Le Mentor moderne: Discours XLII.
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Livello 1
Discours XLII.
Lettre a l’Auteur.
Citazione/Motto
O rus quando égo te aspiciam !
Hor. O campagne, quand te reverrai-je!
Livello 2
Metatestualità
Il y a dans la lettre suivante des
reflexions, des tableaux, & des Caracteres, qui sont
dignes d’être communiquez au public, qui aura la bonté de
s’en contenter pour aujourd’hui.
Livello 3
Lettera/Lettera al direttore
« Le tems de retourner à la
campagne approche, & mon imagination est entiérement
occupée & réjouie de tout ce qui a contribué à mon
bonheur, la derniere fois que j’y ai passé les plus
beaux mois de l’année. En vous donnant un détail de tous
les plaisirs, dont je jouis alors, je ne m’arreterai pas
beaucoup sur la verdure des prairies, l’ombrage des
bois, le murmure des fontaines, & le chant mélodieux
des Oizeaux : j’aime mieux vous tracer un tableau de
certaines délices particulieres, que j’y ai gouté, &
qui, quoiqu’ils ne soient pas entierement champêtres, me
font souhaiter avec ardeur de revoir les lieux qui me
les ont procurées. La seule maniere, dont j’y fus mené
suffiroit pour ravir un esprit plus assujetti que moi à
la vaine gloire. Pour moi, je puis dire seulement que je
n’y fus point insensible : &, dans le fond, c’est
quelque chose d’assez agréable, que de se donner des
airs panchez, dans une Caleche dorée, qu’emportent six
chevaux fringants ; de charmer tous
les bourgs par où l’on passe, & d’être charmé de
l’admiration, qu’ils marquent pour un si superbe
équipage. La Terre en question, où je fus conduit par le
Maitre même, offre d’abord aux yeux une maison, qui a
été jadis un chateau de défense, & qui a beaucoup
souffert de la fidélité de ses propriétaires pour leur
Prince. Les debris de quelques remparts, & de
plusieurs tours, produisirent sur mon imagination un
effet plus agréable, que n’auroit pu faire l’éxacte
proportion de l’Edifice le plus magnifique. C’est ainsi
que je regarde avec autant de plaisir le visage d’un
vieux soldat défiguré par de nobles cicatrices, que le
teint éclattant de la plus belle femme. Comme ces ruines
rappelloient à mon esprit une idée generale des
calamitez, que nos dernieres guerres civiles ont
attirées à la Nation, je me sentis un desir ardent de
savoir un détail éxact des événemens particuliers, dont
mon nouveau sejour pouvoit avoir été la triste scene.
Tout près de la maison il y a un Parc
agréable, au de là de toute description poetique, &
dont une partie est inaccessible à des gens qui n’ont
pas le courage de franchir des fossez & de grimper
sur des ruines. C’étoit là ma retraitte favorite, &
je l’avois entierement consacrée à l’Amour & à
Phæbus. Après avoir commencé par addresser mes vœux à la
Déesse que j’adore, je me placois sous un arbre & je
composois quelques stances, qu’étant de retour, je me
hazardois à montrer à quelques amis particuliers, qui
m’aiment assez pour cacher mes folies. Lorsque la verve
venoit me saisir, je soulageois d’ordinaire ma mémoire,
en ecrivant mes vers à la maniere des amants transis
qu’on trouve dans les Elegies & dans les Eclogues.
