence inévitable de cette nécessité. Je vous prie de me repondre à une seule question, sçavoir, si nous avons été enveloppés dans cette nécessité par des circonstances qui nous regardent uniquement, ou si cette infortune ne doit pas être attribuée à une cause étrangere, où nous n’avons réellement aucun intérêt ? La Dame Hanover. Si je ne connoissois pas les motifs qui vous engagent à me faire cette question, je serois infiniment surprise de ce que vous ignorez une chose qui est sçûe de tout le monde ; assurément vous ne pouvez nier que la Grande Bretagne ne fût obligée de s’engager dans une guerre sur le continent pour sa propre cause, quoiqu’elle y parût seulement comme auxiliaire de la Reine de Hongrie. La Dame Angl. Quelle que puisse être mon opinion, Madame, le peuple en général pense différemment ; quoique leur générosité naturelle les ait fait entrer sans repugnance dans les mesures qu’on a prises pour le secours de cette princesse opprimée, jusqu’à ce qu’ils ayent senti les inconvéniens d’une guerre portée si loin de leur patrie. Mais je serois bien aise de sçavoir quel autre intérêt la Grande Bretagne pouvoit avoir en vûe dans cette guerre, outre la protection des sujets de sa Majesté à Hanover. La Dame Hanov. Vous vous expliquez à présent, Madame, & vous montrez sans deguisement cette haine inveterée, dont nous avons sujet de nous plaindre ; cependant il n’est pas difficile de faire voir, que vous n’avez point perdu de vue votre propre intérêt dans tout ce que vous avez fait pour l’Allemagne. Considerez donc le pouvoir exorbitant de la maison de Bourbon ; elle possede toute la France, qui comprend plusieurs autres Etats, qu’on lui a réunis dans ces derniers siécles ; l’Espagne, avec ses immenses dépendances, est sous une branche de la même famille, comme aussi les Deux Siciles. ils sont en partie maitres de l’Empire, puisqu’ils en ont le Chef à leur devotion ; & si sa Majesté Brit. ne s’y étoit pas opposée, avec quelle facilité n’auroient-ils pas conquis les Etats du Roi de Sardaigne, & ensuite depouillé la Reine d’Hongrie de tout ce qu’elle possede en Italie ? Les Etats Héréditaires de la maison d’Autriche en Allemagne seroient ensuite devenus leur proye ; après cette conquête, ils se seroient emparés du Portugal & de la Flandres, & ayant englouti ces provinces, ils se seroient jettés sur la Hollande, d’où ils n’auroient eu qu’un trajet très court pour passer en Angleterre. Quel parti auroit pû prendre la Grande Bretagne, si non d’arrêter les progrès de ce mal, qui ayant parcouru toute l’Europe, se seroit enfin étendu jusqu’à elle ? La Dame Angl. Voilà une carrière en vérité fort extraordinaire, qui ne trouve point sa pareille dans toutes les conquêtes fabuleuses de l’antiquité. Celles d’Amadis de Gaule, de Don Belianis de Gréce, ou des sept Champions, sont des jeux en comparaison. Comment ! les François & les Espagnols sont donc des tygres parfaits en force, & en agilité ? Mais, à mon avis, les Autrichiens, les Piémontois, les Portugais, les Flamands, & les Hollandois, vous ont peu d’obligation de ce que vous les représentez comme un troupeau de moutons qui se laisseroit devorer sans la protection d’un Dogue d’Angleterre. Mais pour parler serieusement, s’il y avoit la moindre raison de croire que le projet dont vous parlez fût pratiquable, ou même eût été formé, pourquoi la Grande Bretagne prendroit-elle la première l’alarme, puisque de votre propre aveu, elle succomberoit la dernière ? On ne peut nier que la Reine d’Espagne n’ait fort à cœur l’aggrandissement de ses fils ; & on peut supposer avec assez de vraisemblance, que la France seroit prête à l’assister dans ce projet ; c’est pourquoi le Roi de Sardaigne peut avoir quelque chose à craindre à cause de sa situation, en cas qu’on puisse former un établissement à l’Infant Don Philippe, parce que ses Etats seroient enfermés entre la France & ceux de ce Prince ; mais vous voyez que le Roi de Portugal ne sent aucune frayeur, & quoiqu’il possede des richesses capables de tenter l’avarice d’un Conquerant, il jouit en paix & avec securité de ses immenses trésors, & regarde d’un œil de pitié les ravages que la jalousie & l’ambition ont occasionnés dans les autres pays. Les Hollandois de même ont vû une armée Françoise dans leur voisinage, ils ont regardé la prise de Menin, d’Ypres, & de Furnes sans montrer qu’ils y prissent beaucoup d’intérêt. Les douceurs d’un commerce non interrompu font plus d’impression sur eux, que tous les contes à dormir d’une monarchie universelle ; ils ne pouvoient se resoudre à échanger les profits réels qu’ils faisoient chaque jour, contre la stérile gloire de contribuer à la conservation de l’équilibre entre les maisons d’Autriche & de Bourbon. Il est vrai qu’en exécution de leurs traités, ils ont enfin donné quelque secours à la Reine d’Hongrie ; mais ils ont montré par leurs longs délays, & par les differens prétextes qu’ils ont allegués, qu’ils y étoient entrainés malgré eux, & qu’ils n’avoient point envie de rompre avec la France. Et cependant, Madame, la politique de la Grande Bretagne a toûjours été de ne s’engager jamais dans une guerre sur le continent que conjointement avec les Hollandois, & après en avoir été premierement sollicitée. Ainsi, quelle étrange alteration dans notre conduite, depuis que les intérêts d’Hanover sont devenus ceux de l’Angleterre ? Et nous est-il possible de conserver quelque affection pour un pays, dont l’alliance nous a tant coûté, & qui est cause que nous nous voyons blessés dans les endroits les plus sensibles, savoir notre liberté & notre gloire ? La Dame Hanov. Doucement, Madame ; quand même tout ce que vous diriez seroit fondé, ce que je ne puis reconnoitre, comment votre liberté ou votre gloire souffre-t’elle de quelques égards que votre Ministere peut nous avoir témoignés ? La Dame Angl. Je suis fâchée, Madame, de me voir obligée par cette question, à vous faire une réponse qui vous paroîtra peut-être un peu aigre ; mais toute l’amitié & toute la complaisance que nous voudrions témoigner à une personne en particulier, ne doit jamais nous empêcher de rendre justice à notre pays. Je dois donc vous dire, Madame, que la liberté est une pure chimère dans un pays, où personne ne peut être en faveur qu’en adoptant des maximes étrangéres, manifestement contraires à celles qu’il devroit professer. Et en vérité, la gloire aussi bien que la reputation d’un royaume doit tomber dans un état pitoyable, quand il est reduit en province d’un chétif Etat, tel qu’Hanover étoit, & seroit encore, si l’Angleterre étoit toujours la même. La Dame Hanov. Tout ceci est fort aisé à dire, & je sçais fort bien que c’est le cri public ; mais je vous demande de prouver votre assertion, & de montre quel avantage réel l’Electorat de Hanover a retiré de l’accession de son souverain au thrône de la Grande Bret. La Dame Angl. Il seroit aisé d’en donner plusieurs exemples ; mais comme ce n’est pas ce qu’Hanover a gagné, mais ce que ces Royaumes ont perdu, qui justifie nos plaintes, je me bornerai à ce dernier article. Le monde considére avec étonnement le systême ruineux que nous avons suivi depuis quelques années ; des démarches humiliantes auprès de presque toutes les puissances de l’Europe, des alliances sans nombre, des traités terminés & rompus aussi souvent que l’intérêt d’Hanover le demandoit, sont le moins que nous ayons fait pour cet Electorat, puisqu’il avoit tellement occupé notre attention, que nous étions insensibles à ce qui nous regardoit nous mêmes. Quelle négligence n’avons-nous pas témoignée pour tout ce qui nous étoit autrefois si cher ? Le commerce, qui est l’ame & l’entretien de ces Isles, étoit sorti de notre souvenir ; l’honneur du pavillon Anglois & la souveraineté des mers étoient devenus des mots vuides de sens, qui ne méritoient plus notre attention ; & les plus cruelles insultes, que l’orgueil de l’Espagne pût nous faire, étoient supportées avec la plus honteuse patience. Notre commerce aux Indes Occidentales presque ruiné, nos colonies dans le plus grand danger, & menacées chaque jour par un ennemi à qui elles ne pouvoient résister, crioient hautement au secours & à la vengeance ; cependant n’avons-nous pas été pendant longtems sourds & insensibles à tous ces cris, incapables d’être reveillés de notre létargie ? Et quand les clameurs continuelles d’un peuple presque ruiné nous ont enfin obligés à declarer la guerre, la manière dont on l’a poussée montroit que ce n’étoit qu’une Comédie. Il est vrai qu’on équipa une belle flotte, qui fit une figure brillante à Spithead & dont une partie défia les Espagnols aussi loin que le Nore, pendant que les Galions & les Assogues, (honteux souvenir !) arriverent en sûreté chargés de trésors, au lieu de leur destination. Un brave & digne Amiral obtint encore avec beaucoup de peine la permission d’entreprendre une expédition autant glorieuse pour lui-même qu’utile à son pays, & qui n’auroit pas manqué de réussir, s’il y avoit eu ici autant d’intégrité qu’il montroit de zèle & de courage au déhors ; mais comment ses glorieux projets tournerent-ils à la confusion de la nation ? c’est ce qui n’est ignoré de personne. Enfin le Ministre qui étoit alors à la tête des affaires, avoit d’autres projets en tête que d’humilier l’orgueil de l’Espagne, il appelloit cette guerre, la guerre des marchands, aussi il en laissa le soin aux marchands ; & ce nom ne lui convenoit pas mal, puisque les vaisseaux que nos négocians équiperent firent plus de tort à l’ennemi que toute la flotte royale. Mais bientôt la raison de cette inactivité apparente vint au jour, je dis apparente, car le Ministre n’étoit nullement indolent pour ce qui regardoit son intérêt, son avancement, ou sa securité ; & s’il avoit pu trouver son propre avantage dans celui de la nation, il n’auroit eu vraisemblablement aucun autre objet en vue ; mais sa dépendance l’entrainant d’un autre côté, il fut obligé de poursuivre des mesures, qui étoient peut-être contraires à ses désirs, quoiqu’elles s’accordassent avec son ambition. Mais pour revenir à mon sujet, le mystére étoit celui-ci : On conçut de la jalousie contre le nouvel Empereur, & encore plus contre la Prusse au sujet d’Hanover ; & il falut trouver quelque moyen de mettre en sureté ce précieux morceau de terre, quelque chose qui pût arriver à l’Angleterre. Une armée Françoise dans le cœur de l’Allemagne, & les tristes plaintes de la Reine de Hongrie, donnerent un prétexte pour faire revire le vieux projet de maintenir la balance du pouvoir : c’est ce que tous les Etats plus foibles, qui ont été opprimés successivement par les maisons d’Autriche & de Bourbon, doivent désirer, mais qui est impraticable à une seule puissance. La Grande Bretagne toute seule n’auroit pu espérer d’en venir à bout dans le tems de sa plus grande opulence, beaucoup moins aucune personne sensée auroit-elle dû se mettre en tête un projet aussi visionnaire dans la circonstance présente. C’est pourquoi, pour déguiser autant qu’il étoit possible la folie visible d’une telle entreprise, on nous dit que les Hollandois vouloient agir conjointement avec nous, que la Russie porteroit une grande partie des dépenses, que la Pologne nous fourniroit tous les secours qui seroient en son pouvoir, & que la Sardaigne entreroit cordialement dans la cause commune. Et toutes ces espérances, excepté la dernière, se sont evanouies ; encore celle-ci auroit-elle peut-être eu le même sort, si les sommes que nous avons avancées à la Reine de Hongrie, & dont une bonne partie ont pris ce chemin, n’avoient pas ervi <sic> à fixer la resolution de ce Prince au parti qu’il devoit prendre. Après qu’on eut ainsi cajolé le peuple, & qu’on l’eut persuadé que ce qu’on faisoit tendoit à l’honneur de la nation, il entra d’abord avec ardeur dans ce projet, concerté par un Ministre, & mis en exécution par le suivant, avec une assurance qui n’a point de semblable dans aucun âge. La balance du pouvoir, les succès de la Maria Theresia von Österreich#H::Reine de Hongrie], & l’abbaissement de la France devinrent des santés générales dès la table du Pair à celle du Savetier dans son cabaret à bierre : quoique si nous nous fussions souvenus du procedé du dernier Empereur dans une certaine occasion, & même au sujet de Hanover, nous aurions trouvé une bien petite obligation d’être si ardens pour les intérêts de sa fille : outre que dans ce tems-là nous n’avions point de raison de rompre avec la France. Cependant nous étions si entêtés, & si chauds pour les intérêts de l’Allemagne, que nous semblions avoir entièrement oublié nos intérêts dans les Indes Occidentales, & les captures que les Espagnoles faisoient chaque jour de nos vaisseaux marchands. Quoique les banqueroutes fréquentes chez nous, & la chûte de notre crédit au déhors, fussent à chaque instant présentes devant nos yeux ; nous nous conduisions exactement, ainsi que s’exprimoit un écrivain public, comme un homme dont la maison seroit en feu, & qui courroit loin de chez lui pour en secourir une autre, laissant ainsi tout ce qui lui appartiendroit, devenir la proye des flammes. Maintenant tout l’affaire consistoit à lever des hommes & de l’argent ; nos rues & nos places publiques retentissoient du son des tambours, & nos Sénateurs mettoient leur esprit à la torture pour trouver les sommes qu’on leur demandoit ; tâche bien difficile, à la vérité, puisque toutes les productions, tous les biens de la terre & de l’air, étoient déjà sujets à des impôts, qui paroissoient à peine susceptibles d’augmentation. Cependant en dépit de tous ces obstacles, on trouva de nouveaux moyens de fournir aux fraix de la guerre ; embarquemens sur embarquemens sortirent de nos Ports, & l’on loua de tous côtés des mercenaires pour nous assister dans cette expédition. Mais ce qui, plus que toute autre chose, peut faire revoquer en doute notre pénétration, c’est qu’étant entrés dans cette guerre seulement comme auxiliaires, nous ayons souffert qu’on prît à notre solde les troupes Hanoveriennes, & que nous ayons payé les sujets de cet Electorat pour se joindre avec nous dans la defense de leur propre pays. C’est ce qu’on aura peine à croire dans les siécles à venir, surtout quand on y joindra le récit de la conduite honteuse de ces mercenaires (*3), & de l’audace & de l’ingratitude avec laquelle ils ont traité ceux à qui ils doivent tout. Voilà, Madame, quelques-unes des raisons qui ne permettent pas au peuple d’Angleterre, d’avoir pour les sujets de Hanover toute l’amitié qui seroit à désirer, & qui nous empêchent d’estimer autant que nous le ferions sans ces raisons, le bonheur d’être gouvernés par un Prince de ce pays. La Dame Han. Et toutes ces raisons, Madame, quelque pompeuses qu’elles paroissent au premier coup d’œil, ne passeront après un examen approfondi, que pour des ombres formées par cet esprit de jalousie & de mécontentement naturel aux Anglois : Un de vos Poëtes compare le commun peuple de toutes les nations, à

