La Spectatrice. Ouvrage traduit de l'anglois: Livre onzieme.

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Livre Onzieme.

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Metatextualität

Depuis la publication de notre dernier discours, nous avons reçu deux lettres, qui nous paroissent l’une & l’autre, & je crois que chaque lecteur en jugera de même, tendre visiblement à prouver un seul article de grand importance ; on pourroit même croire que les auteurs ont été d’intelligence ensemble, & qu’ils ont seulement pris différentes routes pour parvenir au même but. Quoiqu’il en soit, & au risque de passer auprès de ceux qui prétendent être les plus sages, pour des esprits foibles, & des gens de la vieille mode qui ajoutent foi à ce que leurs ancêtres n’ont jamais revoqué en doute, nous insererons avec plaisir non-seulement les lettres que ces deux correspondants nous ont fait la faveur de nous écrire, mais encore tout ce qui nous sera communiqué dans la suite avec les mêmes vûes.

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Brief/Leserbrief

A la Spectatrice.
Madame, « J’ai parcouru avec une satisfaction peu commune votre agréable essay du premier de ce mois, dans lequel vous exhortez si justement, & si obligeamment les personnes de votre sexe à s’appliquer à ce qui seul peut les rendre ce qu’elles souhaitent d’être, nos égales, & ce que nous voudrions de tout notre cœur qu’elles fussent, nos aides. Je puis vous assurer, que quoiqu’homme je ne suis point de ces seigneurs & de ces tyrans impérieux, qui voudroient leur refuser tous les priviléges dont elles peuvent faire un bon usage ; & je conviens volontiers que c’est un devoir indispensable pour leurs parens, leurs tuteurs ou leurs époux, de cultiver autant qu’il est en leur pouvoir, le génie de celle qui est sous leur protection. Comme vous recommandez aux Dames l’étude de la Philosophie, & que plusieurs excellentes réflexions sont repandues à ce sujet dans vos ouvrages, je suis persuadé, que vous n’êtes pas novice dans une science, dont vous parlez d’une manière si persuasive. Quand je parle de la Philosophie, j’entends la plus utile de ses branches, qui nous enseigne la connoissance de nous-mêmes, qui nous éclaire sur la nature de ce qu’il y a de plus noble en nous, savoir de notre ame ; la manière dont elle agit par l’entremise des organes du corps, pourquoi elle est tellement limitée, & comment elle opéreroit si elle étoit débarrassée de la matière. J’ose croire que vous avez réfléchi attentivement sur tous ces sujets ; & quoiqu’on ne doive point attendre de réponse définitive à cet égard, qu’il soit même impossible d’arriver à la certitude où le Tout-puissant à <sic> opposé une barrière à la pénétration humaine ; cependant les différentes opinions que nous entendons sur une question qui nous regarde de si près, étendent nos propres idées, & sont un fond de plaisir pour un esprit qui aime la contemplation. Que nos ames soient très différentes de celles d’aucune autre espéce de créatures qui nous soit connue, c’est ce que Lucrece, ni aucun de ses sectateurs n’ont jamais osé nier ; mais ils mettent l’instinct des brutes si près de la raison humaine, que s’ils donnent quelque preference à la dernière, elle est bien petite ; ils nous disent que chaque animal a assez de sagacité pour pourvoir à sa propre conservation ; ce qui est plus que nous ne pouvons dire de cette souveraine raison dont nous nous faisons tant d’honneur, pusiqu’étant sujette à être subjuguée continuellement par differentes passions, elle ne peut pas empêcher que nous ne tombions souvent dans des maux que les brutes on la sagesse d’éviter. Comment ces malheureux penchants se sont-ils introduits dans notre nature, par quel moyen on peut en arrêter le cours, & si ce renoncement à nous mêmes doit-être suivi d’aucune autre recompense après celle qu’une vie reguliere & vertueuse nous procure dans ce monde, c’est ce que je laisse à examiner aux Théologiens. Je ne prétends soutenir que la supériorité de la nature humaine ; je veux prouver que la sagacité des animaux ne peut point être mise en parallèle avec notre pouvoir de réflechir, & qu’il y a quelque chose dans l’ame qui prouve qu’elle est d’origine divine & réellement une émanation de la grande Ame de l’Univers, & par conséquent qu’elle doit être incorruptible & immortelle. Laissons donc à ceux qui semblent se plaire à dégrader leur propre nature en la mettant de niveau avec celle des brutes, laissons leur, dis-je, soutenir que l’instinct de celles-ci égale notre raison ; que les remords que nous sentons à chaque mauvaise action sont un effet du préjugé & de l’éducation ; que la conscience n’est qu’un nom sans aucune réalité, vuide de sens ; & dire avec Dryden, que

Zitat/Motto

l’éducation nous jette tous dans l’erreur, que si nous croyons quelque chose, c’est parce que nous y avons été élevés, que le Prêtre continue ce que la nourrice avoit commencé, & qu’ainsi l’enfant en impose à l’homme fait.
Qu’ils poursuivent cet argument, tout foible qu’il est, & depourvu de fondement ; je n’entrerprendrai pas de le refuter : je connois une autre methode pour les convaincre, & qui est, à mon avis, plus demonstrative que si on prétendoit prouver par la pensée, la réflexion, l’invention & les autres facultés de l’ame, que c’est une substance immortelle. Il y a dans nous quelque chose que ni Prêtre, ni nourrice n’ont pû nous inspirer : quelque chose dont nous ne pouvons pas disposer, soit pour nous en servir lorsque nous en avons le plus grand besoin, soit pour le repousser, quoique nous fassions nos plus grands efforts pour en venir à bout. Il brille devant nous quand nous ne l’attendons pas, il est avec nous & il n’y est plus dans le même instant, comme l’éclair il est soudain, violent, & il ne paroit pas plutôt qu’il s’évanouit. Je veux parler de ces pressentimens secrets qui se font sentir avec plus ou moins de vivacité, à tous les hommes ; je n’ai encore vû personne qui m’ait nié de les avoir éprouvés une fois ou une autre dans le cours de sa vie. Lorsque nous voulons jouir de quelque relâche, après avoir mis de côté nos soins & nos soucis, & que nous ne pensons qu’à nous divertir avec nos amis, un rayon de ce divin attribut viendra nous atteindre & nous dire que telle ou telle chose arrivera ; mais il est alors flottant, passager, il s’évanouit au même instant qu’il s’est montré, & nous n’y faisons aucune attention, jusqu’à l’arrivée de l’évenement qu’il avoit prédit : alors il révient à notre esprit, & semble nous reprocher le peu de cas que nous en avons fait. En vain voudra-t-on les faire passer pour le résultat de quelques pensées précendentes, qui nous revient à l’esprit lorsque nous ne le rappellons pas ; parce que ces éclairs de préscience régardent souvent des affaires auxquelles nous n’avons jamais pensé, ou qui ne nous sont d’aucune importance, & si nous nous souvenons ensuite d’en avoir eu le pressentiment, c’est lorsque nous en entendons parler. Ainsi comme ces émanations soudaines ne nous sont d’aucune utilité dans la conduite de nos affaires, parce qu’elles ne se conservent pas dans la mémoire, & que ce seroit une très grande impieté de s’imaginer que les grand Autheur de la nature fait quelque chose en vain, ne devons-nous pas croire qu’il nous les envoye pour nous convaincre que nous avons au dedans de nous une partie de sa divine essence, afin que nous nous formions une haute idée de la dignité de nos ames, que nous benissions incessamment, & que nous exaltions avec une humble réconnoissance l’Autheur de ces immenses bienfaits, & que nous évitions soigneusement de commettre aucune action qui nous en rende indignes ? Comme je n’ai jamais trouvé qu’on se soit servi de cet argument pour prouver l’immortalité de l’ame ; je ne m’attendrois pas qu’il eût beaucoup de force, si je n’étoit pas convaincu que chaque lecteur en sentira la vérité dans son propre cœur ; pour moi, je le regarde comme une preuve au dessus de toute défaite, & qui semble destinée à être universelle ; parce qu’elle n’est pas fondée sur des principes abstraits, & que l’esprit le plus mediocre peut la saisir comme le plus grand génie. Dans un siécle tel que celui-ci, où la persuasion d’un anéantissement total est un article de foi à la mode, on devroit encourager toutes les tentatives qu’on fait, pour empêcher qu’une doctrine si absurde & qui tend manifestement à augmenter la corruption, ne jette de profondes racines ; c’est pourquoi je me flatte que vous daignerez insérer ceci dans le premier discours que vous publierez ; & si vous avez la bonté d’y joindre votre opinion sur ce sujet, j’ose repondre que vous obligerez la plus grande partie de vos lecteurs, & particulierement celui qui a l’honneur d’être avec la plus grande consideration. »

Madame,

Votre très humble & obéissant Serviteur,
Platonides.

Richemond, ce 21. Janv. 1745.

« P.S. Comme ces pressentimens arrivent plus souvent à certaines personnes qu’à d’autres, je m’imagine qu’il seroit fort utile d’insinuer comment on pourroit en profiter ; mais je m’en remets à ce que vous & vos belles associées jugerez convenable. »
Cette nouvelle notion, qui n’a pas encore été touchée, autant que je puis me le rappeller, nous plut extrêmement à toutes ; nous tombames d’abord dans une légère rêverie : & après une courte revûe de nous-mêmes, nous convinmens que nous avions senti ces éclairs de pressentiment dont Platnoides fait la description avec tant d’emphase ; c’est pourquoi nous nous réunimes toutes à penser qu’il y a ici quelque choses de plus que le pur hazard ; pusiqu’un semblable rayon de connoissance, ou plutôt d’inspiration, vient frapper tout d’un coup l’esprit, sans qu’on ait fait aucun effort pour l’attirer, ou qu’on l’ait même désiré ; en un mot, nous conclûmes que c’est-là une des marques que notre sage Créateur nous a formez à son image. Cependant telle est la stupidité & l’aveuglement de la plus grande partie des hommes, qu’ils estiment pour des bagatelles, & qu’ils prennent plaisir à dégrader la seule chose qui merite leur consideration, l’ame immortelle, qui seule nous donne le titre de seigneurs de cet univers, & le droit de disposer des autres Créatures comme nous en avons besoin. Je crois que tous les hommes conviennent, du moins ceux qui reconnoissent quelque chose au-delà de ce que leurs sens leur montrent, qu’il y a une très grande gradation d’êtres entre nous & le grand Auteur de la nature ; & si cela est ainsi, combien ces esprits superieurs doivent-ils nous plaindre ? (car l’excellence de leur nature empèche qu’ils ne méprisent nos foiblesses ;) quel ne doit pas être leur chagrin, quand ils regardent au dessous d’eux, & qu’ils nous voyent nous enorgueillir de quelques traits bien tournés, d’une peau delicate, & d’autres charmes dont mille accidents peuvent nous priver dans un moment, & que la vieillesse nous enleve infailliblement, tandis que nous négligeons, & qui plus est, que nous refusons de reconnoitre des avantages que ni revers, ni maladies, ni l’âge, ni la mort elle-même ne peuvent altérer, & qui subsisteront quand le tems même ne sera plus ! Le grand ennemi du genre humain doit aussi sentir une satisfaction proportionnée, quand il considére, qu’en renonçant si volontiers à toute prétention à l’immortalité, nous serons privés de l’héritage qui est promis aux enfans de Dieu. Mais j’espére, je suis même persuadée, que cette doctrine de notre anéantissement total ne part que des lévres, que le cœur du moins de la plupart d’entr’eux désavoue un principe si bas & si rampant, & qu’ils n’en font profession que par complaisance pour quelques personnes, qui pour les engager à agir à leur gré dans ce monde, tâchent de les persuader qu’il n’y a rien à désirer ou à craindre dans l’autre. S’il y a quelcun <sic>assez foible pour adopter réellement un principe si absurde, ce ne peut être que ceux qui passent leur vie dans une suite continuelle de plaisirs, & qui n’assignent autre occupation à leur ame que la recherche de quelque nouvelle volupté ; ceux-ci sont trop impatiens, ou si l’on veut trop indolens, pour tendre à quelque chose qu’ils ne peuvent pas atteindre sur le champ, & ils ne voudroient pas se refuser la moindre jouissance du présent, même pour la certitude du paradis de Mahomet dans l’avenir. L’ame peut être tellement absorbée & abrutie tandis qu’on s’occupe uniquement à satisfaire les sens, qu’elle perdra pour un tems le pouvoir d’opérer, & sera comme morte au-dedans de nous. J’ai même ouï parler de quelques personnes tellement plongées dans cette malheureuse lethargie, qu’elles murmuroient contre la nature de ce qu’elle les avoit faits de l’espéce humaine, & qu’elles donnoient la préférence aux brutes, uniquement parce que plusieurs d’entr’elles ont des sensations plus vives & plus delicates. Ceux-ci peuvent bien se mettre de niveau avec les bêtes qu’ils imitent ; & comme leurs débauches leur ont ôté toute idée des plaisirs spirituels, ils se plaisent à croire qu’ils ne seront plus, quand ils ne pourront plus agir comme ils agissent à présent.

