Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye: N°. XII.
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N°. xii.
Le Lundi 28. de Mai 1714.
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Deux motifs dirigent le plus souvent
les actions des Hommes ; le desir de la Gloire, ou l’Intérêt. Je
n’ai pas envie de décider ici d’un ton de Maître, lequel des
deux est préférable à l’autre ; mais je ne puis m’empêcher
d’avouër que je les trouve l’un & l’autre également
vicieux : puisque le dernier n’a rien que de servile & de
méprisable ; & que l’autre, qui n’a son fondement que dans
la vaine fantaisie des Hommes, ne peut passer, en bonne Morale,
que pour l’un des vices le moins pardonnable ; je veux dire,
l’Ambition ou la Vanité. Non que je veuille qu’on banisse ces
beaux mouvemens qui sont le caractére distinctif des grandes
Ames ; Je parle des choses telles
que je les vois, & non telles qu’elles
dévroient être, & je mèts une grande diférence entre la
véritable Gloire & celle qui ocupe aujourd’hui la plûpart
des Hommes. Ceux qui aspirent à la
véritable Gloire tâchent de s’en rendre dignes par de bonnes
actions, & ne se mettent pas en peine du succès ; bien
diférens en cela de ceux qui courent après cet autre fantôme,
& qu’on peut apeller des Héros chimériques, puisque cette
fausse Gloire, à laquelle ils ne donnent point de bornes, se
termine à leur imagination. Je
crois que voilà l’idée qu’on peut donner de cette fausse Gloire,
qui assez souvent sert de masque à l’Intérêt, cette passion des
ames basses, laquelle raporte tout à soi-même. Mais comme il y a
une véritable Gloire, il y a aussi un loüable Intérêt qu’on peut
apeller un Amour-propre bien réglé, qui n’a de vûës qu’autant
qu’elles sont conformes aux Loix de la Société, & qui fait
ce qu’on apelle les honnêtes gens dans le monde : mais comme ce
loüable Intérêt n’a rien d’oposé à la véritable Gloire, de même
souvent trouve-t-on réüni dans une même Ame, le vil Intérêt avec
l’amour de la fausse Gloire. C’est alors que rien ne sert de
frein à la passion qui maîtrise un mortel, qui cependant ne
manque pas les ocasions de se faire un mérite d’un feint mépris pour un vice qu’il chérit intérieurement.
régardez, Lysidore,
quelle complaisance ? quels égards ? quels ménagemens n’a-t-il
pas pour Plotime qui est un fat, qui est le premier Homme de sa
race, qui n’a d’autre qualité que d’être riche & d’avoir
plusieurs bons Emplois à sa disposition. Plotime tombera dans la
disgrace, ses dépenses excessives le réduiront dans un état
aussi triste que celui de Lysidore ; vous vérez Lysidore ne
daigner pas ôter le chapeau en passant devant
Plotime, il relevera par tout ses défauts, découvrira à tout le
monde la bassesse de sa naissance ; en un mot, le traitera avec
le dernier mépris. Etoit-ce Plotime que Lysidore respectoit,
n’étoit-ce pas plûtôt la Fortune, dont il paroissoit alors le
Favoris. Cependant, Lysidore aspiroit alors à la Gloire d’être
le sincére, le desintéressé, le véritable Ami de Plotime. On
porte cette sorte d’hypocrisie jusques dans la Religion. La
Vertu a des atraits qui la rendent aimable à tout le monde ; la
Piété est l’objèt du respect même des plus sélérats ; on se pare
des dehors de cès saintes Qualitez, qu’il est d’autant plus aisé
de feindre qu’elles demandent une certaine modestie dont il y a
peu de personnes qui ne sachent faire usage. On se fait un nom à
la faveur de ce dehors : par ce moïen on gagne l’estime,
l’affection, les bons ofices même des plus puissans ; on
parvient ainsi à son but, on fait sa maison, comme l’on parle,
& sous prétexte de Vertu on enléve un Emploi, dont on
pouroit se passer, à un Pére de Famille à qui il alloit être
conféré, & qui sans cela est hors d’état de donner à une nombreuse Famille l’éducation dont elle a besoin ;
sous le masque d’une Vertu aparente on va hardiment ataquer
l’integrité d’un Juge éclairé, qui est bien éloigné de croire
qu’il va être la dupe d’un Hipocrite ; on gagne ainsi un injuste
Procès, & on ruine un malhûreux Orfelin.
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Je sais que la Gloire est
trop belle, Pour ne pas inspirer de violens désirs ;
La chercher, l’aquérir, & pouvoir jouir d’elle,
Est le plus parfait des plaisirs.
La chercher, l’aquérir, & pouvoir jouir d’elle,
Est le plus parfait des plaisirs.
Level 3
Deux chemins diférens
& presque aussi batus, Au Temple de Mémoire également
conduisent,
Le nom de Pénelope & celui de Titus,
Avec ceux de Médée & de Néron s’y lisent ;
Les plus grands crimes immortalisent
Autant que les grandes Vertus.
Le nom de Pénelope & celui de Titus,
Avec ceux de Médée & de Néron s’y lisent ;
Les plus grands crimes immortalisent
Autant que les grandes Vertus.
Level 3
Une
frivole Gloire, & jamais possédée, Fait qu’en tous
lieux, à tous momens,
L’avenir remplit notre idée.
Il est l’unique but de nos empressemens ;
Pour obtenir qu’un jour notre nom y parvienne,
Et pour nous l’assurer durable & glorieux,
Nous perdons le présent, ce tems si précieux,
Le seul bien qui nous apartienne,
Et qui tel qu’un Eclair disparoît à nos yeux !