Citação/Lema

une masse d’argyle à peine animée, qui n’aime jamais ses superieurs, ni leur Prince, ni Dieu même.
Mais les Anglois plus que tous les autres, s’imaginent qu’on doit leur communiquer tous les mystéres d’Etat ; & si on leur en cache la moindre partie, parce qu’il y auroit de l’imprudence à la rendre publique, ils se forment d’abord mille chimeres, qu’ils sont toujours prêts à prendre pour la vérité. D’ailleurs, vous avez une autre bizarre coutume, assez artificieuse, il faut en convenir, qui est d’éviter l’indécence d’accuser votre Prince d’aucune faute au sujet du Gouvernement, & de rejetter tout le blâme sur le Ministre : le Ministre vend les libertés de sa patrie ; le Ministre se conduit par des vues étrangéres ; le Ministre fait tout ce que vous regardez, ou que vous voudriez représenter comme un grief de la nation : quoique dans le même tems vous sachiez fort bien, que les Ministres ne peuvent rien faire sans le consentement du Roi, & qu’il leur arrive rarement de lui donner un conseil qui puisse lui déplaire, parce que leur continuation dans le Ministère dépend entiérement de sa volonté royale. Cette maniere de parler est connue à toute l’Europe ; ainsi toutes les invectives publiées contre le Ministère témoignent vôtre mécontentement du Roi, comme tous vos murmures contre Hanover, sont autant de réflexions sur cette partialité, que vous lui attribuez à l’égard d’un pays qui lui a donné naissance & à tous ses illustres ancêtres. Mais supposons qu’il ait pour nous une tendresse nullement agréable à la fierté des Anglois, qui voudroient attirer à eux toute considération ; n’êtes-vous pas tout-à-fait déraisonnables de blâmer un sentiment dont vous mêmes vous faites honneur ? Doit-il renoncer à toute affection, à tout amour paternel pour un peuple, dans le tems qu’il étoit né pour le gouverner, afin de complaire à ceux qui l’ont appellé pour dominer sur eux, & pour qu’il les mît à couvert des plus grands maux dans lesquels ils pussent tomber ? Il est votre Roi, j’en conviens, & vous êtes heureux qu’il le soit ; mais il est encore nôtre Electeur & nôtre Souverain, & il ne peut, ni ne doit oublier les droits que nous avons à son affection. La D. Ang. Je croyois, Madame, dès le commencement de votre discours, que vous alliez essayer de refuter les raisons dont je me suis servie pour prouver que la Grande-Bretagne a beaucoup souffert de son étroite alliance avec Hanover ; mais je vois que vous êtes trop prudente pour vous engager dans cette dispute ; & vous vous jettez sur une maniere de parler, qui est tout au moins loyale & respectueuse, & qui montre combien nous avons de repugnance à rien proférer qui puisse ternir l’éclat du trône. Mais, Madame, on trouveroit aisément plusieurs exemples de Ministres, qui ont abusé de la confiance de leur Maître, vendu son honneur, en même tems qu’ils ont sacrifié les interêts du peuple, deux choses qui sont essentiellement les mêmes si on les considere dûement. Mais comme une telle discussion est tout à-fait étrangére à nôtre conteste, je vous en laisserai tirer telle conclusion qu’il vous plaira, & je ne m’arrêterai qu’à examiner ce droit, que vous prétendez avoir, à un attachement particulier de Sa Majesté.

