Citazione bibliografica: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Ed.): "Discours XLV.", in: Le Mentor moderne, Vol.1\045 (1723), pp. 442-450, edito in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4076 [consultato il: ].


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Discours XLV.

Citazione/Motto► Quis enim virtutem amplectitur ipsam, Præmia si tollas ?

Qui prendra le parti de la vertu pour l’amour d’elle-même, & sans avoir en vue quelque récompense ? ◀Citazione/Motto

Livello 2► Rien n’est plus ordinaire à ceux qui traitent la controverse, que de laisser là le fond de la matiere, pour pénétrer dans le cœur de leurs antagonistes, & pour leur attribuer des desseins criminels. Par là les preuves se changent en Satyres ; &, au lieu d’avoir pour objet les erreurs de l’entendement, on se jette sur les mœurs de ceux qu’on attaque, & qu’on voudroit bien rendre odieux. Je sens toute l’extravagance d’une pareille conduite ; & je suis fortement résolu de ne m’en point rendre coupable, en continuant à éxécuter mon dessein d’exposer aux yeux du public les égaremens funestes des prétendus Esprits-forts. La vertu & le bonheur de la société humaine, doivent être les grands motifs de toutes les actions d’un homme de bien ; & il faut [443] avouër qu’il y a, dans cette nouvelle secte de Philosophes, des gens qui font profession d’aller plus directement à ce noble but que tous les autres hommes. Je veux bien croire que ce sont là leurs véritables vues, & qu’ils suivent pas à pas les lumieres de leur raison, & le Dictamen de leur conscience ; mais, il est à craindre, que malgré leurs bonnes intentions, les efforts qu’ils ont faits pour etendre l’empire de la vertu, n’ayent servi qu’à affermir le vice sur le throne. Comme je crois, que leur méprise n’a pour cause qu’une ignorance grossiere touchant la nature, & les véritables intérêts de l’homme, je me flatte, que dès qu’ils sentiront leur erreur, ils ne manqueront point de se laisser guider par leur amour pour le genre-humain, & de faire rouler toute leur conduite sur un autre plan.

Les sages, dont il s’agit ici, parlent de la vertu comme de la chose du monde la plus aimable ; mais, dans le meme tems qu’ils élevent sa beauté, jusqu’aux nues, ils ne négligent rien pour la décréditer, & pour la rendre inaccessible à la plupart des hommes. C’est là, à leur avis, la meilleure méthode pour faire [444] croitre le nombre de ses admirateurs ; tant ils ont mal réüssi dans l’étude du cœur humain.

Il est vrai, que la vertu par sa propre nature a des charmes puissants ; mais, il est vrai aussi, que le Christianisme la place dans son plus beau jour, qu’il en developpe toute la beauté naturelle, & qu’il excite pour elle dans nos ames l’ardeur la plus vive, en l’environnant des récompenses les plus glorieuses. Si par cette méthode il ne fait point des impressions assez fortes sur certains naturels pesans, & sur des imaginations lugubres, que l’esperance ne sauroit égayer, il fait remuer ces Esprits lourds, par la crainte d’une punition éternelle, & les forcer par la frayeur à se familiariser avec les charmes de la vertu.

Celle de nos Esprits forts graves & sages est destituée de tous ces secours ; Citazione/Motto► La vertu, disent-ils, est belle en elle même ; comme par sa nature le vice est difforme : elle est donc digne de tout notre attachement, & le crime ne nous doit inspirer que de l’horreur. ◀Citazione/Motto Mais, ils ne considerent dans l’une & dans l’autre, que le bien & le mal, qui en sont inséparables : ils n’ont en vue, que la récompense & la [445] punition, dont ils sont suivis immédiatement. Pour l’immortalité de l’ame, pour la félicité à venir, pour les peines eternelles, ils les tournent en ridicule, comme les chimeres les plus extravagantes ; ou, du moins, ils en rendent la vérité suspecte, par les artifices les plus subtils, & par les ruses les plus déliées.

Je n’accuse pas ces nouveaux Docteurs du noir dessein de trahir la vertu, sous prétexte de la defendre ; mais, j’ôse soutenir que s’ils avoient formé un tel dessein, ils ne pourroient pas prendre des mesures plus justes, pour l’exécuter. S’il faut les absoudre de malice, il faut nécessairement les condamner de stupidité ; Comment peut-on se mettre dans l’esprit, que c’est soutenir les intérêts de la vertu, que d’affoiblir les plus puissants motifs, qui nous y portent ; motifs accommodez à toutes sortes d’humeurs, aux esprits de tout ordre ; motifs propres à donner une nouvelle force à cet amour noble pour cette fille du Ciel, lequel n’a prise que sur ces grandes ames, qui sont capables d’aimer la vertu pour son propre mérite ?

Certainement, il faut ignorer ce que [446] c’est que les passions, & n’en avoir jamais senti la force, pour s’imaginer, que la simple beauté de la valeur, de la temperance, & de la justice est capable de soutenir les hommes ordinaires dans le pénible sentier de la vertu ; & de les défendre contre les tentations de l’intérêt & de la volupté.

