Le Mentor moderne: Discours XXXIV.
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Discours XXXIV.
Zitat/Motto
O! vitæ Philosophia Dux
virtutis indagatrix Cicer. O sagesse, guide de la vie,
source de la vertu !
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Brief/Leserbrief
« Monsieur, Mon inclination
m’a porté à passer le tems, que d’autres employent
d’ordinaire aux études, à parcourir
presque tous les Etats de l’Europe. Quoique par là je me
sois formé une idée assez étendue du cœur humain, dont
la connoissance est certainement d’une très grande
utilité, il m’a été impossible de seconder mon
expérience par les Lumieres qu’on acquiert dans les
Universitez, & dans le Cabinet. En passant par la
France, dans le dessein de retourner dans ma Patrie, je
m’ouvris là-dessus à un Genilhomme de ce païs-là, avec
lequel j’avois eu le bonheur de contracter une amitié
étroite. Après m’avoir écouté tranquillement il me prit
par la main ; &, au lieu de me répondre il me mena
dans son cabinet, il ouvrit un petit Coffre d’Ambre,
& il en tira une petite tabatiere remplie d’une
certaine poudre, qui, à ce qu’il me dit, lui avoit été
donnée, par un de ses Oncles, Auteur du Voyage par le
Monde de Des Cartes. En m’accablant de protestations
d’amitié & de reconnoissance, il m’en fit présent,
& il m’asseura <sic> qu’il ne connoissoit
point de moyen plus sûr & plus prompt d’enrichir
l’esprit de toutes sortes de connoissance, que cette
espece de Tabac, pourvû qu’on sût la
manière de s’en servir. Des Cartes, continua-t-il,
decouvrit le premier, qu’une certaine petite partie du
Cerveau appellée par les Anatomistes la Glande Pincale
est le domicile de l’ame ; que c’est là qu’elle reçoit
toutes les sensations, & que du haut de son throne
elle gouverne notre machine, par le ministere des
Esprits animaux, qui parcourent tous les nerfs, étendus
de cette Glande vers chaque partie du Corps. Ce
Philosophe, considérant le corps humain, comme une
espece d’Horloge, dont le mouvement, qui est nécessaire
pour la conversation de la vie, se fait sans le concours
de notre volonté, il se mit dans l’esprit qu’on pourroit
trouver un moyen de separer pour quelque tems l’ame
d’avec le corps, sans que cette séparation fût invisible
à la Machine. Il chercha soigneusement un secret si
merveilleux ; & il la trouva. C’est précisement la
poudre, qui se trouve dans cette tabatiere, & qui
prise par le nez dans une certaine dose ne manque jamais
de délier le nœud, qui ne tache l’ame à son propre
corps. Dès que cette opération est faite, ajouta-t-il,
on n’est plus aizé à cette ame, que de se
transporter, par la pensée, dans tous les lieux où elle
le trouve bon. Elle n’a qu’à choisir, & elle est la
maitresse de se fourrer dans la Glande Pineale du plus
habile Philosophe, & de contempler toutes les idées
qui roulent dans cet esprit éclairé ; ce qui est
assurément la méthode de se rendre habile la plus sure
& la plus courte, qu’on puisse s’imaginer. Vous
croirez facilement, Monsieur, que je n’étois pas assez
ennemi de moi-même, pour refuser la connoissance d’un
secret si utile. J’acceptai donc ce présent de mon ami,
avec un papier contenant la manière d’en faire usage,
& je lui en témoignai ma reconnoissance, par les
expressions les plus vives, que la politesse françoise
étoit capable de me fournir. Vous comprendrez sans peine
les plaisirs sensibles, que je dois avoir goutez, en
voyageant par les Glandes Pineales des Philosophes, des
Poetes, des Petitsmaitres, des Mathematiciens, des
Dames, & des Politiques. Tantôt je suis à la trace
un Theoreme de Geometrie, par un labyrinthe tortueux,
& par des routes, qui paroissent impraticables.