Nível 5

Supposez, Madame, qu’une Dame d’une Maison ancienne & illustre, belle dans sa personne, irréprochable dans son honneur, & héritiére d’un bien immense, vienne à se jetter entre les bras d’un homme dont la fortune est médiocre, & qui n’est digne d’une semblable Epouse que par la continuation de ses vertus. Après la cérémonie du Mariage, & lorsque l’Epoux est en pleine & tranquille possession de tout ce qu’un esprit raisonnable peut désirer, que diroit le monde de lui, si malgré toutes les obligations qu’il a à son Epouse, il continuoit à avoir de l’attachement pour une petite Maîtresse dont il avoit jouï avant son mariage ? Et que doit sentir son Epouse s’il devient brusque & grossier à son égard ; s’il ne répond à ses caresses qu’avec un air fâché & bourru ; si elle voit ses plus riches joyaux employés à orner sa rivale tannée ; si elle s’apperçoit que ses coffres se vuident, que ses fonds sont engagés ; & si elle se trouve enfin réduite à une étroite nécessité après avoir vécu dans l’abondance ? Assûrement, lorsqu’elle se trouve dans cet état, le devoir & l’affection peuvent bien l’empêcher de proférer aucune plainte contre son Epoux ; mais on ne doit pas s’attendre qu’elle témoigne jamais de l’amitié ou de l’estime à une femme qui triomphe de ses plus chéres esperances, & qui s’enrichit de ses dépouilles.
Je suis bien éloignée de vouloir insinuer que la Grande-Bretagne est cette femme offensée, ou de faire une application si injurieuse à la sagesse, à la justice & à la bonté reconnues de nôtre Monarque ; mais tandis que nous reconnoissons notre bonheur d’avoir un Roi qui est au-dessus de toute prévention & toute partialité, nous ne pouvons nous empêcher de marquer notre mécontentement, de ce qu’un petit Etat prétend posséder la premiére place dans le cœur & l’affection de ce Prince. La D. Han. Pure jalousie & vaines appréhensions ! Mais il est fort inutile de disputer avec vôtre nation à cet égard ; on connoit les Anglois pour n’être pas moins décisifs qu’orgueilleux ; il n’y a que le tems & l’expérience qui puissent les convaincre qu’ils ont été dans le tort ; autrement il vous seroit aisé de voir, que si vous êtes exposés à quelques inconvéniens pour l’amour de Hanover, nous n’en souffrons pas moins au sujet de la Grande-Bretagne. La D. Ang. Voilà une position qui paroit assûrement bien étrangé ! Je serois bien aise d’en voir la preuve. La D. Han. Rien de plus aisé, Madame, que de vous faire ce plaisir : ainsi comme nous sommes sujets du même Prince, lorsque l’Angleterre sera engagée dans quelque brouillerie sur le Continent, la Puissance qu’elle aura desobligée ne manquera pas de se jetter par vengeance sur Hanover, qui est non-seulement plus exposé que vôtre Isle, mais encore moins capable de se défendre ; ensorte que nôtre pays peut devenir le théatre de la guerre, & être peut-être ravagé, avant qu’il puisse nous arriver aucuns secours de la Grande-Bretagne, qui dans ce cas, je crois que vous en conviendrez, ne peut se dispenser de nous accorder sa protection. La D. Ang. Sans doute, Madame ; je conviens aussi que les appréhensions dont vous parlez sont tout-à-fait justes ; mais aussi c’est pour nous un malheur dont vous êtes la cause innocente, puisque si nous voulons vous préserver des dangers auxquels vous pouvez être exposés à notre sujet, nous serons obligés de nous conduire à l’égard des Puissances du Continent avec plus de complaisance, que notre intérêt ou notre gloire ne semblent le permettre. La D. Han. Mais comme il est absolument nécessaire que vous vous conduisiez de cette maniére, vous ne devriez pas nous hair, & nous reprocher toutes les légéres complaisances que vous avez pour nous. La D. Ang. Et nous ne le faisons pas, Madame. Cependant nous pouvons souhaiter que nous n’en eussions aucun sujet. La D. Han. On doit donc nous accorder la même liberté avec plus de raison, puisque vous ne pouvez jamais souffrir, en consentant à quelques bagatelles qui vous seront demandées, par un Prince d’Allemagne, ou par quelque autre Potentat qui aura alors une armée dans le cœur de l’Empire, autant que nous souffririons de leur ressentiment, si vous veniez jamais à les irriter vivement. La D. Ang. Cependant, comme un brave peuple n’a rien de si cher que sa gloire, c’est pour lui un Dilemme bien rude, quand il faut qu’il la sacrifie, ou sa générosité. La D. Han. Hélas ! Madame, vous le croyez ainsi, parce que vous faites avec repugnance & mauvaise volonté tout ce que vous êtes obligés de faire pour nous ; enfin vous êtes envieux, jaloux contre nous, & vous cherchez avec industrie des sujets de plainte, au-lieu que vous devriez faire tous vos efforts pour bannir ces vûes basses & intéressées qui conservent l’animosité entre nous ; & pour mettre fin à toutes ces injures, à toutes ces réflexions offensantes dont vous nous chargez, vous devriez du moins vous conduire à notre égard, comme si vous aviez pour nous une affection fraternelle. Je pense qu’il vous conviendroit d’en agir ainsi pour l’amour de vous-mêmes. La D. Ang. Madame, Quelques vices qu’on attribue à notre nation, je ne crois pas qu’on puisse la taxer de dissimulation ; & il seroit étrange que nous dussions commencer à la pratiquer en faveur d’un peuple, de qui nous ne pouvons pas nous flatter de recevoir jamais le moindre service. Vous devriez donc montrer évidemment, ce qui seroit, à ce que je pense, une tâche fort difficile, qu’il nous conviendroit pour l’amour de nous-mêmes, de feindre une affection fraternelle en faveur de Hanover. La D. Han. En premier lieu, parce que ce seroit une marque d’amour & de respect pour votre Roi ; & en second lieu, parce qu’il y aura toujours une absolue nécessité que les intérêts de Hanover & de la Grande-Bretagne soient inséparables, tandis que vous jouïrez du bonheur inestimable d’être gouvernés par le même Prince, ou par quelqu’un de ses descendans. Ainsi je m’en remets à vous-mêmes, s’il ne seroit pas plus prudent de vous soumettre de bon cœur à ce qui peut vous paroître un inconvénient (quoique je sois bien éloignée de le reconnoître pour tel) que de perdre par des murmures continuels, des vaines clameurs, & des oppositions ridicules, tout le mérite de ce que vous faites en faveur de Sa Majesté & de ceux qui lui appartiennent, s’il est vrai qu’ils vous en ayent obligation, & d’annoncer en même tems à tous peuples voisins, l’inquiétude & le Quichotisme naturels à vôtre nation. La D. Ang. J’ai fait, Madame ; votre dernier argument ne souffre point de reponse ; on doit céder à ce qui est inévitable ; mais, quoiqu’il en soit, nous pouvons dire de nous-mêmes après le Poëte :

Citação/Lema

Que le plaisir ne nous parvient jamais bien pur ; que c’est un prêt que le Ciel nous fait à usure ; & tandis que Jupiter nous presente la coupe de joye, quelque Dieu notre ennemi attend à peine que nous la portions à la bouche, pour y verser du fiel.
C’est ainsi que se termina la dispute ; je me flatte qu’elle donnera à peu près la même satisfaction à vos lecteurs, qu’elle fit de plaisir à ceux qui l’entendirent.

