Le Mentor moderne: Discours XXXV.
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Discours XXXV.
Citation/Motto
1Omne tulit punctum, qui
miscuit utile dulci.
Celui qui brille dans la pointe sait mêler l’utile à l’agréable.
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Je viens de recevoir une Lettre qui
contient l’Apologie des pointes & des
quolibets. L’Auteur en plaide la cause avec toute l’addresse
possible ; & les raisons, qu’il allegue en leur faveur, sont
les moins mauvaises qu’il est possible de trouver dans un cas de
cette nature. Je suis bien aize poutant de voir qu’il ne les
défend que comme un secours de la conversation. Pour les
quolibets étudiez, & pour les pointes qui sortent de la
méditation, pour entrer dans le public par le moyen de la
presse, j’avoue qu’en matiere d’esprit je les regarde comme des
crimes impardonnables. Je trouve la même difference, entre
celles-ci, & d’autres, qu’on peut appeler des impromtus,
qu’entre une rencontre, & un meurtre prémedité. Lettre à
l’Auteur.
Level 3
Letter/Letter to the editor
« Vos ouvrages m’ont donné une
si haute opinion de votre bonne volonté pour le genre
humain, que je suis sur, que vous ne soufrirez pas,
qu’on méprise aucun art qui contribue au bien de la
société. Depuis longtems je vois avec chagrin, qu’il n’y
a aucune branche du bel esprit, qu’on ait
traité aussi indignement que les pointes ; & j’ose
croire, que je m’attirerai votre estime, en les mettant
sous votre protection, à l’abri de tout outrage ; Par là
je vous procurerai la satisfaction noble, que sent un
grand cœur en secourant les opprimez. Je me flatte de
n’avoir pas besoin d’un plus long préambule pour offrir
à vos lumieres mon Apologie modeste pour les pointes,
dans laquelle pourtant je ne me sers d’aucune équivoque
Sophistique, persuadé qu’il ne faut pour faire l’éloge
de ces heureuses trouvailles de l’imagination, que le
témoignage même de la verité & du sens commun leurs
ennemis jurez. Pour rendre cet Essai véritablement utile
& instructif, je fixerai l’étendue, & la nature
de la pointe ; j’étalerai les avantages qui en
découlent, les vertus morales dont elle est le principe,
& la propriété qu’elle a de renforcer le corps,
& de tranquilliser l’esprit. La pointe a été définie
ainsi par une personne qui apparemment ne l’amoit
gueres : c’est une espere de pensée, qui nait de deux
expressions, qui conviennent dans le son, & qui
different par rapport au sens. Si c’est là
l’essence de la pointe, pouvons-nous en estimer trop le
mérite ; puisqu’il est certain par cette définition
même, qu’elle constitue les parties les plus importantes
du savoir ? N’est-il pas certain, que presque toutes les
disputes savantes roulent plutôt sur des sons, que sur
des idées ? Toutes les controverses des Theologiens ne
concernent-elles pas les differens sons, qu’on peut
donner aux parolles ? Les querelles des Philosophes
n’ont-elles pas pour objet de simples expressions ? Et
qu’est-ce que c’est que leurs distinctions subtiles,
sinon certains moyens ingénieux de débrouiller des
termes equivoques ? Quand on vient de perdre son bien
dans la sale <sic> de Westmunster, on ne s’en
prend qu’à l’équivoque habilement mise en œuvre par
quelque Avocat rafiné. Lorsqu’un Monarque viole la foi
des Traittez, c’est la pointe seule, qui appuie ses
pretensions. Et telle est l’étendue de cet art, que
quand j’entre dans une Bibliotheque, je ne saurois
m’empêcher de me dire à moi-même, quel prodigieux amas
de volumes Herissez de pointes ! Lorsque je vois une
troupe de Négotiants, j’admire la
multitude des sectatems de la pointe ; &, en voyant
l’entrée d’un Ambassadeur, peu s’en faut que je ne
m’ecrie, Que la pointe a un equipage magnifique ! Que le
Cortege de l’Equivoque est superbe ! On peut inférer de
ce que je viens de dire, qu’on peut diviser
naturellement les pointes en sérieuses, &
burlesques. Ce n’est que les dernieres dans le fond que
je prétens recommander à mes Compatriottes, en exposant
à leurs yeux tous les fruits qu’elles sont capables de
produire. Il est certain d’abord, que la pointe est très
propre à nous faire entrer dans le génie de note propre
langue : il n’y a rien de plus évident. N’est-il pas
certain qu’elle fait sa grande occupation de parcourir
toute la langue, pour aller à la chasse des mots, qui
sont composez des mêmes lettres, quoiqu’ils expriment