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Exemplum

Je crois que quelques membres de la societé royale ont eu la curiosité d’essayer, si en insérant le sang d’un animal dans un autre, on opereroit du changement dans leur naturel ; si cette experience a réussi, c’est ce que je n’ai point ouï dire, ou que j’ai oublié ; mais ce qui m’a engagé à en faire mention, c’est que le bruit en étant parvenu aux oreilles d’un jeune Chirurgien, qui avoit une ambition demesurée de faire parler de lui, il se mit dans l’esprit de faire le même essay entre un homme & un chat : le projet lui plut tellement, qu’il ne cessoit d’en parler dans toutes les compagnies où il étoit admis ; & soit qu’il pensât réellement, ou qu’il ne fit que l’affecter, que l’ame des hommes & celle des animaux étoient de la même nature, & qu’elles consistoient l’une & l’autre dans le sang, il devint fort amusant pour ses amis les plus libertins, en leur decrivant comment son homme-chat se teindroit au coin d’une cheminée en faisant le rouet, commet il s’élanceroit après une souris, joueroit après l’avoir prise, & gronderoit ensuite en la devorant ; il poussa même à un tel point l’impieté & l’envie de profaner, que se trouvant un jour dans une compagnie, où il y avoit un Ecclésiastique, & parlant sur ce sujet, il lui adressa particulierement la parole, & termina ses fanfaronnades en lui disant. Eh bien Docteur, que deviendra alors votre métier ? Quand j’aurai fait mon expérience, où sera l’ame immortelle ? Je vous le promets, il vous faudra cesser de prêcher. Il ajouta encore plusieurs traits également impies & effrontés, auxquels le bon Ecclésiatique ne répondit que par un sourire de compassion & de mépris. Ce vain & glorieux jeune homme y pensoit si serieusement, qu’il fit tout son possible pour obtenir un criminel condamné à mort, sur qui il pût mettre son projet en exécution ; mais soit qu’on ne jugeât pas à propos de lui en accorder la permission, ou que les criminels préferassent de souffrir la mort à Tyburn, plutôt que de risquer leur humanité, plusieurs mois s’écoulerent avant qu’il pût faire son expérience. L’impétuosité de son temperamment ne s’accommodoit point de tous ces délais, d’ailleurs sa soif de se faire un nom étoit toujours la même ; ainsi il eut recours à un autre moyen d’en venir à bout ; & au lieu de faire d’un homme un chat, il entreprit de changer une femme en lapin, Toute la ville sçait comment cette affaire fut menagée, & les peines que la Reine défunte prit pour découvrir la supercherie ; aussi méritoit-elle à ce sujet les remerciems & les éloges, non seulement de son propre sexe, mais encore de tous les hommes en général, qui sont ou doivent être intéressés à soutenir l’honneur de la nature humaine.
Si tous les grands s’appliquoient de la même manière à découvrir les fraudes & les supercheries de quelque nature que ce soit, & à arracher au vice le masque dont il se couvre, on auroit bientôt banni de cette nation la corruption & les extorsions ; & ceux qui ne craignent point une autre monde deviendroient honnêtes gens, parce que leur intérêt l’exigeroit dans ce monde-ci. Mais pour revenir à ceux qui ont mis l’ame animale au-dessus de l’ame raisonnable, ceux, dis-je, qui ne reconnoissent point de ciel, excepté le plaisir qu’ils goûtent à satisfaire leurs plaisirs déreglés ; ceux qui croyent non seulement en eux-mêmes, mais qui ont encore l’assurance d’en instruire les autres, que leurs passions leur ont été données pour les satisfaire, & que chaque homme a le droit de faire tout ce qui lui plait ; je crois fermement, & je me flatte que mon opinion n’est pas mal fondée, que parmi la plus grande partie d’entr’eux, l’ame immortelle se réveille quelquefois, & met intérieurement obstacle au mal dont ils voudroient se rendre coupables. Il est vrai qu’ils tâchent de déguiser cette impulsion sacrée, si je puis l’appeller ainsi, sous le nom de morale ; mais la morale est-elle autre chose que la vertu ? & qui peut nous inspirer la vertu, si non ce rayon de la divinité qui est dedans de nous (donnez-lui quel nom que ce soit) & qui est seul capable de nous enseigner la différence entre bien & le mal ? Les passions ne le feront jamais, & on ne doit pas s’attendre que les sens plaident contr’eux-mêmes ; ils demandent toujours, & ne manquent pas de tourmenter celui qui refuse de les satisfaire, ensorte que ceux même qui voudroient fermer les yeux à la dignité de la nature humaine, ne peuvent éviter de s’en appercevoir dans quelques momens, quoique dans d’autre une extrême obstination puisse les pousser à donner le dementi à la raison. De plus, l’ame agit généralement avec plus de vigueur, à mesure que les passions perdent de leur force, & que le corps s’affoiblit par les infirmités, ou l’âge ; mais sur-tout elle se montre plus clairement à l’article de la mort ; elle nous présente alors d’un seul coup d’œil tout le bien & le mal de notre vie passée, ne nous deguise rien de ce que nous avons été, & nous communique peut-être ce que nous serons. C’est un sujet qu’aucun homme vivant ne peut éclaircir, mais j’ai en ma faveur l’autorité de plusieurs habiles gens, qui ont assiste <sic> à la dissolution de plusieurs mourans, & qui ont conclu sur les observation <sic> qu’ils avoient faites à ce sujet, que des scenes nouvelles & surprenantes se présentent aux personnes qui sont sur le point d’expirer ; & comme s’exprime Mr. Waller, qui étoit sans doute dans cette opinion,

Zitat/Motto

qu’en quittant ce monde, ceux qui sont à la porte de l’autre les voyent tous deux en même tems.
Je sais que nos Sceptiques modernes riront de tout ceci ; ils demanderont qui est revenu de l’autre monde pour nous en faire la description, & quelle preuve on peut donner que l’esprit subsiste après la dissolution de la matiére, si l’on excepte les suppositions d’un petit nombre de visionnaires ? Je les renvoye pour toute reponse aux ouvrages de ces savans auteurs, dont ils ne revoquent pas en doute le jugement à d’autres égards : & si ces ouvrages ne peuvent pas les convaincre, ce seroit la plus grande vanité à un Spectateur femelle de s’imaginer que ce qu’il avancera aura plus de poids. Non seulement les Théologiens & les Poëtes de tous les âges, mais encore les plus sages d’entre les anciens Philosophes ont défendu la doctrine de l’immortalité de l’ame, & son existence dans un état à venir. Quoiqu’ils ne convinssent pas sur cet état, ils differoient suivant les divers principes qu’ils croyoient & enseignoient ; quelques-uns établissoient pour les esprits décedés deux séjours, l’un de bonheur & l’autre de malheur ; d’autres Philosophes supposoient un nombre infini de mondes, dans lesquels l’ame en passant de l’un à l’autre, se purifieroit & approcheroit toujours plus de la perfection ; mais tous se réunissoient dans le point principal, savoir, qu’en considerant la nature de Dieu, & celle de nos idées, cette terre que nous habitons ne paroit être que le premier degré de notre ame dans son voyage à l’éternité.

Metatextualität

Je vais à présent offrir à mes lecteurs l’autre lettre dont j’ai fait mention ; comme elle porte avec elle un air de veracité, elle pourra peut-être servir de preuve que la mort n’a aucun pouvoir sur l’ame, du moins dans l’esprit de ceux qui ne sont pas résolus de fermer les yeux à tout conviction.

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Brief/Leserbrief

A la Spectatrice.
Madame, « Puisque le présent âge affecte follement d’avilir tout ce qui regarde le monde intellectuel, sans réflechir au mauvais effet qu’une telle affectation peut avoir sur les sentimens & les mœurs de la postérité, c’est certainement le devoir de chaque personne sensée de contribuer de tout son pouvoir à deraciner ces notions absurdes, qu’on cultive avec tant d’industrie parmi nous, & qui n’ont que trop jetté une profonde racine. Nier la possibilité de l’apparition des esprits, après que les corps sont deposés en terre, c’est renverser toute l’histoire tant sacrée que profane ; cependant comment ne se moque-t-on pas actuellement de cette opinion ! Celui qui tâche de la défendre est regardé par toutes ses connoissances comme un superstitieux & un bigot : c’est envain qu’il prétendra citer le Vieux ou le Nouveau Testament, on a trouvé le moyen d’éluder l’autorité du texte sacré ; & d’ailleurs, il y a des gens assez présomptueux, pour avouer leur incrédulité sur tout ce qui est contenu dans lés <sic> Ecrits divinement inspirés. Je conviens volontiers qu’il y a plusieurs récits d’apparition très-ridicules ; mais qu’en resulte-t-il ? devons nous decréditer toute l’histoire, parce que des romans ont porté ce titre ? devons-nous rebuter tous les voyages, à cause de ceux que le Chevalier Mandeville a publiés ? Ce seroit bannir la partie la plus utile du savoir ; & je puis inférer avec autant de justice, que de nier qu’il y ait jamais eu aucune apparition de personnes decedées, uniquement à cause des contes sans fondement qu’on a fait à ce sujet : c’est déjà faire beaucoup de chemin du côté d’une incrédulité absolue à l’égard de l’immortalité de l’ame, ce qui est le plus terrible coup qu’on puisse donner à la vertu & à la religion en général. Je penche à croire, Madame, par votre manière d’écrire, que vous n’êtes pas du nombre de ces incrédules modernes, & que vous n’êtes pas assez attachée à la force de votre propre pénétration, pour rejetter comme fabuleux tout ce que l’esprit humain ne peut pas expliquer. Dans cette confiance, j’hazarderai de vous communiquer briévement une apparition surnaturelle, dont la vérité m’est parfaitement connue, comme à plusieurs autres personnes d’une veracité incontestable, qui sont encore vivantes.

