Le Mentor moderne: Discours LIII.
Permalink: https://gams.uni-graz.at/o:mws.6489
Nivel 1
Discours LIII. Lettre a
l’Auteur.
Autre Lettre.
Cita/Lema
Ad hoc non instructi, sed nati
sumus.
Ciceron.
Ce n’est pas l’instruction, c’est la nature même qui nous inspire ces sentimens.Nivel 2
Nivel 3
Carta/Carta al director
Monsieur. Une ame comme la
vôtre ne peut qu’acquérir tous les jours de nouvelles
forces, en s’exerçant sur des véritez, qui
nous ramenent à la grandeur & à l’excellence
primitives de notre nature. Telles sont sur-tout ces
véritez, qui nous assurent d’une Félicité éternelle dans
une vie à venir. Comme je suppose qu’une occupation si
noble vous procure les plaisirs les plus satisfaisans,
je prens la liberté de vous faire présent du
Christianisme pratique, livre nouveau fait par le
Docteur Lucas. Si votre amour pour ces sortes de
matieres vous a déjà porté à lire cet admirable Ouvrage,
vous pouvez le donner à celui de vos Eleves, qui a le
plus besoin de cette lecture : je vous prie seulement de
le recommander au public ; & je me flatte que vous
le ferez avec succès, si vous voulez bien insérer dans
une de vos feuilles volantes les passages suivants, qui
m’ont extrémement frappé.
Nivel 4
Cita/Lema
« Ce que je sens en
moi-même me prouve invinciblement, que dans l’état
où je me trouve, j’ai une ame aussi bien qu’un
corps. Je découvre en moi des joyes, & des
déplaisirs, qui ne résistent pas dans mes organes,
mais dans l’intérieur de mon esprit : Je suis
susceptible de sentimens agréables, &
douloureux, qui sont trop déliez,
pour la grossiéreté de mes sens corporels. En
réfléchissant sur la justice, ou sur l’injustice
de mes actions, je trouve dans ma conscience un
aimable repos, ou des troubles inquiets : il y a
un Etre en moi, qui se réjoüit, quand je penetre à
des véritez importantes ; & qui se chagrine ,
quand elles échappent à mes recherches. J’ai donc
une ame, qui peut être heureuse, ou misérable,
& il s’enfuit que je serois déraisonnable au
suprême dégré, si je croyois pouvoir remplacer sa
perte par l’acquisition de tout l’univers. Mon
ame, c’est moi-même ; &, si elle est
malheureuse, c’est moi, qui suis malheureux. Une
apparence extérieure de fortune peut me rendre
heureux dans l’idée des hommes ; mais, elle ne me
procurera jamais une félicité réelle. Puis-je
m’appeller fortuné, pendant que les plus cruelles
inquiétudes dévorent mon ame, pendant que des
passions séditieuses me font la guerre &
détronent ma raison. Dois-je être charmé de ma
félicité, pendant que les desordres de ma vie, me
couvrent d’une honte & d’une confusion
intérieures ? Mes appartemens, il
est vrai, brillent de meubles magnifiques, ma
table est couverte de mets délicieux, mes
équipages superbes frappent les yeux du peuple,
mon rang & mes richesses m’attirent les
respects de mes Concitoyens ; mais, mon ame
languit & se consume au-dedans de moi : mes
chagrins mettent une barriere entre moi & les
plaisirs qui m’environnent. Quand même je serois
dans l’incertitude par rapport à l’avenir le
principe, que je viens d’établir devroit m’engager
fortement à m’acquiter des devoirs de la Réligion,
puisqu’elle a pour but de bannir du monde le
peché, qui est la source de tous les chagrins
propres à l’ame. La nature du péché consiste dans
des passions déréglées & tumultueuses, &
dans des penchants extravagants par rapport au
choix de leurs objets, ou bien mal proportionnez à
la valeur des choses, qui leur donnent une si
grande fougue. En second lieu, le péché nous
précipite dans les plus grands périls, il nous
fatigue, il nous accable sous des travaux infinis,
& souvent il nous ensévelit sous
les ruines, dont notre propre imprudence nous
enveloppe. Enfin le péché remplit notre cœur de
honte, de défiances, & de craintes ; Nous ne
réussirons jamais à nous persuader pleinement,
qu’il n’y a aucune différence réelle entre le
bien, & le mal, & qu’il n’y a point de
Législateur, qui soit attentif à nos actions. Tant
que nous resterons dans l’incertitude à cet égard,
nous ne ferons que de vains efforts, pour nous
affranchir des troubles & des remords de la
conscience, nous serons toujours incapables
d’établir dans notre ame une tranquillité
parfaite, & de gouter dans nos plaisirs
favoris une douceur pure, & sans mélange.
