Zitiervorschlag: Anonym [Jean Rousset de Missy / Nicolas de Guedeville] (Hrsg.): "N°. XXIII.", in: Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye, Vol.1\023 (1715 [1714]), S. 177-184, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4103 [aufgerufen am: ].


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N°. xxiii.

Le Lundi 13. d’Août 1714.

Ebene 2► Entre ajoûter foi aux raports qu’on nous fait, & tenir des discours desavantageux, il y a si peu d’intervale, qu’il est presqu’impossible de s’empêcher de passer de l’un à l’autre, parce qu’on parle sans peine de ce qu’on croit volontiers. Tout ceci arive à la plûpart des Hommes à l’égard des Femmes. Souvent même la bizarrerie va jusqu’à blamer celles dont la conduite est irréprochable. Celle-ci est attachée à son ménage, elle n’aime ni Jeu, ni Bal, ni Opéra, en voila assez pour la faire passer pour incommode & à charge à tout le monde ; celle-là est de toutes les Parties, fréquente les Assemblées & les Promenades ; c’est une Coquette.

Metatextualität► Comment contenter ces sortes de Personnes ? Je suis sollicité à prendre aujourd’hui le Parti du Séxe contre cès esprits que rien n’accommode : ◀Metatextualität & je soûtiens que lors qu’une Femme est [178] sage, il faut lui faire grace en faveur de son séxe, il faut lui passer quelques légèretez, & lui pardonner quelque petit défaut ; sur tout parce qu’il n’y a pas de Femme qui ne puisse aisément se disculper & se justifier ; car ne peut-on pas assurer, sans craindre de mentir, que les Hommes sont la cause de tant de faux pas qu’elles font & de tant de niaiseries dans lesquelles elles donnent ; elles se réglent sur les Hommes, elles les regardent comme leur Modèle. Après cela, sera-t-il dificile de faire comprendre que c’est contre les Hommes qu’il faut crier & s’emporter, puisque ce sont, ou leurs maniéres, ou leurs sentimens, ou leurs discours, qui servent de régle à la conduite de la plûpart des Femmes. Ebene 3► Fremdportrait► C’est ainsi que Lucie est joueuse, & passe toute sa vie, ou à faire des Sept-&-leva, ou à se faire païer des Matadors, ou à demeurer mollement & oisivement douze heures dans un bon lit, parce que Garton, à qui elle a intérêt de plaire, aime cette vie, & qu’autrement il feroit passer Lucie pour une Provinciale qui ne sait pas vivre, & qu’on devroit bannir de toutes Sociétez. ◀Fremdportrait ◀Ebene 3

Après tout, où trouvera-t-on une [179] Femme parfaite, non plus qu’un Homme ? Celle-là n’a guéres d’esprit, elle a de la douceur & du bien, n’est-ce pas assez ? Celle-ci n’est ni belle, ni jeune, qu’importe ? Elle a de l’Esprit & de la Naissance. Enfin, il n’y en a point qui n’ait quelque talent & quelqu’avantage : n’en est-ce pas assez pour empêcher un honnête Homme de se déclarer contr’elle, & d’en dire rien de desobligeant.

Comme il y a peu d’honnête Hommes, cette régle est rarement suivie,

Ebene 3► Si des Hommes prudens, sages, discrets,

Il est encor, la troupe en est petite :
A leurs passions sont-ils pas tous sujets ?
Egards n’ont plus pour le parfait mérite,
Cœurs sans vertu chez eux sont aplaudis ;
Tout est perdu si tel train continuë ;
En leur pouvoir auront tels étourdis
Faire passer belle & sage pour gruë. ◀Ebene 3

Ceci est vrai au pied de la lettre, & il n’est, pour ainsi dire, plus permis à une Femme d’être belle & d’être sage. Ebene 3► Fremdportrait► Cependant, si l’impétueux Rosicol va au delà de l’estime & du plaisir de voir, est-ce la faute de Francie ? On a des yeux, il est vrai ; mais on doit aussi avoir de la raison. Rosicol la trou-[180]ve aimable, dira-t-il, pourquoi donc ne la pas aimer ? Parce qu’elle ne soufriroit pas qu’on l’aimât que de la maniére dont elle est aimable ; & elle l’est parce qu’elle est belle, honnête & sage ; & elle cesseroit de l’être si elle n’étoit que belle. ◀Fremdportrait ◀Ebene 3

Ebene 3► Fremdportrait► Je ne pense pas de même sur le chapitre de Mélinde & de Leonor ; ce sont deux beautez élévées dans la même ruë, & pour ainsi dire dans la même maison ; dès leur plus tendre jeunesse elles ont été ensemble, & une certaine conformité d’inclinations a lié entr’elles une amitié qui en naît d’ordinaire ; elles auroient pû se porter l’une l’autre à la Vertu, & devenir des modèles de perfection ; cependant, que sont-elles ? Deux espéces de Mégéres : une fine dissimulation a peint sur leur visage une douceur qu’elles ne connoissent pas ; mais qu’on les fréquente dans leur domestique, il n’y a ni Matelot, ni Soldat aux Gardes, qui puisse leur tenir tête à vomir des juremens qui font dresser les cheveux à ceux qui entendent leur Langue ; & quoi qu’elles n’ignorent pas qu’il leur sied mal de parler sur certains chapitres ; cependant, on est surpris de les voir dans un âge peu avancé, si savantes sur des [181] choses qu’elles devroient absolument ignorer : elles oublient la pudeur & la modestie en toute rencontre, & que les paroles trop libres, dans la bouche d’une Fille, quelqu’envelopées qu’elles soient, font toûjours un mauvais éfet. ◀Fremdportrait ◀Ebene 3

