Le Spectateur français avant la révolution: XXVIII. Discours.
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XXVIII. Discours. Réverie philosophique.
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Le triste hiver étoit allé désoler
d’autres climats ; déjà le printemps réparoit ses outrages
et embellisoit la nature. Le soleil qui se levoit plus
éclatant, appeloit les habitans des villes, et les invitoit
à venir respirer l’air suave des campagnes. Dorine, excédée
de fêtes, de danses, de spectacles, quitta Paris pour aller
à sa terre. Ses habitans la revirent comme une divinité
bienfaisante qui ramenoit parmi eux la paix et l’abondance.
Elle avoit mené avec elle une vieille amie, une jeune
parente que l’amour devoit bientôt conduire à l’autel, et le
sage Dolmont, dont l’esprit étoit aussi agréable que son
cœur étoit pur. Un soir, comme il revenoit de la promenade,
on remit à Dorine une lettre qui lui apprenoit la mort d’une
femme qui venoit de disparoître à la fleur de son âge. Après
quelques réflexions sur ce triste évènement, Dorine s’écria : qu’il est affreux de mourir ! Est-il
donc bien vrai, ajouta-t-elle, en s’adressant à Dolmont, que
nous cesserons d’être un jour ? Vous qui avez lu dans le
grand livre de la nature, qui en connoissez tous les
secrets, apprenez-nous comment on pourroit se garantir de ce
malheur. Regardez, je vous prie, ma petite cousine, et
dites : ne seroit-ce pas dommage que ces yeux vifs
perdissent leur éclat, que cette bouche vermeille se
flétrit, que le sourire s’envolât pour jamais de dessus ses
lèvres ? Oui, sans doute, répondit Dolmont, ce seroit un
grand malheur pour ses amis ; et pour elle aussi, reprit
Dorine avec vivacité. La petite cousine embrassa sa parente,
et fut de son avis. Mais, poursuivit Dolmont, si tous ces
charmes que l’on n’ose observer devoient un jour, sous une
autre forme, paroître encore plus éclatans, qu’auroit-elle
perdu ? Ah ! que ne suis-je plus jeune, ajouta-t-il, d’un
air riant, je serois peut-être un jour paré de ces attraits
qui donne tant de pouvoir à la beauté qui le rassemble ! Mon
cher philosophe, répliqua Dorine, je ne vous comprends pas
trop ; expliquez-nous comment la mort peut nous rendre plus
aimable, et par quel hazard nos charmes
pourroient vous embellir. Dolmont, qui étoit debout, voulut
s’asseoir : la petite cousine, d’un air enjoué, lui présenta
un fauteuil. Dorine prêta toute son attention, et la vieille
s’approcha. Rien ne périt dans la nature, dit Dolmont ; tout
ne fait que changer de forme : un peu plus de feu, ou un peu
moins d’air, une moindre quantité d’eau, ou une plus grande
abondance de terre, voilà de quoi défigurer tous les objets
qui frappent vos regards. La mort n’est qu’une dissolution
des quatre éléments qui composent toutes les parties
matérielles ; mais toutes ces parties retournent à leur
principe, pour s’agréger ensuite et présenter un autre
objet. Ce mouton doux et craintif qui paît dans la prairie,
et le lion terrible qui fait jaillir le feu de ses
paupières, dont les rugissemens jettent au loin l’épouvante,
sont deux animaux bien différens. Cependant, lorsque l’un
aura senti le couteau qui doit faire couler son sang, que
l’autre étendu sans vie sera déchiré par le vautour qui
fondra hardiment sur ses membres desséchés, tout ce qui
composoit ces deux êtres retournera aux mêmes principes, par
une progression plus ou moins lente. Le feu
doux que renfermoit dans son sein l’animal bêlant, étant
augmenté, deviendra plus actif ; il communiquera à la
matière un mouvement plus violent ; l’air auquel il sera
réuni le fera fermenter, et toutes les particules qui
l’environnent seront agitées. Si la combinaison de ces
particules forment un œil, il sera étincelant ; la gueule
qu’elles composeront sera blanchie d’ecume ; le poil
qu’elles offriront sera hérissé, et une queue redoutable
battra souvent les flancs de l’animal dont elles formeront
l’ensemble. M. Dormont, s’écria la petite cousine, n’allez
pas faire de moi un lion dévorant, car je ne veux manger
personne. Le grave philosophe, dont la tête commençoit à
s’échauffer, fut un peu déconcerté par l’aimable folie de
cette jeune enfant. Non, lui dit-il, vous ne serez point un
lion rugissant, mais vous serez la fleur brillante qui
embellit nos jardins. Je vais, poursuivit-il, vous dévoiler
les mystères de la nature ; mais ne craignez pas que je
dégrade la noblesse de votre être. Ce qui inspire aux
animaux la crainte de la mort ; ce qui conduit le loup
haletant vers la source où il se désaltère ; ce qui lui fait
fuir le chaseur qui l’apperçoit ; ce qui
dirige le castor industrieux ; ce qui indique a l’oiseau où
il doit suspendre son nid, est étonnant sans doute. Mais,
quelle distance y a-t-il entre ces facultés bornées, et
celles que l’auteur de la nature a données à l’homme ? Les
premières sont asservies à des règles fixes ; les autres
s’accroissent et s’étendent sans cesse. L’animal obéit aux
éléments, et l’homme leur commande. Il bâtit des villes sur
l’Océan ; il oppose à la mer des digues qu’elle n’ose
