Le Mentor moderne: Discours XL.
Permalink: https://gams.uni-graz.at/o:mws.6476
Nível 1
Discours XL.
Citação/Lema
Non his juventus orta
parentibus
Infecit æquor sanguine Punico. Horace. Ce n’étoient pas de jeunes gens, comme les nôtres, qui ont soutenu l’Empire Romain.
Infecit æquor sanguine Punico. Horace. Ce n’étoient pas de jeunes gens, comme les nôtres, qui ont soutenu l’Empire Romain.
Nível 2
Je ne croi pas avoir senti de mes
jours une pitié plus vive, que celle qui vient d’etre excitée
dans mon cœur, par une lettre que j’ai receue d’une Démoiselle,
qui n’a pas encore dix-neuf ans. Que deviendrai-je ? dit-elle,
ou fuirai-je ? Il me trompe, il me deshonore, il m’abandonne. Au
reste, il n’y a rien de particulier dans l’Histoire de ses
malheurs ; & la licence, qui regne despotiquement dans notre
âge, en a rendu tous les incidents très communs. L’amant, qui a
immolé cette pauvre victime à ses desirs criminels, est d’une
fortune trop considérable pour que la pauvre demoiselle dût
jamais esperer d’en faire son Epoux. Malheureusement sa vanité
s’est liguée, contre elle, avec la fourberie de son amant.
Voilà le piege presque inévitable, que la jeunesse, &
l’amour-propre tendent avec trop de succès à de pauvres filles
qui ne sont pas entourées, pour ainsi dire de la vigilance d’un
Pere, & d’une Mere, & qui n’ont aucun secours à attendre
de la protection de parents accreditez. Elles raisonneroient
bien autrement, si elles connoissoient comme moi l’insolence,
qui accompagne une grande fortune, & qui devroit leur
inspirer la derniere horreur. C’est cette fortune, qui dans
l’esprit dereglé du genre-humain decide de la vertu, ou du vice,
qu’on doit trouver dans une action. Une action est criminelle, si elle est commise par un homme de rien :
c’est une galanterie, si elle a pour auteur une personne d’un
rang distingué. Si cette proposition paroit outrée à quelqu’un,
il m’avouera du moins, que sans la fortune, l’innocence est
destituée de tout secours, & qu’avec elle l’oppression &
la Tyrannie peuvent se promettre une parfaite impunité. Une
raison de cette force devroit porter toutes les jeunes filles
d’une médiocre condition à éviter absolument tout commerce avec
des gens, dont les trahisons peuvent trouver un asyle dans leur
bien & dans leur rang ; à des gens qui mettent dans leur
parti la mode, & les sentimens bas d’un peuple, qui bien
loin de vanger l’honneur d’une fille abusée la chargera de toute
l’infamie du crime. La personne, qui a reçu un affront si cruel,
s’attire un profond mépris, tandis que son perfide amant est
toujours sur le même pied dans le monde, & qu’il est
également bien reçu chez le beau sexe même, à qui sa presence
n’inspire pas seulement la moindre indignation. Ce qu’il y a de
plus triste dans ces sortes de desastres, c’est qu’ils tombent
d’ordinaire sur les personnes, qui ont le plus
d’agrément, & de mérite : souvent les plus nobles
dispositions à la vertu, servent de piege à une fille, & la
font donner dans le vice, pendant qu’une humeur farouche, un
défaut d’esprit & de politesse, entourent la vertu des
autres, s’il m’est permis de parler ainsi, d’un rempart
imprenable. En écrivant ceci, j’ai devant moi la triste lettre
de la demoiselle en question, & j’y découvre avec la plus
forte compassion, que toute dupée qu’elle est, elle n’est pas
encore desabusée sur le caractere de son amant.
