Sugestão de citação: Anonym [Jean Rousset de Missy / Nicolas de Guedeville] (Ed.): "N°. X.", em: Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye, Vol.1\010 (1715 [1714]), S. NaN-80, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4087 [consultado em: ].


Nível 1►

N°. x.

Le Lundi 14. de Mai 1714.

Nível 2► Narração geral► A quel turbulent embaras le commencement de cette semaine ne nous arrache-t-il pas enfin ? Notre Ville étoit devenuë un nouveau Cahos : tout n’y étoit que confusion ; il n’étoit pas permis, en s’exposant dans la ruë, d’espérer de raporter Gands, Chapeaux, Epée. L’un vous acrochoit d’un côté, l’autre vous donnoit de la tête dans l’estomac d’un autre côté, pendant qu’un autre vous écrasoit les pieds, & quelque fois joignoit l’impertinence d’un ridicule compliment aux douleurs que son Etourdîrie vous faisoit ressentir.

Ici j’entends batre la Caisse & sonner la Trompette ; j’y cours, je crois qu’on va publier la Paix Générale, ou qu’on va r’ouvrir le Temple de Janus déja à demi-fermé : Que trouvé-je ? une douzaine de Personnes, qui, par mille contorsions impertinentes, des farces les plus puériles, des discours les plus fades, assemblent autour d’eux une oisive Populace, qui, pleine d’admiration, écoute la bouche ouverte un Bateleur qui souvent se rit de sa sotise. Je ne trouve rien de surprénant quand je vois Jaques, le Savetier de mon coin, & Margot la Laitiére, pendant deux heures attentifs aux momeries d’un [74] Bouson ; mais quand j’y rencontre le Philosophe Crates & la prude Laurentia, j’avouë que je ne sais plus qu’en penser, & je suis sur le point, en suivant ces modèles de sagesse & de Prudhommie, de devenir l’atentif admirateur des sotises de Gilles & de Sans-soucis.

Je me sauve de cette cohuë, je rentre chez moi bien résolu d’atendre que le Soleil ait quité Horison. Je sors alors pour aller chez mon Libraire, ou dans la Boutique de Johnson, aider à censurer ma Censure. Je crois que l’obscurité, & les vapeurs de la boisson, que je vois couler abondamment de tous côtez, auront [] ssé cette remuante multitude. Je m’imagine qu’alors je serai à l’abri de voir tant de sotises : Je passe par hazard vers un certain Endroit de mauvais augure, & là je trouve un nouveau Spectacle, & un nouveau genre de Spectateur. Je m’aproche, & à la faveur d’une sombre flamme que jettent, malgré le vent, deux paquets de Corde godronnée. J’aperçois une multitude d’Hommes, de Femmes, d’Enfans de tous âges & de toutes conditions, atroupez devant un Théatre & environné d’une vingtaine de Carosses, mais Carosses à Armoiries, qui renferment des Spectateurs que la honte cache derriére leurs glaces. Je m’informe pour quel sujèt cette Assemblée se tient si tard, & l’on me rapelle dans la mémoire les paroles que Phedre met dans la bouche d’un Prince.

Nível 3► Quantæ putatis esse vos dementiæ,

Qui capita vestra non dubitatis credere.
Cui calceandos nemo commisit pedes. ◀Nível 3

[75] On ne peut que plaindre cette multitude téméraire, dis-je en m’éloignant, qui confie sa vie, le plus précieux Trésor qu’elle a reçû du Ciel, aux conseils d’une Femme, & aux Drogues d’un Charlatan, que la seule sotise du Peuple rend célébres. ◀Narração geral

Metatextualidade► On ne peut douter que toutes cès diférentes Sénes n’aïent fourni plus d’un sujèt à ma Censure. Une Lettre que je viens de recevoir, & que je joindrai ici, me fait connoître qu’on s’atend à m’entendre aujourd’hui passer en revûë les ridicules objèts de la Foire, où l’on voit en abregé toutes les Folies des Hommes. Car enfin, peut-on donner un autre nom à toutes les vaines ocupations de cette huitaine.

