Citazione bibliografica: Anonym [Jean Rousset de Missy / Nicolas de Guedeville] (Ed.): "N°. XVI.", in: Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye, Vol.1\016 (1715 [1714]), pp. 121-128, edito in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4093 [consultato il: ].


Livello 1►

N°. xvi.

Le Lundi 25. de Juin 1714.

Livello 2► Il n’est pas si incompréhensible que certaines gens ont paru le croire, qu’il y ait si peu d’Epoux contens. Je trouve mille ocasions de mécontentement entre un Mari & une Femme. Il ne faut que penser, que des Personnes le plus souvent de caractéres, d’humeurs, de tempéramens, d’inclinations toutes diférentes, sont obligées d’être ensemble jour & nuit. Il y a aussi entre cès Personnes un certain droit de Communauté qui authorise l’une & l’autre à s’obliger mutuellement à certaines explications, à certaines renditions de comtes qui se passent rarement sans amertumes ; joignons à toutes ces considérations un défaut de suport presque général.

Si j’étois engagé sous les Loix d’Hymenée, peut-être pourrois-je beaucoup mieux amplifier cette matiére, quoi qu’il en soit, les réfléxions que j’ai souvent faites sur la conduite des Per-[122]sonnes que je fréquente m’en ont assez apris pour avoir pû remarquer que le plus souvent la mesintelligence vient du côté des Maris.

Il me semble qu’on ne doit pas ignorer qu’un certain foible, beaucoup plus étendu qu’on ne se l’imagine d’ordinaire, régne dans toutes les actions des Femmes ; qu’elles sont généralement beaucoup plus impétueuses que les Hommes, que les égards que notre Séxe a pour elles leur font prendre un je ne sais quel air d’autorité qui leur plaît extrêmement ; en un mot, qu’elles donnent dans mille bagatelles, qu’elles ne veulent pas qu’on critique.

Un Mari doit souvent tout cela, & régler sa conduite là-dessus, de sorte que s’il arrive quelque brouillerie, il doit en rejetter toute la faute sur lui, pour n’avoir pas assez ménagé les foiblesses de son Epouse.

Livello 3► Eteroritratto► Carinton n’a dans la bouche que des plaintes contre la jeune Felice avec laquelle il y a déja dix ans qu’il est marié. C’est, dit-il, une Femme qui le deshonore, qui le perd de réputation, dont la conduite est la honte même, & d’autant plus honteuse que Felice semble en faire parade ; mais remontons à [123] la source du mal, éxaminons la conduite des deux Epoux. Felice, est de ces Femmes qui ont quelques agrémens, mais qui croïent qu’il faut joindre l’Art des ajustemens aux traits dont la Nature les a enrichies. Carinton de son côté prétend que son Epouse est toûjours assez belle pour lui, & son Avarice lui fournit mille prétextes pour ne pas donner à Felice, cette Mode, cette Coëfure, cette Echarpe. Cette petite satisfaction procureroit la Paix, Felice en seroit reconnoissante, Carinton seroit en repos. Mais il aime trop ses Ducats ; il ignore donc que contrecarer une Femme, sur tout sur ses parures, c’est l’offense qui ne se pardonne point ; Felice qui veut avoir à quelque prix que ce soit une Coëfure semblable à celle de sa Voisine, ou une Echarpe d’une nouvelle mode, feint de l’Estime pour un riche Juif, à qui elle permet quelque visite, elle en tire adroitement pour présent les choses qu’elle désiroit, elle en fait parade devant son avare Epoux ; elle feint une autre corespondance avec quelque jeune débarqué ; en un mot, elle met en œuvre tout ce qu’elle croit capable d’amener son Mari au poinct où elle le veut avoir. Felice a-t-elle raison d’emploïer [124] des moïens si équivoques ? Non sans doute ; mais n’est-ce point l’avarice de son Epoux qui l’a réduite à cette extrémité ? ◀Eteroritratto ◀Livello 3

Livello 3► Eteroritratto► Les déclamations du Comte Nanticour, sont-elles mieux fondées ? L’ambition le force à briguer un Emploi des plus honorables, il l’obtient ; il quite son Château, ce Château le séjour de la Vertu & de l’innocence de Plotine. Nanticour traîne avec lui cette sage Epouse à la Cour, il l’introduit dans tous les Cercles ; en fait un piller d’Opéra & de Comédie ; lui procure la connoissance de la Comtesse Antiqua, la Thaïs de son Siécle : il introduit près de sa Femme les Favoris qui lui ont fait obtenir son Emploi. Plotine goûte aisément cette maniére de vivre ; elle commence par admirer le bonheur d’Antiqua, toûjours environnée d’une foule d’Adorateurs qui louënt à l’envie jusqu’à son moindre geste. Où est la Femme que les louanges ne charment point ? Elle goûte les honnêtetez des Amis de son Mari. Elle ne revient jamais de l’Opéra qu’elle n’ait donné un torrent de larmes à la fatale catastrophe de quelque Amante infortunée : tout cela dispose à l’Amour une entrée [125] facile dans le cœur de Plotine. Un Chevalier savant dans le Commerce amoureux, lit dans les yeux de Plotine le combat de sa passion & de sa pudeur ; il veut être le Héros qui triomphera de sa Vertu, il a recours à tous les moïens qui sont d’usage dans de pareilles ocasions ; l’innocence de Plotine succombe à l’idée de mille charmans plaisirs, dans lesquels elle s’imagine que la vie de la Comtesse Antiqua son Amie est toute plongée ; enfin ; elle sacrifie l’austérité de sa Vertu aux charmes d’un doux Commerce avec le Chevalier Monidor.