Metatextualidade

Après avoir remercié Mr. A. B. pour la faveur qu’il nous a faite en nous communiquant ce manuscrit, notre petite assemblée me charge de l’assurer, que si le public pense comme nous, il sera approuvé dans toutes les compagnies où la Spectatrice est admise. Rien ne nous plaît davantage que de voir des argumens, sur un sujet aussi délicat que celui-ci, proposés avec autant de douceur & de modération : la maniére dont ces Dames ont traité leur dispute, devroit faire rougir de honte, ceux qui ne peuvent point ouïr de contradiction sans repondre avec chaleur & amertume. En commençant cette lecture, j’étois en peine pour ma compatriote, & je tremblois que les évasions artificieuses de son Antagonsite, son affectation de passer d’un article à l’autre,, <sic> de mêler des sujets sur lesquels on peut discourir librement, avec d’autres plus délicats, & plusieurs autres subterfuges semblables, ne lui fissent perdre ce calme & cette patience si utiles dans la dispute ; mais je fus convaincue ensuite à ma grande satisfaction, qu’elle savoit séparer les sujets que son ennemie tâchoit de confondre, & garder le silence lorsque la prudence le demandoit, aussi bien que traiter avec une agréable ironie les sujets qui ne méritoient pas une replique sérieuse. Je trouve peu de bonne foi, & quelque chose de trop artificieux dans la méthode que la Dame Hanoverienne suit dans cette conteste ; elle condamne les Anglois de ce qu’ils rejettent sur le Ministère toutes les fautes du Gouvernement, & elle tâche de prouver, ce qu’aucun de nous n’ôse, ou même ne souhaite de faire ; savoir, que les Ministres ne sont qu’autant d’instrumens dans la main du Roi. Je ne puis m’empêcher de regarder ceci (& je suis persuadée que chacun en fera de même) comme un artifice odieux pour imposer silence à nos plaintes, ou afin que nous ne puissions les continuer sans manquer à la considération & au respect qui sont dûs à Sa Majesté. Mais ceci est un vieux prétexte, qui a été mis si souvent en usage par nos Anglois-Hanoveriens, qu’il montre tout-à-fait la corde ; cette opinion n’ôse plus se produire parmi nous ; & tandis qu’il y aura dans nos cœurs la moindre éteincelle <sic> de liberté, elle se montrera au moins dans les expressions de notre mécontentement, au sujet des mesures qui tendent à notre oppression. C’est une vieille maxime, mais bien vraie, que l’Angleterre ne peut être détruite que par elle-même ; notre constitution, semblable à un mûr d’airain trop épais & trop fort pour être brisé, trop haut pour être surpassé par le pouvoir de la couronne, préserve le peuple de toute usrpation <sic> de ce côté-là : cependant ce mur peut être miné par ceux qui doivent le réparer & le garder ; il nous importe donc de veiller sur ceux à qui ce précieux dépôt est confié, de peur que l’intérêt particulier ne bouleverse l’intérêt public, & que ce glorieux édifice, l’envie & l’admiration des autres nations, & qui a fait si long-tems notre défense & notre bonheur, ne soit renversé, & que notre liberté si vantée ne périsse sous ses ruines. Mais je ne veux pas m’arrêter sur un sujet si désagréable, ni allarmer mes lecteurs par des appréhensions qui devroient à présent s’évanouïr avec le pouvoir & l’influence de ceux dont la conduite les avoit excitées, quelque fondement qu’elles ayent eu alors. Que des couronnes de Pairs ornent leurs fronts, qu’ils se plongent dans les plaisirs aux dépens de plusieurs millions de sujets qui souffrent, & qu’ils rient en sûreté à la vûe des maux qu’ils ont occasionnés ; leur tems n’est plus, leur pouvoir est renversé : découverts, quoiqu’impunis, les traîtres ne peuvent plus nous tromper, & nous sommes autant à l’abri de tout danger à l’égard de nos droits nationnaux, que de ceux dont nous étions menacés derniérement par nos ennemis du déhors. La Dame Hanoverienne est si plaisante & si singuliere dans sa description des rapides progrès des Armées Françoise & Espagnole, en Italie, en Allemagne, en Portugal, en Flandres & en Hollande, afin de parvenir ensuite à nos Isles, que je crus en lisant cet article que nous n’aurions jamais fini de rire, & surtout Euphrosine. Il n’y auroit assurement rien à ajouter à une expédition si romanesque, si la spirituelle personne à qui on en doit l’invention, les avoit fait passer à Rome, & amener avec eux le Pape & le Prétendant. Bon Dieu ! quel terrible monstre que cette Maison de Bourbon ! Si les idées effrayantes qu’on nous en donne parviennent jamais aux extrêmités de la Grande-Bretagne & de l’Irlande, elles pourront jetter quelques bonnes femmes dans des accès de frayeur, & occasionner plusieurs fausses couches, diminuant ainsi le nombre de nos soldats à venir ; ce qui nous seroit d’un grand préjudice en cas que la guerre continue, ou que nous y soyons toujours engagés, jusqu’à ce que la Reine d’Hongrie, le Roi de France ou la Reine d’Espagne, jugent-à-propos de s’écarter des desseins qu’ils semblent former à présent. Si quelqu’un pense que je traite ce sujet trop en badinant, il doit en rejetter la faute sur la Dame Hanoverienne, qui m’a fait réellement perdre de vue tout raisonnement sérieux. Mais je rentrerai dans le sérieux aussi-tôt que je pourrai ; car en continuant à écrire dans cette humeur, je me rappelle ce que dit notre vieux Poëte burlesque.

Citação/Lema

Quel besoin avons-nous de nous consoler avec la bouteille, quand nos malheurs même peuvent nous réjouïr ?
Ce n’est point, à la vérité, le tems de rire, & j’en demande pardon à mes compatriotes ; au-lieu d’écarter de notre esprit le souvenir de nos calamités, nous devrions faire nos plus grands efforts pour les alléger ; & nous n’en viendrons jamais à bout sans l’œconomie & la frugalité la plus étroite dans nos ajustemens à l’égard des choses nécessaires à la vie, comme à l’égard de nos plaisirs ; autrement, comment payerons-nous ces taxes qu’on nous demande pour soutenir la guerre ? Enfin nous devrions nous réunir pour prier le tout puissant, qu’il nous accorde au plutôt une paix ferme & honorable, qu’il fasse voir aux grands de ce monde la folie de leur ambition, & qu’il mette fin aux maux qui désolent notre Europe. Mais quoique nous devions souhaiter pour le bien général de cette partie du monde, comme pour notre propre avantage, que toutes les brouilleries s’ajustent à l’amiable sur le Continent ; cependant, si la guerre se terminoit sans que nous eussions reçu de l’Espagne aucune satisfaction, pour les insultes qu’elle nous a faites, & pour les dommages qu’elle nous a causés, je ne crois pas qu’aucun vrai Breton voye avec chagrin toute la force de nos armes tournée contre cette hautaine Puissance, afin de faire reverdir nos lauriers trop long-tems flétris, de préserver notre commerce, & de défendre nos Colonies. C’est là notre véritable guerre, qui peut se justifier suivant toutes les loix divines & humaines ; ici nos conquêtes tournent à notre propre avantage. D’ailleurs les combats de Mer, lorsqu’on les entreprend de bonne grace, sont rarement malheureux pour l’Angleterre : mais lorsque nous faisons la guerre par terre, il est plus que possible que nos propres victoires nous ruïnent, & que nous y perdions plus que si nous avions de dessous. Mais il me reste peu de chose à dire sur ce sujet : notre aimable Champion Anglois a décrit de la maniere la plus pathéthique, la folie de s’engager dans une guerre sur le Continent, ce que nous avons sujet de craindre, & le peu que nous avons à espérer quel que soit le dénouement de cette guerre ; ensorte qu’il est fort inutile d’y rien ajoûter. D’ailleurs, après les mauvais tems & les tempêtes qui ont si long-tems balotté le navire de nos espérances, lorsqu’il étoit sous la direction de Pilotes ignorans ou infidèles, un Soleil levant commence à se montrer ; il nous promet de dissiper cette effroyable noirceur, de calmer l’agitation des vagues, & de nous rejouïr en nous faisant découvrir près de nous le port desiré, que nous avions cherché si long-tems, mais en vain.

Nível 3

Même tandis que j’écris ceci, un messager de joye arrive, la Renommée entonne sa trompette dorée avec une énergie divine, & parle ainsi. Le Genie de notre Isle s’éveille de son sommeil ; il renonce à cette honteuse oisiveté dans laquelle il étoit plongé, & devenu actif encore une fois, il inspire ses enfans choisis d’un feu presque divin, pour arrêter l’oppression, pour sauver l’Etat de sa ruine, & rappeller à son ancienne place la vertu, qui en avoit été si long-tems bannie. Au milieu de tous les piéges que le vice artificieux a tendus à nos passions, & pour réduire notre cœur en esclavage, au-milieu de tous ceux qui ont renoncé á leur Dieu & fléchi le genou devant Baal, une petite troupe de bons patriotes s’est toujours conservée incorruptible, inaccessible à la crainte, ingagnable par les caresses & toutes les brillantes babioles que la Cour peut lui offrir, également imprenable par la fraude & par la force ; étrangére en même-tems à cette luxure qui effemine, & à l’orgueil les oppresseurs, ennemie en un mot de toute ambition, excepté de celle qui a le bien pour objet. Ils ont vû durant plusieurs années l’honneur de leur pays se flétrir par dégrés ; mais trompés par des discours spécieux, & par un extérieur de vertus, sages sans être encore soupçonneux, & craignant de commettre une injustice particuliere en vengeant les droits du public, ils ont porté avec modération ce qu’ils voyoient avec douleur, jusqu’à ce que l’iniquité plus hardie, a arraché de son propre mouvement le masque de l’hypocrisie, & découvert les traîtres, qui tendoient tous a différens buts par des chemins différens, mais en s’accordant tous à lier leur patrie dans des chaines éternelles. Il y alloit de tout pour nous ; il ne falloit plus qu’un pas pour fouler aux pieds la liberté, & élever à sa place une idole de leur invention ; l’heureuse scélératesse étoit près de remplir son horrible dessein, & des ames nées libres auroient été obligées de plier sous un pouvoir illégitime. Alors ces braves défenseurs de leur patrie s’éveillent, & quoique long-tems desunis par les infames artifices de leurs ennemis communs, ils oublient leurs légéres dissensions, & se déterminent à arrêter le torrent de la destruction, ou à périr dans cette noble entreprise. O fortunée réunion ! ô crise qui ne doit jamais être oubliée ! La noble ardeur qui s’est allumée dans leurs veines, leur répresente l’occasion telle qu’elle est, c’est-à-dire, qui ne souffre aucun délai ; ils vont se prosterner au pied du thrône, résolus de rester dans cette posture humiliante, jusqu’à ce qu’ils ayent persuadé à leur auguste Monarque d’accorder leur requête. La faveur qu’ils demandent, & pour laquelle ils sont résolus de faire toutes les instances que la décence permet, c’est qu’il plaise à Sa Majesté, que toutes les fausses imputations, les fraudes, les parjures, les oppressions, les déguisemens & plusieurs autres crimes énormes, dont ces harpies d’Etat se sont rendues coupables envers la nation, puissent être exposés en sa présence ; & après leur entiére conviction, qu’il veuille les déclarer incapables d’occuper à l’avenir aucun poste ou emploi, soit dans le gouvernement ou autour de sa personne ; enfin qu’il daigne les chasser pour toujours de sa présence, afin que ses oreilles ne soient plus empoisonnées par leurs conseils, & que les plus fidèles Sujets qu’aucun Prince ait jamais eus, ne soient plus calomniés par leurs insinuations. C’est là le glorieux projet, que la voix de la Renommée nous assûre être sur pied ; & s’il vient jamais à maturité, les noms de ceux qui l’ont formé seront infiniment chers à notre Siécle, & passeront à la postérité la plus réculée. Même si quelque sinistre planette, ennemie de ces Contrées, venoit à interposer ses malignes influences, & à faire échouer ce dessein, la seule tentative suffiroit pour qu’ils méritassent des statues plus belles, & plus durables qu’aucune qu’on ait jamais placée dans le Capitole de l’ancienne Rome. Mais ne nous embarrassons pas de frivoles doutes : on dit, Quiconque craint son sort, le mérite ; & si nous nous imaginions que Sa Majesté sera sourde à la voix réunie de tout son peuple, qui lui parlera par la bouche de ses plus fidèles, de ses plus sages & de ses plus illustres Membres, ce seroit faire injure à sa bonté, qu’un cœur vraiment loyal ne pourra jamais se pardonner. Réjouïssons-nous plutôt dans l’attente presque certaine de voir cette Petition faite & accordée ; que ces vils reptiles de cour n’auront plus la liberté de devorer les parties vitales de notre constitution ; qu’ils seront chassés d’entre les plus nobles Créatures, & obligés à se réunir avec les insectes de leur espèce. Qu’ils se repentent dans la solitude, ou du moins qu’ils regrettent l’abus qu’ils ont fait de leur pouvoir ; privés de tout moyen pour opprimer ou pour trahir l’innocent, qu’ils se tourmentent reciproquement par leurs reproches ; sentence seulement trop douce pour des crimes aussi consommés & aussi compliqués que les leurs ; car comme s’exprime Caton,

