Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye: N°. XXIII.
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N°. xxiii.
Le Lundi 13. d’Août 1714.
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Entre ajoûter foi aux raports qu’on
nous fait, & tenir des discours desavantageux, il y a si peu
d’intervale, qu’il est presqu’impossible de s’empêcher de passer
de l’un à l’autre, parce qu’on parle sans peine de ce qu’on
croit volontiers. Tout ceci arive à la plûpart des Hommes à
l’égard des Femmes. Souvent même la bizarrerie va jusqu’à blamer
celles dont la conduite est irréprochable. Celle-ci est attachée
à son ménage, elle n’aime ni Jeu, ni Bal, ni Opéra, en voila
assez pour la faire passer pour incommode & à charge à tout
le monde ; celle-là est de toutes les Parties, fréquente les
Assemblées & les Promenades ; c’est une Coquette.
& je soûtiens que lors qu’une Femme est sage,
il faut lui faire grace en faveur de son séxe, il faut lui
passer quelques légèretez, & lui pardonner quelque petit
défaut ; sur tout parce qu’il n’y a pas de Femme qui ne puisse
aisément se disculper & se justifier ; car ne peut-on pas
assurer, sans craindre de mentir, que les Hommes sont la cause
de tant de faux pas qu’elles font & de tant de niaiseries
dans lesquelles elles donnent ; elles se réglent sur les Hommes,
elles les regardent comme leur Modèle. Après cela, sera-t-il
dificile de faire comprendre que c’est contre les Hommes qu’il
faut crier & s’emporter, puisque ce sont, ou leurs maniéres,
ou leurs sentimens, ou leurs discours, qui servent de régle à la
conduite de la plûpart des Femmes.
Après tout, où trouvera-t-on une Femme
parfaite, non plus qu’un Homme ? Celle-là n’a guéres d’esprit,
elle a de la douceur & du bien, n’est-ce pas assez ?
Celle-ci n’est ni belle, ni jeune, qu’importe ? Elle a de
l’Esprit & de la Naissance. Enfin, il n’y en a point qui
n’ait quelque talent & quelqu’avantage : n’en est-ce pas
assez pour empêcher un honnête Homme de se déclarer contr’elle,
& d’en dire rien de desobligeant. Comme il y a peu d’honnête
Hommes, cette régle est rarement suivie, Ceci est vrai au pied de la
lettre, & il n’est, pour ainsi dire, plus permis à une Femme
d’être belle & d’être sage.
Je ne trouverai pas mauvais que quelqu’Homme que ce fût,
prît la liberté de Censurer une telle conduite, quoi qu’en
puisse dire cès Casuistes relâchez qui voudroient insinuër qu’il
est injuste d’être curieux des affaires d’autrui, d’être
attentifs à la conduite du prochain, & d’éxaminer avec soin
ses démarches pour avoir ocasion de les critiquer. Si cette
maxime est reçûë il n’y a qu’à lâcher la bride à toute sorte de
vices, parce qu’on n’osera plus parler des vices & des
fautes dans lesquels les autres tombent. Alors personne ne
craindra plus un salutaire qu’en dira-t-on, qui souvent est le
seul frein qui retient tant de gens dans leur devoir. Il est
vrai qu’il n’y a pas de libertin qui ne se trouvât bien de la
réception de cette maxime. Une autre maxime dont on pourroit
dire la même chose que de celle-ci, est celle qui tend à
persuader qu’on n’est pas obligé d’avoir égard au jugement du
Public, & qu’on ne doit consulter que son
goût ; en un mot, qu’il faut être destituez de tout sentiment
d’hunité, pour faire autres choses, en voïant la mauvaise
conduite du tiers & du quart, que de laisser au Ciel le soin
de punir les méchans, sans se mettre en peine de les censurer.
En qualité de Censeur, nous avons dû réfléchir sur ces deux
maximes, & nous les appliquer à nous-mêmes, mais tout bien
considéré, il semble qu’il n’y a personne qui ne voïe que cette
seule maxime reçûë, toutes les Loix de la Société sont
renversées : chacun n’en croira que son goût, c’est-à-dire, ses
passions ; & qui ignore quels monstres ont coûtume
d’enfanter, le Point d’honneur, l’Amour, le desir des richesses,
le plaisir de se venger, la fureur de se faire un nom, &
tant d’autres dont le Catalogue seroit ennuïeux ; je ne dirai
pas encore que cette maxime ruine, le précepte de la correction
mutuelle si clairement contenu dans les Ecrits Sacrez, sans
parler de l’obligation de donner bon Exemple, & d’éviter le
scandale ; tous préceptes dont la pratique ne peut subsister, si
les uns consultent moins ce que pensera le Public de leur
action, que leur goût ; & si les autres
ferment les yeux sur tout ce qu’on fait, sur tout ce qu’on dit.
Que de Coquettes, que d’Avares, que d’Ambitieux, que d’Yvrognes,
que de Joueurs, lâcheroient la bride à leurs desirs.
