Un seigneur de campagne, qui prenoit les débris de son château pour les ruines d’un palais ; qui comparoit son curé à un pontife, ses valets à des favoris, ses femmes de basse-cour à des courtisannes, ses deux chiens à meute, sa cuisine, où étoient suspendus son fusil et ses armes rouillées, à un arsenal ; qui en voyant passer la petite troupe de ses paysans, disoit tout bas :
Dans un moment où ses idées étoient le plus élevées, il vit venir un homme, dont la tête étoit couverte d’un chapeau à larges bords ; des cheveux lisses s’étendoient sur son cou ; un habit gris, une veste noire le distinguoient de la troupe des mercenaires.
N’oubliez jamais, bailli, reprit gravement le seigneur, que c’est moi qui vous ai donné le pouvoir de rendre la justice ; mais gardez-vous d’en abuser ; que l’or sur-tout ne puise vous corrompre.
Hélas ! s’écria le bailli, qui voulez-vous
Le bailli, qui avoit vu autrefois ce monarque, dont l’air étoit si noble, le regard si fier, la démarche si imposante, en contemplant la figure mesquine de son seigneur, étoit étonné que les images ressemblassent si peu à leur modèles.
« Vous voyez, continua-t-il, avec quel respect votre pasteur vient m’offrir, comme les images au roi des Juifs, la mirthe et l’encens. Vous que j’ai élevé aux nobles fonctions de bailli, rendez-vous digne de ma faveur, et apprenez à tous mes habitans que leur seigneur est d’une espèce bien différente de la leur, que sa personne doit être pour eux presqu’aussi sacrée que celle du prince. »
Le bailli s’éloigna en baissant sa tête jus-
Quelques jours après cet entretien, le seigneur faisoit le tour de ses fossés dans une mauvaise nacelle : il croyoit être monté sur un navire, et comparoit l’eau croupie qui baignoit ses murs, à l’Océan. Dans un moment de délire, comme il se balançoit de l’air d’un conquérant, la nacelle se renversa, et le seigneur fut plongé dans le bourbier : il appelloit du secours de toutes ses forces. Plusieurs paysans accoururent à sa voix ; mais l’un d’eux plus malin que les autres, les arrêta en leur criant : « Malheureux, qu’allez-vous faire ? M. le bailli ne vous a-t-il pas dit que la personne de monseigneur étoit sacrée : nous ne pouvons pas y toucher. » Pendant ce discours, le pauvre homme tendoit les mains, et s’agitoit dans la boue. Il y seroit resté, si le curé, qui vint à passer, n’eût permis qu’on l’en retirât. Alors il comprit que, pour vivre avec les hommes, et en obtenir quelques secours, il ne falloit pas trop s’élever au-dessus d’eux.
Monsieur,
J’ai lu dans une de vos feuilles la lettre d’un mari qui se plaint de ce que sa femme, emportée par le tourbillon des plaisirs, est toujours loin de lui ; j’espère que vous voudrez bien donner une place à la lettre d’une femme désolée de ce que son mari jaloux est toujours près d’elle. Cette victime de l’hymen, c’est moi, Monsieur. A peine ai-je pu trouver le moment de vous adresser mes plaintes ; et si vous remarquez dans mon style quelques négligences qui le déparent, j’espère que vous les pardonnerez au peu de temps que j’ai eu de le soigner. Parvenue à l’âge de plaire et d’aimer, environnée d’adorateurs qui prétendoient tous à l’honneur de devenir mes maîtres, je ne trouvai dans mes parens que
Il a été appelé auprès de son père qui se meurt ; et comme il étoit fort pressé, j’ai été dispensée de le suivre, Mais en sortant, il me regardoit de façon à me persuader que son chagrin ne venoit pas moins de la
Mon mari lit votre ouvrage, Monsieur, peut-être se reconnoîtra-t-il dans ce portrait. Persuadez-lui, je vous pri, que l’esclavage dans lequel il me tient ne peut qu’être cruel pour moi, et dangereux même pour lui ; et qu’une femme qui n’est point estimée, finit souvent par ne plus mériter de l’être. Représentez-lui que son amour-propre devroit être pour lui un garant de la vertu et de la fidélité de sa femme. Qu’il apprenne que l’amour est un enfant qui se nourrit dans les jeux et dans les plaisirs, et qu’il devient sombre et cruel dès qu’on le fixe dans la contrainte.
