Citazione bibliografica: Anonym [Jean Rousset de Missy / Nicolas de Guedeville] (Ed.): "N°. XII.", in: Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye, Vol.1\012 (1715 [1714]), pp. 89-96, edito in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4089 [consultato il: ].


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N°. xii.

Le Lundi 28. de Mai 1714.

Livello 2► Deux motifs dirigent le plus souvent les actions des Hommes ; le desir de la Gloire, ou l’Intérêt. Je n’ai pas envie de décider ici d’un ton de Maître, lequel des deux est préférable à l’autre ; mais je ne puis m’empêcher d’avouër que je les trouve l’un & l’autre également vicieux : puisque le dernier n’a rien que de servile & de méprisable ; & que l’autre, qui n’a son fondement que dans la vaine fantaisie des Hommes, ne peut passer, en bonne Morale, que pour l’un des vices le moins pardonnable ; je veux dire, l’Ambition ou la Vanité. Non que je veuille qu’on banisse ces beaux mouvemens qui sont le caractére distinctif des grandes Ames ;

Livello 3► Je sais que la Gloire est trop belle,

Pour ne pas inspirer de violens désirs ;
La chercher, l’aquérir, & pouvoir jouir d’elle,
Est le plus parfait des plaisirs. ◀Livello 3

Je parle des choses telles que je les vois, [90] & non telles qu’elles dévroient être, & je mèts une grande diférence entre la véritable Gloire & celle qui ocupe aujourd’hui la plûpart des Hommes.

Livello 3► Deux chemins diférens & presque aussi batus,

Au Temple de Mémoire également conduisent,
Le nom de
Pénelope & celui de Titus,
Avec ceux de
Médée & de Néron s’y lisent ;
Les plus grands crimes immortalisent
Autant que les grandes Vertus. ◀Livello 3

Ceux qui aspirent à la véritable Gloire tâchent de s’en rendre dignes par de bonnes actions, & ne se mettent pas en peine du succès ; bien diférens en cela de ceux qui courent après cet autre fantôme, & qu’on peut apeller des Héros chimériques, puisque cette fausse Gloire, à laquelle ils ne donnent point de bornes, se termine à leur imagination.

Livello 3► Une frivole Gloire, & jamais possédée,

Fait qu’en tous lieux, à tous momens,
L’avenir remplit notre idée.
Il est l’unique but de nos empressemens ;
Pour obtenir qu’un jour notre nom y parvienne,
Et pour nous l’assurer durable & glorieux,
Nous perdons le présent, ce tems si précieux,
Le seul bien qui nous apartienne,
Et qui tel qu’un Eclair disparoît à nos yeux !
Au bonheur des humains leurs chiméres s’oposent ;
Victimes de leur Vanité,
Il n’est chagrin, travail, danger, adversité,
[91] A quoi les Mortels ne s’exposent,
Pour transmettre leur nom à la Postérité.
A quel dessein, dans quelles vûës,
Tant d’Obelisques, de Portraits,
D’Arcs, de Médailles, de Statuës,
De Villes, de Tombeaux, de Temples, de Palais,
Par leur ordre ont-ils été faits ?
Mais aussi combien d’impostures,
De sacriléges, d’attentats,
D’erreurs, de cruautez, de Guerres, de Parjures,
A produit le desir d’être, après le trépas,
L’entretien des Races futures. ◀Livello 3

Je crois que voilà l’idée qu’on peut donner de cette fausse Gloire, qui assez souvent sert de masque à l’Intérêt, cette passion des ames basses, laquelle raporte tout à soi-même. Mais comme il y a une véritable Gloire, il y a aussi un loüable Intérêt qu’on peut apeller un Amour-propre bien réglé, qui n’a de vûës qu’autant qu’elles sont conformes aux Loix de la Société, & qui fait ce qu’on apelle les honnêtes gens dans le monde : mais comme ce loüable Intérêt n’a rien d’oposé à la véritable Gloire, de même souvent trouve-t-on réüni dans une même Ame, le vil Intérêt avec l’amour de la fausse Gloire. C’est alors que rien ne sert de frein à la passion qui maîtrise un mortel, qui cependant ne manque pas les ocasions de se faire un mérite d’un feint [92] mépris pour un vice qu’il chérit intérieurement.

Livello 3► Eteroritratto► Pausanias est à la tête des Armées ; C’est par sa bonne conduite, sa prudence, son adresse, ses intrigues, que le sang des Citoïens est épargné, & que la Patrie remporte tant de glorieuses Victoires. Quel ressort vous fait agir, vaillant Pausanias ? Est-ce l’amour de la Patrie ? Hé bien vous faites ce à quoi un bon Patriote est indispensablement obligé. Mais Pausanias fait du sincére ; il m’interrompt, & il m’avouë que dans ce grand nombre d’immortelles Actions, l’amour de sa chére Patrie n’est entré que pour très peu de chose ; que le desir de se faire un nom, d’être comparé au Vainqueur des Gaules ou à celui de Cartage, en un mot, d’être mis en paralelle avec les Héros, les Maîtres de l’Art, a presque seul donné le branle à toutes ses résolutions, à tous ses desseins.