Citação/Lema

s’il est fâcheux qu’un homme ne puisse mourir qu’une fois pour le service de son pays, il n’est pas moins vrai, que mourir une seule fois est une punition trop legére, pour ceux qui ont trahi les intérêts de leur patrie, qu’elle avoit déposés entre leurs mains.
Mais ces dignes patriotes conservent la même modération avec laquelle ils se sont toujours conduits, & font voir que s’ils sont obligés à présent de se montrer avec vigueur, ils ne le font que pour sauver la Grande-Bretagne, & non pour perdre les plus méchans & les plus corrompus de ses enfans. Et peuvent-ils désirer moins ? ou qui de plus nécessaire que d’éloigner des hommes qui sont prêts à tromper ceux qui se confient en eux, ou, si on leur refuse de la confiance, qui s’occupent perpetuellement à inventer des moyens de rompre toutes les mesures qu’on peut prendre, & de faire échouer les meilleurs projets qu’on puisse concerter ? Aucun conseil ne peut réussir sans une parfaite unanimité ; & lorsque des hommes, quels que soient leurs intérêts & leurs principes à d’autres égards, s’accordent à poursuivre avec vigueur un seul point favori, on les voit rarement manquer leur but.
Ce raisonnement a été fait mille fois tant en Chambre qu’ailleurs, par un homme qui étoit alors un éminent patriote ; c’est pourquoi il ne doit point le prendre en mauvaise part, ou être surpris qu’on s’en serve à présent contre lui, quoiqu’il puisse & qu’il doive être couvert de honte d’y avoir donné occasion.

Exemplo

O Curion ! Curion ! autrefois, si aimé (*4) si admiré ! le plus grand nombre t’estimoit honnête homme ; tous te supposoient sage. Toi la terreur d’un parti, le mignon & le chef de l’autre ; comment les uns te méprisent-ils, & les autres te haissent-ils maintenant ! Verres lui-même est moins évité, & a plus de défenseurs. Verres (+5) élevé dès son enfance aux moyens les plus bas de s’enrichir, étranger à l’aise & dans l’abondance, & cependant vain & ambitieux, pouvoit aisément se laisser tenter, afin d’éléver sa fortune ; après être parvenu assez rapidement au-delà de ce qu’il pouvoit se promettre, les douceurs d’un bien mal acquis, & le succès de ces crimes auxquels il devoit ses richesses, l’ont enhardi à en commettre encore de plus grands, & à franchir toutes les bornes : enfin quand il est parvenu à une énorme grandeur, & que la justice a commencé à le menacer de son glaive, il s’est vû obligé pour parer le coup, de poursuivre des mesures encore plus iniques, & plus pernicieuses que jamais : il a donc été obligé pour sa conservation, à persister dans ce chemin où son indigence l’avoit conduit. Mais vous, Curion !° vous n’aviez point de prétexte semblable ; les domaines dont vous êtes en possession, & ceux qui doivent vous revenir, étoient plus que suffisans pour empêcher toutes vûe sordide de s’insinuer dans votre cœur élevé dans le patriotisme : vous avez long-tems marché dans les sentiers de l’honneur ; vous paroissiez avoir plus à cœur le bien de votre patrie que vos propres intérêts ; & si vous souhaitiez une récompense, c’étoit pour montrer aux Siécles à venir quelle étoit la reconnoissance de vos concitoyens, en ce que vos travaux avoient atteint leur but. Durant plus de vingt ans vous avez poursuivi ce Verres, mis au jour ses noirs desseins, & souvent prévenu leur exécution ; vous rejettiez toutes les offres, dédaigniez toutes les menaces ; & ferme dans la cause de la liberté, vous parliez, vous écriviez & vous agissiez, avec un zèle infatigable, comme il convient à un vrai Breton ; enfin le tems si long-tems desiré & si long-tems cherché arriva, où vos travaux alloient être couronnés d’un succès infaillible ; la fortune elle-même paroissoit lasse de son favori, & le laissoit sur le bord du précipice ; les plus chétifs instrumens de ses oppressions deploroient son sort, & trembloient pour eux-mêmes ; chaque honnête cœur tressailloit de joye, & tous s’attendoient à voir la liberté raffermie par une barriere salutaire. Vous avez vû vous-même comment tous les yeux étoient tournés sur vous comme sur leur liberateur, & comment chaque langue parloit de vous avec transport : chaque adoucissement de leurs maux, chaque avantage qu’ils se promettoient, ils avouoient en être principalement redevables à Curion. Curion ! l’ame du bien public ! Curion ! le soutien de sa patrie ! l’agent du Ciel pour la mettre à couvert du danger qui la menaçoit ! L’amour qu’on vous portoit, les éloges qu’on repandoit sur vous, auroient pû changer la trahison en fidélité, encore plus devoient-ils confirmer un cœur accoutumé à l’honneur. Cependant, oh le plus extravagant & le plus insensé de tous les hommes ! après être arrivé au faite de la perfection humaine, vous êtes tombé tout d’un coup dans un abime d’infamie & de perdition ; vous avez trahi un peuple qui se confioit en vous, abandonné la cause que vous aviez si long-tems défendue, favorisé les abus, & mis à couvert le criminel, quoique vous eussiez juré de ne le laisser jamais en repos, que vous ne l’eussiez vû recevoir le châtiment de ses crimes. Changemeut <sic> étonnant ! dans un seul moment sinistre vous avez jetté loin de vous le prix de toute votre vie passée ; on ne peut pas dire que vous l’ayez vendu, puisque vous l’avez troqué contre une babiole, qui auroit été au-dessous de vous, si vous étiez resté le même, décoré d’une gloire réelle, & non barbouillé & couvert d’un clinquant, qui au lieu d’orner votre front, le défigure & rend votre honte plus remarquable. Nous nous souvenons tous, & sûrement vous ne l’avez pas oublié, combien vous vous estimiez heureux en pensant que votre influence dans le Sénat avoit couvert de honte le Ministre & ses adhérans, lorsque le pernicieux projet de l’Excise étoit sur pied : Comment vous regardiez comme un honneur vrai & permanent, de faire le bonheur de plusieurs millions de personnes ! Et quelle ambition louable vous sentiez de recevoir des applaudissemens que vous aviez mérités ! Quand voyant les plus vertueux & les plus opulens de nos citoyens dans l’attente du résultat autant craint qu’esperé de cette heure importante, vous vous hâtates de calmer leurs inquiétudes, en prononçant à haute voix ces paroles remarquables : Messieurs, datez vos libertés dès ce jour. C’est ce que nous faisons, repliquerent-ils avec des acclamations qui sembloient devoir ébranler la voûte spacieuse. L’agréable nouvelle en parvint aux portes de la Salle, & au peuple qui étoit dehors, aussi-tôt tout retentit des cris de liberté ! liberté ! & point d’excise ! Suspendus aux rouës de votre char, ils vous conduisirent chez vous avec un plus beau triomphe qu’on ait peut-être jamais vû dans l’ancienne Rome ; pendant que Verres, pâle & tremblant, se cachoit au milieu d’une troupe de mercenaires, & échappoit à peine au juste ressentiment d’un peuple, qu’il avoit projetté de réduire en servitude. Combien ce jour ne fut-il pas glorieux pour vous ! le feux de joye & les illuminations qu’on faisoit dans toutes les rues, proclamoient moins la satisfaction générale, qu’ils n’annonçoient que nous vous en avions l’obligation. Oh si vous aviez toujours persisté dans les mêmes sentimens, Que ne seriez-vous pas devenu ? Choquante reflexion ! Qu’êtes-vous à prèsent ? Mais j’ai fait. Verrès & Curion réunis, forment un prodige qui n’a point d’égal dans les siécles passés, & qui frappera d’étonnement tous ceux qui en entendrout <sic> parler.
Je m’abstiens de faire aucune mention des serviles imitateurs de cet indigne couple, qui semblables à leurs patrons, ont perdu dans un moment leur animosité passée, & ont donné la main à ceux dont ils poursuivoient peu auparavant la ruine totale. Ce Royaume retirera néanmoins un double avantage de la conduite du Ministre & du Patriote ; on peut espérer que la découverte de l’un empêchera tous les hommes d’Etat à-venir de suivre la même route : & que l’apostasie de l’autre servira à la nation d’avertissement, pour ne plus placer son entiére confiance sur quelle protestation que ce soit. Ceux qui travaillent sincérement pour le bien de leur patrie, trouveront certainement leur recompense dans le succès de leur entreprise ; & si le grand ouvrage, qui se prépare à présent, est accompli avant que ces réflexions voyent le jour, j’ose m’assurer que la satisfaction sera trop grande, pour que ce que j’ai dit à ce sujet puisse déplaire au public. Cependant, jusqu’à ce que le doute se change en certitude, notre cœur sentira des émotions, qui ne nous permettront pas d’être tout-à-fait tranquilles ; nous sommes presque partagés entre la peine & le plaisir, & nous avons été si souvent trompés, que nous panchons à nous écrier avec le Psalmiste : il ne faut point se confier en l’homme.