une idée differente ? Dans cette chasse, tout en chemin
faisant, elle fait sa proie de la justesse & de
l’exactitude de l’Orthographe, qui d’ordinaire ne
tombent en partage qu’aux gens d’une condition médiocre,
dans le tems, qu’elles échappent à la plus
haute qualité, & à la plus basse Roture. Cet
avantage est tellement considérable, que pourvu qu’on
puisse procurer à la pointe une vogue générale, elle
nous épargnera plusieurs in Folio, dont les Grammeriens
à naitre menacent nos Neveux, si nous continuons à ne
pas prendre garde à la vraye manière d’épeller. Les gens
d’un savoir étendu brillent surtout dans cette sorte de
Bel-Esprit. Faut-il s’en étonner ? En quoi les savants
ne brillent-ils pas ? Si la pointe ne peut pas réüssir
en Anglois ils sont les maitres d’avoir recours au Latin
& au Grec, & je puis dire que j’ai vu des choses
miraculeuses de ce secret. J’ai vu le François se
linguer avec l’Allemand ; le Hollandois conspirer avec
l’Italien ; & une pointe ; du succès de laquelle le
Grec desesperoit, devenir piquante au dernier point dès
qu’elle eut touché à la Langue Hebraique. Mon grand ami
Theodore Babel, pour faire voir l’Etendue de ses talents
commence quelquefois une de ces belles pensées sous la
ligne2:
il la poursuit par tous les degrez de
Latitude ; &, après lui avoir fait faire le tour du
Globe, il se repose comme un autre Alexandre, afligé de
ce qu’il n’y a pas d’autres mondes à conquérir. Autre
avantage très considérable de la pointe. Elle est
extrémement propre à terminer les disputes, ou pour
m’exprimer dans d’autres termes, Rien ne détruit plus
efficacement la pointe serieuse, que la pointe
burlesque. Tout homme, qui va boire bouteille de soir,
fait qu’environ minuit les gens qui ne sont pas assez
ivres pour pleurer, ou pour se baiser, doivent
naturellement entamer quelque controverse. On s’échauffe
de part & d’autre, & souvent les mains
decideroient au défaut des Poumons, si quelque homme
habile & charitable n’arretoit les combattans tout
court, par un des bons-mots en question. Combien de fois
Des Cartes & Aristote n’ont-ils pas été reconciliez
par une spirituelle équivoque ? La vertu d’une de ces
faillies a souvent porté un Whig à donner la main à un
Tory, & une pointe dans l’expression semble
quelquefois emousser la pointe de deux Epées. Un esprit attentif est encore une autre
qualité caractéristique des Sectateurs <sic> de la
pointe. On le voit clairement dans l’inquiétude de toute
une compagnie où ils se trouvent, lorsqu’elle n’a pas
pris garde à quelque mot, du quel dépend le fin d’une de
ces subtilitez : Ajoutons que la pointe demande une
conception vive dans l’Auditeur qui doit rassembler dans
un instant les idées les plus incompatibles, &
qu’elle suppose dans l’Auteur une invention fertile
& riche, puisqu’en même son des Images, qui semblent
ne devoir se rencontrer jamais. De mille autres
avantages, qui naissent de la pointe, je n’en choisirai
encore qu’un seul, savoir la belle humeur ; mais, je
trouverai une occasion naturelle d’en parler, quand je
m’etendrai sur les effets qu’elle produit sur le corps
& sur l’esprit. Je ferai voir à présent les
influences qu’elle a sur les vertus morales, & je me
flatte de m’y prendre d’une manière si forte, & si
claire, que tous mes Lecteurs deviendront mes
Prosélites. Prémiérement, un diseur de pointe a le cœur orné de la vertu fondamentale
nommée humilité. Nos adversaires mêmes sont obligez d’en
tomber d’accord, puisqu’ils soutiennent arrogamment,
qu’un homme doit avoir des Idées bien basses de
lui-meme, quand il s’amuse à des jeux de mots. Aussi
puis-je vous assurer en conscience, Monsieur, que jamais
je n’ai donné là dedans par un Principe d’orgœuil, &
que je ne soupçonne aucun de mes confreres de briguer
par son talent une place dans le temple de mémoire. En
second lieu, l’art de faire des jeux de mots est un des
plus fermes appuis de cette espace de Politesse que les
anciens ont connu sons le nom d’Urbanité. L’essence de
cette vertu consiste dans le desir de plaire aux
compagnies où l’on se trouve : & quel autre dessein,
je vous prie, ont les diseurs des pointes ? Aussi
faut-il avoüer, qu’ils y réüssissent à merveilles. On
voit dans nos assemblées pointues une telle agitation
des flanes, un mouvement si convulsif dans tous les
membres, des contorsions si plaisantes, des efforts si