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Allgemeine Erzählung

Vous avez sans doute oui parler de la fameuse Duchesse de Mazarin, maitresse du Roi Charles II., de qui Mr. Waller parle ainsi, en faisant la description des belles favorites de ce Monarque. Après que la belle Mazarin, aussi brillante que le Soleil, a parcouru tous les lieux que cet astre illumine, tour à tour, elle vole enfin dans cette Isle, comme dans le dernier endroit où elle vouloit faire triompher ses yeux conquerants. Il est encore vraisemblable que vous avez connu de reputation, si non personnellement, Madame de Beauclair, qui n’étoit pas moins aimée & admirée de son frere & successeur Jaques II. ; mais peut-être ne vous a-t-on pas dit qu’il régnoit entre ces deux Dames une amitié qui se rencontre rarement entre des personnes du même sexe, surtout si elles vivent à la Cour. La ressemblance de leur situation y contribua sans doute beaucoup ; elles avoient perdu chacune leur amant, l’un par la mort, & l’autre par abdication ; toutes deux avoient un excellent jugement, avoient jouï de tous les plaisirs que le monde peut procurer, & quand j’eus l’honneur de les connoître, elles étoient arrivées à un âge où elles devoient mépriser toutes les pompeuses vanités du siécle. Après l’incendie de Whitehall, on leur donna à chacune un fort joli appartement, joignant les écuries du palais de St. James. Mais la face des affaires étoit alors totalement changée, de nouveaux courtisans, des nouvelles maximes se mirent à la mode ; c’est pourquoi ces deux Dames se bornerent presqu’à se voir l’une l’autre. Ce fut à peu près dans ce tems-là, que quelques personnes qui vouloient passer pour avoir plus de pénétration que leurs voisins, commencerent à opposer la raison à la foi, ou du moins à l’élever contre cette dernière ; cette doctrine se répandit bientôt, & devint un sujet de conservation entre ces Dames. Je ne dirai pas qu’elles en fussent l’une ou l’autre entièrement convaincues ; cependant les raisons specieuses qui partoient de plusieurs personnes renommées pour leur savoir, firent sur elles une telle impression, qu’elles commencerent à douter fortement de l’immatérialité de l’ame & de son existence après la mort. Dans l’un des entretiens serieux qu’elles avoient souvent à ce sujet, elles convinrent, que celle qui seroit appellée la premiére à sortir de ce monde y reviendroit, s’il étoit possible, pour instruire l’autre de son état. Il paroit que cette promesse fut souvent repetée entr’elles ; & lorsque la Duchesse tomba malade, & que tous ceux qui la servoient désesperérent de sa vie, Madame de Beauclair lui rappella leur engagement reciproque : surquoi Madame de Mazarin lui repliqua, qu’elle pouvoit compter sur son exactitude à tenir parole. Elles tinrent ce discours environ une heure avant que cette belle Dame expirât, & en présence de plusieurs personnes qui étoient alors dans la chambre, & qui ne comprirent point alors ce qu’elles entendoient. Il m’arriva quelques années après la mort de la Duchesse, de faire visite à Madame de Beauclair ; la conversation tomba par hazard sur un état à venir, & cette Dame exprima avec beaucoup de chaleur son incrédulité à ce sujet ; comme je pensois moi-même tout différemment, & que je la supposois fermement attachée à la réligion qu’elle professoit, je fut extrêmement surpris de ce qu’elle me disoit : aussi je pris la liberté de lui alléguer quelques raisons qui me paroissoient demonstratives en faveur de la croyance d’une vie à venir ; elle me repondit alors, que tout ce que le monde entier pourroit lui dire, ne la persuaderoit pas de cette opinion ; & me communiqua ensuite l’accord qui s’étoit fait entr’elle même & sa chére amie defunte la Duchesse de Mazarin. Je lui représentai en vain qu’il étoit très apparent que les ames dans l’autre monde n’avoient pas la permission d’accomplir les engagemens qu’elles avoient formés dans celui-ci ; sur-tout quand ils ne s’accordoient pas avec la volonté de Dieu, qui, lui dis-je, a placé une épée flamboyante entre la connoissance humaine, & ce glorieux Eden, dont nous esperons par la foi d’être les héritiers. C’est pourquoi, ajoutai-je, Madame de Mazarin peut être en possession de cette immense félicité qui est promise aux Sectateurs de la vertu, intercéder même actuellement pour que cette chére amie qui partage son cœur puisse participer au même bonheur, & cependant n’être pas en liberté de lui apprendre son état, ou seulement si elle existe encore. Tout ce que je pus dire ne fit pas sur elle la moindre impression, & je trouvai à mon grand chagrin, qu’elle étoit devenue autant partisane de la nouvelle doctrine de la non-existence après la mort, que ceux même qui l’avoient publiée, & pour cette raison j’évitai dès-lors tout discours avec elle sur ce sujet. Peu de mois après cette conversation, je me trouvai chez une personne de qualité, avec qui Madame de Beauclair étoit plus liée depuis la mort de la Duchessse de Mazarin, qu’avec aucune de ses connoissances ; nous étions au jeu, environ à neuf heures du soir, autant que je puis me le rappeller, quand un domestique entra avec précipitation dans la chambre, pour dire à la Dame de la maison que Madame de Beauclair envoyoit la prier de venir chez elle dans ce moment, ajoutant, que si elle vouloit la voir encore en vie, elle ne devoit pas differer cette visite. Un message si extraordinaire ne pouvoit que surprendre la personne à qui on l’adressoit ; & ne sachant que penser à ce sujet, elle demanda qui l’avoit apporté : on lui répondit que c’ètoit le valet de chambre de Madame de Beauclair ; elle ordonna alors qu’on le fit entrer, & s’informa de lui si sa Dame se portoit bien, ou s’il lui étoit arrivé quelque chose d’extraordinaire, qui donnât lieu à cette prompte sommation. Il répondit qu’il ne pouvoit pas en dire la raison, & qu’à l’égard de la santé de sa Maitresse, il n’avoit pas vû ni oui dire qu’elle se fût plainte d’aucune indisposition. Fort bien, dit cette Dame, un peu de mauvaise hnmeur <sic> : je vous prie de faire mes excuses, parce que j’ai réellement un violent rhume, & que je crains que la fraicheur de la nuit ne l’augmente, mais je ne manquerai pas de me rendre chez votre maitresse demain de grand matin. Après que ce domestique fut parti, nous commencions à former différentes conjectures sur ce message de Madame de Beauclair ; mais avant que nous pussions convenir sur ce qui l’avoit occasionné, le même homme revint & avec lui Madame Ward, la femme de chambre de cette Dame, l’un & l’autre hors d’haleine, & avec un visage abbatu. O Madame, s’écria celle-ci, ma maitresse fait paroitre un extrême chagrin de ce que vous refusez sa demande, parce qu’elle dit que ce sera la dernière ; elle assure qu’elle ne sera pas en état de recevoir demain votre visite ; & comme une marque de son amitié, elle vous legue une petite cassete qui contient sa montre, son colier & quelques autres joyaux, qu’elle vous prie de porter pour vous souvenir d’elle. En finissant de parler, elle lui remit le légat dont il étoit question, ce qui joint au discours qu’elle venoit de tenir, nous jetta cette Dame & moi dans une consternation que nous ne pouvions pas exprimer. Elle auroit voulu entrer en conversation avec Madame Ward sur cette affaire, mais celle-ci l’évita en disant qu’elle avoit laissé une simple servante avec Madame de Beauclair, & qu’elle devoit retourner sur le champ ; surquoi cette Dame s’écria avec précipitation, je veux y aller avec vous, il y a certainement quelque chose d’extraordinaire dans tout ceci. Je lui offris de l’accompagner, ayant, comme on peut le croire, une forte envie de voir clair dans une affaire qui me paroissoit si mysterieuse. Enfin nous y allames dans le même moment ; mais comme on n’avoit point parlé de moi, & que Madame de Beauclair pouvoit ignorer que je fusse avec cette Dame quand son domestique étoit arrivé, la décence & le savoir-vivre vouloient que je restasse dans son antichambre, à moins qu’elle ne me fit dire d’entrer. Cependant, dès qu’elle apprit que j’étoit chez elle, elle me fit prier par son domestique de passer dans sa chambre ; j’obéis, je la trouvai assise dans un fauteuil à côté de son lit, & elle me parut de même qu’à tous ceux qui étoient presens, en aussi bonne santé qu’on eut pû la désirer. Comme nous lui demandames si elle sentoit quelque mal intérieur, qui eût donné lieu à ces tristes pressentimens que son message témoignoit, elle repondit que non : cependant, ajouta-t-elle, avec un léger soupir, vous me verrez bientôt passer de ce monde à l’éternité dont j’ai douté une fois, mais dont je suis maintenant convaincue. En prononçant ces dernières paroles, elle m’envisagea fixement, comme pour me rappeller la conversation que nous avions eue à ce sujet. Je lui dis que j’étois charmé, de voir un si grand changement dans ses entimens <sic> mais que je me flattois que cette conviction ne lui seroit pas fatale ; elle ne me repondit alors qu’aavec un sombre, souris ; & comme un Ecclésiastique de sa persuasion, entra alors dans la chambre, nous nous retirames tous, pour le laisser en liberté d’exercer ses fonctions. A peine une demie heure s’étoit-elle écoulée, qu’on nous rappella, & nous la trouvames alors plus contente qu’auparavant, parce qu’elle avoit déchargé sa conscience ; ses yeux, aussi perçans qu’il est possible, brilloient d’un feu peu ordinaire ; elle nous assura qu’elle mourroit avec plus de satisfaction, puisqu’elle avoit auprès d’elle dans ses derniers momens les deux personnes qu’elle aimoit le plus dans ce monde, & que dans l’autre, elle jouiroit de la compagnie de celle qui lui avoit été si chére durant sa vie. Nous commencions à la dissuader de se livrer à une pensée qui ne paroissoit pas avoir la moindre vraisemblance, lorsqu’elle nous arrêta en disant. Ne parlez plus de cela, mon tems est court, & je ne voudrois pas consumer vainement le peu de tems que je dois rester avec vous ; apprenez, continua-t-elle, que j’ai vû ma chére Duchesse de Mazarin. Je ne l’ai point vue entrer, mais en jettant les yeux de ce côté de la chambre, je l’ai apperçue debout, avec le même air qu’elle avoit pendant sa vie, & le même habit qu’elle avoit accoutumé de porter ; je voulois lui parler, mais je n’avois pas la force de prononcer une seule parole ; elle a fait un petit tour le long de la chambre, paroissant plutôt nager que si elle marchoit ; elle s’est ensuite arrêtée à côté de ce petit cabinet des Indes, & me regardant avec sa douceur ordinaire. Beauclair, m’a-t-elle dit, entre minuit & une heure, cette même nuit, tu seras avec moi. Ma première surprise étoit alors un peu diminuée, & j’allois lui faire quelques questions touchant cet autre monde que je devois si tôt visiter, lorsqu’en ouvrant la bouche dans ce dessein, je l’ai vue s’évanouir je ne sçais pas comment. Il étoit alors près de minuit, & comme elle ne montroit pas le moindre symptôme d’aucun mal, nous tâchames encore de la delivrer de toute appréhension de la mort ; mais nous avions à peine commencé de parler, quand sa phisionomie changea tout d’un coup, & qu’elle s’écria. O, je sens un mal de cœur ! Madame Ward qui s’étoit toujours tenue près don son fauteuil, lui donna d’abord quelques goutes, mais sans effet ; elle devint toujours plus mal, & expira environ une demie heure après, exactement dans le même tems que son amie le lui avoit prédit.
Je suis entré dans un grand détail sur cette affaire, autant pour prouver que je n’avois pû être trompé, que pour montrer que Madame de Beauclair n’étoit ni sujette aux vapeurs, ni superstitieuse, comme on en accuse tous ceux qui prétendent avoir vû des choses surnaturelles. Je conviens volontiers de la force de l’imagination sur les sens, & que les contes, qu’on nous a faits dans notre enfance, laissent après eux des idées qui nous reviennent dans un âge mûr ; mais il ne pouvoit y avoir rien de semblable dans ce cas. La Dame dont j’ai parlé, bien loin d’avoir aucune appréhension, ou moindre préjugé à ce sujet, regardoit au contraire toutes les apparitions comme très ridicules & absurdes, & n’auroit jamais pû être convaincue que par le temoignage de ses propres sens. Il faut avouer, que nous recevons fort rarement de semblables avertissemens de notre sort ; & on ne doit pas supposer que les esprits décedés puissent nous visiter quand il leur plait. C’est pourquoi je regarde comme très présomptueuse toute convention semblable à celle que ces Dames firent entr’elles ; & quand il est permis de la remplir, nous ne devons pas nous imaginer que ce soit pour satisfaire la vaine curiosité de ceux qui doutent d’un état à venir, mais plutôt pour fortifier la persuasion de ceux qui y ajoutent foi. Je pense donc, que quiconque est bien convaincu de la verité d’un semblable événement, doit le communiquer au public, sur-tout dans ce tems, où la croyance d’un autre monde, de laquelle depend notre bonne conduite dans celui-ci, a besoin de tous les secours pour se maintenir parmi nous. C’est seulement dans cette vue, que je vous ai écrit une lettre si longue, vous laissant en pleine liberté, ou de l’inserer toute entiere, ou seulement de communiquer au public la petite histoire qu’elle renferme, suivant votre maniére agréable de narrer ». Je suis Madame,
Le plus constant de vos Lecteurs & votre grand admirateur.
A.B.

Du quarré de Lincolns-inn ce 31 Janv. 1745.