J’ai lu quelque part qu’un mari qui aimoit beaucoup sa femme, l’ayant surprise avec un jeune homme qu’elle écoutoit, lui en fit de cruels reproches. La femme coupable se ressouvint de la maxime qu’en pareil cas il faut toujours nier. Elle assura à son mari qu’il n’en étoit rien. « Après avoir été témoin de votre faute, lui dit le mari outragé, je ne puis plus en douter. O mon mari ! s’écria-t-elle, que je suis malheureuse, je vois bien que vous ne m’aimez
E3 * Monsieur,
Je suis accablée, anéantie ; tous mes projets ; toutes mes espérances viennent de s’évanouir. Je ne suis plus une
La nature m’a fait naître de parens honnêtes, qui n’ont rien négligé pour donner à leur fille unique tous les talens qui prolongent le charme de l’amour. Des événemens imprévus ont dissipé leur fortune, le chagrin les a saisis, et je me suis vue tout-à-coup sans bien et sans appui. Un bon prêtre, ami de mon père, me conseilloit de me faire religieuse ; mais je n’ai jamais pu me résoudre à cacher sous le voile ce qui m’attiroit tant d’éloges : les hommes ne m’ont jamais semblé des animaux assez féroces, pour qu’on ne dût les voir qu’à travers jolies grisettes, et je vous avoue, Monsieur, que j’ai tant d’aversion pour ce mot, qu’il n’y a rien que je ne fasse pour l’éviter.
Je savois déjà qu’il ne falloit pas m’attendre à ces grands sacrifices qui abusent tant de jeunes filles, qui se lèvent tous les matins avec l’espérance de trouver dans le jour un époux qui mettra son opulence à leurs pieds et ses titres dans leurs main ; mais je n’ignorois pas que si je ne devois rien espérer de la raison des hommes, je pouvois obtenir beaucoup de leur folie. J’ai pris le parti d’abandonner l’une et d’attaquer l’autre : j’ai tendu mes filets en conséquence ; malheureusement je n’ai pris qu’un vieillard : c’est un maître des comptes honoraire, que j’honore infiniment, mais que je n’aime guère. Depuis soixante et faisan qui m’auroit été présenté dans un plat sorti de la manufacture de Sève ; enfin je lui ai tant fait croire que je dépérissois, que je n’avois plus que deux jours à vivre ; j’ai mis tant d’ordre dans mes affaires, j’ai écris mon testament d’un air si grave et si languissant ; mes femmes auxquelles j’avois donné le mot, ont paru si affligées, si désespérées ; elles ont tant pleuré, tant crié que mon viel amant n’a pas trouvé d’autres moyens pour les faire taire, que de m’apporter ce que je desirois. Vous voyez, Monsieur, que je paye ces choses-là plus que lui, puisque je les achète de tout mon esprit, que j’estime certainement davantage La promenade de . Mon cœur me disoit que je serois remarquée par quelques jeunes seigneurs ; je me flattois déjà de passer sous un empire plus aimable que celui de mon vieux monarque. Je l’avois amené au point de me faire avoir pour trois jours une voiture or et azur, avec six chevaux isabeles, dont les harnois auroient été de la plus grande élégance. J’avois arrété un postillon fait exprès pour moi, gros comme le point, l’air vif et hardi. Pour mon cocher, il étoit énorme ; sa large poitrine devoit être ombragée d’un bouquet qui auroit paru un arbrisseau en fleurs. Je ne vous parle point de ses moustaches ; elles auroient fait reculer un bataillon de miliciens. Trois grands laquais bien élancés, bien insolens, devoient s’appuyer sur l’impériale de mon carrosse. J’avois d’abord pensé qu’il étoit plus simple d’acheter tout cela, au lieu de se ruiner en le louant ; mais j’ai vu tout de suite que cela étoit au-dessus de