Metatextualidade

Une lettre que nous venons de recevoir, semble très bien assortie à l’incertitude de notre situation ; & comme elle regarde cette partie de la question, qui doit nous dédommager de ce que nous souffrons, il convient tout-à-fait de l’insérer dans cet endroit.

Nível 3

Carta/Carta ao editor

Madame la Spectatrice. « Comme vous paroissez avoir fait jusqu’ici tous vos efforts pour perfectionner & corriger les sentimens & la conduite de vos lecteurs, & qu’il est tout-à-fait nécessaire pour réussir, de commencer par les passions ; je me flatte que vous ne prendrez pas en mauvaise part, que je vous présente quelques refléxions, qui me sont venues dans l’esprit ce matin par un pur hazard.

Nível 4

L’Esperance & la crainte sont les premieres passions qui agitent l’esprit humain ; elles s’y insinuent dans notre enfance, & elles agissent même avant que nous puissions recevoir aucune autre impression ; elles nous dirigent dans un âge de maturité, conservent leur force jusqu’à une extréme vieillesse, & ne nous abandonnent jamais entièrement jusqu’à ce que la mort & l’éternité viennent terminer la scène, en ne nous laissant plus rien à désirer. Si l’on considere ces passions du côté de la Réligion, elles paroissent nous avoir été inspirées par le Créateur lui-même, pour nous rendre plus vertueux. En effet, quoi de plus propre à nous porter à des actes de piété & de vertu, que l’espérance d’une recompense éternelle ? Et quelle barrière contre le crime égale à celle qui naît de la crainte de ces terribles châtimens dénoncés aux coupables ? Mais comme il n’y a que les Esprits forts & les Déistes qui veuillent nier cette vérité, je ne ferai mention que des quelques avantages ou desavantages qui naissent de ces passions à l’égard de notre satisfaction & de notre bonheur temporel. L’esperance est, à mon avis, le bien le plus précieux dont nous puissions jouir, notre défense assurée contre toutes les attaques de l’adversité, & le premier pas pour parvenir à un bonheur réel : quiconque la chasse loin de lui, & encourage le sentiment opposé, succombe sous le poids de son sort, & est en danger de ne pouvoir plus se relever ; mais celui qui la conserve dans son cœur, ne se laisse jamais abbattre par les mauvais succès, & ne perd point de vûe le but de ses désirs. Notre inimitable Cowley nous a donné une description de cette passion dans l’une de ses Odes pindariques, & je ne doute pas que vous ne l’ayez lûe ; cependant je ne puis m’empêcher de la transcrire, pour faire plaisir à ceux qui ne la connoissent pas (I6).

Citação/Lema

Esperance qui est le seul reméde universel de tous les maux que les hommes endurent, & qui ne leur coûte rien à acquérir ! Toi la liberté du captif, & la santé du malade ! Toi qui dédommage le vaincu de sa défaite, & qui tiens lieu de richesses aux mendians ! Toi la vraie manne que le Ciel nous envoye, & qui ès agréable à tous les goûts ! Toi une forte retraite, une substitution ferme & assurée que rien n’a le pouvoir d’aliener ! Toi le plus honnête de tous les flatteurs ; puisque toi seule flattes les malheureux ! Esperance, l’avant goût du bonheur, l’aimable aurore d’un brillant succès ; qui ès hors des atteintes de la fortune, & qui fais le bonheur de celui en qui tu résides, comme s’il étoit en possession ! Esperance, qui nous procures le plus de plaisirs, qui atteints de si loin, & cependant qui tiens si ferme ce que tu as saisi ! Les hommes te laissent en obtenant ce qu’ils espérent ; mais bientôt ils volent à toi de nouveau par un autre chemin.

Exemplo

Ce fut principalement, parce que Jules César étoit fortement animé de cette passion, qu’il gagna la bataille de Pharsale ; & si Caton n’en avoit pas été entièrement déstitué, il auroit persisté dans ses efforts pour rendre la liberté à sa patrie, & auroit peut-être réussi.

Exemplo

Alexandre le Grand en étoit si rempli, qu’ayant été choisi Général des Etats de la Gréce contre la Perse, il partagea tout son Royaume entre ses Officiers, donnant une ville à l’un, des bourgs à l’autre, & des provinces entières à ceux qui lui paroissoient dignes de ce don. Parnienion, l’un de ceux qui profitoient de cette extraordinaire générosité, lui en témoigna sa surprise, lui demandant ce qu’il se reservoit pour lui-même ? l’Esperance ! repliqua ce Prince, voulant dire qu’il en faisoit plus de cas que de toute autre chose ; aussi ses conquêtes suivantes montrérent qu’il en pensoit avec justice, puisque ce fut l’esperance qui l’encouragea & l’enhardit à les tenter.
Quel projet que l’homme ait en vûe, soit qu’il veuille exciter de l’amour, obtenir de l’honneur ou des richesses, les efforts qu’il fera seront toujours foibles & languissants, s’ils ne sont pas animés par l’espérance de réussir. Cependant, quoique cette vérité soit si sensible, combien de gens qui jugeant des choses comme elles leur paroissent, panchent à tourner en ridicule cette glorieuse passion ? Ils regardent comme un extravagant celui qui tend à une chose qui paroit à leurs yeux au-delà de sa portée, & ils traitent de visions tous les projets qu’il se propose ; ses ennemis se moquent de lui, & ses amis le plaignent ; peut-être empêchent-ils par leurs mauvais conseils l’inspiration de son bon Génie, & le détournent-ils des seuls moyens qui pourroient le conduire au bonheur. Mais je voudrois savoir de ces ennemis de l’espérance, quelles raisons ils peuvent donner de ce qu’ils prétendent repousser les impressions d’une passion si agréable, & en même tems si utile. Pour moi, je dois avouer, que je ne puis pas comprendre ce que leur austere sagesse pourroit nous offrir, qui fût suffisant pour nous dédommager de ce que nous perdrions en renonçant à l’espérance, quelque vaine qu’elle puisse être, puisqu’elle nous rend heureux dans le même tems qu’elle nous trompe. Les anciens Philosophes ont prouvé, par des raisons auxquelles on ne sçauroit repondre, à mon avis, que l’acquisition de l’objet de nos désirs ne nous procure pas un bonheur comparable à celui que nous nous étions promis, lorsque nous étions dans l’attente ; si on accorde ceci, il faut aussi convenir, que l’espérance seule rend ces idées délicieuses & ravissantes, puisque la contemplation d’un bien que nous désirons, ne pourra jamais faire notre bonheur, tandis que nous craindrons qu’il ne nous soit enlevé. Enfin, lorsque nous avons de l’espérance, nous sommes tout ce que nous ne voudrions pas être. Combien voyons-nous de spectres vivans, qui ayant perdu toute espérance errent dans le monde, tellement abbattus & defaits par leurs soucis & par leurs inquiétudes, qu’on les prendroit pour des gens privés de tout sentiment, si leurs gémissemens ne montroient pas à chaque instant qu’ils appréhendent quelque calamité plus fâcheuse encore que celle dont ils éprouvent actuellement les effets ? Ceux-ci sont les esclaves de la crainte, cette antagoniste de l’espérance, & la plus basse, la plus miserable de toutes les passions ; elle est cause que le malheureux qui la loge dans son sein, anticipe sur les maux qu’il doit souffrir, & tremble pour d’autres que le sort ne lui prepare pas. Il n’y a qu’un pas entre cette passion & le désespoir, qui est formé par quelques restes d’espérance ; mais cette situation ne laisse pas d’être très desagréable, parce que l’esprit est continuellement agité & ne sçait pas à quoi se fixer ; il n’est que joye dans ce moment, & qu’affliction dans celui qui suit ; quelquefois rempli des plus belles espérances, & ensuite abbattu, & tremblant de poursuivre ce qu’il souhaite avec le plus d’ardeur. Mais nonobstant tout ce que j’ai dit en faveur de l’espérance, je dois convenir qu’il est dangereux de s’y trop abbandonner ; l’arrogance, la présomption & l’entêtement vont aussi souvent à la suite de cette passion, qu’une basse timidité, ou une conduite rampante, & l’incapacité de nous montrer d’une manière convenable, vont à la suite de la passion opposée ; l’espérance peut nous inspirer trop de chaleur, & la crainte peut nous glacer. Nous devons donc tâcher de garder un juste milieu : employer notre raison à tenir en regle ces passions, afin que l’une ne nous pousse pas dans des actions peu convenables à notre caractére & au rang que nous tenons dans le monde, & que l’autre ne nous empêche pas de poursuivre ce qui de soi-même est louable, quoiqu’il soit accompagné de quelques difficultés. La prudence veut aussi que nous cachions, autant qu’il est possible, le panchant que nous avons à l’une ou à l’autre de ces passions. Se rappeller qu’on a témoigné trop de confiance sur une chose qui nous a manqué, c’est ce qui redouble l’amertume d’un mauvais succès ; & laisser paroitre que la crainte nous a empêchés d’entreprendre une chose avantageuse à nous-mêmes, à nos amis, ou à notre patrie, & qu’un autre a exécutée, c’est ce qui nous prive des égards & de la consideration du public. Je puis encore ajoûter, que l’espérance nous engage souvent à placer une trop grande confiance sur certaines choses & certaines personnes, comme la crainte d’un autre côté nous inspire trop de défiance. La premiere nous fait servir quelquefois d’instrument à nos plus grands ennemis, comme la seconde nous rend coupables d’injustice à l’égard de nos meilleurs amis. La dissimulation n’est donc dans ce cas que prudence. Heureux celui qui ne paroit jamais donner dans aucun excès d’espérance ou de crainte ; mais plus heureux celui qui sçait commander à ces deux passions, & qui a assez de pénétration pour découvrir l’objet auquel il doit avoir le plus de panchant. Nous avons certainement plusieurs choses à craindre, & il y en a d’autres que nous aurions tort d’espérer : la vertu & une bonne morale nous les feront découvrir ; comme la prudence nous montrera en bonne partie ce qui peut justifier nos appréhensions ou nos espérances. Mais parce que la balance des vraisemblances humaines nous trompe souvent, & que la réussite dépend en bonne partie de ce que nous appellons le hazard ou la fortune, le plus sûr parti est de ne bâtir sur rien. Se conduire avec moderation dans la prospérité, & soutenir l’adversité avec force d’esprit, voilà la plus vraïe, & la plus noble espéce d’heroïsme, la couronne aussi bien que l’épreuve de la vertu, qui nous rend plus contents de nous-mêmes, plus agréables à nos voisins, & nous attire l’approbation du Ciel, plus que des trophées élevés à nos victoires, ou les faveurs d’un puissant Prince. C’est pourquoi, que celui qui veut se placer ou se conserver dans cette heureuse situation, tâche de juger sainement de l’importance des objets qui l’environnent, mais en observant toujours d’espérer plutôt le meilleur que de craindre le pire.
 » Je suis, Madame, Votre très humble & très obéïssant Serviteur ;
Philo-Serenitas(*7). Eáton ce 14. Dec. 1744.

