Le Spectateur français avant la révolution: VI. Discours.
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VI. Discours Sur l’inconvénient des
Manufactures et des Monastères.
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Mon
ami, qui n’a pas encore confié ses jours à l’Océan, vient de
m’écrire. Dans sa course rapide, tous les objets sont pour lui
fugitifs. J’en attendois des observations philosophiques sur
l’état actuel des provinces éloignées ; je croyois le voir lire
dans le cœur de l’oisif citadin, dans celui du négociant
infatigable ; j’espérois qu’il me décriroit le ridicule orgueil
de l’opulence ; qu’il suivroit les effets du nouveau systême.
Comme un voyageur vulgaire, il n’a remarqué que les
routes, que les places publiques ; il n’a été frappé que par
quelques chef-d’œuvres d’architecture ; ses regards ne se sont
arrêtés avec complaisance que sur les qui décorent
les temples, que sur la forme et l’étendue des salles de
spectacles. Comment, pendant son séjour à Lyon, n’est-il pas
descendu dans ces habitations souterraines, d’où le mercenaire,
après avoir fabriqué tout le jour les étoffes les plus
brillantes, sort à demi-vêtu ? Il auroit frémi en voyant l’or
briller dans les mains de l’indigence, et répandre son éclat sur
le visage pâle et livide de la misère. S’il avoit jetté les yeux
sur ces malheureux artisans, qui, pour la plupart, ont une
taille basse et difforme, auxquels une vie sédentaire donne un
air de faiblesse et de langueur, son cœur attristé auroit gémi
sur les cruels effets du luxe, qui assujettit à la peine et aux
infirmités la misère industrieuse qui le pare à nos yeux : il
auroit compris que ce nombre immense d’ouvriers affoiblis,
exténués, rend les campagnes désertes, dégrade et appauvris
l’espèce humaine, en donnant l’existence à des êtres aussi
foibles et aussi mal conformés qu’eux ; il auroit
vu que les manufactures enlèvent à l’état plus d’hommes que le
commerce ne lui rend d’argent. Le corps des artisans ne doit
être que la surabondance des campagnes, parce que c’est dans
leur sein qu’est la vraie richesse ; et malheureusement on n’a
encore mis en usage que les moyens de les dépeupler. Nous voyons
dans nos villes plus d’ouvriers inutiles, que l’on ne rencontre
au village de cultivateurs. Aussi, combien de terres n’ont
jamais senti le tranchant de la charrue, et qui ne produisent
que des ronces, parce que l’homme a dédaigné de les cultiver !
Combien de côteaux bien exposés auroient un jour donné au
vigneron le fruit de ses peines, s’il eût planté le cep qui
l’enrichit ! Mais l’activité et l’industrie ne fermentent que
dans le sein de l’abondance ; l’indigence engourdit les hommes,
et la misère les rend plus misérables encore. Mon ami, qui a
quitté Lyon pour aller à Grenoble où son cœur l’appeloit, a
visité cette chartreuse si célèbre où des pieux célibataires
passent, dans le silence et la retraite, le peu de jours que la
nature a donnés à l’homme.
Lettre D’une Mère qui a perdu sa Fille.
Metatextualität
Ce seroit peut-être ici le lieu
d’examiner si le premier des devoirs de l’homme civilisé
n’est pas de vivre avec ses semblables, d’alléger leurs
peines, de leur donner l’exemple de la sagesse, de la
générosité ; mais toutes ces réflexions ne ramèneroient pas
à la raison la troupe malheureuse qui s’en est éloignée.
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Brief/Leserbrief
Je vous écris, Monsieur, je ne
sais pas pourquoi ; votre ouvrage est sur ma table, et
dans l’accablement de ma douleur, je voudrois pouvoir
dire à toute la nature que je suis la plus malheureuse
des mères . . . . Mais, puisque je n’ai plus d’enfant,
je ne suis plus mère . . . . Hélas ! hier je l’étois
encore, et aujourd’hui je ne suis rien . . . J’avois une
fille, elle étoit la joie, le bonheur de mes jours, et
le ciel vient de me la ravir ; il ne m’en a laissé que
le souvenir. Aimable enfant, tu ne viendras
plus à mon lever appuyer tes lèvres sur la bouche de ta
mère ; non, je ne verrai plus ma fille ; ses bras ne me
presseront plus, et mes regards ne s’arrêteront plus sur
elle avec douceur. Pouvez-vous concevoir, Monsieur, le
vuide immense où se trouve une mère qui a perdu son
unique enfant, le charme de sa vie ? . . . Eh ! qui
connoîtra ma douleur, s’il n’a mon cœur, s’il n’a pas vu
ma fille ? Trop cher enfant, la nature ne t’avoit rien
refusé ; ta beauté étoit le moindre de ses dons ; elle a
brisé son plus bel ouvrage. O ma fille, ma fille !
étoit-ce à moi à pleurer ta mort ? Jeune enfant, tu as
déjà perdu la vie ; tu ne la connoissois pas
encore. . . . Tu étois faite pour être si heureuse !
l’amant que tu avois choisi étoit si digne de ta main !
L’infortuné ! il est allé cacher sa douleur et ses
larmes : elles cesseront un jour de couler, et les
miennes ne s’épuiseront qu’avec ma vie : il retrouvera
une amante ; mais moi, puis-je espérer de retrouver ma
fille ? O mères ! qui avez perdu une fille unique, que
vous êtes à plaindre ! Mais si celle que vous pleurez
ressembloit à mon enfant ; si elle étoit douce, belle,
caressante ; si ses talens charmoient votre
solitude ; si, près d’elle, l’ennui n’approchoit jamais
de vous ; si vous avez vu ses derniers regards vous
fixer, si ses mains foibles se sont soulevées pour vous
embrasser ; si son dernier soupir . . . Ah ! ma
fille ! . . . Hélas ! mère insensée, tu n’en as
plus. . . . Voilà l’affreuse pensée qui me déchire. Amis
foibles et importuns, qui m’offrez des consolations,
vous flattez-vous d’arracher de mon cœur le souvenir de
mon enfant ? Croyez-vous que je puisse oublier que
j’étois sa mère, son amie, qu’elle étoit la mienne ?
Hélas ! vous me parlez en vain, je ne vous entends pas ;
vous me répétez que mon malheur est sans remède : ah !
cruels, je ne le sais que trop. Oui, il faut renoncer à
tout espoir ; il ne me reste plus qu’à gémir. Tous les
jours je me leverai et jamais mon enfant ne viendra
au-devant de moi ; le soir je m’endormirai dans le sein
de la douleur. Ah ! puissé-je ne plus reposer que près
de ma fille ! Puisque je l’ai perdue, à quoi me sert-il
de vivre ? . . . Etre puissant, qui dans ta colère m’as
ravi tout ce que je chérissois, abaisses tes regards sur
la plus malheureuse des mères ; ayes pitié de sa
douleur ; écoutes son ardente prière. Tu lui as enlevé son enfant, elle ne te le redemande pas ;
elle te conjure seulement de ne la pas laisser
long-temps gémir sur la terre ; de refermer sur elle la
tombe de sa fille.