Metatextualität

La lecture de cette lettre nous a extremement touchées, & sur tout Mira, dont la mere avoit été intimement liée avec Madame de Beauclair, & qui avoit ouï parler de cette Dame comme d’une personne de beaucoup de genie, & entierement degagée de ces préjugés de l’éducation qui peuvent en imposer aux petits esprits.
Pour moi, tandis que j’ai de mon côté l’authorité de l’Ecriture sainte, les décisions des Peres, & le consentement des Nations les plus sages & des meilleures Religions, je n’aurai pas honte de convenir que les apparitions ne sont pas purement fabuleuses, & je ne m’embarrasserai point du ridicule dont nos Philosophes modernes voudront me couvrir. Il est vrai qu’on a debité tant de pauvretés & de contes ridicules touchant les esprits & les maisons où ils apparoïssoient, que plusieurs personnes bien intentionnées ne pouvant pas croire tout ce qu’on leur dit, n’ajoutent foi à rien sur cet article ; ensorte que si l’immortalité de l’ame étoit appuyée sur cette unique preuve, le nombre de ceux qui placent leur souverain bien dans ce monde augmenteroit considerablement. Mais pour la consolation de ceux qui ont des idées plus rélevées de la sagesse, de la justice, & de la bonté infinie du Créateur, il y a mille autres preuves encore plus convainquantes, qu’on trouvera suffisamment developpées dans une multitude de savans traités. On dit que nous croyons facilement ce que nous souhaitons ; & s’il en est ainsi, rien à mon avis n’est plus étrange, que de voir un homme qui aime à s’informer de tout, & qui est naturellement ambitieux, abandonner avec tant de facilité ses espérance de l’éternité ; & faire dependre tout ce qu’il a dont il puisse se glorifier, aussi bien que les recherches d’un esprit toujours actif, d’un peu de souffle, dont la chûte d’une tuile d’un toit, ou le plus petit accident peut le priver dans un moment, & qui doit un jour lui être ôté sans aucune attaque du dehors. Assurément si cette étincelle de l’essence divine, qui illumine plus ou moins tout le genre humain, pouvoit être anéantie, ceux qui en nient l’éxistence & s’attendent de perir comme les brutes, meritent de faire cette fin. On pourroit encore plaindre la folie d’une semblable notion, comme tant d’autres extravagances, si ceux qui en sont possedés n’étoient pas assez scélerats pour tâcher de rendre l’infection générale : tous ceux qui pensent de cette maniére sont infatigables pour en attirer d’autres dans leur opinion, ils montrent en cela une envie & une malice semblables à cette disposition que Milton attribue aux mauvais Anges. Car y a-t-il quelque chose qui tende mieux à la destruction du genre humain, que de vouloir abolir le seul principe qui y conserve l’ordre. Qu’on se vante tant qu’on voudra de morale, d’honneur, & de bon naturel ; la passion franchira quelquefois ces bornes, même dans les plus vertueux, s’ils ne sont pas retenus par la consideration de l’avenir. Avec quelle justesse Shakespear exprime-t-il ce sentiment dans sa Tragedie de Hamlet ! Car si nous venons une fois à répondre dans la negative sur cette importante question d’être ou de n’être pas après la mort, il sera aisé à la volonté qui ne reconnnoitra plus de maitre, de renverser tout devant elle, & de fouler aux pieds tous les établissemens humains ; il n’y aura plus alors de distinction entre le juste & l’injuste : la force pour surmonter, & la ruse pour surprendre seront les seules vertus, & celui qui les possedera au plus haut degré sera l’homme le plus heureux ;

Zitat/Motto

car le monde, ainsi que s’exprime Dryden, est fait pour l’impie, que rien n’arrête, & qui saisit tout ce qu’il peut prendre sans danger.
Resteroit-il dans l’ame quelque scrupule sur une chose qui nous promet de l’avantage ou du plaisir ! Y auroit-il même quelque sagesse à heziter dans la poursuite ! La vie, nous le savons tous, est constamment accompagnée de soucis & d’incommodités : qui ne tâcheroit pas alors de l’adoucir autant qu’il lui est possible, & de gouter tous les plaisirs des sens, tandis qu’il n’attend rien au dela ? Ainsi chacun ne chercheroit que son propre contentement, & à satisfaire ses passions, sans considerer ce que les autres souffriroient de cette conduite. Mais, direz vous, il y a des loix pour preserver l’ordre parmi nous, & des peines séveres pour reprimer le vice. Je réponds à cela, que si cette doctrine de la non-existence après la mort devenoit universelle, la corruption qu’elle occasionneroit ne la seroit pas moins ; celui qui prononceroit la sentence, comme celui qui doit l’exécuter, pourroient être également gagnés, ensorte que le criminel auroit bien peu à craindre : lorsque tous seroient également coupables, qui seroit assez hardi pour jetter la première pierre ? En un mot, c’est la pensée de ce redoutable & cependant désirable avenir, qui nous tient tous dans la crainte. Mr. Locke a demontré qu’il n’y a rien de plus inconsistent avec lui-même que l’homme ; personne n’est sûr qu’il pensera demain comme il pense aujourd’hui ; & je crains très fort que ceux qui se reposent sur des retours d’amitié, d’amour, de bienveillance, ou sur l’accomplissement de quelques promesses, ou de certains vœux de la part d’une personne qui ne craint rien après cette vie, ne soyent malheureusement trompés. Je suis convaincue, que si le coeur avoit une fenêtre á travers laquelle on pût decouvrir ses secrets réplis, nous trouverions dans tous une semence noire & corrompue, qui verifieroit ce que dit un de nos Poëtes, que tous les hommes seroient plus méchans s’ils ôsoient. Mais ce principe est un de ceux que les Latitudinaires nient absolument ; & si vous voulez les croire, l’honneur suffit pour les empêcher de commettre aucune action contraire au bien de la societé ; quoiqu’ils y trouvent eux-mêmes du plaisir & de l’avantage. Ceux, disent-ils, qui se gouvernent suivant les contes que leur font leurs Prêtres, & qui reglent leurs actions suivant les maximes écrites de la religion, ont des esprits bas & mercenaires. Pour eux, ils sont au dessus de l’espérance d’être recompensés, ou de la crainte du châtiment ; & ils veulent faire tout le bien dont ils sont capables, parce que cette conduite est conforme aux loix de la nature. Je souhaiterois qu’ils voulussent s’acquitter de ce dont ils se vantent si hautement, & faire réellement par ce motif tout le bien dont ils sont capables ; mais je m’imagine que si nous examinons, même légerement, la conduite de la plus grande partie d’entr’eux, nous trouverons que ce qu’ils appellent faire du bien, se borne à tout ce qui pourra leur être avantageux à eux-mêmes dans la suite. Mais, à mon avis, ils se jouent de nous en nous parlant de cette maniére ; n’est-ce pas dans l’attente de quelque recompense, que nous formons toutes nos entreprises ? Que veulent dire notre émulation, nos débats, nos efforts, si non que nous tendons à un point dans lequel nous plaçons tout notre bonheur ? N’est-ce pas l’espérance de se faire un nom, d’obtenir du plaisir, ou quelque avantage, qui nous excite à tout ce que nous faisons ? Les meilleurs, comme les plus méchants sont entierement gouvernés par ce motif ; les plus nobles vertus comme les plus infames vices tirent delà leur origine, & quoique les hommes prennent différents chemins pour arriver à leur but, leur propre satisfaction est toujours le centre auquel tendent tous leurs pas. Ainsi n’est-il pas absurde, ridicule, que des gens qui ne trouvent pas rien de trop, ni peines, ni dangers, ni bassesses, pour acheter un bonheur incertain & temporel, tel que les plaisirs de cette vie si courte, s’écrient cependant qu’il est au dessous de la grandeur de leur ame de faire quoique ce soit dans l’espérance d’une recompense éternelle ? A l’égard de ce qu’ils nomment honneur, & qui suivant eux, empêche tant de gens de commettre des actions basses ou infames, on peut prouver, même à une personne qui ne connoit point le monde, par une infinité d’exemples, que ce n’est qu’un son, pompeux à la vérité, mais vuide, passager, inconstant comme l’air, quand la religion ne l’accompagne pas. Cette considération du peu de fond qu’on peut faire sur ce principe, me rappelle une chose qui arriva il y a quelques années dans une famille, que je connoissois parfaitement ; & comme les personnes intéressées étoient des gens de condition & qui faisoient figure, cette affaire fit alors quelque bruit en ville.