Au bonheur des humains leurs chiméres s’oposent ;
Victimes de leur Vanité,
Il n’est chagrin, travail, danger, adversité,
A quoi les Mortels ne s’exposent,
Pour transmettre leur nom à la Postérité.
A quel dessein, dans quelles vûës,
Tant d’Obelisques, de Portraits,
D’Arcs, de Médailles, de Statuës,
De Villes, de Tombeaux, de Temples, de Palais,
Par leur ordre ont-ils été faits ?
Mais aussi combien d’impostures,
De sacriléges, d’attentats,
D’erreurs, de cruautez, de Guerres, de Parjures,
A produit le desir d’être, après le trépas,
L’entretien des Races futures.
L’avenir remplit notre idée.
Il est l’unique but de nos empressemens ;
Pour obtenir qu’un jour notre nom y parvienne,
Et pour nous l’assurer durable & glorieux,
Nous perdons le présent, ce tems si précieux,
Le seul bien qui nous apartienne,
Et qui tel qu’un Eclair disparoît à nos yeux !
Au bonheur des humains leurs chiméres s’oposent ;
Victimes de leur Vanité,
Il n’est chagrin, travail, danger, adversité,
A quoi les Mortels ne s’exposent,
Pour transmettre leur nom à la Postérité.
A quel dessein, dans quelles vûës,
Tant d’Obelisques, de Portraits,
D’Arcs, de Médailles, de Statuës,
De Villes, de Tombeaux, de Temples, de Palais,
Par leur ordre ont-ils été faits ?
Mais aussi combien d’impostures,
De sacriléges, d’attentats,
D’erreurs, de cruautez, de Guerres, de Parjures,
A produit le desir d’être, après le trépas,
L’entretien des Races futures.
Level 3
Heteroportrait
Pausanias est à la tête des
Armées ; C’est par sa bonne conduite, sa prudence, son
adresse, ses intrigues, que le sang des Citoïens est
épargné, & que la Patrie remporte tant de glorieuses
Victoires. Quel ressort vous fait agir, vaillant
Pausanias ? Est-ce l’amour de la Patrie ? Hé bien vous
faites ce à quoi un bon Patriote est indispensablement
obligé. Mais Pausanias fait du sincére ; il
m’interrompt, & il m’avouë que dans ce grand nombre
d’immortelles Actions, l’amour de sa chére Patrie n’est
entré que pour très peu de chose ; que le desir de se
faire un nom, d’être comparé au Vainqueur des Gaules ou
à celui de Cartage, en un mot, d’être mis en paralelle
avec les Héros, les Maîtres de l’Art, a presque seul
donné le branle à toutes ses résolutions, à tous ses
desseins. Vos vœux sont acomplis, invincible Pausanias,
toutes les Gazettes ont vanté vos talens. Les Mandemens
à Te Deum, les Orateurs Sacrez, les Poëtes, tous ont
fait retenir de tous côtez, le Glorieux, le Célébre,
l’Illustre, le Fameux Nom de Pausanias. Nos Neveux étonnez à la lecture de vos Exploits,
nous refuseront à cet égard cette croïance qu’ils auront
pour toutes les autres Histoires que nous leur
laisserons. Cependant, je vous vois triste &
mélancolique. Un front couvert de Lauriers, m’écrié-je,
a-t-il donc encore quelque chose à desirer ? Je vous
entends, pour toute réponse, maudire le fatal instant où
vous prîtes les intérêts d’un Peuple, dites-vous, de
toutes les Nations le plus ingrat. Mais acordez-vous
avec vous-même, Pausanias ; les Loüanges, la Réputation,
les Lauriers, étoient le but où vous tendiez : vous
l’avez ateint ; que vous faut-il de plus ? Je le sais,
& j’en suis indigné ! Sous le masque d’une grandeur
d’Ame aparente, vous vouliez nous cacher le vile Intérêt
qui vous anime : & si vous aspirez à une prétenduë
Gloire, vous la régardez moins comme votre fin, que
comme un moïen de parvenir plus sûrement à cet autre but
qui est l’objèt de tous vos soins, de toutes vos
démarches, de tous vos Projèts ; en un mot, le Centre où
vous raportez tout. Mais osé-je vous le dire,
Pausanias ; vos sentimens sont les plus rampans, les
plus méprisables, les plus indignes d’une
Ame tant soit peu au dessus du commun : à peine
seroient-ils pardonnables dans un misérable Soldat, qui
ne porte le Mousquet que pour sa solde. Oui, Pausanias,
le motif de tant de grandes Actions en détruit tout
l’éclat, toute la valeur ; je ne reconnois plus en vous
ni le Patriote, ni le Général. Je n’y vois qu’un vil
Mercenaire. O Ciel ! quand la Patrie aura-t-elle des
Fabricius, & des Postumius qui ne la serviront que
pour la gloire de la servir !
Metatextuality
Qu’on ne s’imagine pas que les
Gens de guerre sont les seuls qui donnent pour amour de la
Gloire, ce qui n’est que l’effèt de leur passion pour
l’Intérêt. Celui-là ne se tromperoit pas beaucoup qui
jugeroit que plus des trois quarts & demi des Hommes ne
sont poussez que par elle :
Level 3
Example
Je ne pourois donner un plus
bel exemple de cette adresse à satisfaire entiérement
son intérêt à la faveur d’un dissimulé amour pour la
Vertu, que celui du fameux Pape Sixte V. que j’indique
seulement comme un abregé de tout ce que font ceux dont
je censure aujourd’hui la conduite.