Le Spectateur français avant la révolution: XXIV. Discours.
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Niveau 1
XXIV. Discours. Sur les Hôpitaux.
Niveau 2
Dans un état où tous les plaisirs
s’achètent, où le bonheur reflue sans cesse vers l’opulence, où
le repos n’est que pour le riche, où les honneurs se vendent, où
l’on acquiert avec de l’argent le titre de noble, c’est-à-dire,
le droit de mépriser celui qui ne l’est pas dans un état où le
pouvoir se laisse souvent éblouir par l’éclat de l’or, et
dédaigne la misère, c’est sans doute un grand
malheur que d’être né pauvre. En vain auroit-on reçu de la
nature une face belle et fière, une stature noble et vigoureuse,
une démarche libre et assurée ; en vain, auroit-elle donné un
cœur plein de courage et de générosité, un esprit vif et
enjoué ; enfin, tout ce qui sembleroit promettre à l’homme
d’heureux jours, si ses ancêtres ne lui ont pas laissé de
domaines étendus, le bonheur le fuira, la peine et la misère
environneront son être, et il ne pourra leur échapper qu’en se
réfugiant dans le sein du vice. La force qu’il aura reçue ne
fera que doubler sa charge ; sa taille ne servira qu’à le faire
remarquer par de vils enrôleurs ; peut-être n’échappera-t-il à
la tyrannie des armes que par la honte de la servitude ; son
esprit ne lui découvrira que l’injustice et la bisarrerie des
conventions humaines ; son cœur bon, généreux, ne le rendra que
plus sensible aux outrages et à l’ingratitude de ses tyrans.
Quand on considère tout ce que les arts ont inventé pour
l’opulence, et que l’on observe ensuite ce que l’humanité
accorde à la misère, on est tenté de croire que les riches sont
les dieux de la terre, et que les pauvres ne sont
que des bêtes de somme dévouées au travail et à l’humiliation.
Il n’y a pas jusqu’aux secours qu’on leur donne, qui ne soient
souvent plus cruels que les maux dont on veut les guérir. Oui,
l’animal qui veille à la sûreté de nos jours, et partage nos
plaisirs destructeurs, celui qui franchit pour nous les
intervalles et nous évite la peine de marcher, sont mille fois
moins à plaindre dans leurs maladies, que le mercenaire qui va,
sans appui, chercher dans un hôpital, du soulagement à ses maux.
Un homme à qui l’on apprendroit qu’il y a des asyles où
l’indigent qui souffre trouve des médecins, de chirurgiens, des
gardes qui ne lui vendent, ni leurs avis, ni leurs pansemens, ni
leurs remèdes, ni leurs soins, ne pourroit refuser son éloge à
des établissemens si utiles. Mais, si son admiration le
conduisoit dans ces salles immenses où l’humanité, rangée sur
deux colonnes, est aux prises avec la mort, et en respire
l’air ; s’il voyoit dans le même lit quatre malades ensemble ;
si on lui faisoit remarquer que sous la même couverture repose
souvent la pulmonie, l’hydropisie, la fièvre putride, et
quelquefois la mort même, ses yeux ne se détourneroient-ils pas avec horreur d’un spectacle aussi
affligeant ? N’en voudroit-il pas à l’opulence d’être si
cruelle, jusques dans ses bienfaits ? L’artisan, atteint d’une
maladie mortelle, n’a souvent besoin, pour revenir à la vie, que
de respirer un air libre et salutaire, que de prendre des
alimens légers, que de goûter un sommeil doux et paisible. Mais
si, à l’exemple du cruel Mésance, on le place à côté d’un
cadavre ou d’un malade qui transpire, alors il a le droit de
reprocher aux hommes leur pitié aveugle et meurtrière ; il peut
dire à ceux qui dirigent ces riches hôpitaux : pourquoi
m’avez-vous abandonné à la compassion du maître qui m’employoit,
de la femme charitable qui me secouroit ? Mes plaintes eussent
peut-être ému le cœur du riche qui me logeoit : maintenant que
mon sang est corrompu par l’air que je respire, on le fait
jaillir de mes veines entr’ouvertes, on épuise mes forces, et je
ne vis que par elles ! Lorsque vous m’aurez éconduit foible et
languissant, où irai-je ? que deviendrai-je ? Si je meurs,
hélas ! vous n’aurez avancé que le terme de mes maux, mais ces
enfans, que les bras de leur père nourrissoient,
qui les aidera à supporter la vie ? . . . Il n’y a pas
d’établissement qui intéresse peut-être plus l’état, qui mérite
davantage d’attacher son œil surveillant, que les hôpitaux. Cela
est si vrai, que l’on en a confié l’administration à ce que le
clergé a de plus éminent, et la magistrature de plus distingué ;
néanmoins, malgré leur amour et leur zèle pour l’humanité, il
est certain que le malade court encore plus de danger dans un
hôpital que sur son grabat, et peut-être seroit-il à souhaiter
que l’on rasât ces funestes édifices, pour en détourner les
richesses vers les malheureux qui souffrent ; mais ne seroit-il
pas possible d’empêcher que le mal ne sortit du sein même de la
bienfaisance ? Il n’y a déjà que trop long-temps que l’on a fait
comprendre que l’hôpital d’une grande ville devoit avoir une
exposition aérée ; qu’il seroit à souhaiter qu’on le divisât en
plusieurs bâtimens, séparés par des cours immenses ; que l’on
donnât dans les salles le courant d’air le plus livre ; qu’elles
fussent, ou assez vastes, ou assez multipliées, pour que
l’homme, que la douleur y amène, n’eut à souffrir que de ses
maux, et fut seul dans son lit. Mais, chez un
peuple qui ne s’occupe que de fêtes, que d’embellissemens, qu’il
y a loin d’un projet utile à son exécution ! Combien d’hommes
périront avant que l’hôtel-dieu de Paris ne soit que le dépôt
des blessés ou des malades, trop foibles pour pouvoir supporter
un transport éloigné ! On paroît dans ce moment tout occupé du
projet de faire bâtir de nouvelles salles de spectacle :
l’humanité ne devroit-elle pas songer à adoucir ses malheurs
avant de multiplier ses plaisirs ?