Pauvre Demoiselle ! 1César rougir ! N’a-t-il pas vu Pharsale ? Un
homme, qui n’a pas honte de commettre la trahison la plus noire,
rougira-t-il quand on exposera à ses yeux une image de sa
conduite ? Sera-t-il touché d’un recœuil de réfléxions sur cette
matiere, & d’un petit discours sur la
volupté fait par un vieillard qui n’y est plus sensible. En
sera-t-il touché, lui, qui a été capable de dresser tout un plan
de fourberies, & qui absent de sa maitresse s’est laissé
échapper comme par hazard des éloges de la fidélité & du
desintéressement, afin qu’étant rapporté à sa dupe ils
facilitassent la ruine de son honneur ; lui, qui a employé plus
de tems à faire réüssir son infame dessein, qu’il ne lui en eut
falu pour se perfectionner dans un utile science ; Enfin lui,
qui a pu s’étourdir sur la probité, sur l’honneur, & sur la
conscience, uniquement pour jouïr de quelques instants
agréables ? Qu’on ne s’imagine point, que celui, qui triomphe de
la pudeur d’une fille bien élevée & dont le cœur n’est pas
gâté, soit entrainé dans ce crime par la fougue subite d’une
passion qu’il n’a pas le loisir de maitriser. Ce n’est point la
fragilité humaine, qui l’y porte comme malgré lui : Il gagne le
terrain pas à pas, & chacune de ses démarches est guidée par
une calme reflexion. S’il n’est pas encore au nombre de certains
scelerats achevés à qui le crime ne coute rien, il
en est d’autant plus coupable : tout en poussant son dessein
criminel, il doit avoir été traversé mille fois par des
sentimens d’honneur, & par les lumieres de sa raison ; mais,
il a eu la force abominable de rejetter ces avertissements
salutaires. Il s’est fait violence pour écarter ou pour éluder
ses scrupules, dans le tems qu’il sentoit en lui-même les plus
forts motifs à se rendre docile à une conscience, qui le
représentoit à lui même, comme un perfide, & comme le
traitre le plus lâche. Quel but veut-on qu’un homme vertueux se
propose, en attaquant de toutes ses forces un crime si odieux en
lui-même ? Quel effet peuvent produire les raisons les plus
évidentes, sur une race d’hommes, chez laquelle la honte a été
entierement détruite par la force presqu’invincible de la
coutume ? Pour moi, je n’attends de mes leçons aucun fruit
considérable, du moins de la part des gens du bel air, qui sont
déja asservis à la mode. Je ne laisserai pas néanmoins de
continuer mes réflexions sur un sujet si important, dans
l’espérance de les faire gouter à ceux, qui jusqu’ici n’ont pas
pris le parti funeste des maximes reçues, &
qui ont encore la liberté du choix entre la raison & la
vogue. Je ne sai pas de quelle maniere notre sexe s’y est pris ;
mais, il est certain, qu’il s’est arrogé un certain droit
d’exclure la continence de la liste de ses vertus, & que par
là les femmes, qui ôsent entrer dans une intrigue avec nous,
hazardent contre rien tout ce qu’elles ont de plus précieux. Dès
qu’elles l’ont perdu, il ne leur reste que des soupirs, des
larmes, & de vains reproches, qui sont incapables de frapper
seulement l’imagination des scelerats, qui les ont precipitées
dans un malheur réel, dans une réelle infamie. Je serois charmé
de remedier à un abus si dangereux ; &, comme mon seul
dessein est d’instruire les personnes dont la raison n’est pas
encore esclave de la mode, j’ôse recommander ici la Chasteté
comme une vertu mâle, pleine de dignité, & convenable à la
force d’esprit, dont notre sexe se fait une noble prérogative.
Ce qui me paroit excessivement déraisonnable, c’est que le prix
des autres vertus est fixé par le dégré des efforts qu’il faut
employer pour y atteindre, & que le moindre effort qu’un
homme peut faire pour parvenir à la chasteté est
considéré comme un pas dans la route du ridicule. C’est là le
bel effet des railleries brillantes de certains Beaux-esprits ;
mais qu’ils sachent, qu’en dépit de leur Turlupinades, la vérité
est toujours vérité ; que tout l’esprit du monde ne la fait pas
changer de nature ; & qu’il n’est pas capable de lui ôter la
moindre partie de la beauté, qui lui est essentielle. Quand je
serois sûr que ce discours seroit jetté au feu avec indignation
par certaines gens du bel air, je ne laisserois pas d’y
soutenir, que la chasteté d’un homme est une vertu heroïque,
& propre à relever les qualitez les plus grandes & les
plus nobles. Le moyen, par exemple, de ne pas admirer la
conduite du grand Cyrus ? Un de ses Courtisans, après lui avoir
tracé un tableau magnifique des charmes de la Princesse Penthée,
lui offrit de le conduire chez elle, pendant que ses grandes
affaires lui laissoient quelque loisir. Mais ce grand Prince,
quoique dans la force de son âge, ne se laissa point tenter par
une offre si dangereuse : il ne voulut point rebuter d’une
maniere offensante, cet indigne Courtisan, qui étoit un homme
distingué, & dont il pouvoit attendre des
services considérables ; mais, voici ce qu’il lui répondit, avec
autant de douceur que de bon sens, Je
pourrois citer encore ici un Alexandre, un Scipion, &
d’autres Héros, qui ne se sont pas moins distingués par l’empire
qu’ils exerçoient sur leurs passions, que par l’étendue de leurs
conquettes ; mais j’avoue que dans toutes mes Lectures je n’ai
rien trouvé de si merveilleux & de si grand à cet-égard, que
la Continence du Patriarche Joseph. Ayant gagné tellement les
bonnes graces de Potiphar, que, pour me servir des termes de
l’Ecriture sainte, il fut assez malheureux pour exciter des
desirs criminels dans le cœur de la femme de son Maitre. Mais,
lorsque cette femme impudique a le front de le solliciter de
souiller le lit de Potiphar il lui répond ainsi avec la fermeté
la plus noble : La même
raison, qui auroit porté un esprit bas & lache à commettre
ce crime, est justement celle qui en détourne Joseph; je veux
dire la confiance, que Potiphar avoit en lui, & la facilité
de l’offenser impunément. Des exemples de cette nature devroient
faire naturellement de fortes impressions sur l’un & sur
l’autre sexe, d’autant plus qu’une utilité presente fait valoir
dans cette occasion les interêts de la vertu. Est-ce s’aimer
soi-même d’une maniere un peu sensée, que de sacrifier la
tranquillité du cœur, la santé, la douceur du sommeil, &
tous les plaisirs innocens, à une passion, qui s’empare de
toutes nos facultez, qui ferme notre ame à tous les sentimens
dignes de l’excellence de notre nature, & qui concentre
toutes nos pensées dans un desir que nous avons en commun avec
les brutes ? Nous vivons dans un siecle, où generalement la
jeunesse de l’un & de l’autre sexe fait parade
d’un certain air évaporé, & d’un exterieur immodeste, qui me
paroit avoir sa source dans ce mépris dominant de la continence.