Tantôt, à laide <sic> de mon Canif j’imprimois mes
productions sur l’écorce d’un jeune arbre
en grands Caracteres, afin qu’ils crussent de jour en
jour, comme je supposois, qu’il arriveroit à ma
tendresse. Un jour entre autres je voulus placer quelque
vers hors de la portée des envieux, sur une des branches
les plus élevées d’un Hêtre ; mais, dans le tems que j’y
étois occupé, le rameau sur le quel mes Pieds
s’appuioient manqua, & voilà mon Poete qui tombe la
teste <sic> la premiere dans un canal. Je fus plus
de quinze jours, avant que de pouvoir me remettre dans
la véritable disposition d’un amant transi ; & je
n’y aurois jamais réüssi, si je n’avois aidé les efforts
de mon imagination par les plus tendres passages de
Cassandre, & de Cleopatre. Voilà les plaisirs, que
je goutois en plein air ; & voici ceux, que me
fournissoit la maison même. J’avois le bonheur de
coucher dans une chambre, où il y avoit un trou, qui
donnoit dans un souterrain pratiqué, autrefois, selon
une tradition constante, pour ménager une communication,
entre les habitants austeres d’une Abbaie, &
d’autres créatures humaines, qui n’avoient
point fait vœu de chasteté. Il faut être aussi
Philosophe que moi, pour ôser passer la nuit dans cet
appartement, & tout le monde admiroit mon
intrepidité. Le Frere du Concierge m’asseuroit même, que
couchant là autrefois il avoit vu les esprits des
Chanoines defuncts entrer & sortir par la sus-dite
ouverture & marquer encore pendant toute la nuit
leur attachement pour les plaisirs de la chair. Je n’ai
jamais ôsé révoquer ce fait en doute ; car, quand je
n’en écoutois pas le récit d’un visage serieux, &
avec un air de conviction, il me rioit au nez, & me
regardoit avec tout le mépris, qu’on doit au plus
incredule de tous les Libertins. Il est certain
pourtant, que le seul être animé, qui me soit jamais
venu voir par cette ouverture effraiante, c’étoit un
hibou blanc tres aimable, & dont la visite me fit
tant de plaisir que je résolus de le faire prisonnier, à
condition pourtant de ne le laisser manquer de rien. Je
m’insinuai bientôt dans ses bonnes graces, en lui
procurant des vivres en abondonce, & dans peu de tems nous fumes les meilleurs amis
du monde. Cet Animal a dans les yeux un brillant si vif,
& dans tout le tour de son espece de visage quelque
chose de si ressemblant à une Physionomie humaine très
fine, que je ne pouvois jamais me lasser de l’examiner
avec attention. Néanmoins, le plaisir que je goutois
dans sa compagnie étoit troublé de tems en tems par une
petite refléxion mortifiante. L’Hibou est, comme vous
savez, l’oizeau de Pallas, & je craignois que ma
familiarité avec le favori de cette Déesse ne fournît
aux Philosophes & aux beaux-esprits un ample sujet
de me railler sur ma présomtion. Ce seroit bien pis
encore, s’ils savoient, que j’ai du gout pour les chats
tout autant que Feu Montagne, & s’ils en vouloient
inférer, que je brigue par là une réputation aussi
étendue que la sienne. Cette conséquence seroit très
fausse, en vérité : mes penchants pour ces animaux n’est
point un effet de mon orgœil, & il me semble que
j’aurois tort de m’en cacher. Ne suis-je pas trop
heureux, de pouvoir satisfaire mes
caprices à petit frais, & de n’être pas reduit par
la bisarrerie de mon gout à de grandes dépenses ? Ce qui
donnoit un nouveau charme à tous les plaisirs, dont je
viens du vous faire la description, c’est qu’ils étoient
assaisonnez par les manieres de Seigneur de cet agréable
chateau. Il laissoit jouïr ses amis d’une liberté
entiere, & il auroit été difficile à un étranger de
démêler parmi eux le maitre de la maison. Chacun entroit
dans la compagnie & en sortoit, comme il le jugeoit
à propos : on dinoit dans la salle avec les autres, si
l’on vouloit ; ou bien dans sa chambre, lorsqu’on étoit
condamné à la solitude, par la Ratte, ou par un desir
d’etudier. Il arrivoit meme quelquefois, que chaque
membre de notre petite société prenoit un chemin à part,
pour se promener à pied, ou à cheval. C’étoit là les
vrais moyens de ne nous trouver jamais ensemble, que
lorsque nous étions de bonne humeur, & que nous
avions un desir égal de joïr du reste de la compagnie.