Tantôt je passe en revue les idées
sublimes d’un Philosophe, & je me les approprie,
sans me fatiguer, & sans aucune dissipation de mes
propres esprits animaux. Quelquefois je me plais à me
promener dans l’imagination d’un Poete, par les allées
d’un jardin magnifique, ou par une prairie émaillée.
D’autrefois, je vois avec ravissement une bataille
sanglante, qui se donne dans son cerveau, ou bien un
orage furieux, qui s’y leve. Souvent j’y goute les
délices d’une vie pastorale, les douceurs d’un amour
tendre & généreux ; & il arrive même je m’y sens
enlevé par les nobles transports de la dévotion. Quels
charmes, Monsieur, de suivre un génie véritablement
poetique dans ses opérations ! Je vois alors avec quelle
justesse elles ont été depeintes, par un de nos
compatriottes. Quand un Poete en son cerveau, Sourve
inépuisable du beau,
Trouve une mine de pensées
Fines, brillantes, & sensées,
Avec quel travail, quels efforts,
Il perce jusqu’à ces thrésors !
Que la satisfaction est entiere,
Quand il les ouvre à la lumiere,
Quand de la terre dégagé
Cet or avec soin arrangé,
Se montre à l’ouvrier avide
Epuré, fin brillant, solide ! Je me fais quelquefois un agréable amusement de descendre de ces idées magnifiques aux impertinences d’un petit-maitre, aux plans secs d’un Politique du Caffé, ou bien aux images flatteuses qu’un amour encore novice excite dans le cerveau d’une jeune fille. Pour me former une Notion éxacte de la félicité humaine, j’ai voulu éxaminer les sensations différentes, qui entrent dans l’esprit des hommes, qui cherchent leur bonheur par différentes routes. Après avoir fait mille essais là-dessus, je crus ne pouvoir pas mieux faire que de me glisser dans la glande Pinéale d’un de ces hommes, qui font profession d’aimer le plaisir, persuadé que je trouverois là l’essence de ce que je cherchois, ou que je ne trouverois nulle part ; mais, jamais homme ne fut plus étonné que moi, lorsque je vis évidemment la défectuosité des plaisirs, qui ne sont pas renfermez dans la sphere de la raison. Je trouvai chez cet homme les ressorts, qui servent à la réflexion entierement enrouillez & devenus inutiles faute d’exercice ; & ses sens me parurent emoussez, à force de servir. La parfaite inaction de ses facultez spirituelles le forçoit à prevenir ses desirs & le jettoit dans la volupté, avant que la passion l’y portât. Ce n’est pas tout, la volupté poussée à l’excès changeoit pour lui de nature, & au lieu de plaisir elle lui donnoit de la fatique & du dégout. C’est là que je vis la fougue de la jeunesse trop impétueuse, pour songer à jouïr de ce printems de l’ages & une viellesse <sic> prématurée accablée d’infimitez, & destituée du doux repos. Lorsque dans cet esprit les passions étoient agitées par quelque cause puissante, elles avoient beau se satisfaire : au lieu de calmer le cœur ; elles ne faisoient que le mettre à la --- en l’accablant d’un côté par le dégout & par le rassasiement ; & en l’animant de l’autre par le retour de quelque desir nouveau. J’ai vu quelquefois ce malheureux, en même temps agité par le souvenir de ces fautes passées, insensible à la volupté qui s’offroit à ses sens, & effrayé de l’idée de l’avenir. Dans cet état violent, il n’y avoit point d’autre ressource pour lui, que d’imposer silence à ses inquiétudes, en réveillant par force son gout létargique pour le plaisir, & en étourdissant sa raison. Mais, quoi qu’il eut presque réüssi à éteindre ce flambeau, que son Createur avoit allumé dans son ame, je voyois pourtant de tems en tems, en dépit de tous ses efforts, son esprit s’effrayer d’une splendeur subite, semblable à l’éclair qui sort d’une épaisse nuée dans une nuit obscure. Cette lumiere devenue afreuse pour lui, interrompoit souvent la satisfaction dont il tachoit de jouir, en se cachant à soi-même ses propres difformitez. Je vous dirai avant que de finir, que j’ai été présent encore à la formation d’un Livre nouveau dans l’esprit d’un Libertin. Je crois que vous ne serez pas faché d’entrer dans les principes cachez, dont sortit cette espece de Phénomene, & je ne manquerai de vous donner là-dessus une autrefois toutes les lumieres, que vous pouvez souhaiter. Je suis, &c. Ulisse Cosmopolite. »
Trouve une mine de pensées
Fines, brillantes, & sensées,
Avec quel travail, quels efforts,
Il perce jusqu’à ces thrésors !
