Citation: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Ed.): "Discours XXXIII.", in: Le Mentor moderne, Vol.1\033 (1723), pp. 307-314, edited in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): The "Spectators" in the international context. Digital Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4064 [last accessed: ].


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Discours XXXIII.

Citation/Motto► Mores multorum vidit.

Il a examiné les moeurs de plusieurs peuples. ◀Citation/Motto

Level 2► Un pauvre vieillard, qui voudroit bien puiser dans la raison toutes ses idées, & appuier tous ses discours sur la réfléxion, & sur l’expérience, se doit trouver bien mal à son aise, quand il se voit engagé dans une conversation avec [308] une troupe babillarde de jeunes Dames. Je me suis trouvé dans le cas, il y a quelques jours. Pendant la premiere demi-heure l’entretien étoit si tumultueux, & si irrégulier, qu’il étoit presque impossible de découvrir de quoi il s’agissoit, & qui étoit la plus grande diseuse de rien de la compagnie : toute la conversation ne consistoit presque, que dans les mouvemens de l’éventail, dans des airs de têtes gracieux, & dans toutes les differentes manieres de rire agréablement. Enfin, ces jolis moyens de briller, & d’avoir de l’esprit, commencerent à accompagner des paroles articulées ; & quelque chose, qui ressembloit un peu à un entretien, sembla rouler, sur ce qu’on appelle galant-homme, ou cavalier, qui se distingue par des manieres nobles & polies. Des differents Caracteres qu’on traça sur ce sujet, & du mépris qu’on marquoit pour certaines gens qu’on nomma, il ne me fut pas difficile de conclure, qu’il n’est pas mal aizé de s’attirer l’estime du beau-sexe, & que toute la ville fourmille d’hommes, qui ont les manieres nobles. Dans une imagination femelle il ne faut pour ennoblir le caractere d’un Cavalier, qu’un pied bien tourné, un beau teint, une [309] belle perruque blonde, une chemise à dentelle, un habit brodé, un plumet, & des gands à franges d’or. Quelques-unes de ces belles qualitez seulement en font l’affaire, & c’est le tailleur, le Perruquier & la lingere, qui créent l’homme au dessus du commun. Un air sérieux & modeste, au contraire, un habit uni, des souliers massins, une veste, qui n’est pas doublée de soye, sont autant de bassesses, qui dégradent le cœur d’un homme à coup sur. Je ne pus m’empecher de sourire au discours d’une des plus aimables personnes de la compagnie, qui refusa le titre de Galant-homme à un certain Chevalier, parce qu’il porte un habit de gros drap, & qu’il déjeune tous les matin de pain roti, & de forte bierre. Je fis semblant d’être charmé du gout fin de cette aimable fille ; & je l’aidai à tourner en ridicule ces Campagnards rustiques, qui n’ont nourrir le corps. Pour appuïer son sentiment, je lui alleguai un Gentilhomme du pais de York que dans mes voyages j’avois vu à Paris, & qui étoit assez grossier, pour régaler le matin ses bons amis de bœuf froid, & de bierre de Bronswyk. Il falloit voir, ajoutai-je, [310] comme il fut raillé sur son bœuf roti, & sur son pudding, par un petit Marquis François, qui, dans le tems que notre homme avaloit avec un appetit stupide la moitié d’un Aloyau, épluchoit la cuisse d’une Grenouille, ou cherchoit quelque truffe dans un ragout. Je m’apperçus, sans peine, que la belle me savoit gré de mon conte, & nous nous séparames très bons amis ; ce qui ne seroit pas arrivé, certainement, si je n’avois pas pris pour maxine, de ne jamais raisonner, ou disputer, avec une femelle d’une imagination vive. Je revins pourtant chez moi plein de très sérieuses Réflexions sur ce qui venoit d’arriver. Quoique j’eusse été assez poli pour deguiser mes sentimes, afin de ne pas troubler la belle humeur de ces Dames, & de ne point passer dans leur esprit pour un vieux Misantrope, poussé pourtant d’une véritable tendresse pour le beau-sexe je pris la Résolution de rectifier ses idées, & de lui tracer le véritable Caractere d’un Galant-homme.