Metatextualität
Comment contenter ces sortes de
Personnes ? Je suis sollicité à prendre aujourd’hui le Parti
du Séxe contre cès esprits que rien n’accommode :
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Fremdportrait
C’est ainsi que Lucie est
joueuse, & passe toute sa vie, ou à faire des
Sept-&-leva, ou à se faire païer des Matadors, ou à
demeurer mollement & oisivement douze heures dans un
bon lit, parce que Garton, à qui elle a intérêt de
plaire, aime cette vie, & qu’autrement il feroit
passer Lucie pour une Provinciale qui ne sait pas vivre,
& qu’on devroit bannir de toutes Sociétez.
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Si des Hommes prudens, sages, discrets, Il est
encor, la troupe en est petite :
A leurs passions sont-ils pas tous sujets ?
Egards n’ont plus pour le parfait mérite,
Cœurs sans vertu chez eux sont aplaudis ;
Tout est perdu si tel train continuë ;
En leur pouvoir auront tels étourdis
Faire passer belle & sage pour gruë.
A leurs passions sont-ils pas tous sujets ?
Egards n’ont plus pour le parfait mérite,
Cœurs sans vertu chez eux sont aplaudis ;
Tout est perdu si tel train continuë ;
En leur pouvoir auront tels étourdis
Faire passer belle & sage pour gruë.
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Fremdportrait
Cependant, si l’impétueux
Rosicol va au delà de l’estime & du plaisir de voir,
est-ce la faute de Francie ? On a des yeux, il est
vrai ; mais on doit aussi avoir de la raison. Rosicol la
trouve aimable, dira-t-il, pourquoi
donc ne la pas aimer ? Parce qu’elle ne soufriroit pas
qu’on l’aimât que de la maniére dont elle est aimable ;
& elle l’est parce qu’elle est belle, honnête &
sage ; & elle cesseroit de l’être si elle n’étoit
que belle.
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Fremdportrait
Je ne pense pas de même sur
le chapitre de Mélinde & de Leonor ; ce sont deux
beautez élévées dans la même ruë, & pour ainsi dire
dans la même maison ; dès leur plus tendre jeunesse
elles ont été ensemble, & une certaine conformité
d’inclinations a lié entr’elles une amitié qui en naît
d’ordinaire ; elles auroient pû se porter l’une l’autre
à la Vertu, & devenir des modèles de perfection ;
cependant, que sont-elles ? Deux espéces de Mégéres :
une fine dissimulation a peint sur leur visage une
douceur qu’elles ne connoissent pas ; mais qu’on les
fréquente dans leur domestique, il n’y a ni Matelot, ni
Soldat aux Gardes, qui puisse leur tenir tête à vomir
des juremens qui font dresser les cheveux à ceux qui
entendent leur Langue ; & quoi qu’elles n’ignorent
pas qu’il leur sied mal de parler sur certains
chapitres ; cependant, on est surpris de les voir dans
un âge peu avancé, si savantes sur des
choses qu’elles devroient absolument ignorer : elles
oublient la pudeur & la modestie en toute rencontre,
& que les paroles trop libres, dans la bouche d’une
Fille, quelqu’envelopées qu’elles soient, font toûjours
un mauvais éfet.
Metatextualität
Il me semble que mon sentiment en
cela est assez d’accord avec celui de l’Auteur d’une Lettre
que je joindrai ici, parce que je ne crois pas qu’elle
puisse jamais me venir à propos, d’autant qu’elle a raport à
une matiére sur laquelle j’ai assez parlé.
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Brief/Leserbrief
« J’ai plus d’une fois
murmuré, Monsieur, de ce que vous vous en tenez si
étroitement à votre Profession de Censeur ; il y a
aparemment quelques Personnes de Lettres qui lisent vos
petits Discours ; croiez-vous donc donner dans la
pédanterie, si vous donniez quelque chose à la
Littérature, à l’éxemple du Misantrope. C’est pour vous
y engager que je vous propose ici une question à
résoudre, savoir dans quelle vûë les Savans donnent
leurs Ouvrages au Public, sur tout ceux qu’on peut
apeller polémiques & qui contiennent leurs disputes.
Sans faire le fin je vous avouërai que j’ai en vûë la
fameuse quérelle sur le Jeu, dans laquelle vous avez
paru prendre parti ; je viens d’aprendre
que, quoi que le Public en ait dit, quelque Sentence
qu’il ait portée, l’orgueil Théologique ne s’en veut pas
tenir-là ; on va multiplier les Volumes. La presse roule
déja, aux dépens de l’Auteur, s’entend ; & bientôt
on verra, je ne sais comment l’apeller, si ce n’est une
Triplique, ou Réponse à la Replique sur la Replique ;
peut-être que le Ciel y mettra la main, & qu’on sera
content d’avoir entassé tant de pâture pour les Vers,
sans rien avancer & sans rien éclaircir. Donnez-nous
vos conjectures, & dites-nous quelles peuvent être
les vûës qu’on se propose, sur tout quand on sait que le
Public a jugé & qu’il ne veut plus entendre les
parties. » P. K. . . . r.
Metatextualität
Pour répondre en deux mots à
l’Auteur de cette Lettre, je le prie de considérer qu’étant
Partie, comme il le reconnoît, mes conjectures pouroient
passer pour invectives, ainsi, je le prie d’en décider
lui-même, ou de laisser au Public le soin d’expliquer ce
qu’il en pense.