Que la satisfaction est entiere,
Quand il les ouvre à la lumiere,
Quand de la terre dégagé
Cet or avec soin arrangé,
Se montre à l’ouvrier avide
Epuré, fin brillant, solide ! Je me fais quelquefois un agréable amusement de descendre de ces idées magnifiques aux impertinences d’un petit-maitre, aux plans secs d’un Politique du Caffé, ou bien aux images flatteuses qu’un amour encore novice excite dans le cerveau d’une jeune fille. Pour me former une Notion éxacte de la félicité humaine, j’ai voulu éxaminer les sensations différentes, qui entrent dans l’esprit des hommes, qui cherchent leur bonheur par différentes routes. Après avoir fait mille essais là-dessus, je crus ne pouvoir pas mieux faire que de me glisser dans la glande Pinéale d’un de ces hommes, qui font profession d’aimer le plaisir, persuadé que je trouverois là l’essence de ce que je cherchois, ou que je ne trouverois nulle part ; mais, jamais homme ne fut plus étonné que moi, lorsque je vis évidemment la défectuosité des plaisirs, qui ne sont pas renfermez dans la sphere de la raison. Je trouvai chez cet homme les ressorts, qui servent à la réflexion entierement enrouillez & devenus inutiles faute d’exercice ; & ses sens me parurent emoussez, à force de servir. La parfaite inaction de ses facultez spirituelles le forçoit à prevenir ses desirs & le jettoit dans la volupté, avant que la passion l’y portât. Ce n’est pas tout, la volupté poussée à l’excès changeoit pour lui de nature, & au lieu de plaisir elle lui donnoit de la fatique & du dégout. C’est là que je vis la fougue de la jeunesse trop impétueuse, pour songer à jouïr de ce printems de l’ages & une viellesse <sic> prématurée accablée d’infimitez, & destituée du doux repos. Lorsque dans cet esprit les passions étoient agitées par quelque cause puissante, elles avoient beau se satisfaire : au lieu de calmer le cœur ; elles ne faisoient que le mettre à la --- en l’accablant d’un côté par le dégout & par le rassasiement ; & en l’animant de l’autre par le retour de quelque desir nouveau. J’ai vu quelquefois ce malheureux, en même temps agité par le souvenir de ces fautes passées, insensible à la volupté qui s’offroit à ses sens, & effrayé de l’idée de l’avenir. Dans cet état violent, il n’y avoit point d’autre ressource pour lui, que d’imposer silence à ses inquiétudes, en réveillant par force son gout létargique pour le plaisir, & en étourdissant sa raison. Mais, quoi qu’il eut presque réüssi à éteindre ce flambeau, que son Createur avoit allumé dans son ame, je voyois pourtant de tems en tems, en dépit de tous ses efforts, son esprit s’effrayer d’une splendeur subite, semblable à l’éclair qui sort d’une épaisse nuée dans une nuit obscure. Cette lumiere devenue afreuse pour lui, interrompoit souvent la satisfaction dont il tachoit de jouir, en se cachant à soi-même ses propres difformitez. Je vous dirai avant que de finir, que j’ai été présent encore à la formation d’un Livre nouveau dans l’esprit d’un Libertin. Je crois que vous ne serez pas faché d’entrer dans les principes cachez, dont sortit cette espece de Phénomene, & je ne manquerai de vous donner là-dessus une autrefois toutes les lumieres, que vous pouvez souhaiter. Je suis, &c. Ulisse Cosmopolite. »