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Allgemeine Erzählung

Un Officier Général, que je nommerai Martius, & qui semblable au Dieu de la guerre, n’étoit pas moins galant que guerrier, fut sur le point, après une longue suite de succès sur le champ & dans la ruelle, d’être vaincu par une jeune Dame, dont l’innocence étoit égale à la beauté, & qui à la première découverte de sa passion, le rebuta d’une manière à laquelle il n’étoit pas accoutumé. En vain recourut-il à tous les artifices que les hommes mettent en usage contre notre trop crédule sexe ; en vain employa-t-il avec des présens, des promesses, des soupirs, des larmes, & tout ce que son amour & son esprit purent lui inspirer ; sa vertu étoit un roc imprenable à tous les assauts du dehors, & qui ne pouvoit pas être trahie au-dedans par aucune tendresse criminelle. Cependant les sollicitations continuelles de cet amant la fatiguerent au point, qu’elle prit la résolution de se retirer à la campagne chez une vielle Tante encore fille, & qui n’ayant qu’un bien mediocre vivoit fort retirée. Comme elle ne pouvoit pas se rendre dans aucune assemblée sans être sûre d’y rencontrer Martius, elle aima mieux renoncer aux plaisirs de la ville, que de donner le moindre encouragement par sa présence à une passion à laquelle elle ne pouvoit penser sans horrenr <sic> parce que Martius étoit un homme marié. Mais que la vertu soit industrieuse pour sa propre conservation, le vice le sera encore davantage pour la surmonter : Martius vint à bout, en corrompant un domestique de son père, à découvrir le lieu où elle s’étoit retirée, & porté sur les ailes des desirs furieux, il vola sur le champ après elle ; mais n’étant pas encore déterminé en lui-même comment il se conduiroit pour réussir, il deguisa son nom & sa qualité, s’arrêta comme un particulier dans une hotellerie voisine de la maison, dont Isménie (car c’est ainsi que je nommerai cette Dame) avoit fait choix pour son azyle. Dans cette situation il ne perdit point de tems à poursuivre le dessein qui lui avoit fait abandonner toutes ses autres affaires ; il s’informa exactement de la conduite d’Isménie, & il apprit qu’elle sortoit rarement, à moins que ce ne fût pour aller à l’Eglise, ou pour faire un petit tour de promenade, mais qu’elle étoit toujours accompagnée de sa Tante, qui, lui dit-on, étoit dans une situation fort étroite, & extrêmement interessée. Il jugea donc qu’il viendroit difficilement à bout de son dessein, sans l’assistance de cette même personne auprès de qui Isménie étoit venue chercher de la protection. Il engagea donc son hôtesse à faire prier la tante d’Isménie, de se rendre chez elles, sous le prétexte qu’elle avoit un mal de jambe, & parce que cette vieille Dame étoit une grande Docteuse, comme la plupart de celles qui vivent à la campagne. Tandis qu’elle y étoit, le Général entra comme par hazard dans la chambre, & trouva aisément le moyen de se mettre dans ses bonnes graces. L’hôtesse les laissa alors seuls, comme ils en étoient convenus ; il en profita pour lui faire savoir son nom & sa qualité, & l’ayant ainsi préparée à entendre sa déclaration, il l’instruisit de sa passion pour l’aimable Isménie, s’étendit sur le tems qu’il avoit souffert les cruautés de cette belle, & termina son discours en lui offrant un billet de banque de cinq cent piéces, si elle vouloit être assez charitable pour l’aider dans cette affaire, & lui en promettant encore davantage si elle la faisoit réuissir. On ne peut pas douter qu’elle ne sentit d’abord quelques scrupules : mais sa rhetorique jointe à celle de ce peu de mots que le morceau de papier contenoit, imposa bientôt silence à toutes les objections ; elle devint entièrement la creature de Martius, & concerta avec lui les mesures les plus propres pour exécuter son dessein. La pauvre Isménie, de son côté, appréhendoit bien peu le cruel stratagême qu’on projettoit pour surprendre son innocence, & lorsque sa perfide tante lui dit le jour suivant qu’elle avoit loué une chaise à deux chevaux, & qu’elle la prendroit avec elle l’après midi, pour lui montrer le pays qu’elle n’avoit point encore vû, elle crut lui être extrêmement obligée de cette marque d’affection & de complaisance, & en conséquence elle s’habilla d’abord après diner pour être prête à partir. Dès que la chaise fut arrivée, les deux Dames y entrerent, & le cocher fit suivant ses ordres un assez grand detour. Isménie eut alors le plaisir de considerer plusieurs belles maisons de campagne, dispersée çà & là sur le penchant des collines, & dans les vallons, tandis que sa tante, qui étoit alors de très bonne humeur, lui faisoit l’histoire de ceux qui les habitoient. Après que deux ou trois heures se furent écoulées de cette manière, la tante remarqua qu’elles auroient besoin de quelque rafraichissement, & ordonna au cocher de s’arrêter au prémier endroit où elles pouvoient en trouver. Cet homme, qui avoit ses instructions, les conduisit à la porte d’une maison qui étoit un peu écartée de la grande route ; elles y descendirent, & entrerent dans une chambre ; on demanda du vin, & quelques gâteaux, mais quelle fut la surprise & l’épouvante d’Isménie, quand elle vit entrer Martius, après l’homme qui leur apportoit ce qu’elles avoient demande <sic> ! Il les aborda d’un air gai, & leur dit que s’étant rencontré par hazard dans ces quartiers, & étant venu descendre à cette maison pour s’y rafraichir, il les avoit vû descendre de chaise, & qu’il se réjouissoit de trouver une si bonne compagnie dans cet endroit. Isménie étoit dans un trop grand désordre, pour pouvoir lui faire aucune reponse ; mais sa tante, qui prétendoit avoir connu autrefois le Général, s’entretint avec lui très familiérement, & parut très charmées de le voir. Cependant Isménie étoit toûjours plus en peine, & auroit donné tout le monde pour un moment favorable de faire connoitre à sa tante les desseins de Martius, ne doutant point que cette Dame ne se hatât de partir aussi-tôt que la décence le permettroit. Après quelque tems la fortune sembla favoriser des desirs ; Martius sortit pour donner quelques ordres dans la maison, & il ne fut pas plûtôt déhors, qu’elle déchargea toutes les craintes dont son cœur innocent étoit rempli. Cette perfide parente affecta d’abord quelque surprise, & lui dit ensuite qu’elle devoit être parfaitement tranquille, puisque sa vertu ne seroit point en danger tandis qu’elle seroit présente ; mais qu’il ne lui convenoit pas de quitter brusquement un homme comme Martius, & qu’elle connoissoit depuis si longtems. Isménie parut un peu contente de cette raison : elle s’étoit apperçue que le Général ne lui avoit témoigné qu’une civilité ordinaire ; c’est pourquoi elle ! s’imaginoit que la présence de sa tante lui avoit imposé cette contrainte. On servit dans ces entrefaites une fort jolie collation, & elle y prit part avec moins de plaisir, que si cet amant si redoutable à ses yeux n’avoit point été dans cette maison. Il étoit assez tard, cependant elle n’ôsoit pas prescrire des loix à la discrétion de sa tante, & voyant qu’elle ne parloit point de partir, elle pensa qu’il ne lui convenoit pas d’ouvrir la bouche à ce sujet. Il est sûr qu’ils étoient tous fort gays, & tandis que Martius les attiroit près de la fénétre pour admirer la beauté de la lune, qui étoit alors dans son plein, & qui sembloit se jouer sur une petite rivière qui couloit vis-à-vis de la maison, la perfide tante saisit cette occasion pour s’échapper de la chambre, sans être apperçue d’Isménie, qui étoit alors occupée à considerer le point de vûe dont le Général lui avoit parlé. Isménie ne resta pas long-tems dans cette situation, elle tourna la tête, fit des yeux le tour de la chambre, & ne voyant pas sa parente, elle s’écria avec quelque confusion. Où est ma tante ? Le Général ne lui fit qu’une reponse indifferente, & tâcha ensuite de l’engager dans un autre discours ; mais la consternation de cette jeune Dame augmentoit à chaque instant, & bien loin de l’écouter, elle alloit sonner afin de faire monter les gens de la maison, & leur demander où sa tante étoit allée. Il la retint alors, & lui dit nettement que la Dame sur qui elle se confioit étoit retournée chez elle, & l’avoit laissée sous sa protection pour cette nuit. A peine put-elle croire une vérité si choquante, jusqu’à ce qu’elle en fut cruellement convaincue, ne la voyant point revenir, & par ce que le Général changea de manières à son égard. A la verité il ne prit encore avec elle aucunes libertés indécentes, mais il lui insinua qu’elle étoit en son pouvoir, & qu’il n’avoit pas pris tant de peines pour laisser échapper cette occasion sans en profiter. Il n’est pas possible d’exprimer la terreur, la consternation, & les angoisses qui tourmenterent alors le cœur de la pauvre Isménie ; elle pleura, conjura, & eut même assez de courage pour menacer cet agresseur de son innocence ; mais elle le trouva autant inflexible à tout ce qu’elle put alleguer pour la défense de sa vertu, qu’elle avoit été auparavant à ses poursuites. Enfin, soit que ce fût parce qu’elle avoit un peu plus bû qu’à son ordinaire, ou quelle eût perdu sa raison dans le désordre de ses esprits, toute sa résolution commença à mollir, & elle consentit à se mettre au lit, sur ce qu’il lui jura sur son honneur, qu’il n’entreprendroit rien au préjudice de sa vertu.
J’ose dire qu’ici l’imagination du lecteur anticipera sur ma rélation, & se représentera combien il tint peu sa parole : mon dessein en faisant ce récit a été uniquement de montrer, qu’on doit faire peu de fond sur l’honneur, lorsque la passion s’en mêle, & que le Général parloit exactement suivant les sentimens de son sexe, quand Isménie lui ayant reproché la violation de sa parole, il lui repliqua en riant ! Oh Madame, nous mettons l’honneur de côté quand nous sommes entre deux draps. Enfin l’amour, l’interêt, l’ambition, ou quelque autre passion dominante nous feront oublier ce que nous devons à l’honneur ou à la morale, si nous n’avons point d’autre motif plus efficace que la simple connoissance de ce que nous devons faire ; & nous pencherions à dire avec Abdalle dans la tragédie,

Zitat/Motto

lorsqu’une couronne & une maitresse se présentent à mes yeux, si la vertu vient se présenter avec son visage saint de carème ; la vertu est déjà mienne, & je ne suis pas un ennemi de la vertu. Pourquoi vient-elle où elle n’a rien à faire ? Qu’elle reste parmi les anachorettes, & ne vienne point se mêler parmi les amans ; eux & les hommes d’état veulent être en meilleure compagnie.
Puis donc que la persuasion d’un état à venir est une barrière si nécessaire pour notre conduite dans le présent, nous devrions à mon avis, regarder tous ceux qui tâchent de la renverser, comme les pestes de la société & les ennemis communs du genre humain. D’un autre côté, on devroit encourager tout ce qui peut contribuer à affermir notre foi sur un point si essentiel : toute mauvaise qu’on nous représente la superstition, & qu’elle l’est réellement, elle ne peut jamais nous être si pernicieuse dans ce monde, ni exposer à un si grand danger nôtre bonheur, que l’incrédulité. Je sçais que plusieurs personnes niéront ce que j’avance ici mais dans ce cas, ou ils sont déterminés par la bonne opinion qu’ils ont d’eux-mêmes, ou ils ne considérent pas bien la question ; puisque ceux qui reconnoissent une divinité doivent convenir, qu’il est plus pardonnable de la craindre avec excès comme le superstitieux, que de ne la point craindre du tout, comme ceux qui pensent que l’ame meurt avec le corps. Il est certain que la persuasion de ces apparitions surnaturelles, semblables à celle dont parla Mr. A. B., n’est nullement essentielle à nôtre certitude d’un état à venir : nous pouvons être parfaitement convaincus en nous-mêmes de ce dernier article, & cependant n’ajouter aucune foi au premier : mais j ôse assurer que quiconque est persuadé du premier, ne peut plus douter du dernier. Nous pouvons exister durant toute l’éternité, & cependant n’être plus libres de revenir sur la terre après que nous l’avons quittée ; mais il est impossible que nous paroissions après notre mort, si notre ame a cessé d’exister en même tems que notre corps. C’est pourquoi nous ne devrions pas rejetter comme fabuleux tout ce qu’on nous dit touchant les apparitions, & je suis étonnée qu’elles soient tombées dans un tel discrédit, après avoir prévalu durant tant de siécles, sans avoir jamais été révoquées en doute. La vérité est toujours vérité, quoique le mensonge usurpe quelquefois son nom : si nous ne devons ajouter foi, comme l’observe très bien mon correspondent, qu’à ce qui n’a jamais été mêlé de faussetés en songes, nous ne devons rien croire ; il y a eu & il y a encore des fausses histoires, des fausses réligions, des faux miracles, & des faux Dieux : mais il ne suit pas de là qu’il n’y en ait point de vrais. L’Autheur des reflexions sur le savoir a pris beaucoup de peine pour montrer qu’on doit compter sur rien : aussi il faut convenir, que ce petit traité n’est point depourvu d’esprit ou d’éloquence, & qu’il peut en imposer aux lecteurs : mais je crains que ce ne soit le seul merite de ce livre, puisque nous ne penchons que trop à douter, & que nous n’avons point besoin d’argumens pour nous confirmer dans ce sentiment si flatteur, que nous agissons en cela sagement, ainsi que Courley s’en plaint avec emphase :

Zitat/Motto

Ah Dieu tout puissant ! Je ne le dis qu’avec honte & chagrin si nos plus grands pêchés étoient un excès de foi !
Cependant je suis bien éloignée de soutenir, que nous devions ajouter foi indifferemment à tous les récits qu’on nous fait. Dans les affaires de la vie, nous devons consulter notre propre raison & le caractére du rapporteur : mais dans celles qui sont purement intellectuelles, & que la raison ne peut point comprendre, nous ne devons pas croire impossible ce qui n’a pas encore existé. Quand il seroit faux qu’aucun esprit eût jamais revêtu la forme qu’il avoit dans ce monde, ou celle d’un autre corps, pour se rendre visible à nos yeux, nous ne devrions pas à mon avis, inferer de la qu’il n’y a point d’esprits, ou que l’Etre suprême ne peut pas, s’il lui plait, leur donner la commission, ou leur permettre de se montrer à nous. Je sçais fort bien, que le genre humain a été autrefois la dupe de certaines personnes mal-intentionnées, qui dans des vûes interessées ont inventé des longs details d’apparitions étranges & surprenantes ; plusieurs même ont été trompés de nos jours de cette maniére, & la trop grande credulité de quelques personnes à des absurdités, a fait que la plus part ont eu honte d’ajouter foi à ce qui étoit vraisemblable. On a repandu que certaines maisons étoient hantées des esprits, pour faire du tort à leurs proprietaires ; des hypocrites, qui vouloient passer pour être plus sages & par conséquent plus favorisé du Ciel que leurs voisins, ont prétendu avoir reçu de l’autre monde des avertissemens surnaturels : les contes les plus absurdes, & les plus extravagans ont été debités par vanité toute pure d’exciter l’attention des auditeurs ; on a parlé d’apparitions effrayantes d’esprits & de spectres, pour exciter la compassion en faveur de ceux qu’on supposoit en être persectués. Mais le nombre de ceux qui ont voulu en imposer aux autres pour quelque vue particuliere, est bien petit en comparaison de ceux qui se sont laissés surprendre par la force de leur imagination. Il y a des gens naturellement si timides, qu’ils prennent pour des esprits chaque ombre que la lune fait sur des objets éloignés.

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Allgemeine Erzählung

Je connois un homme, qui ne manque pas de courage à d’autres égards, & qui traversant un soir, après le coucher du soleil, un cimetiére de campagne, fut si épouvanté à la vue d’un vieux If, qu’il tomba dans un accès, dont il ne seroit peut-être jamais revenu, si des personnes qui les connoissoient n’étoient pas passées par le même chemin, & le voyant étendu sur la place, n’avoient pas fait tout leur possible pour le tirer de cet état. La prémiere chose qu’il leur dit, fut qu’il avoit vû son frère ainé, qui étoit mort une année auparavant ; qu’il lui avoit fait signe de la tête, & qu’il étendoit les bras de son côté, comme s’il vouloit l’embrasser. Lorsqu’il leur montra l’endroit où il s’imaginoit avoir vû cette appariton, ils devinérent d’abord la verité ; mais quoiqu’ils tâchassent de l’en convaincre, & qu’ils lui représentassent combien il étoit vraisemblable que ses yeux avoient été trompés par la forme suivant laquelle l’arbre étoit coupé, cependant comme il ne voyoit plus la même figure, soit qu’il ne fût plus dans la même attitude, ou que les rayons de la lune eussent changé de direction, ils eurent bien de la peine à le persuader que ce qu’il avoit vû n’étoit pas un esprit.
Il est certain, que la lumiere de la lune, ou même celle du crepuscule, donne quelquefois aux objets une apparence fort differente de leur forme naturelle ; une personne de sens & de résolution peut en être frappée au prémier coup d’œil : mais dans ce cas, je pense qu’on devroit appeller la raison à son secours, & considérer combien d’erreurs le changement de direction dans le rayon visuel peut occasionner, avant que de conclure que l’ombre est un esprit qui vient de l’autre monde pour nous faire visite. Mais ce qui est fort surprenant, & qui prouve en même tems que l’ame a plus de rélation avec les êtres intellectuels, qu’elle n’en communique au corps, c’est qu’il y a des personnes qui ne croyent pas aux esprits, & par conséquent ne les craignent pas, & qui ont été alarmées dans de certaines occasions, & par conséquent surprisés <sic> avant qu’elle fussent sur leurs gardes, par des images & des terreurs qu’elles avoient elles-mêmes formées ; ce qui ne seroit jamais arrivé, si une intelligence surnaturelle ne leur demontroit pas intérieurement, en dépit d’eux-mêmes, la possibilité de ce qu’ils prétendent nier.

