Le Mentor moderne: Discours LII.
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Livello 1
Discours LII.
Citazione/Motto
O fortunatos nimium, sua si bona
norint ! Trop heureux les hommes, s’ils connoissoient
leur bonheur.
Livello 2
A la derniere élection des Ecoliers du
Roi, ma curiosité me conduisit à l’Ecole de Westmunster
<sic>, pour assister aux preuves, qu’ils devoient donner de leur capacité. La vue de ce Lieu, où je
n’avois pas été depuis un si grand nombre d’années, me rappella
dans l’esprit les douces images de mon enfance, qui me firent un
plaisir inexprimable ; &, comme j’ai contracté l’habitude de
puiser une satisfaction pure dans mille sujets, qui échappent à
l’attention des autres, je me laissai entrainer par mon
imagination, & malgré mes cheveux gris je redevins écolier.
Cette fantaisie étoit nourie & soutenue par la présence de
tant de jeunes-gens, qui exprimoient par leurs regards la
vivacité de leurs passions, & qui sembloient me la
communiquer. Un sang bouillant circuloit dans toutes mes
veines : le souvenir à demi éteint de mes amusemens puerils se
ranima avec force, & les mêmes plaisirs qu’ils m’avoient
autrefois prodiguez inonderent toute mon ame. J’ai regretté
encore long-tems depuis cette espece de rêve ou d’extaze,
persuadé que la prémiere jeunesse est la journée la plus
agréable de tout le voyage que nous sommes obligez de faire dans
ce monde. Les plaisirs de cet âge sont aussi touchans dans la
jouissance, que faciles dans l’acquisition. C’est
la saison de l’espérance toujours plus délicieuse que la
possession : c’est alors, qu’une satisfaction continuelle
accompagne un esprit qui s’ouvre, & qui s’étend par degrez ;
c’est alors, que l’ame est illuminée par l’Aurore de la raison,
matinée charmante, qui n’est pas toujours suivie d’un jour
serain. Quand nous sommes parvenus à un âge plus mûr,
d’ordinaire ces plaisirs innocens, qui affranchis du remord
animent les esprits animaux, & nous donnent la santé du
corps appuiée du repos de l’esprit, font place à des
divertissemens criminels, qui remplissent le corps de mauvaises
humeurs & l’ame d’inquiétudes ; l’agréable occupation de se
former peu à peu un stile élégant, & de s’acquerir de belles
images & des sentimens nobles, par l’Etude des anciens, cede
bientôt à la nécessité de s’accoutumer aux termes du Barreau, ou
bien au plaisir malin, qu’on puise dans d’indignes brochures
uniquement propres à corrompre le gout, & à infecter les
mœurs. Insensiblement, les idées de vertu, que les Caracteres
des Héros de l’antiquité avoient imprimées dans notre ame, sont effacées par l’éxemple plus frappant de ce
siecle abatardi. Dans la matinée de la vie, quand la raison fait
sa prémiere entrée dans le monde, tous les objets s’offrent à
elle d’un air réjouissant, & avec toutes les graces de la
nouveauté : elle trouve par tout des sujets d’une agréable
surprise ; elle admire tout, & la moindre lueur d’agrément
lui cause de vifs transports de joye ; mais, peu à peu les sens
s’emoussent, & nous perdons l’esprit de la bagatelle, à
mesure que notre ame devroit naturellement s’ouvrir à des
divertissemens plus mâles. Malheureusement, les fleurs ne sont
pas remplacées chez tous les hommes par les fruits qui devroient
se produire dans la saison de la virilité : certaines gens sont
dans une Enfance perpétuelle, & je ne saurois trop plaindre
le sort des Damoiseaux de profession, dont les plaisirs réels
sont bornez par la prémiere jeunesse. Faute de connoitre des
plaisirs plus dignes de la raison, ils restent attachez à des
amusemens enfantins, quoi qu’ils leur soient devenus insipides.
La sage Providence a destiné à chaque partie de notre âge ses
propres plaisirs : il ne tient qu’à nous de suivre
les vues de notre Créateur, & de jouïr de ses biensfaits ;
nous n’avons qu’à y préparer notre ame, en cultivant toutes nos
facultez, & en les proportionnant aux objets, qui peuvent
être les sources de notre félicité. Comme nos facultez
s’ouvrent, & se développent par dégrez, & d’une maniere
presque insensible, il arrive, lorsque nous en faisons un bon
usage, que tout-à-coup, & sans nous en être apperçus nous
nous trouvons hors de la Sphere des plaisirs des sens, &
engagez dans celle des plaisirs de la raison. Le gout de ces
derniers nous rend fades, & ceux qui nous sont communs avec
les brutes, & ceux qui ont leur source dans une imagination
vive & brillante ; tout paroit bas & vil à une raison,
qui trouvant sa grandeur dans ses divertissemens s’occupe à
découvrir la liaison, les vues, & la symétrie des choses
crées ; & qui se familiarise, par la méditation, avec la
beauté spirituelle qui consiste dans l’ordre & dans la
vérité. Conformément à cette idée je considere nos Ecoles &
nos Universitez, non seulement comme de nobles pepineres, d’où sortent ceux qui doivent un jour travailler
au bien de l’Etat & de l’Eglise. Je les regarde encore comme
des lieux où l’on donne aux hommes du gout pour la volupté la
plus rafinée, & où l’on apprend à porter l’ame au plus haut
dégré de perfection, & à la rendre capable de ces transports
de joye, qui, bien loin d’être suivis de remords, ne lui
inspirent qu’un amour aussi ardent que pur pour elle-même. C’est
dans l’agréable retraite de nos Universitez, qu’on peut jouïr de
la solitude, & en même tems profiter du commerce, de tous
les grands génies, qui ont servi d’Epoque aux differens siecles.
