Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye: N°. XIII.
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N°. xiii.
Le Lundi 4. de Juin 1714.
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Rien de plus saint, rien de plus respectable que la Religion.
Je parle en général : je ne distingue aucune Secte. Cependant, rien dont on se jouë &
plus généralement, & plus impunément. Ces deux réfléxions sont assez vagues pour
pouvoir fournir matiére à de gros-Volumes, je vais cependant faire en sorte de les mettre
ici dans tout leur jour, selon mes vûës ordinaires. Je ne veux pas m’arrêter à éxaminer la
pensée de ceux qui prétendent que l’établissement de la Religion est purement Politique. Il
suffit qu’on fasse atention, d’un côté, que la Religion a pour objèt l’Etre souverainement
parfait, & pour fin le Bonheur infini de l’Homme ; d’un autre côté, que la Religion
est, sans contredit, un des principes fondamentaux de la Loi naturelle. En éfèt, la Raison
nous portant d’elle-même à la connoissance du Créateur qui a gravé cette Loi
dans nos cœurs, elle nous dicte en même tems avec quelle soûmission nous devons
l’observer ; C’est encore par la même voïe que nous sommes persuadez que la possession de
l’Etre éternel est seule capable de nous rendre parfaitement hûreux. Enfin, c’est la
Religion qui nous donne les moïens de parvenir à ce souverain Bonheur. Peut-on, après cela,
trop estimer un bien aussi précieux que la Religion, qu’on peut à bon droit nommer un Don
du Ciel. Tous ses mistéres sont sacrez & divins, doit-on y assister qu’avec une
certaine vénération mêlée d’une crainte respectueuse. On fait cependant tout le contraire,
du moins parmi les Chrétiens. Qu’on entre dans leurs Eglises, dans quelle distraction ne
les trouve-t-on pas, Hommes, Femmes, Enfans. Je trouve dans les Assemblées publiques de
Religion quatre sortes de Personnes.
Avec quel soin se met-on sur son plus propre
pour se rendre au Sermon, sur tout quand on sait que ce doit être un fameux Orateur qui
atirera après lui une foule d’Auditeurs dont on poura se faire voir. Avec
quel orgueil fait-on porter le Careau à sa place, & se fait-on suivre par un ou
plusieurs Laquais, comme pour faire parade de sa vanité jusques dans le Sanctuaire, où l’on
ne devroit venir que pour aprendre des Leçons d’abaissement & d’humilité. Encore, si
l’immodestie s’en tenoit-là ! Mais est-on mêlé parmi la foule des Auditeurs, que ne fait-on
pas pour s’en distinguer ! tantôt debout, tantôt assis, tantôt crachant, tantôt toussant ;
il semble qu’on n’afecte tant de contorsions que pour avertir les autres de nous regarder,
& que nous sommes-là. Une mouche qu’on change dix fois de place, une boucle d’oreille
qu’on redresse, une manchette qu’on repasse, un gand qu’on tire, & puis qu’on remet, un
cheveux pendant qu’on remet à sa place, un sein tombé qu’on reléve de moment à autre, une
tabatiére qu’on ouvre & referme cent fois, un flacon à Eau de la Reine, puis un autre à
sel d’Angleterre paroissans tour à tour, voila les ocupations continuelles des trois quarts
des Assistans à un Sermon ; est-ce le moïen d’en tirer quelque profit, aussi n’y vient-on
point pour cela ? C’est la coûtume d’aller à l’Eglise, sur tout à certains
jours, on y va, comme par habitude on va un autre jour, ou même le même jour, à une autre
heure, à la Société, au Bal, à l’Opéra. Toutes ces choses ont leur tems fixé, & chacune
a son Cérémoniel établi ; on trouve, sur tout à la Haïe, des Listes éxactes du nombre &
des jours d’Assemblées ou Sociétez, le Dimanche chez Madame une telle, à une telle heure ;
& à une telle heure chez cette autre ; le Lundi de même, & ainsi des autres jours ;
comme on trouve la Liste des Prédicateurs, le matin un tel, après-midi celui-là, le soir
celui-ci, dans une telle ou une Eglise. Enfin, à tous les coins des ruës on trouve les
Afiches des Jeux publics : grandes commoditez ! avoüons que nos Compatriotes sont ingénieux
à rendre leurs Divertissemens aisez. Comment, me dira quelque Misantrope, metez-vous donc
les Assemblées de Religion au nombre des divertissemens ? Pourquoi non ? Car est-ce pour
autre chose que pour le plaisir de voir & d’être vû que Cenante qui n’entend pas un mot
de François, assiste réguliérement dans le Temple des Réfugiez.
Les Acteurs de cette scandaleuse Séne ont tous les jours bien des Imitateurs, ce qui
ne les excuse pas. On peut les mettre au nombre de ceux que j’ai placez ci-dessus dans le
second rang, qui n’assistent aux saintes Assemblées que par corvée, pour ainsi dire, &
parce qu’ils n’ont pas autre chose à faire, si Hyeronime tenoit sa Société deux heures
plûtôt, il ne viendroit pas se moquer de la Sainteté de la Religion jusques sur son Trône.