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Allgemeine Erzählung

Il arriva, il y a sept ou huit années, un exemple de cette nature assez plaisant, lorsqu’on ouvrit la voute de la chappelle du Roi Henri VII. pour y enterrer la Reine défunte. Chacun sçait que dans une telle occasion, l’Abbaye de Westmunster devient très fréquentée, les uns y courent en foule par curiosité, & d’autres pour se livrer à des méditations plus importantes. Ce fut par le prémier de ces motifs, que cinq ou six Messieurs, qui avoient diné ensemble dans une taverne, allerent visiter cet endroit fameux, où on dépose après leur mort les têtes couronnées. L’un d’eux s’écria en regardant la descente rapide, par où tant de Monarques ont été transportés dans leur dernière place de repos sur la terre, il est noir comme l’enfer, un autre se boucha les narines, & s’écrira contre la vapeur mal-faisante qui s’exhaloit de cet endroit. Tous dirent quelque chose à ce sujet : mais comme il est naturel qu’un semblable spectacle oblige les plus grand étourdis à faire quelques reflexions morales, ils en sortirent tous avec un air plus serieux que celui qu’ils avoient en y entrant. Cependant comme ils étoient convenus de passer la soirée ensemble, ils retournerent tous au même endroit où ils avoient diné ; & la conversation étant venue à tomber sur un état à venir, sur les apparitions & d’autres sujets de la même nature, l’un deux, qui étoit un incredule parfait à cet égard, entreprit de railler les autres sur leur penchant à croire la possibilité des apparitions. Comme il est beaucoup plus aisé de nier que de prouver, surtout quand ceux qui maintiennent la négative ne veulent pas admettre comme valides les temoignages dont on veut se servir pour les convaincre, il résista, quoique seul, à tout ce qu’ils purent lui dire ; enfin ils lui proposerent pour terminer la conteste, de gagner vingt guinées, qu’il n’auroit pas le courage, tout grand Héros qu’il prétendoit ou qu’il s’imaginoit être, d’aller tout seul à minuit, dans la voute qu’ils avoient vue le même jour : & de son côté il accepta volontiers cette gageure, très satisfait de pouvoir gagner une telle somme avec tant de facilité. L’argent fut deposé de part & d’autre, entre les mains du maitre de la maison ; ils firent venir ensuite un des marguilliers de l’Abbaye, & l’engagerent, moyennant une piéce d’or, à accompagner cet avanturier à la porte après lui, & à attendre son retour. Après qu’ils eurent tout réglé de cette maniére, ils sortirent tous ensemble de la taverne, dès que l’horloge frappa minuit : ils craignoient que celui, qui avoit fait la gageure ne leur en en imposât, en gagnant le marguillier ; en chemin il s’éleva entr’eux un autre scrupule, qui étoit de savoir comment ils seroient convaincus qu’il avoit été jusques dans la voute, quoiqu’ils l’eussent vû entrer dans l’Eglise ; mais il les delivra sur le champ de ce dernier scrupule, en leur montrant un canif qu’il avoit dans sa poche : Je le planterai, leur dit-il, en terre, & le laisserait là ; si vous ne le trouvez pas dans l’interieur de la voute, je reconnoitrai que j’ai perdu la gageure. Après cette assurance, il ne leur resta plus de difficulté à proposer, & ils convinrent de l’attendre à la porte, commençant alors à croire qu’il n’avoit pas moins de résolution qu’il le prétendoit. Peut-être ne faisoient-ils que lui rendre justice : mais quel fond de courage qu’il eût en entrant dans cet antique & vénerable édifice, il ne s’y vit pas plutôt renfermé tout seul, qu’il sentit, comme il l’a avoué ensuite, une espèce de tremblement dans tout son corps, qui lui paroissoit venir de quelque chose de plus que de la fraicheur de la nuit. Chaque pas qu’il faisoit étoit repeté par les voutes & les souterrains, & quoiqu’il ne fût pas entiérement dans l’obscurité, parce que le marguillier avoit laissé une lampe allumée précisement devant la porte qui conduisoit à la chapelle (autrement il ne lui auroit pas été possible d’en trouver le chemin) cependant la foible lumière qui en sortoit, augmentoit plutôt qu’elle ne diminuoit l’horreur qui se faisoit sentir à son ame. Il avançoit cependant, mais il a protesté ensuite, que s’il n’avoit pas craint d’être raillé, il auroit donné pour être dehors, le double de la somme qu’il avoit deposée pour la gageure. Enfin soit en tatonnant, soit à la faveur de la lumière de la lampe, il parvint à l’entrée de la fatale voute. Ici son tremblement intérieur augmenta ; cependant résolu de le surmonter, il descendit, & dès qu’il fut arrivé à la dernière marche, il se baissa, & enfonça de toute sa force son canif dans la terre ; mais en se relevant, pour remonter & quitter cet horrible endroit, il crut sentir quelque chose qui les saisissoit tout d’un coup, & le tiroit en arrière. Les appréhensions qu’il avoit senties auparavant, donnerent ici une nouvelle force à la surprise & à la terreur qui s’emparerent dans cet instant de toutes ses facultés : il perdit tout ce qui pouvoit soutenir son courage, & il tomba en foiblesse avec la tête dans la voute & une partie de son corps sur l’escalier. Ses amis attendirent assez patiemment son retour jusques après une heure ; ils trouvoient à la vérité qu’il restoit plus long tems dans le demeure des morts, qu’un homme vivant ne sembloit devoir s’y plaire : mais quand ils virent enfin qu’il ne venoit point, ils commencérent à craindre qu’il ne lui fût arrivé quelqu’accident, quoiqu’ils fussent bien éloignés de soupçonner la vérité ; mais comme il y a tant de tours & de détours parmi ces tombeaux, il leur parut vraisemblable qu’il pouvoit s’être égaré, & n’être plus en état de retrouver son chemin dans l’obscurité. Ils agitérent entr’eux ce qu’ils devoient faire ; quoique le marguillier dût être familiarisé avec cet endroit, il ne vouloit point y aller seul ; c’est pourquoi ils résolurent de l’accompagner, & faisant marcher devant eux un laquais avec une torche à la main, ils entrerent dans l’Abbaye, en l’appellant à haute voix, s’imaginant que dans quelque endroit qu’il se fût égaré, il ne pourroit que les entendre. Cependant on ne leur répondoit point : ils avancérent donc jusques à l’entrée de la voute, & un de la compagnie regardant en bas des escaliers, l’apperçut bientôt dans la posture & dans l’état où il étoit tombé. Ils se hâtérent alors de descendre vers lui, frottérent ses temples, déboutonnerent ses habits, & firent tout ce qu’ils purent pour le tirer de son évanouissement, mais en vain ; ils furent obligés de le prendre & de l’emporter, jusques dehors de l’Abbaye, où l’air frais, qui lui donnoit sur le visage, lui rendit la respiration & le rappella à la vie. Après deux ou trois profonds gémissemens, Que le Ciel soit à mon aide, s’écria-t-il, Seigneur aye pitié de moi : ces paroles, & d’autres semblables qu’ils lui ouirent repéter les surprirent extrêmement ; mais s’imaginant qu’il n’étoit pas encore bien revenu à lui-même, ils s’abstinrent de lui faire aucune question, jusques à ce qu’ils l’eussent reconduit dans la taverne ; là après l’avoir placé dans une chaise à côté du feu, ils commencerent à lui demander comment il se portoit, & par quel moyen il étoit tombé dans une si grande foiblesse. Il les instruisit alors des appréhensions dont il avoit été saisi immédiatement après les avoir quittés, leur apprit qu’il avoit enfoncé son canif suivant leur convention, & qu’il alloit rebrousser avec toute la précipitation dont il étoit capable, lorsqu’il s’étoit senti tirer en arrière dans la voute, ajoutant cependant, qu’il n’avoit rien vû ni entendu de surnaturel, & qu’il seroit sorti avec les mêmes sentimens qu’il étoit entré, si cette main invisible ne l’avoit pas convaincu de l’injustice de son incrédulité. Tandis qu’il faisoit ce récit, une personne de la compagnie apperçut le canif qui pendoit à un pli de son habit : il ne lui fut pas difficile de conjecturer alors la vérité, & s’appercevant quelle impression cette méprise avoit faite sur son ami, & même sur tous les autres, qui ne doutoient pas qu’une main surnaturelle n’eût empêché son retour, il arracha alors le canif en leur présence, & s’écria. Voici le mystère découvert ; quand vous vous êtes courbé pour le planter en terre, vous l’avez fait passer, comme vous voyez, par vôtre habit, & quand vous avez tâché de vous lever, la crainte dont vous étiez saisi vous a fait prendre ce leger empêchement pour une impossibilité absolue de vous retirer, & a fait impression sur vos sens, avant que la raison ait pu venir à votre secours. Cette explication paroissoit si claire, que tous se livrerent à des éclats de rire immoderés, excepté celui qui avoit été la victime de cette méprise, & il ne fut pas possible de lui arracher un simple sourire. Il réflechissoit à cette affaire, pendant que les autres en parloient gayement : & se rappellant très bien les agitations qu’il avoit éprouvées en traversant la Cathédrale, il s’écria ? Fort bien, il reste certainement quelque chose après la mort, ou je n’aurois pas senti des mouvemens si étranges : Qu’y a-t-il dans une Eglise de plus que dans un autre Bâtiment ? Dans l’obscurité que dans la <sic> grand jour, qui puisse exciter des idées semblables à celles dont j’ai fait l’expérience ? Ouï, continua-t-il, je suis convaincu que j’ai été trop présomptueux, & soit que les esprits puissent ou ne puissent pas apparoitre, je croirai toujours qu’ils ne sont pas anéantis avec le corps. Depuis cette époque, il a toûjours été ferme dans cette opinion, & quoi qu’on ait fait pour tourner en ridicule son changement, il n’a pas été possible de le ramener à son prémier sentiment.
Maintenant comment rendra-t-on raison de ceci ? la raison humaine peut-elle nous apprendre d’où vient un tel changement ? Après avoir traitté avec le plus grand mépris tout ce qui regarde le monde intellectuel, devenir tout d’un coup un des plus attachés à ce dogme, sans devoir cette conversion à ses sens, ni à aucune démonstration du dehors ! Il faut certainement que cette revolution vienne de quelque opération soudaine de l’ame, qui triomphe dans un moment de toutes les difficultés, & nous contraint de voir & de reconnoitre la vérité. Si ce que j’avance ici semble trop abstrus à quelcun d’entre mes lecteurs, ie <sic> pense que je ne puis pas le rendre plus intelligible qu’en l’éclaircissant par une comparaison familière, dont chacun peut faire l’expérience. Qu’on apporte tout d’un coup dans une chambre une torche ou un flambeau allumé, & qu’on ferme les yeux aussi étroitement qu’il sera possible, on ne laissera pas de sentir la lumière dès qu’elle paroitra. De même les emanations de notre ame nous frappent de tems en tems, & dardent leurs rayons à travers l’épaisse obscurité de la chair. C’est là cette préscience & cette divine iuspiration <sic> dont parle Platonides ; mais quoiqu’il en parle seulement comme de quelques éclairs soudains, qui ne font que se montrer, & s’évanouissent ensuite, je crois cependant qu’ils nous visitent de tems en tems pour un plus grand dessein, & qu’il laissent dans l’ame des impressions durables. Si la raison humaine secondée par un violent desir, peut assister l’ame dans ces opérations, c’est ce que je n’entreprendrai point de déterminer ; mais je pense que notre correspondent est dans ce sentiment, puisqu’il parle de perfectionner ces avertissemens intérieurs, que nous recevons de tems en tems. Mais, suivant moi, ce conseil est absolument impraticable, parce que l’ame est par sa nature si supérieure au corps, qu’elle ne peut jamais être sujette à ses loix, ou dirigée par ses influences, quoique dans une ch qui reviendroit entièrement à son neur. Mr. Dryden exprime très bien cette opinion dans son excellent Poëme, intitulé la Réligion du Laique.