Quand une Femme en est venuë là, tout change chez elle, le soin de mille colifichets, de mille ajustemens, en un mot, de tout ce que les Latins ont apellé si énergiquement Mundus muliebris, prend la place de celui qu’elle avoit de sa Famille & de son ménage ; l’atention à copier toutes celles qu’elle fréquente, & dans les passe-tems desquelles elle trouve quelques plaisirs, banit toute celle qu’elle aportoit ordinairement à étudier tout ce qui pouvoit faire plaisir à un Epoux. Alors on se met au dessus & du qu’en-dira-t-on, & des remontrances d’un Mari ; il semble même qu’on afecte de le chagriner. On ne le laisse [126] point en repos, ou il faut que son cofre soit toûjours ouvert.

Nanticour est dans cette situation ; il est vrai qu’il voudroit de bon cœur fournir à toutes les dépenses de Plotine, lui donner toutes les semaines de nouveaux habits, lui entretenir un Carosse particulier & des Laquais pour elle seule ; il voudroit lui entretenir toûjours la bourse d’or en poche pour fournir au Jeu : mais Nanticour, qui pouvoit faire figure avec ses Revenus dans sa Province, se voit ruiné à la Cour, en quinze jours ; Plotine n’entre pas là dedans, il lui faut tout ce qu’elle veut, & si son Mari n’y peut fournir, il ne faloit pas qu’il l’amenât à la Cour, ainsi elle cherche dans la Bourse du Chévalier Monidor, ce qu’elle ne trouve point dans celle de son Mari. Elle l’y trouve, & elle donne à celui qui satisfait à toutes ses inclinations, toute l’estime qu’elle doit à celui qui auroit dû y satisfaire. Il y a trois choses, dit Salomon, qui ne disent jamais c’est assez, la Femme est une des trois : le Chevalier Monidor l’éprouve à son grand regrèt. Plotine ne cesse de souhaiter tous les jours quelque nouveauté, & le pauvre Chevalier est bientôt réduit au même poinct d’indi-[127]gence que le Mari. Un Poëte Moderne prêtant à la Lyre d’Anacréon les accens François, lui fait dire,

Livello 4► C’est un mal d’être insensible.

C’est un mal d’être amoureux.
Mais des maux le plus terrible,
C’est d’aimer sans être hûreux.
L’Esprit, ni la Politesse ;
Ni même la Qualité,
Ne peuvent sans la richesse
Triompher d’une Beauté,
L’or seul aujourd’hui nous guide
Vers les faveurs de l’Amour, &c. ◀Livello 4

Le Chevalier éprouva bien-tôt que c’est aujourd’hui comme du tems d’Anacréon. L’Or ne lui manqua pas plûtôt qu’il reçût son congé. Un riche Financier prit sa place. Pourquoi puiser à pleine main dans la source intarissable de ses Cofres, Plotine s’abandonna toute entiére au Lansquenet & à la Bassete, où elle perdit des sommes immenses que chacun savoit son Mari incapable de lui fournir. Le Fermier creva dans une débauche où Plotine & la Comtesse Antiqua avoient eu quelque part. Il falut chercher un autre Pactole : c’est ainsi que Plotine eut une vingtaine d’Amans en moins de trois ans.

Livello 4► C’est pour eux qu’on étale & l’Or & le Brocard ;

C’est pour eux qu’on prodigue & le Rouge & le Fard ;
Il faut, Mari patient, voir d’un esprit tranquile,
Chez sa Femme aborder & la Cour & la Ville,
Tout hormi lui, chez lui rencontre un doux acueil,
L’un est païé d’un mot, & l’autre d’un coup d’œil,
Ce n’est que pour lui seul qu’elle est fiére & chagrine ;
Aux autres elle est douce, agréable & badine. ◀Livello 4

[128] Ce sont-là, pour l’infortuné Nanticour, autant de justes sujets de plainte. Votre sort est triste, mon cher Comte, mais qui voulez-vous en acuser ? n’êtes-vous point la cause de tous vos malheurs ? Que ne vous contentiez-vous de l’honneur dont vous jouïssiez dans votre Province ? Ignoriez-vous que vous ne pouviez éxercer l’Emploi que vous briguiez, sans résider à la Cour ; par conséquent, sans y conduire votre Famille ? Pourquoi mettre une Epouse jeune & jolie dans l’ocasion de faire comme toutes celles qui l’environnent ? Ne saviez-vous donc pas que rien n’est plus contagieux que l’éxemple, & que nous imitions les bonnes actions par émulation, & les mauvaises par la malignité de notre nature, que la honte retenoit prisonniére, & que l’éxemple met en liberté. Le reméde à vos chagrins, infortuné Nanticour, c’est de renoncer à votre ambition & de reconduire votre Epouse en Province. ◀Racconto generale ◀Livello 3

Ces deux éxemples de Carinton & Nanticour que je pourrois fortifier d’une certaine de pareils, sont plus que sufisans pour prouver ma thése, que la mesintelligence dans le Ménage vient le plus souvent du côté du Mari, & que si rien n’est plus rare que des Epoux contens, la raison n’en est pas incompréhensible. ◀Livello 2

H. Scheurleer débite à présent une nouvelle Edition de la Morale Chrétienne, par Mr. la Placette, en deux volumes & augmentée de beaucoup par l’Auteur.

A la Haye,

Chez Henri Scheurleer.

Et à Amsterdam chez Jean Wolters. ◀Livello 1