Cita bibliográfica: Anonym [Jean Rousset de Missy / Nicolas de Guedeville] (Ed.): "N°. XI.", en: Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye, Vol.1\011 (1715 [1714]), pp. 81-88, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4088 [consultado el: ].


Nivel 1►

N°. xi.

Le Lundi 21. de Mai 1714.

Nivel 2► Metatextualidad► Je travaillois à m’aquiter de la promesse que j’ai faite dans mon dernier Discours, d’éxaminer tout ce qu’il y a de condamnable dans les Jeux & dans les Commerces de notre Foire, lors que je reçûs la Lettre suivante, dont je suis très obligé à l’Auteur, quel qu’il soit. ◀Metatextualidad

Nivel 3► Carta/Carta al director► Monsieur,

« Vous nous avez promis, dans votre derniére feuille, des Réfléxions sur deux quartiers de notre Foire, qui vous ont choqué comme bien d’autres. Je sors d’un Caffé où deux Etrangers & un François, qui m’a paru d’une humeur toute Misantrope, vous ont prévenu. J’ose même vous dire, que je crois que vous ne pouviez rien dire de plus fort. De retour chez moi, j’ai mis en ordre cette chagrine Conversation dans le dessein de vous en faire part, afin que vous en tiriez tout l’avantage que vous voudrez. Metatextualidad► La Séne se passa entre deux Moscovites qui sortoient de la Foire déguisez, l’un en Matelot, l’autre en More, & ce François Misantrope que je vous [82] nommerois volontiers, pour vous faire mieux entrer dans son caractére. ◀Metatextualidad

Nivel 4► Diálogo► Le François.

Je crois, Monsieur, avoir l’honneur de vous connoître, & si je ne me trompe, je vous ai vû il y a quelque tems à Petersbourg ; d’où vient cette métamorphose ? avez-vous donc quité le métier des Armes ?

Le Moscovite.

A Dieu ne plaise. Je suis venu ici pour quelques afaires, & m’y trouvant dans le tems de la Foire, j’ai voulu en prendre le divertissement à la persuasion de quelques-uns de mes Amis qui m’ont conseillé ce déguisement. Mais, ma foi, je n’y retourne pas. A la faveur de cet Habit, je me suis glissé vers l’Echaffaut, au milieu de cès troupes de Joüeurs, où je croïois ne trouver que de la Canaille ; je voulois me divertir en examinant leurs maniéres de joüer : j’avois même intention de leur atraper quelques Ducatons ; mais jamais je n’ai été plus surpris, que lors qu’aïant fendu la foule des Joüeurs, j’aperçus cinq ou six Personnes qui ne sentoient rien moins que la Canaille, qui faisoient rouler l’argent aussi largement que s’ils eussent été à la Société, je me joignis à eux ; je trouvai mes Maîtres, & je les quitai enragé d’avoir perdu très-desagréablement une cinquantaine de Pistoles.

Le François.

Cinquante Pistoles, Monsieur, à ces Jeux-là ! j’avois bien ouï dire qu’on y perdoit beaucoup, mais jamais je ne m’étois [83] imaginé que la perte y fut si grande. Après tout, je ne sais comment on tolére de tels Coupegorges. Car ce ne sont que Jeux de hazard. Non que je croïe que cès Jeux-là soient plus criminels que les autres par eux-mêmes ; mais les Circonstances m’y paroissent affreuses. Premiérement, ceux qui tiennent les Tables sont rarement fidèles. La rapidité avec laquelle ils vous décident sur le Bonheur, ou le Malheur du Billet que vous avez tiré de leur Sac, est un moïen dont ils se servent presque toûjours pour tromper un Joüeur qui s’en raporte à eux dans la bonne foi. En second lieu, je trouve qu’il se peut glisser, & même qu’il se glisse cent subtilitez dans toutes cès Boules qu’ils remuent continuellement dans leurs Sacs.

Le Moscovite.

Il n’y a peut-être rien de tout ce que vous vous imaginez, sur tout si le Joüeur est un peu adroit.

Le François.