Supposé même que par des efforts réïtérez nous
pussions à la fin nous ménager cette indépendance
absolue, que l’Athéïsme semble nous promettre ;
nous serions toujours sujets à ces deux
inconvéniens aussi terribles qu’inévitables dans
cet état : une vie criminelle nous jettera dans
certains desordres, qui ne peuvent qu’être
fertiles en troubles & en chagrins ; en second
lieu, notre ame sera privée de toute
sa force, quand elle aura renoncé à la Religion,
qui seule est capable de nous soutenir sous le
poids des afflictions inseparables de la
condition, où se trouvent les hommes dans cette
vie passagere. »
Nivel 3
Carta/Carta al director
« Monsieur, Quoique tous les
Beaux-esprits de la Grande Bretagne ayent parlé &
écrit sur Caton, & qu’ils en ayent développé à
l’envi les beautez differentes, il me semble qu’ils ont
négligé de parler de l’habileté de l’Auteur, considéré
en qualité de Poete. L’art Poetique à des graces, que le
Vulgaire ne sauroit admirer, si on ne lui en donne une
idée nette, & si on ne lui met devant les yeux tous
les efforts de génie, qu’il a fallu, pour les produire.
Il n’y a rien par éxemple de plus admirable dans cette
piece, que la beauté, la justesse, & la convenance
des comparaisons. Les seuls esprits du prémier ordre,
sont capables d’en trouver de cette nature, sur-tout quand la matiere sur laquelle on veut
répandre de la lumiere est grande & sublime, &
l’on n’y réüssit pas si l’on ne sait joindre à la plus
grande force de l’imagination, le discernement le plus
juste & le plus délicat. On en voit un éxemple très
sensible dans la comparaison qu’employe Syphax, Général
Numide, après avoir expliqué son dessein d’abimer, par
un seul coup inattendu, son propre Roi, & la famille
de Caton. D’un côté l’image dont il se sert devoit
frapper extrémement un Numide, & être plus familiere
à son esprit, qu’à celui de tout autre. De l’autre côté,
quand l’Auteur eût parcouru tous les objets de
l’univers, il n’auroit pas été capable de trouver un
tableau plus vif d’un desastre aussi inopiné que
terrible. De la même nature est la
comparaison qu’emploie Sempronius prêt à enlever la
fille de Caton. Il se félicite déja d’avance du succès
de sa trahison, & il se la dépeint à lui-même sous
une image qui convient merveilleusement à l’orgueil
& à l’impieté qui constituent son Caractere.
Cita/Lema
Tel, où l’on
voit l’Afrique étendre ses deserts, Un Ouragan
soudain tyrannise les airs.
Son soufle destructeur dans les vastes campagnes
Fait naitre tour à tour, & périr les montagnes.
Il crée un Océan, qui bouillant, furieux,
D’un tourbillon de sable enveloppe les cieux :
Le Voyageur surpris dans la plaine agitée
Voit approcher par tout cette Mer irritée,
Il voit atour de lui d’inévitables flots
Apporter mille morts, ouvrir mille tombeaux.
Son soufle destructeur dans les vastes campagnes
Fait naitre tour à tour, & périr les montagnes.
Il crée un Océan, qui bouillant, furieux,
D’un tourbillon de sable enveloppe les cieux :
Le Voyageur surpris dans la plaine agitée
Voit approcher par tout cette Mer irritée,
Il voit atour de lui d’inévitables flots
Apporter mille morts, ouvrir mille tombeaux.
Cita/Lema
Tel l’amoureux Pluton se
saisit de sa proye, Son œil farouche étale une
maligne joye,
En vain le veut flechir la fille de Ceres ;
Ses larmes, & sa voix, relevent ses attraits ;
Dans son triste palais il conduit sa maitresse ;
Et là Maitre asseuré de la jeune déesse,
Il laisse avec plaisir au Monarque des Dieux,
L’Empire de la terre, & l’Empire des Cieux.
En vain le veut flechir la fille de Ceres ;
Ses larmes, & sa voix, relevent ses attraits ;
Dans son triste palais il conduit sa maitresse ;
Et là Maitre asseuré de la jeune déesse,
Il laisse avec plaisir au Monarque des Dieux,
L’Empire de la terre, & l’Empire des Cieux.