Zitat/Motto

Comme les rayons empruntés de la lune & des étoiles, n’éclairent que foiblement un voyageur qui est seul, fatigué, & qui s’égare, ainsi la raison est à l’ame un guide obscur ; & comme ces feux qui roulent au dessus de nous ne font que nous rendre les cieux visibles, & ne repandent point de lumière ici bas ; de même les rayons de la raison, semblables à ceux de l’Aurore lorsque le jour commence à poindre, nous ont été donnés, non pour dissiper nos doutes, mais pour nous conduire à un meilleur jour. Et comme ces flambeaux nocturnes disparoissent, lorsque le brillant Seigneur du jour se montre sur l’Horizon ; ainsi la raison pâlit à la vûe de la Réligion : ainsi elle meurt, & se dissout en une lumière surnaturelle.
D’ailleurs, si l’ame devoit communiquer au corps tout ce qu’elle sçait, que serions nous sinon de la matière spiritualisée ; une chose d’elle-même inconsistente avec tous les êtres sublunaires, & qui ne nous conviendroit point, ni peut-être ne nous plairoit pas ; & même à l’égard de ces accidents qui doivent nous arriver dans ce monde : quel avantage aurions-nous de connoitre d’avance les maux que nous sommes destinés à endurer ? Notre immortel Pindare Anglois, si fameux à juste titre, a écrit quelques vers si appliquables à ce sujet, que je ne puis pas me dispenser de les transcrire ici, parce que je ne pourrois rien dire qui leur fût comparable.

Zitat/Motto

Dans quels caractères que le Livre du destin soit écrit, c’est fort bien pour nous que nous ne puissions pas le lire. Nous deviendrions fous à force de savoir. A l’approche de tous les maux que nous aurions prévus, nous ne ferions que frissoner sans honneur & sans fruit, & nous n’hazarderions que lentement d’entrer dans le courant fatal. Puisque nous devons y entrer, que nous le veuillions ou que nous ne le veuillions pas, ceux qui s’y plongent tout d’un coup sentent moins de froid & de peine.
Je ne puis m’empêcher de remarquer ici une chose, qui paroitra peut-être étrangere à mon dessein, (si on peut rebuter comme étranger ce qui tend à reformer les folies du siécle) je veux parler de cette curiosité ridicule de connoitre l’avenir, qui regne surtout parmi les personnes de mon sexe, & de la crédulité encore plus ridicule, qu’elles ont pour ceux qui ont l’impudence de prétendre connoitre les décrets du destin. Non seulement les prétendus Astrologues, qui ont peut-être pris quelques peines pour acquerir l’art de tromper, mais encore plusieurs pauvres & ignorantes créatures de cette Ville, qui ne connoissent pas une seule lettre de l’Alphabeth, prétendent lire dans ce qui reste au fond d’une tasse de caffé, tout ce qui doit arriver à la personne qui les consulte. D’autres, qui affectent d’être plus propres & plus délicates, ont trouvé le moyen de faire danser la fortune dans un cercle d’eau & de poudre bleue, & il y en a qui en coupant un paquet de cartes, & les étendant ensuite sur la table, vous présentent des amourettes, des mariages, des procès, des morts, & tout ce qui ne sera jamais. On ne finiroit point, si on vouloit recapituler tous les différens artifices qu’on a employés dans ces dernieres années, pour perfectionner l’art de la divination, & l’encouragement que leur ont donné des personnes d’un haut rang & qui font figure dans le monde, comme celles du plus bas étage, & qui ont le moins de connoissances. Il est étonnant que des chétives créatures, qui ne valent pas mieux que des filoux ordinaires & des vagabonds, soient admises dans les appartemens des Grands, caressées, regalées même, & ne se retirent qu’après avoir été pleinement recompensées : pendant qu’une personne de leur propre sang, qui est dans l’infortune, n’y aura pas un libre accès, ou sera renvoyée avec cette froide reponse. Je ne puis rien faire pour vous, vous auriez dû y prendre garde quand il en étoit tems, & ne vous être pas poussé vous-même dans cette extremité. Si une Dame de qualité vouloit réflechir à la figure qu’elle fait, lorsqu’elle s’abbaisse à s’asseoir à côté d’une de ces créatures, & qu’elle écoute comme un oracle toutes les pauvretés qu’elle debite, elle en rougiroit au vif de honte. Mais c’est encore là le moindre inconvenient de ce commerce avec les diseuses de bonne fortune : en vous annonçant des choses ordinaires & qui ne peuvent manquer d’être vraïes, elles vous inspirent une telle opinion de leur habileté, que vous croyez sur leur parole les choses les plus incroyables. Ainsi elles vous arrachent quelquefois par leurs insinuations, un simple mouvement de tête, un coup d’œil, & quelques mots qui ne signifient rien, vos secrets les plus chers, qu’elles ne manqueront pas de faire tourner à leur avantage, sans se mettre en peine d’occasionner votre ruine.

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Fremdportrait

J’ai connu une Dame qui ne manquoit point de jugement à d’autres égards, & qui sembloit avoir assez d’années sur sa tête, pour se présever de semblables sottises ; cependant se laissa infatuer par une de ces brouilleuses de caffé, au point d’engager son époux, sur qui elle avoit beaucoup d’ascendant, dans une affaire qui aboutit à sa ruine & à celle de sa famille. Voici le fait : le Gentilhomme avoit dans ses Terres une petite colline qui passoit dans l’esprit de quelques personnes pour renfermer une mine ; on lui avoit conseillé d’y faire creuser, mais ayant calculé avec la plus grande moderation ce qu’il seroit obligé de dépenser pour faire cet essai, il trouva qu’il lui en couteroit trop pour s’hazarder sur un fondement si incertain : ce projet fut donc mis de côté pour quelque tems, & il auroit sans doute resté dans cet état, sans une de ces femmes dont j’ai parlé. L’épouse de ce Gentilhomme étoit un jour très occupée avec cette créature autour d’une tasse, lorsqu’entre plusieurs autres choses, elle lui dit, qu’elle voyoit une montage de prosperite en sa faveur ; il semble que ce soit une maniere de parler en usage parmi ces miserables, lorsqu’elles veulent vous persuader qu’une bonne fortune vous attend, & celle-ci n’avoit point d’autre intention ; mais cette Dame, qui avoit la mine en tête, s’imagina d’abord que la colline, qui devoit suivant elle renfermer cette mine, étoit représentée par les figures confuses que faisoit la lie du caffé. Elle fit tant de questions à cette femme, qu’elle découvrit aisément son secret, & en consequence prétendit voir plus clairement dans chaque tasse cette montage de bonne fortune : enfin elle poussa l’effronterie jusques à assurer qu’elle voyoit une multitude d’ouvriers très occupés autour de la colline, & à montrer au bout d’une éguille, le métal qu’ils en tiroient. Avec quelle facilité ne croyons-nous pas tout ce que nous désirons vivement ! Cette Dame s’imagina voir des hommes chargés de trésors, & elle même avec son époux assis dans tout leur éclat pour les recevoir ; en un mot, elle ne douta pas plus de l’infaillibilité de cette prédiction, que si elle la voyoit déja vérifiée. En consequence, elle ne laissa point de repos à son époux, qu’il n’eût employé trois à quatre cents ouvriers, pour fouiller cette colline, & la mettre de niveau avec la plaine : comme ils ne trouverent rien, ils cherchérent encore plus bas, jusques à ce que là où le terrain formoit une élevation considerable, ils eussent fait une profonde & triste vallée. Chacun peut juger du tems qu’on donna à cet ouvrage, & de la dépense qu’il occasionna ; le credule époux engagea ses terres l’une après l’autre, jusques à ce qu’il n’eût plus de sûretés à donner pour les sommes qu’il empruntoit ; enfin il fut obligé de vendre, & il se vit réduit par degrés à la plus grande misere, au lieu de se voir élevé, comme il s’en flattoit, à une brillante fortune.
Combien d’animosités ont été fomentées par ce moyen entre les familles ! Que de jalousies entre des personnes mariées ! les actions les plus innocentes sont mal interpretées, les meilleurs amis deviennent l’objet de nos soupçons, dès que nous nous imaginons voir la figure d’un serpent ou d’un chat dans le marc du caffé ! Que cela doit paroitre monstrueux à la raison & même au sens commun ! C’est un abus trop méprisable, pour que nous nous y arrêtions plus long-tems, & nous devons le ranger parmi ces autres folies étrangeres, qu’on a transportées en Angleterre depuis quelques années. Mais pour revenir au sujet, que les deux lettres, qui ont été citées plus haut, tendent à prouver ; l’immaterialité de l’ame, & son pouvoir d’operer avec plus de force & d’étendue, quand elle sera delivrée de tous les obstacles corporels, qu’elle ne peut le faire tandis qu’elle est embarrassée par le mouvement du sang & des esprits animaux. Ces éclairs de préscience dont parle Platonides, sont, à la verité, une preuve convainquante, que ce qu’il y a de divin en nous, peut pour un moment se faire jour à travers ce qui l’arrête ; mais ces présages encore plus clairs, que nos songes nous fournissent, ne nous laissent pas lieu de douter que ce principe divin ne puisse agir avec infiniment plus de vigueur, quand il n’est pas gêné par les agitations du corps, ou les riens & les bagatelles de ce que le savant Docteur Burton appelle l’ame animale, dans son excellent traité sur la melancolie. Ce grand Philosophe, Medecin & Théologien en même tems, fait clairement paroitre, à mon avis, que le corps humain est dirigé par deux ames différentes ; l’une est de la même nature que celle qui anime les brutes, tend au même but, est gouvernée par les sens, existe dans le sang, & quand la circulation cesse, meurt avec le corps : l’autre est une étincelle de l’essence Divine, immaterielle, incorruptible, & immortelle ; c’est à celle-ci qu’appartiennent l’invention, le jugement, la memoire, la pensée, la réflexion & la contemplation ; c’est à elle que nous devons ces idées qui ont le pouvoir de nous faire en imagination tout ce que nous voudrions être : enfin celle-ci a tout ce qui peut nous rendre propres pour un bonheur éternel, pour jouir de la societé des esprits glorifiés, & de la présence du suprême Auteur de notre existence. Tandis que nous veillons, la raison nous informe de ces grandes verités ; mais dans notre sommeil, quand cette divine partie de nous-mêmes est delivrée de ses chaines, avec quelle ardeur n’ôpere-t-elle pas, & comment n’atteste-t-elle pas son independance & sa souveraineté sur la matiére ?

Zitat/Motto

Nous sommes, dit l’ingénieux Auteur de la Religion du Medecin, quelque chose de plus que nous-mêmes dans notre sommeil, & lorsque le corps est assoupi l’ame veille ; les sens sont dans l’inaction, mais la raison est en liberté : aussi ce que nous pensons quand nous veillons, ne s’accommode point avec les imaginations de notre sommeil.
Il est certain que nous sommes alors plus que mortels ; l’ame a dans ces momens une libre correspondance avec les êtres surnaturels ; elle jouit d’une perspective sans bornes, & considere ces prodiges, dont la seule vûe feroit frissonner nos foibles sens, s’ils étoient en état de les comprendre. Je sçais fort bien, que je m’expose, en avançant ceci, aux railleries de quelques-uns d’entre mes lecteurs ; les ignorans qui ne peuvent pas, ou les indolens qui ne veulent pas examiner la nature des songes, les regardent seulement comme des vapeurs que le corps envoye au cerveau, ou comme les idées desunies de quelques transactions passées, & ils se moquent de tous ceux qui les envisagent serieusement, comme s’ils étoient des enthousiastes, ou des bigots. Mais tout ceci n’empêchera point la Spectatrice d’assurer, ce dont elle est convaincue par sa raison & par sa propre experience, aussi bien que par les temoignages des hommes les plus savans, les plus sages, & les plus libres de préjugés qui ayent vécu dans tous les siécles & parmi toutes les nations. Mais je n’ai jamais rien lû au sujet des songes, qui m’ait autant touché, qu’un Manuscrit Arabe, écrit, suivant que le titre nous en informe, par un Rabbin Juif, & traduit en François par un certain Mr. de Clairville. Je crois qu’il est toujours entre les mains de quelcun de la famille d’Oxford ; car ce fut le père du dernier Comte qui me le prêta pour en faire la lecture. L’Auteur ne prétend pas, que dans le sommeil l’ame soit entierement libre de toute influence du corps ;

Zitat/Motto

Car si cela étoit, dit-il, nous ne serions plus dans le doute à aucun égard ; tous les mystéres de l’univers nous seroient aussi familiers que les fleurs de notre propre jardin : nous ne serions pas des hommes, mais des anges, & nous jouirions de la vision beatifique avant que le tems de notre épreuve fût expiré, & sans avoir rien fait que nous donnât le droit d’y avoir part.
Enfin il employe tant de fortes raisons pour prouver que l’ame est actuellement avec Dieu, tandis que le corps sommeille, que ceux qui entreprendroient de le refuter, auroient, à mon avis, beaucoup de peine à réussir.