C’est là, qu’on penetre dans les Labyrintes délicieux des arts
& des sciences, & qu’étendant peu-à-peu la Sphere de ses
lumieres, on est animé par les thrésors qu’on a déjà acquis, à
forcer le passage à une infinité d’autres découvertes, qui se
présentent à nos yeux comme une perspective à perte de vue ;
c’est dans ces Lieux qu’une émulation genereuse une noble soif
de réputation, un amour ardent pour la vérité, & tous les
motifs les plus grands, regnent absolument sur des ames, sur
lesquelles les maximes favorites du siecle n’ont
pas encore fait de dangereuses impressions. C’est là, que les
richesses spirituelles, qui nous ont été transmises par nos
ancêtres, sont conservées comme un précieux dépot, & que de
jour en jour elles reçoivent quelque heureuse augmentation. Au
sortir de cet aimable séjour, les personnes qui se sont
enrichies de ces thrésors, sans en diminuer la masse, les vont
porter par tout le païs : elles répandent par tout des idées
saines, & un gout sûr, qui devroit détruire naturellement,
la barbarie des anciens Bretons, & la férocité des
usurpateurs1qui se sont autrefois emparez de cette Isle
fortunée. S’il est certain que toute l’Erudition d’un peuple est
due aux Universitez, & aux Ecoles publiques, il n’est pas
moins évident que ces Ecoles, & ces Universitez doivent leur
établissement à la Religion. C’est principalement par des motifs
de piété, que les Princes, & à leur éxemple des personnes
privées, ont fondé des Colleges, & assigné des revenus aux
Etudians, & aux Professeurs. C’est par le même principe, que
tous les Etats Chrétiens accordent à ces institutions utiles de la protection & du secours ; persuadez,
que c’est le véritable moyen de conserver les saints oracles
aussi bien que les traditions sures de l’Eglise primitive, &
de découvrir le véritable sens des uns, & des autres. Où est
l’homme, qui ignore qu’après une longue & épaisse nuit
d’ignorance & de superstition la Réformation de l’Eglise
& celle de la république des Lettres, ont eu le même
commencement ? Elles se sont affermies & étendues, dans une
proportion éxacte, & l’on peut soutenir même, que c’est à la
Religion, que le savoir est redevable de sa Résurrection &
de ses progrez. Ceux, qui s’efforçoient à débrouiller la vérité
& ceux qui s’opiniatroient à défendre l’erreur, furent
obligez de puiser dans les mêmes sources. Les uns & les
autres se mirent avec une ardeur presque égale à fouiller dans
les ruines de l’antiquité, & à pénétrer dans les langues
savantes hérissées de difficultez si considérables. Si nos
prétendus esprits-forts méprisent assez la foi Historique, pour
douter de ces faits, ils peuvent en être convaincus par la
nature même du sujet. Il est constant, que tout ce qui parmi
nous a le nom d’Erudition dépend de la
connoissance des Langues Grêque & Latine, & qu’on est
porté principalement à l’Etude de ces Langues par un principe de
Religion. Quelle autre raison pourroit-on allêguer, pour quoi
les Enfans des Chretiens, plutôt que ceux des Payens & des
Mahométans, sont attachez comme par force à cette étude
pénible ? Ne sont-ce pas ceux qui se destinent au Ministere de
l’Evangile, qui font les plus grands efforts pour se
perfectionner dans la connoissance de ces langues mortes, &
pour les enseigner à la jeunesse. Qu’arriveroit-il si les
Esprits-forts réüssissoient un jour à décréditer la Religion
Chrétienne, & a détourner à d’autres usages les revenus, que
la libéralité pieuse de nos ancêtres a destiné à l’entretien des
Docteurs de la Loi de Christ ? En moins de rien l’original du
Nouveau Testament nous seroit aussi peu intelligible que les
Ouvrages de Confucius ; &, par degrez, nous retomberions
dans la même Barbarie, qui enveloppa toutes les Nations
septentrionales, lorsqu’elles n’étoient pas encore éclairées,
par les lumieres de l’Evangile. Certaines gens inferent de la
malignité & du mauvais gout, qu’on découvre
dans les productions de nos Libertins, qu’ils doivent avoir
formé quelque dessein pernicieux contre les belles lettres. Pour
moi, j’avoue ingénument que je ne les soupçonne pas d’une
pareille malice. J’aime mieux croire que ce sont de petits
esprits, incapables de réfléxion, & dont la raison n’a pas
assez d’étendue pour pénétrer dans la nature d’un sujet, &
dans la liaison nécessaire, qu’elle a avec certaines
conséquences.
1Les Saxons & les Normands.