Le Mentor moderne: Discours XLIII.
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Nivel 1
Discours XLIII.
Cita/Lema
--Res antiquæ Laudis &
Artis
Ingredior, sacros ausus recludere fontes. Je forme une entreprise, qui a mérité des Eloges chez les anciens, & j’ose m’ouvrir des sources sacrées.
Ingredior, sacros ausus recludere fontes. Je forme une entreprise, qui a mérité des Eloges chez les anciens, & j’ose m’ouvrir des sources sacrées.
Nivel 2
Il est plus que probable que les
prémiers Poetes ayent été trouvez dans les temples, & qu’ils
se soient servis de leur genie & de leurs talents, pour
embellir, & pour animer les ceremonies réligieuses. L’esprit
de la Devotion, & l’esprit de la Poesie, se sont échauffez
l’un l’autre ; & si la Devotion inspira aux hommes la
Poesie, c’est la Poesie qui a donné de l’éclat & de la vie à
la Devotion. De cette maniere, les plus nobles facultez de l’ame
furent employées aux plus nobles usages ; & la pureté du
cœur & l’élévation de l’esprit furent compagnes
inséparables, & l’on fut fort éloigné de les croire
incompatibles, comme il est arrivé dans ces derniers siecles.
Elles logoient d’ordinaire dans les mêmes ames, & se
prestoient un secours mutuel, pour avancer la gloire du maitre
de l’univers, & la félicité du
genre-humain. Je forme peut être une entreprise, qui est au
dessus de mes forces ; mais, je voudrois bien reclamer la
Poesie, pour ainsi dire, & la rammener à sa dignité
primitive. Si l’on pouvoit la détourner de la ligue qu’elle
paroit avoir formée avec les sens, & avec le vice, pour
l’allier de nouveau avec la Piété, elle pourroit fixer le
bonheur dans une Nation, & affermir les Rois sur leurs
Thrones. Si je ne craignois pas de pecher contre la modestie,
j’ôserois dire naturellement, que les vers ont pour moi un
charme irresistible ; mais, ce seroit me vanter d’avoir un cœur
tendre & généreux, qui sait se réjouir du bonheur des
autres, & s’affliger à la vue d’un vif tableau de leurs
infortunes : ce seroit m’attribuer une ame assez étendue pour
donner accès aux idées les plus nobles, que la nature puisse
nous fournir, & un esprit assez délicat pour en demesler
<sic> les beautez les plus déliées ; Enfin, ce seroit
vouloir faire croire aux hommes, que je sais entrer dans tous
les secrets de cet art admirable, & que mon cœur de concert
avec mon imagination sait puiser dans la Poesie ces plaisirs qu’on sent, mais qui échappent à l’expression.
Toutes sortes de Vers ont leur agrément, mais ceux, qui
expriment noblement les choses sacrées, sont les plus propres à
charmer un cœur, qui connoit le veritable prix de tous les
objets ; Les autres genres de Poesie promenent notre imagination
dans une prairie émaillée de flœurs, ou dans un jardin
délicieux : ils nous rafraichissent par des sephirs agreables,
ou nous égayent par le murmure des fontaines, ou par le chant
mélodieux des oizeaux ; ils peuvent nous transporter, dans les
cours des Rois, ou dans les armées des Conquérants, & offrir
à nos yeux éblouis des Couronnes, des sceptres, des guerriers
rangez en bataille, & des Heros intrépides couverts d’acier
brillant. Mais, la Poesie sacrée nous place devant le Throne de
Dieu lui-même ; elle nous entoure de tout ce qu’il y a de saint
& de vénérable ; & aux charmantes émotions, que d’autres
sortes de vers peuvent exciter, comme elle, dans les cœurs, elle
joint des sentimens de respect, & d’étonnement, qui nous
aggrandissent, dans le tems, qu’ils nous corrigent. Par une
douce autorité, elle détourne nos pensées &
nos actions, de tout ce qui est vicieux & bas, & elle
nous donne de nous mêmes des idées grandes & nobles, en nous
mettant dans la présence du souverain du monde, & dans la
compagnie des Esprits bienheureux, & des Anges toujours
occupez à célébrer la gloire de leur Créateur. Outre les plaisirs sensibles, que ce genre de
Poesie est capable d’exciter en nous, il a encore un avantage
qui l’éleve au dessus de tous les autres : en nous plaçant dans
le palais du maitre de l’univers, il nous met sous la protection
de cet Etre, qui nous couvre de sa main invisible, & qui
