Que de choses mauvaises & injustes sont sauvées par la Coutume !
Ce n’est pas une petite mortification pour moi, de voir que la vertu est supplantée dans ce Royaume par la coutume, & par un dévouement, pour des choses indifférentes au moins, si elles ne sont pas absolument mauvaises. C’est par là que la mode donne un passeport à ce qu’il y a de plus ridicule, & de plus contraire au sens commun. Personne n’a
L’ami, qui m’écrit la lettre suivante, y a rassemblé un bon-nombre de sujets, qui méritent bien d’être examiné avec l’attention, qu’on a d’ordinaire pour des matieres plus graves en apparence, mais qui n’ont pas pourtant de plus grandes influences sur le bonheur du genre-humain. Il s’attache sur-tout à un grand nombre de petits artifices d’une extrême bassesse, dont se servent le Pere & la Mere d’une fille, quand il est question de la marier. Il n’y a rien de plus commun, par éxemple, parmi des gens bien elevez d’ailleurs, & d’un bon Caractere, que de négliger les Loix severes de la reconnoissance, & de demander pour leurs filles des avantages extraordinaires fondez sur l’amour desinteressé d’un amant, dont l’imprudente generosité leur devroit faire prendre justement le parti opposé. C’est ce que la Lettre de mon Correspondant éclaircira à merveilles, & peut-
Monsieur.
Je me suis retiré, il y a quelque tems, de la ville, & des affaires, à une petite maison de campagne, ou de beaux environs, des chemins très pratiquables, & un excellent air, m’attirent toujours à la promenade. Par là je me suis fait un plus grand nombre de connoissances qu’il n’en faut pour un homme de mon âge qui n’a choisi un séjour champêtre, que pour gouter à son aize les plaisirs de la retraitte. Me le refusez vous donc absolument, Monsieur ? lui disoit mon ami quelque fois ; mais, toute la réponse qu’il pouvoit obtenir c’étoit, Eh, mais, Monsieur, je ne vous dis pas cela. Lorsque la conversation rouloit sur le bien, le prudent vieillard ne manquoit jamais de dire que ses affaires alloient toujours à reculons, & qu’au contraire celles du Pere du jeune homme passoient pour être dans l’état le plus florissant.
Enfin, fatigué d’écrire lettre sur lettre, & de ne recevoir de sa maitresse que des réponses ambigues ; renonçant à tout espoir, il trouva à propos de prendre congé d’elle dans les formes. Mais, peu de tems après, on lui procura, comme par hazard, l’occasion attendue long-tems, en vain, de voir la belle en particulier, & éloignée de ses surveillans. Cette bonne nouvelle rechauffe d’abord sa passion & la rend plus violente que jamais. Résolu de sacrifier plutôt tout, que d’abandonner son entreprise, il prend la poste, court, vole ; &, sans attendre le secours de quelque Médiateur, pour le raccommoder avec sa maitres-
Dans toute cette Histoire, dont je ne vous donne ici qu’un abregé, il paroit de la part de mon voisin un amour si desintéressé, si sincere, & si violent, que s’il parvient à la fin au but de ses desirs, & s’il épouze sa maitresse, je crains bien qu’ils ne soient malheureux l’un & l’autre.
Mentor moderne, il est de votre devoir de remedier à de pareils abus dans une Nation que vous avez prise pour votre Eleve. Je vous supplie, Monsieur, de vouloir bien, dans une occasion si importante, étendre vos instructions sur toutes les personnes, qui peuvent être intéressées dans les traittez matrimoniaux, qui ont une liaison si étroite avec le bonheur du genre-humain. Embrassez, s’il vous plait, dans vos réfléxions sur cette matiere, les Peres, les Meres, les filles, & les amans ; & n’oubliez pas les confidens qui assistent les deux parties de leurs conseils. Sans pretendre vous prescrire un plan, je prendrai la liberté de vous dire, que je remarque dans toute cette intrigue, quatre causes principales, qui ont fait échouer ce mariage, qui auroit pu être très-heureux.
Premierement, les expressions équivoques du Pere pour se ménager une retraite honorable en cas que l’affaire prit un tour desagreable pour lui.
2°. Les ruses de la Mere, qu’elle n’a pas daigné cacher seulement, afin que l’amant se livrât à sa fille pieds & poigns liez, sans faire aucune attention à sa fortune.
3°. La vanité de la Demoiselle, d’ailleurs fille de mérite, & l’idée qu’elle s’est fourrée dans l’imagination, qu’un homme n’aime pas véritablement, si sans réfléxion il ne sacrifie pas tout à l’objet de sa tendresse.
4°. La maniere de ménager l’affaire de coté & d’autre, par le moyen de lettres, & de confidens, sans permettre aux parties traittantes la liberté de conferer ensemble de bouche.
Il me semble qu’en rectifiant nos idées sur les traittez de cette nature, vous ne sauriez qu’obliger sensiblement toutes les familles du Royaume, où il y a des Enfants & du bien. Mon jeune Voisin sur-tout vous en aura une obligation sensible. Il joint ses prieres aux miennes, pour vous conjurer de vouloir bien décider sur les points suivans.
Si la déclaration d’un amour, qui a un but légitime doit être adressée d’abord à la Demoiselle, ou bien à ses Parens ?
Supposé qu’il faille d’abord s’adresser aux parens, est-il permis au jeune-homme de disputer sur la Dot, & de songer aux moyens de s’établir avantageusement dans le monde ? Ou bien, doit-il se piquer d’une générosité ruineuse, de peur de passer pour un cœur mercenaire, qui ne songe qu’à survivre à son épouse future d’une maniere agréable & aizée ?
Quelles instructions faut-il qu’une Mere donne à sa fille dans une pareille occasion ; & jusqu’à quel point doit-elle se mêler d’un traitté de la sorte, pendant que son Epoux est encore en vie ?
Jusqu’où s’étend le devoir d’une fille qu’on veut obliger de suivre en tout les conseils de sa mere, & de lui communiquer toutes les lettres de l’amant, aussi bien que les réponses ?
Quelles limites est-il juste de prescrire à l’usage des lettres & des confidens, & dans quelles occasions est-il naturel que les amans ayent la liberté de se voir, & d’agir par eux-mêmes ?
Si la maitresse remplit ses lettres des affaires d’intérêt, & qui concernent le contract de mariage, l’amant agit-il d’une maniere peu noble en répondant à chaque article, tout comme s’ils avoient été dressez, par le Pere, ou par la Mere mêmes ?
Enfin, ce que j’exige sur-tout de votre amour pour la Nation, c’est que vous fassiez tous vos efforts, pour remedier à un abus qui n’est que trop envogue : je veux parler de la coutume qu’ont la plupart des Peres, de publier dans le monde, qu’ils donne-
Voilà, Monsieur, tous les problêmes que j’ai pour aujourd’hui à proposer à vos lumieres, au sujet du mariage. Avant pourtant que je ferme ma lettre, je crois devoir vous prier encore de nous dire jusqu’à quel point les traitez en question sont de la même nature que les contracts ordinaires d’Achat, & de Vente, & s’il n’y a pas moyen d’empecher que certaines gens ne fassent pas ce commerce sous main. Rien n’est plus pernicieux pour ce négoce, que certains Revendeurs & revendeuses, qui ramassent un Magazin de tous les bons partis de l’un & de l’autre sexe ; & qui, ne donnant pas
Faites-moi la grace, Monsieur, de me répondre au plus vîte. La conduite des femmes, sur-tout, a un besoin pressant d’être redressée par la sagesse de vos préceptes. Je suis, &c. »