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Fremdportrait
Les uns y sont conduits par leur zèle & leur atention
aux choses de leur Salut. Ceux-là se conduisent d’une maniére aussi sage que leur motif
est pieux & sincére.
Fremdportrait
D’autres y vont pour n’être pas exposez à la censure du
Public & ne point passer pour des gens sans Religion ; comme leur
dessein est de tromper, ou du moins d’amuser les autres, il ne faut pas s’étonner s’ils
savent se contrefaire avec tant d’art, qu’on les distingue dificilement d’avec ceux du
premier ordre.
Fremdportrait
Une troisiéme sorte d’Assistans, sur tout parmi nous autres
Réformez, sont des curieux & des critiques, qui ne courent un habile Orateur, que
pour trouver matiére à éxercer leurs réfléxions. Ceux-ci atentifs à certains endroits se
relâchent de leur atention á une infinité d’autres, & cherchent autant à mordre sur
les Auditeurs, que sur le Prédicateur.
Fremdportrait
Enfin, un quatriéme ordre, qui est le plus nombreux, parce
qu’il renferme la plûpart des Femmes, est de ceux qui n’y viennent que pour voir &
pour être vûs.
Metatextualität
Quoi que ces trois derniéres sortes d’Assistans méritent
également une juste Censure ; je me fixe aujourdhui <sic> aux derniers, laissant les
deux autres pour quelqu’autre ocasion.
Metatextualität
Lisez la Lettre suivante, & jugez ensuite s’il ne seroit pas
à souhaiter qu’on se comportât au Temple avec autant de circonspection qu’au Spectacle,
puisque si ici aussi-bien que là, on étale avec pompe toute sa magnificence, du moins y
garde-t-on quelque circonspection, dans la crainte de devenir l’entretien d’un Parterre
critique.
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Brief/Leserbrief
Mr. Le Censeur, « Je suis fort surpris qu’étant aussi
atentif que vous me le paroissez à tout ce qui se passe du côté du sanctuaire, vous
n’aïez pas encore pris en considération l’irrévérence avec laquelle on assiste à nos
Assemblées. Je ne me vante pas d’une morale aussi sévére que celle dont vous faites
profession, cependant il faut vous avoüer que ce n’a pas été sans scandale que j’ai été
il y a quelque tems spectateur d’une Séne qui mérite la Censure, s’il en fut jamais.
Je vous laisse le soin de la Censure, & je suis, &c. S. B. T.
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Allgemeine Erzählung
Célamire est la Femme du monde qui a les plus belles
maniéres : son défunt Mari a souvent souhaité qu’elle les eut moins Françoises ; c’est
à dire moins libres. Je me trouvai l’autre jour au Temple à côté d’elle : voici de
quelle maniére elle y passa le tems. La jeune Agnete qui est de ses
intimes, étoit à un bout de l’Eglise, & à quelque banc d’elle étoit Alcime, qu’on
apelle dans le Cercle, le Pére aux Ecus ; à l’autre bout étoit le jeune Chansoti, à qui
Celamire fit la premiére révérence en entrant à sa place. S’étant tournée de tous côtez
Agnette & Alcime eurent les leurs ; aussi-tôt l’on commença une conversation à la
muette, dans laquelle les doigts, les évantails & les yeux firent l’ofice de la
Langue. Tant de ris, tant d’œillades, tant de contorsions, furent plus qu’il n’en
falloit pour me détourner de toute mon atention, que je donnai toute entiére aux yeux
de Celamire : je ne fus pas long tems à découvrir que le bon Homme Alcime étoit le
sujet de l’Entretien qui se passoit entre Agnete, Celamire, & Chansoti. Pour vous
dire ce qu’ils en disoient, il auroit falu être du secrèt. Quoi qu’il en soit, ils ne
finirent qu’avec le Prédicateur, & il me faudroit une Lettre de six pages pour vous
copier tous leurs gestes. Au sortir du Sermon je me trouvai avec mes trois Muèts à la
Société chez Madame Hyeronime : quelle métamorphose ! On auroit dit que Chansoti
n’avoit jamais été connu de ces deux Dames, qui firent beaucoup de
Cérémonies pour lier avec lui une Partie d’Ombre qu’elles finirent même avec assez de
précipitation pour s’acrocher au bon Alcime avec lequel on forma une Volle & nos
trois Muets de l’Eglise lui vuidérent consiencieusement la meilleure partie de sa
bourse ; ce qui m’a fait juger ensuite que c’étoit de ce Projèt qu’on s’entretenoit
pendant le Sermon, dont Agnete disoit, avec son air sérieux, que’elle avoit été fort
ennuïée, & que jamais elle n’avoit entendu ce Prédicateur garder une si sote
monotonie.
Metatextualität
Mais je crois qu’il sufit d’avoir donné cette imparfaite
description de leur conduite pour en faire concevoir tout le mépris, que toute Personne
raisonnable doit avoir à un souverain dégré pour des gens d’un tel caractére.