franchir ; il purifie l’air ; il fait jaillir le feu du sein
de la terre, et lui envoie porter la mort au loin ; il force
le sol aride qu’il déchire, de produire la plante dont il
lui a confié la semence : il est donc par sa nature
au-dessus des éléments ; et quoiqu’une partie de lui-même
soit sujette à la dissolution que les objets animés et
inanimés éprouvent sans cesse, celle qui l’élève n’en est
pas moins pure et inaltérable. A ces mots, Dorine qui
craignoit déjà les écarts de la philosophie, se rassura ; le
front de la vieille se dérida un peu, et la petite cousine,
dans l’espoir de devenir un jour une fleur éclatante, se
rengorgea. Elle interrompit encore une fois Dolmont, pour
lui demander si elle seroit une rose ou un
beau lys. Vous serez tous les deux, lui répondit le galant
philosophe ; les vives couleurs répandues sur vos joues
formeront la reine des fleurs . . . . . . Vous savez mieux
que moi combien de lys pourront naître de la blancheur de
vos charmes. Voilà, reprit Dorine, ce que je veux que vous
m’expliquiez. Je vous ai dit, lui répliqua, Dolmont, que
tous les objets provenoient de la réunion des quatre
éléments, que leur forme étoit le résultat de la portion
plus ou moins grande de chacun de ses éléments. Je vous ai
fait voir que la mort n’étoit que la dissolution de ces
différentes parties modifiées, rassemblées d’une manière
quelconque. Or, s’il est vrai, comme on n’en peut douter,
que rien ne se perde, ne s’égare dans la nature, mais que
chaque chose retourne à son principe pour reparoître sous
une autre forme, et quelquefois sous la même, la mort ne
peut rien avoir d’effrayant ; car l’air que vos poumons
compriment, et qui fait circuler votre sang, l’eau épaissie
et chargée de suc dont ce sang est formé, n’éprouveront pas
plus de douleur, lorsqu’ils seront réunis à la masse des airs et à celle des eaux, après
dissolution des parties qui composent votre individu, qu’ils
n’en ressentent à présent. Cela est vraisemblable, dit
Dorine. La vieille qui ne trouvoit pas tous ces
raisonnemens-là d’une grande clarté, sécouoit sa tête
tremblante ; mais la petite cousine qui brûloit d’impatience
de savoir comment ses joues deviendroient des roses,
encourageoit Dolmont à poursuivre. Si rien ne périt dans la
nature, continua le philosophe, rien n’est produit sans
causes. L’arbre qui croît, et dont les rameaux étendus
répandent au loin la fraîcheur et l’ombrage, reçoit sans
cesse un nouveau suc ; mille particules d’air, d’eau, de
terre, de feu, se réunissent pour grossir son contour, et
prolonger ses branches. L’éléphant qui fait gémir la terre
sous ses pas dépouille la prairie pour conserver sa masse
énorme. Plus les objets que nous voyons sont déliés et
éclatans, plus leur principe est pur. Lorsqu’une main
destructive a séparé les particules qui les composoient,
elles se répandent dans leur nature, et vont embellir ses
productions. La femme que la mort surprend parée des graces
de la jeunesse, rend à la nature tous les
charmes qu’elle en a reçus. Que savons-nous, peut-être le
bleu de ses yeux va-t-il se placer sur la queue du paon
superbe, qui la déploie alors avec plus de fierté. La rose
dont son teint étoit animé, va rougir le bouton qui commence
à s’ouvrir ; j’aime à croire que l’émail de ses dents,
attiré du sein de la terre comme une poussière brillante,
est porté par les vents dans l’océan, et là se change en
perles ; mais le vieillard dont le front livide est silonné
par rides, qui a perdu toute la fraîcheur, tout le coloris
de la jeunesse, et la femme qui n’a reçu ni l’éclat, ni les
vives couleurs qui parent la beauté, ne pourront rendre à la
nature que des particules ternes qui iront se confondre dans
le limon de la terre. La petite cousine s’amusoit beaucoup
des idées folles du philosophe : Dorine en plaisantoit ; la
vieille ; dont les yeux ne devoient point embellir la queue
du paon, et qui n’osoit se flatter que ses dents fussent
devenues des perles, ne les trouvoit pas fort consolantes.
Mais, reprit Dorine, ma petite cousine sera-t-elle donc la
seule changée en rose ? Vous le serez aussi, répliqua Dolmont ; mais des épines vous environneront ;
un amant heureux vous enlèvera cependant un jour ; il vous
portera sur le sein de sa maîtresse, qui lui paroîtra alors
encore plus belle ; lorsque vos feuilles tomberont, les
zéphirs les soulèveront, la terre les recevra dans son sein,
elles se pétrifieront et deviendront des rubis. Vous avez,
mon cher Dolmont, répondit Dorine d’un air enjouè, la
philosophie la plus galante. Et M. de Saint-Just, reprit la
petite cousine en rougissant, (c’étoit de son amant dont
elle parloit) sous quelle forme paroitra-t-il ? Sous celle
d’un brillant, répondit le philosophe. Voilà celle des amans
tendres et fidèles ; ceux qui ont été discrets, sont placés
aux oreilles des femmes ; ceux qui ont été très-carressans,
rendent leur cou ou leurs bras plus éclatans. Puisque ce
sont les amans tendres et discrets qui produisent les
brillans, je ne m’étonne plus, s’écria la vieille, qu’ils
soient si rares et d’un si grand prix.