prodigieux pour ranimer un ris pirant
<sic>, qu’un homme, qui n’a que le sens commun, en
est dans la derniere surprise, & qu’il est contraint
d’avoüer, qu’il n’a jamais senti chez-lui-même
<sic> quelque chose de pareil. Mais, ce qu’il y a
de plus remarquable, c’est que les diseurs de pointes
font briller, sur-tout dans leurs séances, la justice,
la Reine de toutes les vertus. C’est là que tout homme
jouit avec une liberté parfaite de ce qui lui
appartient. L’ame est d’abord saisie de la joye qui doit
lui revenir de chaque bon-mot, & le corps en
reconnoit le mérite, par les mouvemens les plus
significatifs. Eh ! comment cette excellente vertu ne
régneroit-elle pas parmi des gens, qui ne rendent pas
seulement justice aux mots, mais encore aux syllabes,
parmi des gens, où personne n’usurpe le droit d’autrui,
& chez lesquels chaque membre marque son équité
naturelle, en se rejouissant tout autant des bons-mots
de son voisin, que de ses propres faillies ? On voit
aizement pur ce que je viens de dire que l’art de
badiner avec les mots doit donner de la force au corps,
& de la sérénité à l’esprit. Vous devez le savoir mieux qu’un autre, Monsieur, vous qui
dans une de vos feuilles volantes avez conseillé à vos
Lecteurs attaquez de la poitrine de frequenter ceux de
nos freres, qui sont douez d’une taille massive, &
d’un visage en forme de pleine Lune. Vous aviez bien
raison, Monsieur : notre joye doit produire de grands
effets, elle n’est pas de courte durée, &
d’ordinaire nous la remachons le jour aprez nos seances,
en réfléchissant sur tout ce qui nous diverti le plus
dans notre société comique. D’ailleurs, ce plaisir est
pur, & ne laisse après lui aucune amertume. J’en
appelle à toutes les personnes raisonnables, si l’on
peut sentir la moindre inquiétude de ce qu’on a excité
quelques combats entre les expressions & les idées,
& s’il n’y a pas mille fois plus d’innocence dans
cet amusement, que dans le plaisir malin qu’on goute, en
inspirant à son prochain un esprit de vangeance, en
affligeant son voisin par des Calomnies, ou en
augmentant ses richesses par la fraude. Pour ce qui
regarde la santé du corps, je crois pouvoir considérer
la pointe, comme la source du plus
salutaire de tous les exercices du corps. Les grand
eclats de rire nous dégagent de toutes les mauvaises
humeurs, & la circulation du sang aizée & vive,
qu’ils causent, fournit au flambeau de notre vie une
flame égale & pure. Je parle par expérience ; comme
c’est le devoir de tout homme, qui prescrit des remedes.
Un de mes amis, attaqué d’un fievre opiniatre, le
printemps passé, après avoir employé en vain des remedes
& des charmes, profita à la fin du conseil que je
lui donnai de s’associer à la bande des diseurs de
pointes. Il jetta d’abord par la fenetre toute une
boutique apothicaire, ota de son cou un papier
Mistérieux, qui connoit le fameux mot Abracadabra, &
simplement à force de badiner sur ce terme magique, il
se mit dans une petite moeuter, qui fut suivie d’un
agreable sommeil. Il est convalescent, à l’heure que je
vous parle, & il rencontre fort plaisamment à mon
avis, en disant, qu’il est moins redevable à la poudre
des Jésuites3,
qu’à leur doctrine touchant l’Equivoque.
Voilà, Monsieur, ce que j’appelle mon Apologie modeste
pour les Pointes. J’ai été d’autant plus animé à
l’entreprendre, qu’une de nos savantes 4Universitez en fait
grand cas, & que je sai de bonne part qu’une
Cotterie françoise l’a prise sous sa protection. Si cet
Essai vous agrée, je travaillerai encore à faire l’Eloge
du Rebus, & du Quolibet. J’ai éxaminé la nature de
ces sujets, selon toutes les regels de la Philosophie,
& j’ai fait une Expece d’arbre Poryphyrien de toutes
les subordinations de ce qu’on peut appeller le
bel-esprit roturier. Ce sera peut-être du haut stile
pour les Dames ; mais, en récompense, les galants en
tireront occasion de faire parade de leur savoir à la
toilette des belles.
1Comme cette Lettre roule sur les pointes, l’auteur a trouvé bon de mettre au dessus un vers Latin, qui sert de Rébus, en faisant allusion à Punn, qui veut dire Pointe en Anglois. Punica se quantis attollit gloria Rebus ; J’ai cru devoir l’imiter par le Vers d’Horace, qu’on voit ici.
2C’est à dire par les langues de tous les differens peuples de ces Climats.
3C’est le Quinquieme.
4Cambridge la Mere --