Il paroit évidemment par là, que ces Messieurs méritent plutôt nos mépris, que notre indignation ; & qu’on ne sauroit les considérer sinon comme une troupe de gens stupides, dont l’esprit est trop borné, pour découvrir l’excellence de la Religion. Comment peut-on se mettre dans l’Esprit qu’ils méditent quelque mauvais dessein ? Ceux, qui forment un projet pernicieux, font tout ce qu’ils peuvent, pour en cacher les ressorts ; mais, ces pauvres gens ici crient à tous ceux, qui veulent les écouter, qu’ils ont moins de motifs pour être gens de bien, que les autres hommes ; Par conséquent, ils nous avertissent de nous défier d’eux, nous, qui sommes portez à la pratique de chaque vertu, par des raisons tout aussi fortes que les leurs, & qui avons par-dessus eux l’attente certaine d’une félicité, ou d’une misere éternelles <sic>.

[447] Peut-on jetter seulement la vue sur les actions humaines, sans s’appercevoir, qu’elles ont presque toutes leur source dans les passions, parmi lesquelles l’espérance, & la crainte, sont indubitablement les plus fortes, & les plus étendues ? Est-il possible de s’imaginer rien qui puisse animer plus fortement cette Espérance & cette crainte, que cette perspective agréable ou effrayante d’un bonheur ou d’un malheur éternel ?

Il est évident qu’un Chrétien, qui veut commettre une action criminelle, a de plus puissantes barrieres à forcer, qu’un Esprit-fort ; & que le crime, chez le premier, doit trainer à sa suite des remords plus cuisants, & plus durables, que chez l’autre. Ce n’est pas tout : il semble qu’un homme, qui rejette l’idée d’une vie à venir, n’est pas trop sage, quand il prend la moindre peine pour être essentiellement homme de bien. Quelle raison imaginable peut-il avoir pour préférer la vertu à son intérêt, ou à son plaisir ? Si le Chrêtien, par un principe de conscience, néglige quelque avantage présent, il agit en homme raisonnable, puisqu’à un petit intérêt, il prefere un intérêt infiniment plus considérable ; mais, [448] un homme, qui ne connoit rien que l’utilité presente, & qui se prive de quelque avantage, quoiqu’il en puisse jouïr en sauvant les apparences, est tout aussi stupide, que le pourroient être ceux, qui instruits de ses principes, seroient assez fous pour avoir de la confiance en son intégrité.

On dira peut être que la vertu est sa propre récompense, & que a douce satisfaction, qui suit les actions vertueuses, suffit pour y porter un esprit raisonnable. Je conviens que cette maxime devroit être vraye dans toute son étendue ; mais, malheureusement, elle ne l’est point. Il est certain, qu’il n’y a rien de plus aimable que la vertu, & que dans cette vie même on peut recevoir de sa main une félicité solide & naturelle. Il est constant néanmoins, que des biens, des Titres, des plaisirs chimeriques, sont recherchez du général des hommes, avec plus d’ardeur, que la satisfaction intérieure de l’ame, & le doux repos de l’esprit, qui découlent de la pratique de nos devoirs.

Il faudroit d’ailleurs, qu’une raison plus forte & plus éclairée animât les hommes ordinaires, pour qu’ils fussent en état [449] de calmer leurs passions, & de dissiper l’epais brouillard qu’elles excitent dans le cerveau, & qui nous derobent la vue de tout ce que la vertu a de plus beau & de plus attrayant. Peut-être nos Esprits forts se sentent-ils cette supériorité de raison, & cet amour pur & desinteressé pour le devoir. Je les en felicite ; mais, que veulent-ils que devienne la masse generale des hommes, qui joint un esprit foible à des sentimens vifs, & à des passions fortes & impérieuses ? Quel déluge de voluptez, de fraudes, & de violences, inonderoit toute la Nation en moins de rien, si l’on prêtoit l’oreille à ces Avocats de la mortalité de l’ame ? Les Loix n’y opposeroient qu’une foible digue. L’occasion de faire sa fortune, ou de se procurer un plaisir, en dépit de la vertu, ne manqueroit jamais d’être saisie toutes les fois, qu’on croiroit pouvoir se livrer à ses desirs, sans avoir rien à craindre. Quel motif en detourneroit le commun des hommes incapables de ce gout sublime pour la vertu, & persuader que les remords des méchans, aussi bien que la joye intérieure des vertueux, sont bornez par le tombeau, & deviennent ridicu-[450]les, si l’ame périt avec le corps.

L’opinion, qui borne toute notre existance dans cette vie, doit arrêter naturellement l’ame dans ses plus nobles entreprises, limiter ses vues, & les attacher à des objets grossiers & bas. Elle détrone la raison, éteint dans le cœur tous les sentimens nobles & héroïques, & rend l’homme le vil joüet & l’esclave infortuné de chaque passion.

Les sages du Paganisme étoient convaincus de cette vérité. De là ces fables, ces conjectures, & ces demi-preuves, qu’ils ont ramassées, pour rendre l’esprit humain accessible à l’Idée d’une vie future. C’étoit un foible rayon de Lumiere, enveloppé de tenebres de toutes parts. L’Evangile l’a fait briller comme une Lumiere pure, capable de réjouïr le cœur de l’homme, & d’y répandre la plus parfaite sérénité ; mais, cette vérité lumineuse choque la vue d’un petit nombre de foibles mortels, qui voudroient nous aveugler tous, & nous persuader, qu’on ne sauroit rendre un plus grand service à la vertu, qu’en tournant la Réligion en ridicule. ◀Livello 2 ◀Livello 1