J’y ai sur tout trouvé trois endroits qui ont absolument révolté la bonne humeur où j’étois depuis quelques jours. Ce sont les Spectacles, les Jeux, & les Commerces. ◀Metatextualidade

Quel brutal plaisir n’y a-t-il pas à regarder tranquillement, le plus souvent même avec admiration, un Homme élevé à trente pieds de terre, qui n’a rien de recommandable que la témérité avec laquelle il confie sa vie à une mince corde à laquelle il se pend, tantôt par une jambe, tantôt par la boucle de son soulier, tantôt avec les dents. Quel contentement l’esprit raisonnable peut-il trouver à un Spectacle, où à tout moment on est exposé à être témoin, & même coupable de la triste catastrophe de ces téméraires qui ne s’exposent à chaque instant à des dangers si éminens, que pour une vile & mince récompense. Toutes les Loix, je ne dirai [76] pas du Christianisme, mais seulement de l’humanité, ne sont-elles pas oposées à une joïe si barbare. Exemplum► Nous nous récrions souvent contre ces Fêtes de Taureaux si ordinaires en Espagne, où les Spectateurs ont la cruauté de se divertir aux dépens des fraïeurs & du sang de plusieurs braves Chevaliers qui hazardent leur vie contre un Animal que sa fureur rend terrible. ◀Exemplum Je ne trouve dans ces Fêtes rien de si barbare que dans ces Spectacles-ci, auxquels je voudrois qu’on n’assistât jamais. Ce sont à la vérité des Personnes de distinction qui se commettent avec un Animal furieux ; mais leur force, leur adresse, leur agilité, les mettent hors de danger, au lieu qu’ici, plus le Voltigeur veut faire paroître de souplesse, d’adresse, d’agilité, plus il s’expose, plus son danger devient inévitable : & de plus le Chevalier a cent moïens de parer les coups mortels de l’Animal que sa furie rend étourdi ; au lieu qu’ici la vie de l’Acteur dépend d’un brin de chanvre, ou d’un clou mal frapé.

Ce Spectacle qui révolte si fort l’humanité, est ordinairement précédé d’un autre, qui livre des ataques bien rudes à la pudeur. Je veux parler de cès Danseuses & de cès Danseurs de Corde. Quand leurs éxercices ne commenceroient pas toûjours par quelques Sénes d’obsénité. Une Fille sage ne dévroit-elle compter pour rien ces nuditez qui ne peuvent qu’ofenser ses chastes yeux, & ralumer ou faire naître en elle des mouvemens dont la violence est presque toûjours insurmontable. Le jeune Roscins à la fleur [77] de son âge, montre une jambe & une cuisse faites au tour, qu’un bas de soïe bien tiré met dans toute leur beauté, joignons-y certains mouvemens étudiez ; tout cela ne me paroît guéres propre à inspirer la retenuë & la pudeur.

Le jeune Roscia en fait voir autant, & j’ose dire plus que son Associé ; à cette vûë le feu pétille dans les yeux de Florican qui parle à l’oreille d’une jeune Beauté qu’il a mené sur le Théatre ; celle-ci rougit d’abord, se cache de son évantail ; mais perdant peu à peu une hûreuse pudeur, elle considére avec plaisir les gestes lascifs de Roscia. Voila néanmoins les endroits où un Pére vénérable méne son Fils, & une Mére précieuse sa jeune Fanchon. Je ne suis point ennemi des Spectacles ; bien loin de là, mais il faut faire une grande diférence d’une Comédie & d’une Tragédie instructive autant que divertissante, à des tours de souplesse qui n’ont rien de digne de notre atention, que la témérité des Acteurs, si l’on ne peut pas dire que cela a plûtôt de quoi la troubler que la fixer. Metatextualidade► Voici la Lettre dont j’ai parlé ci-dessus. ◀Metatextualidade

Nível 3► Carta/Carta ao editor► Mr. le Censeur,

« Comme je ne doute en aucune façon que notre Kermes ne soit, quelqu’un de cès jours, le sujèt d’un de vos discours, soufrez que je décharge mon Cœur dans votre Sein. Je suis dans une colére indici-[78]ble contre ces détestables Spectacles qui nous environnent de tous côtez. Jusqu’ici je n’y trouvois aucun mal. Mais une fatale expérience m’a bien fait connoître, à mon grand regrèt, combien je m’étois trompé. Narração geral► J’y menai l’autre jour ma Famille qui est composée d’un Garçon & de deux Filles, dans cet âge qu’on apelle nubile. Je m’imaginois qu’ils voïoient toutes cès boufonneries du même œil que moi : mais à peine ai-je été de retour chez moi, que leurs entretiens m’ont bien tiré d’erreur. Je n’ose coucher sur le papier tout ce que je leur ai entendu dire, de mon Cabinèt où ils ne me croïoient pas enfermé ; une certaine confidence libre, qui régne ordinairement entre les Fréres & les Sœurs de cet âge, autorisoit je ne sai combien de demandes curieuses sur les impures saillies de Gilles, & les gestes indécens de la Danseuse ; en un mot, j’ai compris que ce Spectacle a jeté je ne sais combien de semence de corruption & de déréglement dans l’ame de cès jeunes gens, & j’en tire une conséquence pour tout le reste de Spectateurs, qui me fait juger que rien n’est plus criminel que cès Spectacles, ◀Narração geral & je vous écris pour vous exhorter à les censurer de la belle maniére : vous obligerez votre serviteur, P.G * *. » ◀Carta/Carta ao editor ◀Nível 3