nous rend tranquilles possesseurs de la joie pure dont nous
jouïssons. Nous trouvons un azile dans nos plaisirs mêmes, &
ce qui nous réjouit devient notre sureté. Se peut-il donc qu’un
cœur animé du feu poetique ne s’ecrie point, avec la noble
ardeur du plus grand de tous les poetes, Je te magnifierai, O
Seigneur, mon Roi, & je louerai ton nom à jamais. La plûpart
des gens conviennent sans peine de la supériorité
de la Poesie sacrée sur la profane, par rapport à l’utilité
qu’on peut tirer de l’une & de l’autre ; mais, ils n’ont pas
l’esprit assez fort, ni le cœur assez bien placé, pour croire la
premiere aussi fertile en fleurs, qu’en fruits ; aussi feconde
en délices, qu’en avantages réels. On relegue les vers pieux
dans le sérieux de l’âge avancé : on les condamne à une rélieure
noire, & on ne les croit propres, qu’à paroitre le Dimanche,
& dans les jours de fête. On ne s’imagine point, qu’ils
puissent être du ressort d’un jeune-homme, d’un homme enjoüé,
d’un homme riche. On ne s’imagine point, que les plaisirs, qui
en découlent, soient capables de contrepeser un bal, ou un
opera, ou de flatter le gout de ceux qui aiment le beau en
matiere d’esprit, & qui sont charmez des heureux efforts
d’un grand génie. On sentiroit jusqu’à quel point on pousse les
travers d’esprit à cet égard, si l’on vouloit bien raisonner sur
ce sujet comme sur mille autres. La poesie qui nous fait le plus
de plaisir, c’est celle qui nous touche le plus ; & il n’y
en a point qui soit plus propre à nous toucher, que celle qui
roule sur les sujets qui nous intéressent le plus
fortement. De là vient cette regle du Poeme Epique, que le sujet
en doit être tiré de l’Histoire du pais, pour lequel on le
compose. C’est ainsi qu’Homere a chanté Achille parmi les
Descendans d’Achille, & que Virgile à addressé à Auguste les
voyages de son Héros, qui passoit pour le fondateur de l’empire
Romain. S’ils avoient pu troquer de matieres, ils n’auroient pas
atteint, chacun dans sa patrie, à ce haut dégré de réputation,
quoique ils eussent obtenu la même estime chez les Nations
étrangeres. Quoi ! avons-nous moins d’amour pour nous, que les
Grecs & les Latins ? Ne saurons-nous pas le moindre gré à un
homme, qui détache nos cœurs de la terre étrangere, que nous
habitons pour un temps, & qui nous donne les plus hautes
idées de notre véritable Patrie ? D’ailleurs, tous les autres
genres de Poesie s’arrêtent au bord du sepulcre : il n’y a que
la Poesie sacrée, qui puisse passer avec nous dans le séjour de
l’immortalité. Elle ne change pas de nature ; mais, elle
acquiert seulement de nouveaux degrez de beauté & de force,
pour mériter d’être confondue avec le langage des
Cherubins & des Séraphins. Elle brillera encore, quand on ne
se souviendra plus du soleil & de la Lune : elle aura la
même durée que l’Eternité, & fera une partie essentielle de
la félicité céleste. Il y a ce me semble une liaison assez
étroite entre les Réfléxions, qu’on vient de voir, & la
lettre suivante, qui mérite l’attention du public. Lettre a
l’Auteur.
Nivel 3
1J’ose entamer la plus noble
matiere, Mon génie est fier de son choix,
Je vais chanter celui, qui me donna la voix.
Dans la source de la lumiere,
Où penetrent les Bienheureux,
Mon esprit puisera ses feux :
Mon ame va s’ouvrir des vues
Aux savantes Sœurs inconnues ;
Une sainte temerité
M’abime dans l’Eternité.
Bergers, Heros, sortez de ma mémoire,
De l’Eternel je celebre la gloire ;
Ce grand sujet subsistera
Lorsque le monde périra.
Déja les tenebres sont prêtes
A plonger dans l’oubli les Rois, & leurs Conquestes.
Pour moi, j’embrasse dans mes vers
Plus que ne contient l’Univers.
Mondes, qui roulez sur nos têtes,
Soyez attentifs à mes airs
Et vous accoutumez à d’éternelles fêtes :
Vous, esprits purs, joignez y vos concerts,
Rendez ma voix plus forte, plus touchante,
C’est votre Roi, c’est le mien, que je chante.
Je vais chanter celui, qui me donna la voix.
Dans la source de la lumiere,
Où penetrent les Bienheureux,
Mon esprit puisera ses feux :
Mon ame va s’ouvrir des vues
Aux savantes Sœurs inconnues ;
Une sainte temerité
M’abime dans l’Eternité.