Je veux bien vous l’acorder ; mais ne comtez-vous pour rien, la perte que cès Joüeurs font d’un tems qu’ils doivent tout entier à eux & aux leurs, & le hazard qu’on court d’y perdre le plus souvent, ou l’argent de ses Créanciers, ou du moins celui dont on devroit faire subsister une Famille afamée, pendant toute une semaine, tout un mois, quelque fois plus. Ce seroit encore peu. Mais quelles terribles suites n’a pas cette perte. Je ne vous parlerai point des cris d’une Femme irritée qui feront [84] perdre patience à un Mari trop promt, de-là les dissentions domestiques avec toutes leurs suites. Mais les cheveux ne dressent-ils pas, quand en passant dans ce petit Canton de Joüeurs, on entend les blaphêmes qu’ils vomissent contre le Ciel, à qui, comme autant de furieux, il n’y a point de perdant qui ne s’en prenne de son malheur. Si j’avois un Boileau, je vous lirois ici quelques *1 Vers où il dépeint leur rage d’une maniére si vive, qu’elle fait horreur. Joignez le scandale qui résulte de-là. Sans parler du tort que le Joüeur fait à sa santé par cès excès de frénésie. Je régarde encore comme très considérable, que toute Personne, jusqu’aux plus petits Enfans, ont accès à cès Jeux, où cès innocentes Créatures vont aprendre peu à peu à ne valoir pas mieux que ceux qu’ils régardent avec admiration, la main ou la poche pleine de l’argent qui vient d’être gagné.

Le Moscovite.

Il me paroît, Monsieur, que votre lon-[85]gue déclamation est assez inutile ; car vous ne nous donnez aucun moïen d’éviter tant de déréglemens, que je reconnois avec vous pour être très criminels.

Le François.

Hé ! Monsieur, qu’un saint Zèle fasse renverser toutes ces criminelles Tables ; qu’on ataque le mal dans la source, qu’on ne permette pas ces misérables Jeux, qui n’ont rien qui pour eux ; puis qu’on ne peut pas même avancer en leur faveur, qu’ils enrichissent au moins ceux qui les tiennent, puis que se sont autant de misérables Gueux, qui ocasionnent la ruine quelquefois de plusieurs Familles en un instant.

On en étoit là lors qu’un des Amis du Moscovite, aussi déguisé, vint le rejoindre avec un air contant qui donne ocasion à son Ami de lui demander, quelle bonne fortune il avoit eu depuis qu’il l’avoit quité.

Le II. Moscovite.

Ma foi, meilleure que je ne l’aurois osé souhaiter, dans un Païs où je ne fais que d’ariver. On m’a conduit dans un endroit où il y avoit une foule de Personnes de distinction, la plûpart masquées. Mon Conducteur me dit, que c’étoit-là qu’on commerçoit, les Dames y font des Prësens aux Messieurs, & ceuz-ci réciproquement. Je me suis d’abord fourni d’une quantité de Bagatelles, suivant les avis de mon Conducteur. En un mot, j’avois déja fait plusieurs échanges, lors qu’une Blonde du blanc le plus vif que j’aïe vu de ma vie, & avec une Gorge qui n’a assurément pas [86] sa pareille, m’aïant poursuivi long tems, vint enfin échanger avec moi. Voila la Montre qui étoit dans le Paquet qu’elle me donna avec ce Billet.

Nivel 5► Carta/Carta al director► Votre timidité me fait honte, cent fois vos yeux m’ont parlé, & j’en desire avec plus d’ardeur d’entendre votre bouche s’expliquer. Je vaincs toute ma pudeur pour vous rendre plus téméraire. Que la vigilance de ma Mére ne vous éfraïe pas. Quand le réveil de cette Montre sonnera, rendez-vous sous ma fenêtre qui donne sur la petite ruë de . . . . . . . vous m’y trouverez disposée à vous écouter favorablement. Faites en sorte d’être introduit dans la Société chez Madame . . . . . où je vous pourai parler plus souvent & plus commodément. Votre, &c. ◀Carta/Carta al director ◀Nivel 5

Que dites-vous de cette rencontre ? Je me suis bien douté qu’il y avoit de la méprise, & que je devois mon bonheur à mon habit ; c’est pourquoi je me suis esquivé au plûtôt ; & en éfèt, j’ai rencontré à vingt pas d’ici un Homme déguisé de même que moi, c’est aparemment l’Amant atendu.

Le François.

