Le Mentor moderne: Discours LIV.
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Ebene 1
Discours LIV.
Zitat/Motto
Inter Scabiem tantam &
contagia.
Horat.
Faut-il que nous soyons environnez de si mauvaises mœurs, & que nous vivions dans une corruption si contagieuse ?Ebene 2
Je ne croi pas qu’il y ait un pais au
monde où l’on parle tant de Religion, qu’en Angleterre, & où
l’on ait de si belles occasions de la pratiquer avec zêle. Il me
semble que l’esprit le plus beau ne sauroit tirer du cœur le
plus pieux des prieres plus pathétiques, & plus ferventes,
que celles qu’on prononce dans nos Eglises. Cependant, elles ne
font pas sur l’ame des auditeurs l’effet, que naturellement on
devoit en attendre ; & ce n’est pas toujours la dureté de
notre cœur qu’il faut en accuser. On lit ces prieres la plûpart
du tems d’une maniere si peu convenable, si négligée, & avec
tant de précipitation, qu’il n’est pas étonnant, qu’elles
fassent sur les cœurs des impressions si foibles.
Pour moi, je suis tellement choqué de l’incapacité & de la
négligeance de nos Lecteurs ordinaires, que bien souvent, je
sors de ma paroisse, pour courir à une autre bout de la ville
entendre lire la Lithurgie, à un homme, dont je ne saurois assez
admirer l’admirable méthode de prononcer tant d’excellens
discours. Le ton de sa voix, & tout son air, m’annoncent,
que la devotion fait ses plus grandes délices ; & je ne croi
pas qu’il soit possible de l’écouter, sans être saisi du plus
profond respect pour les objets, qu’il nous met devant les yeux.
J’ai vu plus d’une fois les jeunes-gens de l’un & de l’autre
sexe, qui se jettoient des regards significatifs & fort
eloignez de la pieté, s’interrompre brusquement au son de sa
voix, dont l’autorité sembloit attacher par force leur attention
au service divin ? N’y a-t-il pas bien d’apparence, que si
toutes nos Eglises avoient de pareils Lecteurs, on n’y seroit
pas choqué, par tant d’inattention, & par une irreverance si
indigne ?
L’experience
seule peut nous rendre sensibles à cette douce satisfaction de
l’ame. Nous aurions tort de nous en priver, par la crainte de
nuire à notre santé, en nous arrachant de si bonne heure aux
douceurs du sommeil : Ceux, qui quittent le lit de bon matin,
sont les moins sujets à le garder. Pour animer notre zêle à cet
égard, il seroit à souhaiter, que les Ministres mêmes
daignassent s’abaisser jusqu’à lire les Prieres,
ou du moins que ceux à qui ils confient cette partie de leur
charge, fussent plus à leur aize, & d’une condition un peu
plus relevée. Ces pauvres gens paroissent si mal en ordre devant
l’assemblée Chrétienne, que dans leur air mortifié, & dans
les habits négligez qui les enveloppent, on voit plutôt la
disette, que le mépris des richesses. Le moyen qu’un homme, qui
n’a que cincq cens francs pour vivre, donne toute son attention
à la sublimité de son emploi ! Comment peut-il se considérer,
sinon comme une espece d’Ouvrier obligé de devancer le jour,
& de travailler pour un maigre gain ? Si son cœur n’étoit
pas entiérement rempli du sentiment de sa misere, il pourroit
l’ouvrir à la satisfaction touchante de remplir un si noble
devoir. Il seroit ravi de se regarder comme la bouche de tout un
peuple, qui, détournant l’esprit de tout ce qui distingue les
hommes dans le monde, se confond ensemble, pour demander à Dieu
sa puissante protection contre les desastres qui le menacent, ou
son secours dans les afflictions dont il se voit déja accablé.
Il parleroit avec une autorité décente, en mettant au pied du
throne de grace, les prieres de ses auditeurs, qui
s’attachent à ses paroles, pendant qu’il demande pour eux, &
ce qui est nécessaire pour cette courte vie, & les biens
spirituels, qui après quelque momens de soufrance, nous
conduiront à la bienheureuse immortalité. Mais peut-il mettre
son ame dans cette noble disposition, lorsqu’il languit dans la
pauvreté, ou du moins lorsque la disette, qui menace sa familles
de loin, l’inquiete & le distrait ? La chose est
presqu’impossible. La vertu d’un homme devroit être égale à
celle des martyrs, & des saints déja glorifiés, si dans
cette triste situation, il remplissoit sa charge avec toute la
dignité requise. Il ne faut attendre de lui, sinon, qu’il s’en
tirera au plus vîte, comme d’une tâche pénible, qu’il n’étalera
à l’assemblée, qu’un air bas & rempli de défiance ; &
qu’il craindra de se rendre ridicule, en se donnant un certain
air de supériorité, qui convient à son Ministere. De quel ton,
je vous prie, prononcera-t-il ces parolles1,
&c. ? Osera-t-il élever & affermir sa voix d’une maniere
propre à exciter l’attention, & à imprimer du respect ?
