Zitiervorschlag: Anonym [Jean Rousset de Missy / Nicolas de Guedeville] (Hrsg.): "N°. IX.", in: Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye, Vol.1\009 (1715 [1714]), S. 65-72, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4102 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

N°. ix.

Le Lundi 7. de Mai 1714.

Ebene 2► On trouve dans ce Païs trois sortes d’Assemblées réguliéres. Je ne veux que les indiquer ; je me réserve, pour quelqu’autre ocasion, à en faire un examen plus exact. Les plus célèbres sont les Sociétez. C’est-là que ce qu’il y a de beau Monde de l’un & l’autre Séxe s’assemble avec beaucoup d’éclat, d’ordre de cérémonie. C’est-là où l’on voit tous les jours briller la magnificence ; c’est-là où les Jeux & les Amours tiennent leur Cour. Je mets dans le second rang les Coléges, diamétralement oposez aux Sociétes, puis que ce sont des Assemblées de gens qui font profession d’une dévotion plus pure que le reste des hommes, & qui ne se réünissent ainsi à certains jours que pour s’entretenir familiérement de choses également salutaires & pieuses. Dans le dernier Rang sont les Féotez : ce sont des Personages graves qui les composent. Le début est ordinairement quelque entretien vague sur [66] les affaires du tems ; c’est-là comme l’Introite, qui finit, lors que toute la Troupe est assemblée, par une distribution de Caffé, auquel succède une Colation selon les facultez de celui chez qui se tient la Féote ; chacun ensuite prend son parti ; les uns armez d’une Pipe, ou tournent le dos au feu, ou s’étendent dans de larges Fauteuils ; les autres se retirent par paire dans les coins de la chambre pour y vider quelques démêlez qui n’avoient pû être terminez dans la Féoté précédente ; c’est-là qu’on va méditer le moïen de livrer un Assaut de surprendre un Cavalier, ou une Tour, d’enlever une Dame, d’emprisonner un Roi ; pendant ce tems-là les Fumeurs s’entretiennent de diférentes choses : quelquefois ils en viennent à la dispute ; j’ai vû même des emportemens qui ont été fatals à plus d’une Pipe & à plus d’un verre, emportemens qui dans la suite ont enfanté plus d’un volume. C’est dans une de cès derniéres Assemblées qu’on proposa une question qui fait la matiére de la Lettre suivante, qui la sera de nos Réfléxions.

Ebene 3► Brief/Leserbrief► « Je suis, mon cher Ami, dans une colére que vous comprendrez mieux que je ne pourois vous l’exprimer, contre cet incommode Rhûmatisme qui vous [67] expose à de si vives douleurs, & vos Amis au chagrin d’être privez de votre Compagnie ; sur tout, qu’il ne vous ait pas donné de relâche pour être de notre derniére Féoté chez le riche Auriton ; Les Questions ont été toutes singuliéres ; on auroit dit qu’on avoit atendu votre absence pour être à l’abri de votre Censure. Mais de toutes je n’en ai point trouvé qui vous eût révolté plus que celle-ci, étant proposée par le vieux Béroald, qui demanda si tout amour des Richesses n’est pas criminel ? N’avoit-il pas bonne grace de mettre cette question sur le tapis, lui qu’on sait avoir tout fait, tout entrepris, pour parvenir à cès gros Revenus qu’il posséde aujourd’hui. Je ne vous raporterai point tout ce qui a été dit pour & contre ; les distinctions artificieuses du Docteur Rébusas, ni tout ce que le zèle ordinaire de notre Ami Damasis lui fit dire contre une thêse qui paroissoit si odieuse à sa spéculation, quoi que dans la pratique il aime autant qu’un autre à voir grossir ses Pensions. Tout cela me feroit excéder la mésure d’une Lettre ad familiarem, que je ne vous écris que pour savoir ce que vous pensez sur cette Proposition, &c. V.P. » ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

[68] De tous les maux sortis de la boëte de Pandore, ou d’ailleurs, je n’en connois point de plus fatals à la Société que cette passion déréglée que tous les Hommes ont pour les richesses : passion qui, sans hiperbole, est la cause de toutes les miséres auxquelles les trois quarts & demi du genre humain sont exposez. Car, si dans quelqu’état qu’on se trouve, on se faisoit une raison, si l’on étoit content de son sort, quels chagrins, quelles inquiétudes, quels travaux, quelles peines ne s’épargneroit-on pas ; peines, travaux, inquiétudes, chagrins, auxquels par conséquent on s’expose soi-même, & qu’ensuite on ne se fait pas une affaire de rejetter sur le comte de la Providence.

Je sais ce qu’on a coûtume de dire pour excuser cette Passion ; qu’il est naturel &, par conséquent, innocent de desirer le nécessaire & de travailler à l’aquerir, mais sous ce prétexte du nécessaire, ne passe-t-on pas je ne dirai pas souvent, mais toûjours au superflu ? & alors on couvre sa passion du beau nom de prudence ; il est bon, dit-on, d’avoir une poire pour la soif : qui sait ce qui peut ariver. La prévoïance est la mére de sûreté. Oui, Béroald, votre prévoïance m’est une preuve bien certaine de la défiance [69] que vous avez des soins de la Providence ; tous ces beaux noms ne me déguiseront pas votre vile Passion.