C’est encore là un endroit de notre Foire qui m’est tout à fait insuportable à cause des inconvéniens que j’y rencontre, sur tout pour la Jeunesse. Je veux bien croire ce que certains Hollandois m’ont dit, que l’Institution de ces petits Echanges pendant leur Kermes, n’a rien de criminel ; mais qui ne sait que les Institutions les plus Saintes dégénérent presque toûjours, qu’on en tire une conséquence à Majori ad minus ; [87] il ne faut pas parler des mœurs d’aujourd’hui des Habitans de cès Provinces, selon ce qu’elles étoient autrefois. Il ne faut pas oublier que les François, qu’ils ont reçû dans leur Sein, ont été comme ce Serpent de la Fable, qui ne s’est pas plûtôt senti réchauffé, qu’il lança son poison sur son Bienfaicteur. Messieurs, nous avons aporté ici tous nos vices sous les haillons du Refuge, & notre indigence nous métant hors d’état de les nourir, nous les avons logez chez nos commodes Hôtes. Aussi-tôt la médisance a chassé cette bonne intelligence presque universelle, qui se trouvoit entre tous les Habitans d’une même Ville. L’ambition & la vanité ont étoufé l’aimable simplicité qui étoit le Caractére distinctif des Peuples de cès Provinces. Enfin, la bonne chair a succédé à une honnête & saine frugalité. De-là tous les vices. Ainsi, ne soïons pas surpris si cès Echanges ne sont plus si innocens qu’autrefois.

Le I. Moscovite.

Quelle diférence y trouvez-vous donc ?

Le François.

Autrefois c’étoit un innocent Commerce dont on se servoit pour se témoigner réciproquement l’amitié & l’estime qu’on se portoit ; aujourd’hui c’est un moïen criminel dont un jeune débauché se sert pour faire tomber une innocente Beauté dans ses piéges, soit en la surprenant par l’éclat d’un riche présent, que la Circonstance ne permet pas de refuser, soit en ataquant sa [88] Vertu par certains objèts que l’esprit immonde a inventez, & que des Pestes de la Jeunesse n’ont pas honte de nous aporter des extrémitez de l’Asie. Autrefois ces Echanges servoient à serrer de plus en plus les nœuds d’une confiance mutuelle ; aujourdhui elles donnent ocasion à de jeunes Gens de commencer, ou du moins d’entretenir des Galanteries criminelles, témoin l’Avanture qui vient d’ariver à Monsieur, & une à peu près semblable qui arriva l’année derniére à une jeune Demoiselle à qui on fit présent d’une Bague de deux cens Pistoles. De tels Présens ne se font pas pour rien. Tirez de tout ceci cette conséquence, qu’une Mére sage ne doit point permettre une promenade dans ce quartier à une Fille dont elle veut conserver la Vertu ; aussi, graces au Ciel ! n’y voit-on aujourd’hui guéres de Personnes de façon, & il y a lieu d’espérer que cela tombera peu à peu, & qu’ainsi l’ocasion du crime s’évanouïra insensiblement. » ◀Diálogo ◀Nivel 4 ◀Carta/Carta al director ◀Nivel 3

Metatextualidad► Je viens de recevoir une autre Lettre trop longue pour être insérée dans un de mes Discours. On m’y veut faire croire que je me suis trompé en devinant l’Auteur de la Lettre Publique qu’on m’a écrite, & qu’au lieu d’un C * * *, il faloit un B * * *. Tout ce que j’en puis dire, si cela est, c’est que j’ai rendu illusion pour illusion, & que l’Auteur & moi nous avons joué aux Propos discordans, en voulant faire les Devins ; ainsi, de peur de me tromper davantage, je passerai sous silence toutes les Remarques que j’avois faites sur l’obscurité de cette Lettre, dont je voulois donner la Clef à mes Lecteurs. ◀Metatextualidad ◀Nivel 2

A la Haye,

Chez Henri Scheurleer.

Et à Amsterdam chez Jean Wolters 1714. ◀Nivel 1

1* C’est de la Satire IV. Attendant son destin d’un quatorze, ou d’un sept, Voit sa Vie, ou sa Mort, sortir de son Cornet ; Que si d’un Sort fâcheux, la maligne inconstance, Vient par un coup fatal faire tourner la Chance, Vous le verrez bien-tôt les cheveux hérissez, & les yeux vers le Ciel de fureur élancez, Ainsi qu’un possédé que le Prêtre exorcise, Fêter dans ses Sermens, tous les Saints de l’Eglise ; Qu’on le lie, ou je crains, à son air furieux, Que ce nouveau Titan n’escalade les Cieux.