Vos vœux sont acomplis, invincible Pausanias, toutes les Gazettes ont vanté vos talens. Les Mandemens à Te Deum, les Orateurs Sacrez, les Poëtes, tous ont fait retenir de tous côtez, le Glorieux, le Célébre, l’Illustre, le Fameux Nom de Pausanias. Nos Ne-[93]veux étonnez à la lecture de vos Exploits, nous refuseront à cet égard cette croïance qu’ils auront pour toutes les autres Histoires que nous leur laisserons. Cependant, je vous vois triste & mélancolique. Un front couvert de Lauriers, m’écrié-je, a-t-il donc encore quelque chose à desirer ? Je vous entends, pour toute réponse, maudire le fatal instant où vous prîtes les intérêts d’un Peuple, dites-vous, de toutes les Nations le plus ingrat.

Mais acordez-vous avec vous-même, Pausanias ; les Loüanges, la Réputation, les Lauriers, étoient le but où vous tendiez : vous l’avez ateint ; que vous faut-il de plus ? Je le sais, & j’en suis indigné ! Sous le masque d’une grandeur d’Ame aparente, vous vouliez nous cacher le vile Intérêt qui vous anime : & si vous aspirez à une prétenduë Gloire, vous la régardez moins comme votre fin, que comme un moïen de parvenir plus sûrement à cet autre but qui est l’objèt de tous vos soins, de toutes vos démarches, de tous vos Projèts ; en un mot, le Centre où vous raportez tout. Mais osé-je vous le dire, Pausanias ; vos sentimens sont les plus rampans, les plus méprisables, les plus in-[94]dignes d’une Ame tant soit peu au dessus du commun : à peine seroient-ils pardonnables dans un misérable Soldat, qui ne porte le Mousquet que pour sa solde. Oui, Pausanias, le motif de tant de grandes Actions en détruit tout l’éclat, toute la valeur ; je ne reconnois plus en vous ni le Patriote, ni le Général. Je n’y vois qu’un vil Mercenaire. O Ciel ! quand la Patrie aura-t-elle des Fabricius, & des Postumius qui ne la serviront que pour la gloire de la servir ! ◀Eteroritratto ◀Livello 3

Metatestualità► Qu’on ne s’imagine pas que les Gens de guerre sont les seuls qui donnent pour amour de la Gloire, ce qui n’est que l’effèt de leur passion pour l’Intérêt. Celui-là ne se tromperoit pas beaucoup qui jugeroit que plus des trois quarts & demi des Hommes ne sont poussez que par elle : ◀Metatestualità régardez, Lysidore, quelle complaisance ? quels égards ? quels ménagemens n’a-t-il pas pour Plotime qui est un fat, qui est le premier Homme de sa race, qui n’a d’autre qualité que d’être riche & d’avoir plusieurs bons Emplois à sa disposition. Plotime tombera dans la disgrace, ses dépenses excessives le réduiront dans un état aussi triste que celui de Lysidore ; vous vérez Lysidore ne daigner [95] pas ôter le chapeau en passant devant Plotime, il relevera par tout ses défauts, découvrira à tout le monde la bassesse de sa naissance ; en un mot, le traitera avec le dernier mépris. Etoit-ce Plotime que Lysidore respectoit, n’étoit-ce pas plûtôt la Fortune, dont il paroissoit alors le Favoris. Cependant, Lysidore aspiroit alors à la Gloire d’être le sincére, le desintéressé, le véritable Ami de Plotime.

On porte cette sorte d’hypocrisie jusques dans la Religion. La Vertu a des atraits qui la rendent aimable à tout le monde ; la Piété est l’objèt du respect même des plus sélérats ; on se pare des dehors de cès saintes Qualitez, qu’il est d’autant plus aisé de feindre qu’elles demandent une certaine modestie dont il y a peu de personnes qui ne sachent faire usage. On se fait un nom à la faveur de ce dehors : par ce moïen on gagne l’estime, l’affection, les bons ofices même des plus puissans ; on parvient ainsi à son but, on fait sa maison, comme l’on parle, & sous prétexte de Vertu on enléve un Emploi, dont on pouroit se passer, à un Pére de Famille à qui il alloit être conféré, & qui sans cela est hors d’état de donner à une [96] nombreuse Famille l’éducation dont elle a besoin ; sous le masque d’une Vertu aparente on va hardiment ataquer l’integrité d’un Juge éclairé, qui est bien éloigné de croire qu’il va être la dupe d’un Hipocrite ; on gagne ainsi un injuste Procès, & on ruine un malhûreux Orfelin. Livello 3► Exemplum► Je ne pourois donner un plus bel exemple de cette adresse à satisfaire entiérement son intérêt à la faveur d’un dissimulé amour pour la Vertu, que celui du fameux Pape Sixte V. que j’indique seulement comme un abregé de tout ce que font ceux dont je censure aujourd’hui la conduite. ◀Exemplum ◀Livello 3 ◀Livello 2

Avertissement.

On trouve à présent chez Henri Scheurleer, Libraire à la Haye, la nouvelle Edition de J. Newton Philosophia Naturalis Principia Mathematica, in 4. qui ne céde en rien à la beauté de l’Edition de Londres, & qu’il vend à la moitié moins que celle ci.

Il débite aussi Les Plaintes des Protestans, par M. Claude, augmenté d’une ample & belle Préface touchant la durée de la Persécution, & sur l’état présent des Réformez en France, 8.

Le Spectateur, ou le Socrate moderne, 12.

Mémoires du Comte de Grammont, 12.

Comme aussi toute sorte d’autres Livres nouveaux, tant d’Angleterre que de ce Païs-ci.

A la Haye,

Chez Henri Scheurleer.

Et à Amsterdam chez Jean Wolters 1714. ◀Livello 1