On diroit que cet extérieur étourdi déclare la guerre à tout ce
qu’on nomme grave & sérieux ; & c’est la prémiere chose,
qui nous frappe dans toutes sortes d’assemblées, jusques dans
les Eglises mêmes, où les gens du bel air ne semblent se trouver
que pour égayer la dévotion du peuple. On découvre cet air
immodeste, jusques dans les Garçons, & dans les jeunes
filles, qui commencent à se sentir, & qui imitent de leur
mieux les manieres des personnes plus avancées en âge, &
plus confirmées dans le bon air. Je n’entreprens point de
rectifier dans l’esprit de mes compatriotes une idée, qui rend
le bon air incompatible avec l’air sage ; mais, je déclare
ouvertement que je proteste contre les prétentions de toute
Créature humaine, qui, en faveur de cet extérieur hardi, veut
s’emparer du titre de galant-homme, ou de femme de mérite. Si
l’on se rit de ma Protestation, & si l’on s’obstine à ne
point gouter le Caractere que j’ai donné d’un mérite réellement
aimable, & digne d’estime, il ne me reste aucune ressource, sinon un certain bon mot de la façon de feu
Monsieur * Dryden. Un jeune-homme, qui venoit de voir
representer une Piece intitulée Cleomene, lui dit en se moquant
de la continence du Héros de la piece, que quand il étoit
tête-à-tête avec une femme, il savoit mieux employer son tems,
que ce General de Sparte.
Nível 3
Carta/Carta ao editor
J’ai de l’esprit, & de la
beauté, se disoit-elle apparemment ; &
le mérite d’une maitresse peut faire passer un honnête
homme par dessus la naissance, & la richesse.
D’ailleurs est-il naturel que j’évite le commerce d’un
homme de qualité, simplement par ce qu’il est homme de
qualité ? Et y a-t-il du crime à vivre avec lui avec la
même liberté innocente, dont j’agis avec les jeunes gens
de ma condition ? Mes compagnes condamnent ma conduite ;
je le sais : mais, ce n’est uniquement, que par ce
qu’elles regardent d’un œil d’envie l’estime, dont ce
jeune Seigneur m’honore.
Nível 3
Carta/Carta ao editor
Je lui connois, me dit-elle,
un cœur si genereux, & si sensible, que s’il lisoit
dans votre feuille volante quelques réflexions sur ce
sujet, il rougiroit de sa conduite, & que je crois
fort qu’il rentreroit en lui-même.
Citação/Lema
Si je m’y laisse conduire par vous, pendant que j’ai quelque
momens de loisir, la beauté de la Princesse pourroit bien
m’y conduire dans la suite, quand les soins que je dois à
mes Etats demanderont toute mon attention.
Citação/Lema
il lui avoit
remis tous ses biens entre les mains, sans entrer avec lui
en connoissance d’aucune chose, sinon du pain, qu’il
mangeoit,
Citação/Lema
Voici, mon Maitre n’entre dans aucune connoissance avec moi
des choses, qui sont dans sa maison, & il m’a mis en
mains tout ce qui lui appartient : il n’y a personne dans
cette maison plus grand que moi, & il ne m’a rien
defendu que toi, en ce que tu és sa femme.
Citação/Lema
Cela se
peut, Monsieur, lui répondit froidement le Poëte ; mais
aussi, vous me permettrez de vous dire, que vous n’êtes pas
un Héros.
1C’est un vers du Caton Anglois.