Level 3► Lors qu’un habile sculpteur veut faire une belle statue, il ramasse dans son imagination tout ce qu’il peut y avoir de plus fini dans la figure humaine : il prend toujousr pour baze la Nature ; mais, au [311] lieu de l’imiter servilement, il fait tous ses efforts, pour la perfectionner. Je suis d’avis de suivre cet éxemple ; &, pour donnner une belle idée de ce qu’on appelle galant-homme, je ramasserai toutes les qualitez, qui peuvent entrer naturellement dans ce Caractere. Je supposerai d’abord, que dans un Galant- homme, ou dans un homme qui a les manieres polies & nobles, l’extérieur n’est qu’une image de la disposition de l’ame. Sur ce pied, je soutiens qu’un galant-homme doit être aussi propre à contribuer au bien de la société, que capable de faire les délices d’une compagnie. Je pose donc pour fondement du Caractere en question, toute la dignité, toute l’Elévation d’esprit, & toute la beauté des sentimens, dont la nature humaine puisse être susceptible. J’y ajoute encore une conception nette, une raison affranchie des Préjugez, un jugement solide, & des connoissances étendues. Quand je me represente le cœur d’un Galant-homme je me l’imagine intrepide dans le péril, vuide de toute passion déréglée, & rempli de sensiblité, de bonté, & de tendresse. Lorsque je me le depein par rapport à ses manieres, je le trouve modeste sans timidité, sin-[312]cere sans impertinence, affable sans adulation, obbligeant <sic>, & complaisant sans bassesse, vif sans étourderie, & enjoüé sans indiscrétion. Ce sont là des qualitez qu’il n’est pas fort aizé de se rendre propres ; & ceux, qui excellent dans cet art de plaire noblement, font un fort petit nombre : peut être même, que le Caractere d’un galant-homme est le plus rare de tous ceux qui s’attirent notre admiration.

Non seulement la Nature doit avoir formé exprès le cœur & l’Esprit d’un homme si aimable ; mais, il faut encore que ces talens, & ces sentimens ayent été formez & finis, pour ainsi dire, par l’Education la mieux ménagée, & la plus étendue.

Avant que d’être en état de briller dans le monde, il doit être instruit dans les principes de la Religion, avoir une idée juste de toutes les Vertus morales, & s’être fait une bonne provision de ce qu’on appelle Erudition polie. Il faut qu’il n’ignore pas ce qui se passe dans les Cours & dans les armées : il doit voyager, pour s’ouvrir l’esprit, pour en étendre les vues, pour connoitre la politique, & les interêts des differens états, [313] pour polir ses manieres, & pour se débarasser des préventions Nationales, dont tous les peuples ont leur bonne portion. A ces qualitez essentielles il doit joindre toutes les qualitez agréables, comme sont la connoissances <sic> des langues, & les exercices du corps, qui sont le plus en vogue : il ne faut pas même qu’il croye au dessous de lui l’art de se mettre bien.

Ce n’est pas une chose extraordinaire dans le monde, que de trouver un homme de probité, un homme d’honneur, un brave-homme, un homme d’esprit, un homme de Lettres ; mais, rien n’est plus rare qu’un véritable Galant-homme. C’est proprement un composé de tout le mérite, & de tout l’agrément, qui sont répandus, par petites doses, dans tout le genre-humain.

Un excellent Poete anime & assaisonne toutes les parties de son savoir, par le force de son genie : le brillant, & la vivacité de son imagination place dans le jour le plus avantageux, tout ce que lui fournit la Lecture, & sa raison. Il en est de même d’un Galant-homme : La politesse & l’agrément de ses manieres relevent & embellissent ses vertus & ses perfections. Tout ce qu’il fait, tout ce qu’il dit, est accom-[314]pagné d’un charme irrésistible, qui lui attire l’admiration, l’estime, & la tendresse de tous ceux, qui en sont les témoins.

Avertissement aux Dames.

La caleche dorée, la tabatiere d’or, les bas brodez, & les gands à frange, ne sont point des attributs essentiels d’un Galant-homme. Il lui est permis cependant de s’en servir, pourvû qu’il n’y jette les yeux qu’une fois par jour. ◀Level 3 ◀Level 2 ◀Level 1