Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye: N°. XXII.
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N°. xxii.
Le Lundi 6. d’Août 1714.
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Brief/Leserbrief
Monsieur le Censeur, « A la
requête d’un je ne sais *1quel S. B. T. vous avez soûmis à votre
sévére Censure tous les gestes, tous les mouvemens, en
un mot, toute la contenance de notre Séxe, dans les
Assemblées publiques de Religion ; par voïe de
récrimination j’aurai droit, s’il vous plaît, de porter
mes plaintes devant vous contre celui qui nous a
accusées, & contre tous ceux qui lui ressemblent. Il
se trouve dans ces Assemblées un nombre beaucoup plus
grand qu’on ne croiroit, de certains Impudens qui
semblent n’y venir que pour rassasier, aux dépens de la
pudeur de notre Séxe, la lasciveté de leurs yeux. En
vous en décrivant un je vous les peindrai tous.
A la peinture qu’elle m’a faite de ces Messieurs,
je pourois presque vous les nommer, & je n’y
manquerois pas si je ne craignois de deviner mal. Si
votre Mr. S. B. T. n’avoit pas fait un pareil
personnage, auroit-il pû vous faire la longue
description contenuë dans sa Lettre ? Jugez donc,
Monsieur, quelle est la plus criminelle, de l’éfronterie
de ces sortes d’éxaminateurs, ou de la légéreté de notre
Séxe, qui est la source de toutes les mauvaises maniéres
qui ont été le sujèt de votre Censure. Cette Lettre me
paroît déja un peu longue, si je ne craignois qu’en
lisant on ne dise, on voit bien qu’elle vient d’une
Femme, j’entreprendrois de plaider notre cause, & de
faire en même tems tout un discours sur l’impudence de
ces éxaminateurs d’Eglise. Mais je vous en laisse le
soin & vous prie de me croire, &c. » M. L. . . .
Y.
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Allgemeine Erzählung
Mademoiselle
Schoonetein est une des plus belles Personnes de
cette Ville ; les connoisseurs
disent que rien ne peut être plus régulier que ses
traits ; sa gorge n’a point de pareille, & ses
mains semblent faites au-tour, tant elles sont
bien taillées. La réputation d’un fameux Orateur
l’atira à notre Temple ces jours passez, & le
hazard voulut qu’elle fut placée vers un des bouts
de l’Eglise proche de ces allées où les Hommes se
tiennent debout. Un jeune étourdi, qui entra un
moment après elle, avec deux autres de sa trempe,
vinrent se placer à ses côtez, & n’en
démarérent pas pendant tout le Sermon, qu’ils
passérent à éxaminer avec des yeux, où le feu de
leur impudence pétilloit, tous les charmes de la
décontenancée Schoonetein ; qui, je vous jure,
n’avoit pas envie, ni de redresser ses manchettes,
ni de replacer ses mouches, ni d’ouvrir &
renfermer sa tabatiére, tant elle étoit ocupée à
se dérober aux regards continuels de ces jeunes
éfrontez, qui joignoient à cela mille ricassemens,
qui étoient les suites d’un suschillement sans
fin, qui achevoit de la déconcerter, parce qu’ils
étoient si proches d’elle, qu’elle entendoit la
plûpart de leurs sotes réfléxions, que je n’ai
garde de vous raporter, puis que la
pudeur de cette Belle ne lui a pas permis de m’en
faire part.
Metatextualität
Cette Lettre m’a paruë écrite avec
tant de zèle & de feu, que je me suis imaginé faire
plaisir à celle qui en est l’Auteur, en ne différant pas à
traiter ce sujèt, quoi que j’en aïe
quelqu’autre en main qui auroit dû avoir la préférence ;
mais l’esprit féminin est pour l’ordinaire si promt & si
impérieux, que je crois que tout doit céder au soin de leur
obéïr sans délai, & sans contredire.
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Allgemeine Erzählung
Je me trouvai il y a quelque
tems dans un banc proche de celui d’une Beauté qui ne
l’auroit peut-être pas cédé à la tant vantée
Schoonetein. J’ose dire, sans vouloir m’encenser, que si
j’avois été tant-soit-peu d’humeur à devenir Lorgneur,
il n’auroit pas tenu à cette Belle. Tournée de mon côté,
elle étoit plus attentive à étaler un sein d’albatre,
qu’elle faisoit hausser & descendre avec art, qu’à
feuilleter les Pseaumes qu’elle tenoit d’une main faite
au tour qu’elle gantoit & dégantoit, tournoit,
avançoit, retiroit comme pour inspirer l’admiration
qu’elle méritoit en effèt ; enfin, de tems en tems elle
jetoit de certaines Oeillades capables de faire entendre
bien des choses à quelqu’autre moins froid
que moi & mieux instruit des régles de l’optique
galante.