Zitat/Motto

On pourra m’objecter, dit-il encore, que quelques personnes sont épouvantées durant leur sommeil par des feux imaginaires ; que d’autres s’imaginent qu’ils tombent dans l’eau ; d’autres, qu’ils volent & fendent l’air avec la même légereté & agilité qu’un oiseau ; & d’autres, qu’ils sont embourbés dans de mauvaises routes, ou sur le point d’être ensevelis sous les ruines d’un édifice. Et il faut convenir, que tout ceci peut être l’effet de la constitution & des différentes humeurs du corps ; mais dans ce même cas, on doit accorder, que la pure matière ne pourroit pas produire ces images, & que c’est l’ame, qui nous avertit de cette manière des maladies auxquelles nous allons être sujets, & dont nous n’avons peut-être aucun soupçon dans ce tems-là, parce que ces songes arrivent souvent avant que la substance corporelle ait aucun symptome de ces maladies.
J’ai souvent pensé que Mr. Dryden avoit vû ce Traité, & en avoit pris l’explication qu’il nous donne d’une sorte de songes, dans son Poëme du Coq & du Renard.

Zitat/Motto

Quand la bile s’épanche, nous songeons à des flammes, des dragons rouges & tout ce qui porte cette couleur ; car les humeurs ont chacune une couleur différente : par la même raison, nous faisons des songes de guerres & d’expéditions militaires, nous croyons être assaillis par une multitude de guepes & de frelons, qui bourdonnent à nos oreilles. La bile brulée congéle notre sang, & nous remplit de frayeurs ; alors des taureaux furieux nous enlévent avec leur cornes, & des diables nous dechirent. Sommes-nous attaqués d’un rhume, alors nous enfonçons dans l’eau, où nous sommes en danger de nous noyer &c.
Mais s’il étoit redevable à notre Rabbin de cette explication, il auroit dû aussi lui faire la justice d’ajouter, comment il démontre, que malgré l’influence que ces humeurs ont sur l’ame, qui de son aveu, n’est pas entierement degagée du corps durant le sommeil, nous n’aurions pas sans l’opération de l’ame la connoissance anticipée des dangers auxquels notre corps est le plus exposé. On peut répondre, à la verité, que nos songes ont ordinairement si peu de liaison, qu’ils semblent plutôt être l’effet du desordre de notre imagination, qu’aucun avertissement d’en haut. Je sens tout le poids de cette objection, & j’y succomberois, si mon Rabbin philosophe ne me soutenoit pas. Il reconnoit que l’embarras & la confusion de ces images nocturnes, sert souvent plutôt à troubler le cerveau, si on y donne trop d’attention, qu’à nous informer de ce que nous sommes, de ce que nous serons, ou de ce que nous devrions être ; mais il en trouve la cause dans la foiblesse de ces organes, dans lesquels consiste la mémoire, & qui devroient nous présenter à notre reveil avec clarté ce que nous avons vû en songe ; ensorte que ce que l’ame a consideré entier & distinct, ne paroit plus aux sens que desuni, extravaguant & confus : ou si quelque idée plus distincte reste dans la memoire, elle ne paroit que comme un brouillard, & s’évanouit entierement dès qu’on veut la considerer avec attention. Il fortifie cet argument de plusieurs autres ; mais comme il se sert de quelques termes d’art, je n’eux pas alors assez de patience pour les examiner, comme j’aurois dû, afin d’en sentir toute la force : cependant je crus les comprendre assez bien, pour juger qu’il raisonnoit très savamment sur cette question. Il n’y a que le tems & l’expérience qui puissent nous enseigner ce qui nous manque. J’ai, à présent, assez de l’un & de l’autre, pour sçavoir que j’entre dans un sujet, non seulement trop abstrus pour que je doive entreprendre de le devélopper, mais encore inintelligible, peut-être, à ceux pour qui j’écris cet ouvrage. Ce que je voudrois surtout leur persuader, c’est l’excellence & la dignité de leur ame, afin qu’ils ne permettent pas aux sens de rien faire qui puisse la souiller : car soit que les présages que les songes nous fournissent viennent d’un pouvoir caché que l’ame a en elle-même, soit qu’ils procèdent d’une correspondance immediate avec l’être suprême, ou avec quelque autre intelligence subalterne, ce n’est pas le sujet en question : d’ailleurs on ne viendroit pas à bout en le discutant, de mettre un frein aux irregularités de notre conduite. Il nous suffit d’être convaincus que nous avons des ames, qui doivent exister au-delà du sepulchre, & qui seront éternellement heureuses ou malheureuses. Une telle conviction ne manquera pas de nous exciter puissamment à faire tout ce qui nous met en droit d’espérer un bonheur éternel, & qui peut nous délivrer de toute appréhension à l’égard d’un malheur qui ne finira jamais. Ainsi la croyance aux apparitions surnaturelles, le cas que nous faisons des songes, ou de ces éclairs de prescience qui se montrent à nous tandis que nous veillons, ne sont qu’autant de pas qui nous conduisent à croire une immortalité, & qui devroient être encouragés, bien-loin qu’on dût les rebuter. Comme il est clair que sans cette persuasion la religion ne peut subsister, je trouve étrange qu’un peuple qui a payé aussi cherement pour sa religion que nous l’avons fait, se laisse entrainer avec tant de facilité à revoquer en doute, si non à mepriser, le fondement sur lequel elle est bâtie. Que les Ecclésiastiques se flattent tant qu’il leur plaira : mais sans l’espérance de l’immortalité de l’ame toutes les religions ne consisteroient plus que dans l’extérieur, qui seroit même insensiblement negligé ; tout culte public cesseroit, & ils deviendroient eux-mêmes un poids inutile à la societé. Ainsi n’est-il pas fâcheux qu’on ne fasse pas plus d’attention à ce fondement de notre foi, & qu’on prodigue après des bagatelles tant de tems, de savoir & d’éloquence, pendant qu’on pourroit s’en servir utilement à défendre un article si important ! La veritable devotion languit, tandis que l’ame est divisée, & occupée de controverses & de débats touchant des céremonies, qui ne sont point essentielles à la religion, & lui sont quelquefois préjudiciables, parce que des esprits foibles en font trop de cas, & prennent ainsi l’ombre pour la substance. La veritable Religon est interne ; le plus noble temple de la Divinité est le cœur de l’homme ; & si on s’applique à l’orner de zèle, d’amour, d’integrité, d’humilité & de ces autres vertus chrétiennes qui sont si souvent recommandées dans l’Ecriture, la forme exterieure du culte, qui tend plutôt à rendre notre devotion agréable à nos semblables qu’à la Divinité, ne sera jamais d’une si grande importance, pourvu qu’on ne la neglige pas uniquement pour contredire l’Eglise établie par les loix, & la forme de son gouvernement. Cependant je ne voudrois pas qu’on me prît pour un partisan de ce culte mesquin & indécent qui est mis en pratique parmis quelques-uns de nos sectaires modernes : au contraire, je pense qu’on ne peut pas temoigner trop de magnificence dans le service divin, ni s’approcher de Dieu avec trop de veneration ; mais je ne voudrois pas qu’on mît en parallele le cérémoniel avec la chose elle-même tout comme si on n’estimoit une belle femme que pour ses nipes & ses joyaux. Cependant une persuasion ferme & inébranable de l’immortalité de l’ame, est tout à fait nécessaire pour préserver dans nos cœurs l’essence de la religion et un respect convenable pour ses cérémonies : c’est là le gond principal sur lequel roule toute la religion & la morale, & s’il vient à se rompre, l’une & l’autre doivent nécessairement être renversées. La Spectatrice oseroit-elle représenter au venerable Clergé de toutes les Communions, les progrés que l’incredulité & l’esprit de profanation font dans ce siécle ? Peut-être mettroient-ils alors de côté toutes les disputes qui subsistent entr’eux, & qu’ils se réuniroient, pour convaincre le genre humain de la verité de cet article fondamental. Mais mon zèle m’a peut-être déjà portée trop loin ; on dira que je devrois me borner à parler du monde où je suis à présent, & non pas voyant à l’avenir, à moins que je ne puisse y faire quelque découverte. Je pourrois répondre à l’égard de la première partie de cette objection, que notre bonne conduite ici bas est si intimément liée avec notre bonheur dans l’autre vie, que je n’ai pû les separer, & que la religion & la pure morale m’ont paru être la même chose ; & à l’égard de la derniere partie de cette chicane, je dis, que ceux là seulement qui peuvent nous donner une description de l’état à venir, sont en droit de condamner mon ignorance là dessus. Mais j’ai cet avantage, que tout le savoir & la pénetration humaine sont en suspens touchant cette question, & que l’idiot & le philsophe sont à cet égard sur le même pied.

Ebene 3

Exemplum

St. Paul, le grand Apôtre des Gentils, est le seul homme vivant, qui ait jamais comtemplé le bonheur à-venir ; cependant après avoir été enlevé dans le troisiéme Ciel, il avoue qu’il ne peut pas exprimer les prodiges qu’il a vûs ou entendus ; & quoiqu’il eût autant de sçavoir qu’aucun homme de son siécle, il se trouvoit incapable de déterminer si ce fut sans corps, ou avec son corps, que cette faveur particuliere lui avoit été accordée.
On ne se propose ici que de rappeller à ceux qui liront cet ouvrage, combien on traite indignement la nature humaine en la mettant de niveau avec celle des brutes, & d’encourager dans leur cœur cette persuasion d’une vie à venir, qui peut seule en faire sur cette terne de dignes membres de la societé, & leur donner un droit aux avantages qui résultent d’une conduite vertueuse, lors qu’ils seront appellés à sortir de ce monde ; en un mot, on veut leur inspirer ces solides réflexions, qui peuvent seules procurer aux affligés une solide consolation contre les infortunes de cette vie, & disposer les plus fortunés à recevoir la mort avec résignation & sans murmure. Tous foibles que soient mes efforts, ils peuvent faire impression sur quelcun : & s’ils ont ce succès, je serai plus que dedommagée de toutes les railleries que je puis essuyer de la part de certaines personnes, qui traiteroient avec le même mépris le plus savant ouvrage à ce sujet. Ce qu’on peut dire de plus contre cette tentative, c’est qu’elle est l’épanchement d’un cœur sincère & passionné pour le bonheur de ce genre de créatures dont j’ai l’honneur d’être. Ceux qui pensent comme moi, me pardonneront aisément les fautes que j’ai pû commettre ; & jugeant de l’exécution par l’intention, ils se joindront à moi pour louer avec reconnoissance cet être tout bon & tout puissant qui nous a faits ce que nous sommes.

Metatextualität

J’ai reçu les deux Lettres signées Adraste & Philenie, & je ne manquerai pas de les insérer dans le discours suivant ; mais celle de Britannicus demande de la réflexion. Nous ne savons pas comment une piéce de cette nature seroit goutée dans une conjoncture aussi critique ; & si nous nous trouvons obligées ou à en différer la publication, ou à la supprimer, nous nous flattons que l’Auteur aura la bonté de nous excuser. Il peut être persuadé, que ce ne sera pas l’effet de notre choix, parce que nous souhaitons vivement d’obliger tous nos lecteurs, & en particulier nos correspondents, autant que ce procedé sera compatible avec la prudence & le principal but de ces réflexions.
Fin du onziéme Livre.