Citazione bibliografica: Anonym [Jean Rousset de Missy / Nicolas de Guedeville] (Ed.): "N°. XXI.", in: Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye, Vol.1\021 (1715 [1714]), pp. 161-168, edito in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4098 [consultato il: ].


Livello 1►

N°. xxi.

Le Lundi 30. de Juillet 1714.

Livello 2► L’Homme est fait pour la Société, & on peut dire que ceux-là renoncent à tous les avantages de leur nature, qui, comme autant de Sauvages se dérobent à la vûë de tous leurs concitoïens pour aller s’enterrer dans quelque caverne éloignée de tout commerce, où ils vivent moins comme des Créatures raisonnables, que comme des Ours farouches. Tout l’agrément de la vie consiste dans la fréquentation des Etres auxquels la nature nous a fait ressembler, & au milieu desquels elle nous a placez ; Et il me semble que c’est insulter à la Nature, ou plûtôt à la Providence, & vouloir corriger ce qu’elle a établi avec sagesse, que d’abandonner ainsi délibérément le Commerce de nos semblables pour aller nous transplanter dans celui des bêtes les plus brutes.

Mais en demeurant dans la Société il y a un autre défaut à éviter, c’est ce-[162]lui de se rendre trop universel. On trouve des gens qui sont de tous les Cercles, qui s’intéressent dans les affaires même les plus domestiques de tous ceux de leur Ville, qui s’occupent de la Politique, du Négoce, de la Jurisprudence, de la Théologie, qui font tous les Mariages, qui réglent tous les Testamens, qui s’introduisent dans toutes les Tutelles ; en un mot, qui se mêlent généralement de tout : ces sortes de gens ne font pas attention, que dans le tems qu’ils ne s’ocupent que des affaires des autres, il deviennent les tirans de leur repos & la ruine de leurs propres affaires, qui sont les seules qu’ils négligent.

Pour garder un milieu, on doit se choisir un certain nombre, dirai-je d’Amis, ou de familiers avec lesquels on puisse passer agréablement cès momens qu’on apelle ordinairement perdus, & que je nomme momens de récréations. Ces sortes de récréations ont leurs régles, qui les rendent utiles, & en même tems innocentes.

On me dira qu’il est dificile & même très rare de trouver de cès personnes telles qu’il les faudroit pour former cès sortes de Sociétez. Cès Socié-[163]tez ne doivent pas être extraordinairement nombreuses, ainsi on peut se donner le tems de chercher ce petit nombre d’Amis véritables qui doivent les composer, je dirai plus, on peut en quelque façon former des personnes & les rendre capables de devenir de bons, de fidèles Amis.

Entre toutes les différentes maniéres de lier Société qui sont en usage dans la vie civile, on en trouve une chez les Nations policées, qu’on apelle le Mariage. Il n’est pas bon que l’Homme soit seul : voila l’origine du Mariage tirée de la nécessité où l’Homme est de vivre en Compagnie de quelqu’un. Metatestualità► Une Lettre que je trouve parmi celles de mes Corespondans, peut ici trouver sa place. ◀Metatestualità

Livello 3► Lettera/Lettera al direttore► Monsieur,

« Oseroit-on, sans s’exposer à vos traits critiques, demander à être agrégée au nombre de vos Cliens ? Il me faut des avis ; mais des avis méditez. L’afaire me paroît assez importante : voici le Cas en deux mots. Autoritratto► Agée d’environ vingt-quatre ans, je suis, sans [164] vanité, quoi que ce vice soit assez naturel à notre Séxe, d’une tournure à n’être pas la délaissée du Village. J’ai d’un côté trois Amans qui me solicitent furieusement, (pardonnez ce mot, il est fort commun en Amour,) à prendre une résolution qui finisse leurs inquiétudes. L’un est un Chevalier bien fait à peu près de mon âge, qui est en place pour faire fortune ; mais il est terriblement brouillé avec les Especes ; le second, je ne puis vous dire ni ce qu’il est, ni d’où il descend. C’est un Etranger assez bien fait & très spirituel, qui se donne un rang & des tîtres, il a même raisonnablement de ce qui se compte ; mais il n’y a presque ni Païs, ni Ville, où on ne trouve des images vivantes de l’ardeur & de la facilité avec laquelle il aime ; Enfin, le troisiéme est un de ces Péres aux Ecus presque trois fois aussi âgé que moi, qui tâche de me prouver par Cujas & le Code, car il est Docteur ès <sic> Loix, que je ne puis faire ni plus sainement, ni plus judicieusement, que d’apointer sa Requête en lui ajugeant ses conclusions. Mon Pére me presse en sa faveur ; ma Mére est païée pour me rebatre les oreilles [165] du second ; & mon cœur conduit par mon ambition, me parle pour le premier. ◀Autoritratto Y a-t-il perpléxité semblable à la mienne ? au secours, aux avis, Mr. le Censeur, ou vous perdez, du nombre de vos Cliens, votre très obéïssante »