Helas ! non : il craindra de se donner des airs importants
devant des personnes, pour qui il est un objet de compassion,
& même quelque fois de charité. Cette triste particularité
me dérange, quand je songe à recommander ces exercices de piété
à ceux dont la vertu n’est pas encore assez forte pour se
soutenir d’elle-même, sans être appuiée d’un ministere imposant.
Plut à Dieu qu’il fût possible de remedier à cet inconvenient,
& que par là, on pût mettre en vogue, parmi les hommes d’un
certain ordre, la coutume d’offrir à Dieu les Premices de chaque
jour. Je suis sûr que la société en tireroit des avantages très
considérables. Un air plus libre, une gayeté plus pure,
regneroient dans la conversation, & dans les affaires ; la
franchise & la probité prendroient la place de la
dissimulation, & de la fraude ; Une bonne conscience
peindroit sa sérénité sur tous les visages. Les premieres heures
du jour rectifieroient l’usage, qu’on peut faire des heures
suivantes ; & des cœurs, qui auroient commencé
la journée par se mettre sous la protection du maitre du monde,
seroient en quelque sorte pendant le reste du jour inaccessibles
aux vices, avec lesquels cette Protection est incompatible.
Allgemeine Erzählung
Il y a quelques jours,
que m’étant levé de meilleure heure que d’ordinaire, je ne
crus pas pouvoir passer mieux les prémieres heures du jour,
qu’en assistant aux prieres qu’on lit dans
l’Eglise à six heures du matin. Je m’y vis d’abord tout
seul, & j’eus tout le loisir necessaire, en attendant
l’assemblée, de faire quelques meditations utiles sur
moi-même. Je commençai par rappeller à mon esprit toute ma
vie passée, par faire l’examen de ma conduite dans toutes
les differentes saisons de mon âge. Ensuite, je me mis à
considerer les avantages, qu’on peut tirer de cette
destination fixe des prémieres heures du jour au service de
Dieu, quand, en nous offrant à lui, nous armons notre cœur,
par son amour, & par la vive espérance d’une félicité
éternelle, contre les attaques, que nous avons à attendre
pendant le jour des affaires, & des plaisirs. Il semble
que la plûpart des gens seroient au desespoir de renoncer à
quelque vice favori, en se munissant de bonne heure des
sentimens, qui peuvent lui disputer l’entrée du cœur. C’est
pour cette raison, apparemment appuiée de plusieurs autres,
que pendant la Confession des Pechez il n’y avoit encore à
l’Eglise personne, d’entre ceux, qu’on appelle
honnestes-gens. Je n’y voyois qu’un tas de pauvres pécheurs,
dont les pechez étoient tous renfermez dans la
volonté, & qui n’étoient pas assez riches, pour pecher
pas des actions. Il ne paroissoit rien dans leur figure de
propre à se tenter les uns les autres, & ils pouvoient
avoir à loisir des cœurs humbles & froissez, sans avoir
rien à craindre de la vanité & des delices du monde. A
peine avions-nous, nous autres pauvres malheureux, mis nos
péchez au pied du throne de grace, avec une contrition
pieuse & proportionnée à notre indignité, que je vis
entrer plusieurs jeunes demoiselles par pelottons, se
répandre par toute l’Eglise, fermer brusquement la porte des
bancs, & lier conversation, derriere leur eventail, en
guise de priere. Je remarquai parmi elles une des filles de
Mylady Lizard, accompagnée de la digne suivante dont j’ai
déja fait mention. Cette Belle Demoiselle ne manqua pas de
faire dévotement le plongeon derriere son éventail, pendant
que la fille de chambre, après avoir cherché par tout des
yeux, quelque personage conduit dans ce lieu par une
dévotion semblable à la sienne, les arrêta à la fin sur un
jeune-homme très bien mis. Son air & son habit avoit
quelque choses de militaire ; mais, il y avoit
trop d’arrangement dans l’un & dans l’autre, pour bien
représenter l’extérieur d’un vrai guerrier. Ce petit-maitre
s’appuioit nonchalement sur le banc où notre jeune beauté
s’étoit placée ; & il la contemploit d’un regard si
fixe, qu’il n’étoit pas difficile de deviner à quelle