Je suis &c. »
Eteroritratto
Ne trouvez pas
mauvais, Monsieur, si j’ôse avilir ici
mon récit, en faisant mention d’un barbier de
Village, à qui je m’addressai, pour être instruit à
fond, de ce petit détail Historique. Tout barbier
qu’il est, c’est un Illustre dans son espece : il a
une connoissance très étendue de toutes les
particularitez de sa Province ; & il mérite de
tenir son Rang avec ces Barbiers fameux, qui étoient
les Historiens ambulans chez les anciens Romains. Je
m’en servis aussi plutôt pour son habileté dans ces
matieres, que pour la legereté de sa main ; &
vous allez voir que je n’avois pas tort, puisque
c’est uniquement par son moyen que tout le bourg
conserve le tradition authentique de tout ce qui
s’est passé de considérable aux environs, du temps
de nos Gueres civiles. Il est vrai que la grande
volubilité de sa langue me le rendit d’abord un peu
suspect ; mais j’ai trouvé dans la suite, qu’il
étoit aussi ennemi du mensonge, que le peut être un
grand parleur. La premiere fois qu’il vint pour me
razer, il me salua du razoir à peu près comme un
officier de Cavalerie salue de l’Epée. Il s’acquita
de cette cérémonie, en faisant
pirouetter ses armes à l’entour de mon nez de très
près, mais sans toucher pourtant ; & je crus
d’abord que c’étoit plutôt le préparatif d’une
incision, que de la destruction de ma Barbe. Je fus
bîentot desabusé : mais, je le priai, pourtant de
supprimer une autrefois ces marques d’une addresse
aussi inutile, que dangereuse ; &, en ramassant
toute mon éloquence, j’eus le bonheur d’obtenir de
lui ce que je prenois la liberté de lui demander. A
mesure qu’il joüoit du razoir, il m’informa de
l’origine de la plûpart des familles du voisinage,
en suppléant par des conjectures très subtiles, à ce
qui pouvoit manquer à la tradition. De là le passage
n’etoit pas difficile aux particularitez dont je
souhaitois d’être instruit ; &, depuis ce tems
là, il venoit m’en continuer le récit trois fois par
semaine. Quand l’image de quelque combat rendoit son
discours véhement, sa main guerriere répondit aux
grands mouvemens de son eloquence, avec une très
cruelle éxactitude. Après avoir été razé, je pouvois
découvrir sans peine à quel endroit de mon visage la narration avoit été paisible ;
& à quel autre, il s’étoit agi de sang & de
carnage. Un geste si expressif ne me faisoit pas
trop de plaisir, comme vous pouvez croire ; mais,
par bonheur il y a déja longtems que je me suis
accoutumé à exposer mon corps pour l’amour de mon
esprit. Dans toutes les visites qu’il me rendoit, à
peine m’avoit-il emporté la barbe avec une bonne
partie de ma peau, & mis le premier appareil à
mes petites blessures, avec une habileté digne d’un
barbier qui s’arroge en même tems le titre de
Chirurgien, que je le menois à la promenade avec
moi, dans une allée qui faisoit le tour du Chateau.
Tout en chemin faisant, il m’informoit dans quel
lieu quelque personne distinguée d’entre les
assiégeans, ou d’entre les assiégez, avoit reçu
quelque blessure, ou fait quelque action d’éclat. Il
me conduisoit d’ordinaire dans l’endroit même, où la
chose s’êtoit passée, au hazard de me casser le cou,
en passant par dessus les ruines, ou bien en
escaladant les vieux remparts. Il paroissoit croire
qu’il n’étoit pas possible d’avoir une idée complette de la chose, à moins que de se
trouver sur le champ de bataille même ; & je
puis vous assûrer que dans ces entreprises j’ai
receu <sic> autant de contusions, que le plus
hardi d’entre ceux, qui contribuerent le plus à la
prise de cette forteresse. Ce n’étoit pas encore la
seule maniere dont mon Historien se servoit pour
étendre ses instructions ambulatoires : il les
allongeoit d’un nombre infini de Digressions, &
d’Episodes, afin de donner toujours un tour nouveau
à ses récits ; & cette Oeconomie étoit
certainement très sage. Il prévoyoit fort bien, que
dès qu’il auroit fait avec moi en qualité de
Precepteur, je n’en voudrois plus dans sa qualité de
barbier : Dans mes promenades solitaires, je ne
pouvois jamais jetter les yeux sur cet amas mal lié
de batimens Gothiques, sans songer à ces chateaux
que dans ma jeunesse, j’avois vu dans les Romans
& dans lesquels des Géants demesurez tenoient en
prison des chevaliers & des Princesses jusqu’à
ce qu’ils fussent délivrez par le Demoisel de
l’ardente Epée à qui la sage Urgande reservoit cette
Avanture.
Livello 3
Tantôt gravant sur le
sable Le nom de Dorinde & le mien,
Je trouvois insupportable,
Qu’un Sephir impitoyable
En passant n’en laissât rien.
Je trouvois insupportable,
Qu’un Sephir impitoyable
En passant n’en laissât rien.