Vander Twefel. ◀Lettera/Lettera al direttore ◀Livello 3

On se marie d’ordinaire par diférens motifs & de diférentes maniéres ; les motifs les plus fréquens sont ou la passion, ou la raison, ou l’ignorance, ou l’ennui d’être seul ; quant à la maniére, elle est de deux sortes, car on se marie ou tout à sa tête, ou tout à celle des autres. Motifs & maniéres qui font du Mariage, l’un des plus beaux nœuds de la Société, ou un vile Commerce sous les Loix de l’avarice, ou un moïen constant de remplir tout ce à quoi le cœur le plus débauché aspire. De là vient qu’on a fort bien dit, que le Mariage a la propriété de faire changer d’humeur ceux qui s’y mettent, puis qu’il fait d’un enjoué un stupide, & d’un galant un bouru.

Il me semble que dans une affaire aussi importante que celle-ci, on ne devroit consulter que son cœur & sa raison ; & les Parens ont très mauvaise [166] grace d’étendre leurs droits jusques sur ce moment de la vie de leurs Enfans qui les regarde uniquement, & non leurs Péres & Méres. Mais il se trouve souvent des personnes qui, libres du côté de leurs Parens, obéïssent, en faisant ce choix, à d’autres tirans bien plus absolus, je veux dire aux formidables Passions, soit pour l’argent, soit pour les honneurs.

Livello 3► Eteroritratto► A-t-on vû un dérangement de cervelle pareil à celui de la jeune Olynthe. Maîtresse absoluë & de son bien, & de sa volonté, & étant d’un certain rang & d’une figure à faire une bonne Fortune, elle s’entête d’un certain degré d’honneur que lui promèt Arconte. L’éclat, les grands noms, un certain Poste dont Arconte fait parade, éblouïssent Olynthe jusqu’au point de lui fermer les yeux & de lui boucher les oreilles sur tout ce qu’elle voit de ce Comte, & sur tout ce que toute la terre en dit. Qu’Arconte, semblable au second Amant de Mademoiselle Vander Twefel, ait des Maîtresses dans toutes les Villes où il a passé, qu’il trouve dans toutes les ruës détournées de petites machines animées qui se croïent en droit de l’apeller Papa. Qu’Arconte [167] ait la phisionomie trompeuse & jalouse, que la médisante Renommée l’ait déchiré d’une maniére aussi publique qu’afreuse ; le rang d’Arconte cache tant de défaut aux yeux d’Olynthe, & elle mèt toute sa félicité à dire avec une Comédie ; Je serai Comtesse, mon Oncle, je serai Comtesse. ◀Eteroritratto ◀Livello 3

N’est-il pas comme assuré que le Mariage est pour Olynthe comme une agréable perspective, il y a un point de vûë qui est charmant ; mais passé ce point, adieu les charmes. Comme il n’y a rien de si commun que de se marier, & de se marier par les motifs que j’ai alléguez, doit-on être supris si l’on trouve tant de Mariages ridicules & dignes de Censure ? Olynthe est la Copie d’une infinité d’Originaux ; Livello 3► Eteroritratto► Fadel ne nous en met pas moins devant les yeux ; c’est un Juriste qui a souvent vû Célantine dans son Etude ; Cette Veuve est engagée dans des Procès inextricables dans lesquels la mort de son Epoux l’a plongée. Le chagrin la mine, en un mot, on desespére de la santé de Célantine. Envain Fadel lui donne toutes les espérances possibles, rien ne peut la tirer d’inquiétude. Fadel conçoit enfin de la compassion pour [168] son état, & il prend à soixante & cinq ans la généreuse résolution d’épouser Celantine & ses Procès, puis qu’il ne trouve point d’autres moïens de tranquiliser l’Infortunée Célantine, qui, sans cette vigoureuse résolution de son compâtissant Avocat, alloit mourir Veuve, mais Veuve à vingt-cinq ans.

Célantine est-elle blâmable de donner les mains à un assortiment si inégal, nullement, selon moi : Mais Fadel, sauf le respect dû à la Jurisprudence, ne donne-t-il pas des marques d’un Cerveau dérangé ; peut-il se plaindre si ceux qui le voïent à soixante-cinq ans faire le Galant, ne peuvent s’empêcher de trouver risibles ces empressemens, cette envie de plaire, ces minauderies, qui ne peuvent paroître que desagréables, quoi qu’il veuille les rendre en quelque maniére moins vieilles en rajeunissant toute sa parure jusques à la Perruque. ◀Eteroritratto ◀Livello 3 La perpléxe Vander Twefel peut conclure de tout ceci, qu’en fait de Mariage, il ne faut consulter que son cœur & sa raison, & leur sacrifier & l’ambition & l’intérêt. ◀Livello 2

A la Haye,

Chez Henri Scheurleer.

Et à Amsterdam chez Jean Wolters. ◀Livello 1