Metatextualidade

Quoique la fin de cette lettre puisse n’avoir aucun rapport avec la politique dans l’intention de l’auteur, elle ne laisse pas de contenir le meilleur avis qu’on puisse nous donner dans la présente situation des affaires.
Il ne suit pas, parce que nous avons été trompés, que nous le serons encore, quoique cela soit très possible, parce que les plus vertueux sont toujours hommes ; tous ont quelque passion à satisfaire, & personne ne peut répondre pour lui-même que dans quelque moment où il ne sera pas sur ses gardes, l’ennemi qu’il renferme dans son sein, ne sera pas trop fort pour son bon Ange. L’un des papiers qui paroissent chaque semaine, & dont un homme de distinction passoit pour être l’auteur avant son Apostasie, nous a donné quelques maximes à ce sujet, qui ne devroient jamais être oubliées : & comme on ne peut pas les repéter trop souvent, je les donnerai dans ses propres paroles.

Nível 3

« Lorsqu’une personne en place trouve que tous ses efforts pour se faire aimer du peuple sont inutiles, lorsqu’elle s’apperçoit que ses actions les plus innocentes & même les plus méritoires sont noircies, & que ce qu’il donne pour un aliment est converti en poison ; à moins qu’il ne soit un second Socrate ou un autre Confucius, son cœur doit inévitablement se tourner contre nous ; & cette affection, ce zèle, & cette fidélité, qui se partageoit auparavant entre le Prince & le Peuple, se concentrera uniquement dans le premier ; & dans la suite elle peut devenir à un tel point la proye de ses passions, qu’elle ne laissera échapper aucune occasion de faire du mal à ceux qu’elle n’a pû obliger. Conduisons-nous donc de telle façon, que si ceux qui sont à la tête des affaires abandonnent les intérêts de ceux à qui ils doivent leur grandeur, ils n’ayent aucune excuse en faveur de leur Apostasie. La liberté est le vrai Palladium de notre Etat, & le moindre Breton est autant intéressé que le plus grand à la conserver. Que chacun y soit donc aussi attentif que jamais on l’a été ; ne plaçons en aucun homme une confiance aveugle ; il n’y a point d’honnête homme qui en désire une semblable, point d’homme sage qui s’y attende, & point de méchant qui la mérite. Mais ne mettons pas le feu au signal en criant à l’ennemi ! à l’ennemi ! avant que le danger soit visible. Il est fort bon d’être sur ses gardes, & fort mal d’être en confusion : celui qui tire l’épée pour se défendre quand il est attaqué, est brave & prudent ; mais celui qui se bat contre le vent, est un fanfaron ou un fou. Si nos conducteurs agissent suivant leurs declarations, tous les honnêtes gens de la Grande Bretagne seront leurs amis ou à leur devotion. S’ils s’en écartent, ou agissent en contradiction, la prévention en leur faveur s’évanouira bientôt ; leurs ennemis retorqueront contre eux leurs propres argumens, & ce qui est encore pire, le patriotisme en affaires d’Etat, courra le risque d’être mis sur le même pied que l’hypocrisie en matière de Réligion, & quelle plus grande malediction pourroit tomber sur ce pays de liberté ! »
Je n’ai pas besoin d’avertir mes lecteurs, que ceci fut écrit lorsque notre dernier Ministre Jehu fut revêtu du pouvoir, & que plusieurs personnes appréhendoient avec trop de justice, comme on l’a vû, qu’après être parvenu au but de ses désirs, il ne changeât de principes. Nous lui avons cependant l’obligation de ce qu’il n’a pas tardé à se montrer ; un autre homme plus artificieux & moins hardi auroit avancé par des dégrés imperceptibles, ensorte qu’il nous auroit reduits en servitude, avant que nous eussions été sur nos gardes. Depuis longtems son prédécesseur plus timide, nous avoit cajolés, & flattés pour nous engager dans des démarches contraires à nos intérêts ; & s’il n’avoit pas été forcé par des conseils qui ne partoient pas de lui, à prendre des mesures qui devoilerent ses desseins pernicieux, il auroit peut-être achevé la ruine de notre liberté. C’est pourquoi les regles que cet Auteur nous donne, nous seront très utiles, sous quel Ministre que ce soit, quand même il seroit composé d’hommes qui auroient été les favoris de leur tems, à cause de leur patriotisme précédent. Mais je suis tout-à-fait ennuyée de ces mystéres d’Etat, & encore plus de la profondeur impénétrable du cœur des grands hommes. Celui qui voit toutes choses est seul capable de les devoiler ; & quoique le tems le fasse quelquefois, en amenant au jour des actions qui étoient auparavant cachées, les motifs en restent souvent un secret, & ne sont jamais découverts.

Metatextualidade

Cependant l’auteur de la lettre suivante semble avoir trop bonne opinion de moi à cet égard ; mais je crains qu’il ne change de sentiment, en voyant mon embarras à l’égard d’une question, dans laquelle il ne voit peut-être rien de difficile.

Nível 3

Carta/Carta ao editor

Digne Spectatrice. « Quoique vous ne vous soyez jamais annoncée comme l’Apollon Anglois, ou le Mercure Athenien, & que vous n’ayez point averti que vous étiez prête à resoudre toutes les questions de droit, cependant j’ai assez de confiance en votre capacité & votre complaisance, pour me flatter que vous donnerez votre opinion sur une dispute, dont l’absolue décision est remise à votre jugement par tous ceux qui y sont intéressés.

Nível 4

Narração geral

Je me trouvai la nuit dernière dans une compagnie assez nombreuse à la taverne de Bedford-Head. Convent-Garden, où, après plusieurs autres santés à la mode, on but cordialement aux succès de la Reine de Hongrie. A cette occasion une personne de la compagnie dit, en nommant cette Princesse, qu’à son avis la nature devenoit fantasque, & qu’elle s’écartoit de son cours ordinaire, en transportant dans l’espéce feminine, ces ames qui devroient être reservées pour nous autres mâles : Ce Sexe, dit-il, n’a que trop empieté sur ce génie qui semble être uniquement de notre ressort, mais c’est pousser les choses à un dégré insupportable, que de prétendre encore nous enlever notre gloire ; je leur accorderai volontiers quelque disposition pour la politique, mais je ne puis consentir à les reconnoitre pour guerrières. La même personne s’étendit ensuite beaucoup sur les éloges de cette Princesse, comme étant au-dessus de ces foiblesses qui caractérisent son sexe ; courageuse, intrépide, & uniquement sensible à la gloire & à l’ambition. Avec quelle grandeur d’ame ne s’est-elle pas comportée, quand on est venu lui annoncer que l’armée du Prince Charles avoit été taillée en piéces ! Au lieu de se livrer aux pleurs à l’exemple de tant d’autres femmes, & de lamenter le sort précipité de tant de braves gens : Il n’importe de l’armée, s’écria-t-elle, si le Général a échappé. Quelles grandes choses n’auroit-elle pas faites à la tête d’une armée, si ses grossesses consecutives n’y avoient pas mis obstacle ? Un autre voyant combien il s’échauffoit à ce sujet, lui dit, qu’en convenant de ce qu’il avoit avancé à l’égard de cette Héroine Allemande, il pensoit cependant que la Reine d’Espagne ne lui cédoit en rien de ce qui sembloit attirer son admiration ; qu’elle n’avoit pas moins de soucis pour l’aggrandissement de sa famille, & n’étoit pas moins insensible à ses tendres émotions, qui font abandonner aux hommes le chemin de l’immortalité ; qu’elle ne se plaisoit pas moins dans les conquêtes, étoit autant intrépide après une défaite, & également infléxible à toutes les offres d’accommodement, à moins qu’elles ne convinssent exactement avec ses prétentions ; & enfin, qu’à tous égards elle ne tenoit pas plus de la femme que la première Princesse. C’est ce que le champion de sa Majesté Hongroise nia fortement ; & la dispute continua entr’eux, jusqu’à ce qu’insensiblement toutes les personnes de la compagnie se rangerent de l’un ou de l’autre côté ; le nombre des partisans se trouva égal de part & d’autre, & on convint enfin de consulter la Spectatrice, & de se rendre à l’opinion qui lui paroitroit la mieux fondée.
Je m’abstiens de vous apprendre qui je suis & quel parti j’ai pris, de peur qu’on ne m’accuse de chercher à vous inspirer de la partialité en ma faveur ; tous sont témoins de ce que j’écris, & vous prient avec moi de donner votre jugement avec franchise & impartialité ; en le faisant vous obligerez une compagnie de personnes, dont la plûpart souscrivent pour votre ouvrage, & sont admirateurs de vos speculations, en particulier, celui qui ne peut se faire connoître à présent que sous le nom de, Votre très humble Serviteur,
Queriste. De la taverne de Bedford Head ce 15. Dec. 1744. P. S. Madame, si vous ne jugez pas à propos d’insérer ceci dans le premier discours que vous publierez, ou de faire imprimer votre reponse, ayez la bonté de nous communiquer vos sentimens sur cette conteste, en les adressant sous le titre que j’ai pris au caffé de Will, rue de Great Russel, Convent-garden. »