Metatextualidade► Le zèle de ce bon Pére me paroît assez bien fondé ; mais, comme on dit, c’est après la mort le Médecin. Puis qu’il avoit déja assisté à cette sorte de Spectacles, avoit-il donc l’esprit assez bouché pour n’avoir pas ramarqué par les éclats de rire, les chuchille-[79]mens, les postures des Spectateurs & des Spectatrices les plus distinguées, qu’on entre naturellement dans le génie corrompu de cès Boufons, & qu’on avale le poison avec plaisir. Je suis obligé de remettre à une autre fois mes réfléxions sur les Jeux & les Commerces, pour dire un mot d’une Lettre publique écrite lundi dernier au Censeur, par un charitable Anonyme. ◀Metatextualidade

Cette maniére d’écrire à un Particulier avec le secours de la Presse, a quelque chose qui me paroît assez bizare. Cent Personnes savoient ce qu’on avoit écrit au Censeur avant que j’en lûsse rien moi-même. Ne pourois-je pas dire, sans blesser l’Auteur, que c’est la fureur de voir ses pensées moulées, plûtôt que le désir d’avertir un Ami qui fait prendre une telle voïe. Si c’étoit au Public qu’on vouloit donner des Avis touchant ma Censure, plûtôt qu’à moi même, à la bonne-heure : mais le Public en ce cas doit-il être fort obligé à l’Anonyme de le croire assez sot pour n’avoir pas autant de lumiéres que lui. Quoi qu’il en soit, je remarque dans cette maniére de s’y prendre, un certain amour-propre dont il me semble qu’un donneur d’avis devroit être dépouïllé. Ne soïez pas offensé, mon cher C * * * *, si cès réfléxions préliminaires ne sont pas acompagnées de tout l’agréable que vous me recommandez. Au reste, je profiterai de vos avis. Mais une chose me choque, vous voudriez me faire croire à moi-même que j’en veux à quelque vicieux en particulier, malgré tout ce que j’ai dit dans mon I. & mon VI. Discours, que je répéte encore ici, & que je vous prie de tenir comme inséré mot à mot ( c’et la formule. ) Vous voudriez, peut être, que je répondisse à votre Lettre période par période, mais comme le Censeur & la Personne à laquelle vous écrivez sont deux individus très distincts, je laisse à l’Ingrat, à qui vous en voulez, le soin de se justifier.

[80] Nível 3► Onc de ma vie n’ai porté Besace,

Sous St. François le fou, ni sous le fourbe Ignace ;
Onc en ma vie fus-je entré
Par oficieux Ami, ni par Dénaturé :
Onc n’ai reposé sur la dure,
Oncque ne fus Ingrat, Espion, ni Parjure. ◀Nível 3

Je m’imagine que vous voudriez faire croire au Public que vous êtes autant capable de déterrer un Censeur qu’un secrèt d’Etat ; desabusez-vous, si une de vos maximes est de n’être pas entêté. Enfin, tranquilisez-vous sur ce qui régarde nos Pasteurs, que je révére trop pour écrire un mot qui pût ofenser aucun d’eux en particulier ; je timpanise les vices qui se sont glissez dans le Sanctuaire, mais jamais je ne toucherai au Sanctuaire même qui m’est sacré. Mais il faut vous donner un peu de galimatias pour celui des pages 3. & 7. de votre Lettre. Le Misantrope a dit dans une de ses Préfaces, Nível 3► qu’il hasardoit sa Feuille volante pour sonder le goût du Public. ◀Nível 3 Votre Lettre n’auroit-elle pas la même fin ? Ne seroit-ce pas le prélude de cès beaux Ouvrages, qui vont vous donner une place au Parnasse auprès de Drelincourt ? Oui je m’atends, aussi-tôt que le Ciel vous aura envoïé le Libraire que vous cherchez depuïs long tems, de voit paroître sur le tître de votre Livre en gros Caractére, Par l’Auteur de la Lettre au Censeur. Cela ne manquera pas de vous atirer des Lecteurs, & des Acheteurs chez le Libraire. Ainsi vous aurez réüssi mieux qu’à me faire croire que vous ne connoissez pas G * * *, le Compagnon de vos disgraces. Metatextualidade► Je remets à une Lettre particuliére à vous en dire davantage, car je ne veux pas ennuïer mes Lecteurs d’une réponse plus longue qui ne feroit rien pour la Correction des vices. ◀Metatextualidade ◀Nível 2

A la Haye,

Chez Henri Scheurleer.

Et à Amsterdam chez Jean Wolters 1714. ◀Nível 1