Bergers, Heros, sortez de ma mémoire,
De l’Eternel je celebre la gloire ;
Ce grand sujet subsistera
Lorsque le monde périra.
Déja les tenebres sont prêtes
A plonger dans l’oubli les Rois, & leurs Conquestes.
Pour moi, j’embrasse dans mes vers
Plus que ne contient l’Univers.
Mondes, qui roulez sur nos têtes,
Soyez attentifs à mes airs
Et vous accoutumez à d’éternelles fêtes :
Vous, esprits purs, joignez y vos concerts,
Rendez ma voix plus forte, plus touchante,
C’est votre Roi, c’est le mien, que je chante.
Nivel 3
Carta/Carta al director
Monsieur. « Vous nous parlez
souvent de l’utilité, que pourroit tirer le genre-humain
des efforts d’un Beau genie appliquez aux sujets de la
Religion ; mais, vous ne feriez pas mal ce me semble
d’en faire naitre l’envie aux Esprits supérieurs en leur
faisant sentir avec force, que de s’habituer à écrire
dans le vrai gout de la vertu c’est le moyen d’aggrandir
l’ame & de lui donner plus d’étendue. Je viens de
lire les plaintes de David sur la mort de Saül & de
Jonathan ; & ce qui me plait sur tout dans cette
excellente piece, c’est qu’au travers de la douleur de ce grand homme, on ne remarque pas
la-moindre etincelle de la joie secrette, qu’un autre à
sa place auroit senti, en se voyant délivré de ces
puissans obstacles, qui sembloient lui barrer le chemin
du Throne. Quand on lui porte la nouvelle de la mort de
Saül, il oublie, que ce Prince a été son plus cruel
persécuteur, & il ne se souvient que de tout ce qui
peut rendre la mort de ce Roi amere & douleureuse.
Avec quel feu
les grandes qualitez de Saül ne sont-elles pas
dépeintes, par un homme contre la vie duquel il avoit
dressé tant d’embuches ? Quel desintéressement, quelle
noblesse, ne voit-on pas dans ce tableau ? Mais, le
sublime disparoit, dès que le poete commence à faire
mention de Jonathan à part. Trop affligé, pour dépeindre
le mérite de cet ami, & les services importants,
qu’il en avoit reçus, il n’est occupé que de sa seule
tendresse pour lui ; & la tendresse ne s’exprime
point par des termes pompeux. Dans
l’esprit de cet homme selon le cœur de Dieu, la
grandeur, & la Majesté, étoient des
biens méprisables, au prix de l’étroite amitié, qui
l’avoit lié à un homme du plus grand mérite, à un ami
qui venoit d’être arraché à sa tendresse. Quand il pense
à leur amitié mutuelle, il ne s’exprime qu’en
exclamations interrompues : il ne songe point même
directement aux grandes qualitez de Jonathan, par ce
qu’il ne sent dans un moment si triste, que l’ardeur
& la constance dont ils se sont aimez l’un l’autre.
J’ai pris la liberté de vous communiquer mes réfléxions
sur ces passages, non seulement par ce que j’y trouve
l’Eloquence la plus pathetique, mai <sic> sur-tout
par ce qu’ils expriment les sentimens les plus vertueux
qui méritent bien plus la considération d’un Mentor
moderne, que ne font les agremens & la force du
stile. »
Nivel 4
O Noblesse d’Israel,
ceux, qui ont été tuez sont sur tes hauts lieux ;
comment sont tombez les hommes forts ? Ne l’allez
point dire dans Gath, & ne le publiez point dans
les places d’Ascalon ; de peur que les filles des
Philistins ne s’en rejouissent, de peur que les
filles des incirconcis n’en tressaillent de joye.
Montagne de Guilboah, que la rosée & la pluie ne
tombent point sur vous, ni sur les champs, qui y
sont haut clevez ; parce que c’est là, qu’a été
jetté le Bouclier des forts, & le Bouclier de
Saül comme s’il n’eut point été oint d’huile. Saul
& Jonathan, aimables & agréables dans leur
vie, n’ont été separez dans leur mort.
Ils étoient plus legers, que les Aigles ; ils
étoient plus forts que les Lions. Filles d’Israël,
pleurez sur Saül qui vous revêtoit d’écarlate, qui
vous faisoit vivre dans les délices, & qui
chargeoit d’or vos vêtemens !
Nivel 4
Jonathan, mon frere, je suis dans
l’angoisse pour l’amour de toi. Tu faisois tout mon
plaisir : l’amour que j’avois pour toi étoit plus
grand que celui qu’on a pour les femmes.
1C’est ici une imitation de certains vers Anglois, qui servent d’Exorde à un Poeme, qui a pour sujet le dernier jour.