Metatextualidade

Comme je n’ai aucune raison de supprimer cette lettre excepté mon incapacité de faire ce qu’on me demande, l’adresse qu’on me donne dans l’apostille est tout-à fait inutile. Mais pour montrer combien je suis disposée à obliger mes correspondants, je leur donnerai de mon mieux mes sentimens à ce sujet.
Je pense que leur dispute consiste à savoir, laquelle a le plus de grandeur d’ame de la Maria Theresia von Österreich#H::Reine de Hongrie] ou de la Reine d’Espagne : cette question est difficile. Si on les considere l’une ou l’autre séparément, on s’imaginera qu’elles n’ont point d’égales ; mais lorsqu’on vient à les comparer, on doit examiner ; outre eur <sic> conduite, les motifs qui les ont fait agir de cette manière.

Retrato alheio

La Reine d’Espagne n’étant que la seconde femme du (*8) présent Roi, ne peut pas souffrir que ses enfans soient les sujets d’un Prince qui est né d’un prémier lit ; & afin de les mettre sur un pied d’égalité avec leur frere ainé, elle tâche d’ériger en Royaumes certains Etats, dont elle se regarde bomme <sic> l’héritière, & d’en mettre la couronne sur leurs têtes. La première de ses entreprises a réussi à souhait. Don Carlos est Roi des Deux Siciles, & l’Infant Don Philippe étoit sans nous en chemin de se former une Monarchie aussi puissante. Ce n’est pas notre affaire d’examiner si les prétentions de cette Princesse sont légitimes ou illégitimes : il suffit de dire qu’elle poursuit ses vûes avec vigueur & resolution ; que les mauvais succès ne peuvent point ébranler sa fermeté, ni les obstacles allarmer son courage ; & que par la force de son génie plus que par les armes de son Epoux, elle a surmonté des difficultés qu’on regardoit comme insurmontables.

Retrato alheio

La Reine de Hongrie, de l’autre côté, est héritière d’une Maison, qui a eû toujours en vûe, comme chacun le sçait, de rendre la couronne Impériale héréditaire dans une de ses Branches. Si un tel projet s’accorde avec les libertés de l’Allemagne, les priviléges & la dignité des Electeurs, c’est ce que je ne prétends point déterminer, & qui n’a aucune relation avec mon dessein : le dernier Empereur de cette Maison ne l’avoit pas moins à cœur que ses prédecesseurs, comme cela paroit par ce qu’il ne souffrit pas que le Duc de Lorraine, à qui il destinoit sa fille aînée, fût élu Roi des Romains, se flattant peut-être qu’il lui naîtroit un fils. Ceci fut un coup mortel à l’ambition de l’Archiducesse Marie Thérese, qui héritant à la mort de son père de ses vastes Etats, savoir, les deux Autriches, la Hongrie, la Boheme, Parme, Plaisance, le Milanez & une long appendice de & cetera, ne pouvoit pas supporter de voir aucun Prince au-dessus d’elle, & resolut d’hazarder plutôt tout ce qu’elle possedoit, que de renoncer à l’espérance de devenir la première Puissance d’Europe. Dans ce dessein elle protesta contre l’élection d’un nouvel Empereur, leva des armées pour s’y opposer, parcourut en personne la Boheme, la Hongrie &c. encourageant partout ses sujets, & en même tems sollicitant tous les Princes voisins à épouser sa querelle ; s’adressant même avec succès à ceux de qui elle ne pouvoit pas attendre beaucoup de secours, à cause de leur éloignement, ou pour quelqu’autre raison. Quoique souvent battue, & quelquefois sur le point de tout perdre, elle fut toujours inébranlable. Ferme dans ses prémiers desseins, elle a vû l’Allemagne, qu’elle appelle sa chère patrie dans ses nombreux manifestes, ses rescrits & ses lettres, devenir le Théatre du ravage & de la desolation ; & tandis qu’elle tendoit à l’Empire, elle a traversé sans crainte & sans être émue, des mers de sang pour parvenir à son but.
Il est vrai que la Reine d’Espagne a eu plus d’occasions de montrer ce qu’elle peut faire ; mais on ne doit pas douter que si le sort n’y met obstacle, en coupant le fil de sa vie, ou en la mettant en possession de ce qu’elle désire, sa rivale à la reputation de femme resolue, ne sera pas en arrière avec elle. Il faut avouer qu’elles paroissent à présent si égales, que je ne suis point surpris de l’égalité des voix à ce sujet. Mais puisqu’on insiste absolument sur mon opinion, je dois dire, que si la Reine de Hongrie a atteint dans un espace de tems si court la Reine d’Espagne dans sa longue carrière de gloire & d’ambition, nous pouvons supposer qu’elle la devancera à la fin ; & pour cette même raison, sans en alléguer aucune autre, on doit, à mon avis, lui adjuger la palme. C’est ainsi que je reponds à Mr. Quersite ; mais puisque j’ai touché ce sujet, je ne puis pas le quitter sans ajouter quelques réflexions, qui me reviennent toujours à l’esprit en dépit de moi-même, chaque fois que j’entends parler de cette Reine entreprenante. Supposons qu’après avoir reduit toute l’Allemagne, detroné l’Empereur, & placé le Grand Duc son Epoux sur le trône Impérial, humilié la France, & chassé celle-ci de toutes les Forteresses dont elle s’est saisie en Flandres, elle prenne la fantaisie d’étendre ses conquêtes jusqu’aux Provinces–Unis ; n’est-il pas vraisemblable que la Grande Bretagne auroit en elle un voisin bien inquiet ? Le danger est à la vérité bien éloigné, & cependant il ne l’est peut-être pas plus que celui dont on a fait dernièrement tant de bruit, touchant les desseins de la France contre nous. Mais, diront quelques-uns, quand même ce projet seroit praticable, sa Majesté Hongroise nous a trop d’obligation pour entreprendre rien à notre préjudice. Oh la foible raison ! Comme si les Princes se conduisoient sur les mêmes principes que les Particuliers ; ce qui dans un sujet est ingratitude & chicane, devient politique rafinée dans son Souverain ; & malgré tous les cris qu’on pousse contre la violation des traités, que le Prince qui en est innocent jette la première pierre. D’ailleurs, la justice & la magnanimité de cette Princesse paroitroit, à mon avis, dans un jour plus avantageux, si elle donnoit à la Grande Bretagne quelque équivalent de l’effusion de son sang & de ses trésors, dans un tems où aucune autre Puissance ne vouloit embrasser sa querelle sans être largement payée. Ostende, par exemple, est une Place dont elle pourroit fort bien se défaire en notre faveur, & comme cette ville seroit très avantageuse à notre commerce, nous aurions alors un prétexte de la secourir plus plausible que ceux dont on s’est servi jusqu’à présent.
Fin du Neuvième Livre.

1(*) On a balancé si on traduiroit cette partie, parce qu’elle roule toute sur la politique, & qu’il semble y regner un esprit de partialité dont on se défait rarement en Angleterre : mais on a crû obliger les lecteurs en leur offrant une piéce qui est un monument du gout des Anglois pour la politique, puisqu’un auteur femelle a été obligé pour leur plaire de s’en mêler.

2(I) L’Auteur explique plus bas ce qu’il entend par les vôtes de crédit.

3(*) La manière dont ces braves troupes se sont comportées durant cette dernière guerre, ne mérite point cette épithete ; actuellement on pense différemment en Angleterre.

4(*) On croit reconnoître ici le fameux Mr. P . . . . à présent C . . de B . . .

5(+) Ici encore l’Auteur a vraisemblablement en vue un illustre Ministre d’Etat, savoir Mr. W . . . . . 

6(I) On a essayé de traduire cette ode en vers, mais la tentative n’ayant pas réussi, & n’exprimant que foiblement les beautés de l’original, on a pris le parti d’en rendre fidélement le Sens en prose, persuadé que le lecteur préferera cette traduction à de la Poësie toujours froide, lorsque le Poëte est assujetti à suivre les idées d’autrui.

7C. ad. qui aime la Sérenité.

8(*) Il faut se rappeller que ceci a été écrit en 1744.