Divinité il addressoit ses vœux. Un spectacle si impur me
donna toute l’indignation imaginable, & me força de me
distraire du service divin, pour réfléchir sur certaines
gens, qui passent dans le monde pour des personnes
d’honneur, quoiqu’ils ayent le cœur plus gâté, que ceux
qu’on punit comme les derniers des scélérats. Après avoir
été abimé dans ces tristes pensées pendant quelques momens,
je vis l’assemblée accrue d’un bon nombre de gens de quelque
chose, parmi lesquels je trouvai plusieurs de ces salloppes
du grand air, qui, venant à l’Eglise en deshabillé, font
voir que c’est à leur beauté naturelle, & non pas a
leurs habits, qu’elles doivent leur réputation. Outre
celles-là, je découvris plusieurs petites Groupes de ces
honnetes Dames, qui assistent aux prieres, pour se parler à
l’oreille, & pour s’assortir les unes les autres, de sujets de médisance & de Calomnie. Il y avoit
quelques personnes, il est vrai, dans les yeux desquelles on
remarquoit une joie pure, & qui ne paroissoient s’etre
couchées le soir auparavant, que dans l’impatience d’entrer
dans ce nouveau jour d’une maniere si chrétienne. Quoique le
nombre des gens de ce Caractere soit très-petit, il vaut
bien la peine de conserver en leur faveur, le pieux
établissement des Prieres du matin, pour lesquelles on ouvre
les Eglises dans tous les quartiers de Londres. Il est vrai
que la plûpart de ceux, qui assistent alors au service
divin, s’acquitent de ce devoir avec tant de nonchalance,
& d’insensibilité, qu’on diroit que ce n’est pas un acte
volontaire, mais un fardeau qu’un pouvoir supérieur leur a
mis sur les Epaules. Il y en a d’autres, qui me paroissent
encore plus dignes de mépris : ce sont certaines gens
familiarisez avec l’Eglise, & qui à force d’y venir la
regardent à peu près sur le même pied, que leurs maisons.
Ils confondent l’heure de la priere, avec celles qu’ils
destinent aux actions les plus ordinaires de la vie humaine.
Chez eux, comme il y a un tems fixe pour aller
à table, il y en a un pour aller à l’eglise ; & ils sont
très contents de leur conduite, après y avoir causé ensemble
sur les bagatelles les plus pueriles, au lieu de répondre au
veritable but de cette institution Religieuse : Ce sont de
ces gens, qui dans tous les quartiers de notre capitale font
entre eux de petites ligues, contre le reste du
genre-humain. Ce sont les honnestes-gens par excellence, les
gens de bien de profession. En jettant un amas de vices
& d’ordures sur la réputation de leur prochain, ils
croyent nettoyer leur caractere, & le garantir de toutes
sortes de taches. La noire malignité a été de tous tems la
mauvaise qualité essentielle de ceux, qui sont habituez à
l’exterieur de la réligion, sans en posseder le véritable
esprit. Ils ne sont, ni voleurs, ni adulteres, ni mondains ;
&, desœuvrez à ces différens égards, ils ont un loisir
pernicieux, dont leur noire malice fait l’usage le plus
criminel. Les gens du monde, occupez continuellement par des
passions, qui les jettent sans relache dans de nouveaux
projets, ne pensent pas aux affaires des autres, & ne
réfléchissent point sur ce que les autres
peuvent penser d’eux ; mais, nos gens de bien, qui par
coutume renoncent aux plaisirs des sens, sans les remplacer
par ces délices qui ont leur source dans une vertu éclairée,
concentrent tout ce que leur cœur a de vicieux dans la
passion de déchirer leur prochain, & d’en dépeindre les
égaremens par les couleurs les plus noires.
Metatextualität
Je sens que je viens de tomber
dans un défaut, que j’ai censuré moi-même, dans certains
Conteurs à Episodes. Le Caractere de ceux, qu’on remarque
aux prieres du matin m’a détourné de mon but principal, qui
consistoit à déplorer le malheur des Chrétiens, qui ne
connoissent pas le plaisir qu’on trouve à consacrer à Dieu
les prémiers moments de chaque jour.
Zitat/Motto
Dieu a donné ordre & pouvoir à
son Ministre, de déclarer à son peuple,
1Voyez les Prieres Communes de l’Eglise Anglicane.