Cette ardeur pour tout ce qui s’apelle richesses, cause des maux qu’on peut mieux pleurer qu’exprimer, quand elle se trouve dans un Homme qui tient quelque rang dans le Gouvernement ; elle n’en produit point de moins grands lors qu’elle anime deux autres ordres de personnes. Les Ministres de Themis & ceux des Autels. Si cette réfléxion avoit besoin de preuves, combien de Familles injustement rüinées, de Veuves désolées, de Sélérats impunis, de déréglemens peu ou point repris, nous fourniroient un triste & odieux Catalogue.

C’est cette réfléxion qui a porté les meilleurs Princes à ne confier la balance & le glaive qu’à des Personnes ou puissamment riches, ou à qui ils donnoient des Apointemens capables d’étoufer en eux cette honteuse passion de l’intérêt. Maxime, graces au Ciel, pratiquée dans notre chére République ; qu’un grand Prince imite de nos jours avec beaucoup de succès, & dont tout véritable Pére de ses Peuples dévroit suivre l’éxemple.

Mais rien ne me révolte davantage que [70] lors que je tourne la vûë vers le Sanctuaire. Tout dévroit en bannir cette criminelle Passion, & toute l’y fomente, tout l’y entretient ; elle y est comme sur son Trône. Tourné-je les yeux vers Rome ; le Pontife, les Prêtres, les Lévites y sont, autant que ceux qu’ils apellent gens du monde, en proïe à toutes les Passions qui enflamment le desir des richesses ; vanité, orgueil, mondanité, desir de se distinguer, de se faire des Créatures, tout cela est de leur Evangile particulier, quoi que tous les jours, ils foudroïent & déclament contre cela même avec toute la véhémence & toute l’éloquence. Cependant, on entasse Bénéfices sur Bénéfices, Evêchez sur Evêchez, on joint le Cardinalat à la Mitre ; est-ce pour être plus en état de s’aquiter de certains devoirs moraux qu’on prêche aux autres, & dont l’indigence rend la pratique non seulement dificile, mais même impossible ? N’est-ce pas bien plûtôt pour fournir plus aisément tout à la molesse, au luxe, à la volupté ?

Mais laissons Rome & passons dans cès Païs, où la sévérité de la Réforme aura sans doute introduit des sentimens plus purs Le faste n’y est pas à un pareil dégré dans le Sanctuaire ; la magnificence [71] & la Pompe y ont fait place à une aimable simplicité ; les Docteurs des Peuples n’y sont revêtus ni du Violet, ni de la Pourpre : peut-être leur desintéressement sera-t-il d’acord avec la simplicité de leur extérieur ? Fasse le Ciel que cela fût ! Nous ne vérions point les Pasteurs voltiger de Troupeaux en Troupeaux. Ils aimeroient leurs Oüailles d’un amour véritablement paternel ; ce seroit cet Amour qui les atacheroit à elles & non un vile Casuel. Ils travailleroient à en déraciner le vice avec un zèle sincére, & ne laisseroient pas à de nouveaux venus le soin de recommencer tous les jours un Ouvrage qu’on ne devroit quiter qu’après l’avoir entiérement perfectionné. Mais fait-on rien de tout cela ? Il est de certaines Chaires plus lucratives les unes que les autres. Amis, Protecteurs, Parens, Intercessions, Promesses, tout est mis en œuvre pour ariver là. Craint-on même qu’un Troupeau, dont on est chéri, ne s’y opose, on ne se fait pas conscience d’emploïer les éxécrations les plus terribles pour le tromper. Ebene 3► Exemplum► Que ma langue s’atache à mon palais, que je perde l’usage de ma main droite, si je t’abandonne, cher Troupeau que l’Eternel a commis à mes soins, s’écrie Xanthopile, en levant vers le Ciel la main dont il vient de signer la Requête par laquelle il demande l’aprobation du Magistrat de la Ville où il s’est fait apeller.

Eudoxe, qui fait que son Collégue est apellé à la conduite d’un autre Troupeau, s’écrie, hûreux Xanthopile dont les Amis [72] font réüssir tous les Projèts ; Qu’y a-t-il, Eudoxe ? le Troupeau que votre Collégue va conduire est-il plus docile que celui qu’il laisse à vos soins ? Rien moins que cela. Le Vice y est à son comble ; les Jeux, les Commerces infames, l’Avarice, le Luxe, y régnent à l’envie. Quel est donc le bonheur de Xanthopile ? quel sujèt avez-vous de lui porter envie ? Il n’aura pas à parler devant une vile Populace, les Princes du Peuple formeront son Auditoire, où on ne voit que des Femmes de la premiére distinction ; en un mot, son revenu sera augmenté de la moitié. ◀Exemplum ◀Ebene 3 Voila les ressorts qui font agir ces Docteurs, dont le Maître faisoit gloire de n’avoir où reposer sa tête. Voila leur désintéressement ; voila les motifs de leur zèle pour notre conversion & la Gloire de Dieu. Je ne connois qu’un Superville au dessus de ces indignes sentimens. ◀Ebene 2

Avertissement.

On trouve à présent chez Henri Scheurleer, Libraire à la Haye, la nouvelle Edition de J. Newton Philosophia Naturalis Principia Mathematica, in 4. qui ne céde en rien à la beauté de l’Edition de Londres, & qu’il vend à la moitié moins que celle ci.

Il debite aussi Les Plaintes des Protestans, par M. Claude, augmenté d’une ample & belle Préface touchant la durée de la Persécution, & sur l’état présent des Réformez en France, 8. Comme aussi toutes autres sortes de Livres nouveaux, tant d’Angleterre que de ce Païs-ci.

A la Haye,

Chez Henri Scheurleer.

Et à Amsterdam chez Jean Wolters 1714. ◀Ebene 1