Je ne trouverai pas mauvais que quelqu’Homme que ce fût, prît la liberté de Censurer une telle conduite, quoi qu’en puisse dire cès Casuistes relâchez qui voudroient insinuër qu’il est injuste d’être curieux des affaires d’autrui, d’être attentifs à la conduite du prochain, & d’éxaminer avec soin ses démarches pour avoir ocasion de les critiquer. Si cette maxime est reçûë il n’y a qu’à lâcher la bride à toute sorte de vices, parce qu’on n’osera plus parler des vices & des fautes dans lesquels les autres tombent. Alors personne ne craindra plus un salutaire qu’en dira-t-on, qui souvent est le seul frein qui retient tant de gens dans leur devoir. Il est vrai qu’il n’y a pas de libertin qui ne se trouvât bien de la réception de cette maxime.

Une autre maxime dont on pourroit dire la même chose que de celle-ci, est celle qui tend à persuader qu’on n’est pas obligé d’avoir égard au jugement du Public, & qu’on ne doit consulter [182] que son goût ; en un mot, qu’il faut être destituez de tout sentiment d’hunité, pour faire autres choses, en voïant la mauvaise conduite du tiers & du quart, que de laisser au Ciel le soin de punir les méchans, sans se mettre en peine de les censurer.

En qualité de Censeur, nous avons dû réfléchir sur ces deux maximes, & nous les appliquer à nous-mêmes, mais tout bien considéré, il semble qu’il n’y a personne qui ne voïe que cette seule maxime reçûë, toutes les Loix de la Société sont renversées : chacun n’en croira que son goût, c’est-à-dire, ses passions ; & qui ignore quels monstres ont coûtume d’enfanter, le Point d’honneur, l’Amour, le desir des richesses, le plaisir de se venger, la fureur de se faire un nom, & tant d’autres dont le Catalogue seroit ennuïeux ; je ne dirai pas encore que cette maxime ruine, le précepte de la correction mutuelle si clairement contenu dans les Ecrits Sacrez, sans parler de l’obligation de donner bon Exemple, & d’éviter le scandale ; tous préceptes dont la pratique ne peut subsister, si les uns consultent moins ce que pensera le Public de leur action, que leur goût ; & si les autres [183] ferment les yeux sur tout ce qu’on fait, sur tout ce qu’on dit. Que de Coquettes, que d’Avares, que d’Ambitieux, que d’Yvrognes, que de Joueurs, lâcheroient la bride à leurs desirs. Metatextualität► Il me semble que mon sentiment en cela est assez d’accord avec celui de l’Auteur d’une Lettre que je joindrai ici, parce que je ne crois pas qu’elle puisse jamais me venir à propos, d’autant qu’elle a raport à une matiére sur laquelle j’ai assez parlé. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► « J’ai plus d’une fois murmuré, Monsieur, de ce que vous vous en tenez si étroitement à votre Profession de Censeur ; il y a aparemment quelques Personnes de Lettres qui lisent vos petits Discours ; croiez-vous donc donner dans la pédanterie, si vous donniez quelque chose à la Littérature, à l’éxemple du Misantrope. C’est pour vous y engager que je vous propose ici une question à résoudre, savoir dans quelle vûë les Savans donnent leurs Ouvrages au Public, sur tout ceux qu’on peut apeller polémiques & qui contiennent leurs disputes. Sans faire le fin je vous avouërai que j’ai en vûë la fameuse quérelle sur le Jeu, dans laquelle vous avez paru prendre parti ; je viens d’a-[184]prendre que, quoi que le Public en ait dit, quelque Sentence qu’il ait portée, l’orgueil Théologique ne s’en veut pas tenir-là ; on va multiplier les Volumes. La presse roule déja, aux dépens de l’Auteur, s’entend ; & bientôt on verra, je ne sais comment l’apeller, si ce n’est une Triplique, ou Réponse à la Replique sur la Replique ; peut-être que le Ciel y mettra la main, & qu’on sera content d’avoir entassé tant de pâture pour les Vers, sans rien avancer & sans rien éclaircir. Donnez-nous vos conjectures, & dites-nous quelles peuvent être les vûës qu’on se propose, sur tout quand on sait que le Public a jugé & qu’il ne veut plus entendre les parties. »

P. K. . . . r. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Metatextualität► Pour répondre en deux mots à l’Auteur de cette Lettre, je le prie de considérer qu’étant Partie, comme il le reconnoît, mes conjectures pouroient passer pour invectives, ainsi, je le prie d’en décider lui-même, ou de laisser au Public le soin d’expliquer ce qu’il en pense. ◀Metatextualität ◀Ebene 2

A la Haye,

Chez Henri Scheurleer.

Et à Amsterdam chez Jean Wolters. ◀Ebene 1