Le Mentor moderne: Discours XXXIII.
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Discours XXXIII.
Zitat/Motto
Mores multorum
vidit. Il a examiné les moeurs de plusieurs peuples.
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Un pauvre vieillard, qui voudroit bien
puiser dans la raison toutes ses idées, & appuier tous ses
discours sur la réfléxion, & sur l’expérience, se doit
trouver bien mal à son aise, quand il se voit engagé dans une
conversation avec une troupe babillarde de jeunes
Dames. Je me suis trouvé dans le cas, il y a quelques jours.
Pendant la premiere demi-heure l’entretien étoit si tumultueux,
& si irrégulier, qu’il étoit presque impossible de découvrir
de quoi il s’agissoit, & qui étoit la plus grande diseuse de
rien de la compagnie : toute la conversation ne consistoit
presque, que dans les mouvemens de l’éventail, dans des airs de
têtes gracieux, & dans toutes les differentes manieres de
rire agréablement. Enfin, ces jolis moyens de briller, &
d’avoir de l’esprit, commencerent à accompagner des paroles
articulées ; & quelque chose, qui ressembloit un peu à un
entretien, sembla rouler, sur ce qu’on appelle galant-homme, ou
cavalier, qui se distingue par des manieres nobles & polies.
Des differents Caracteres qu’on traça sur ce sujet, & du
mépris qu’on marquoit pour certaines gens qu’on nomma, il ne me
fut pas difficile de conclure, qu’il n’est pas mal aizé de
s’attirer l’estime du beau-sexe, & que toute la ville
fourmille d’hommes, qui ont les manieres nobles. Dans une
imagination femelle il ne faut pour ennoblir le caractere d’un
Cavalier, qu’un pied bien tourné, un beau teint, une belle perruque blonde, une chemise à dentelle, un habit
brodé, un plumet, & des gands à franges d’or. Quelques-unes
de ces belles qualitez seulement en font l’affaire, & c’est
le tailleur, le Perruquier & la lingere, qui créent l’homme
au dessus du commun. Un air sérieux & modeste, au contraire,
un habit uni, des souliers massins, une veste, qui n’est pas
doublée de soye, sont autant de bassesses, qui dégradent le cœur
d’un homme à coup sur. Je ne pus m’empecher de sourire au
discours d’une des plus aimables personnes de la compagnie, qui
refusa le titre de Galant-homme à un certain Chevalier, parce
qu’il porte un habit de gros drap, & qu’il déjeune tous les
matin de pain roti, & de forte bierre. Je fis semblant
d’être charmé du gout fin de cette aimable fille ; & je
l’aidai à tourner en ridicule ces Campagnards rustiques, qui
n’ont nourrir le corps. Pour appuïer son sentiment, je lui
alleguai un Gentilhomme du pais de York que dans mes voyages
j’avois vu à Paris, & qui étoit assez grossier, pour régaler
le matin ses bons amis de bœuf froid, & de bierre de
Bronswyk. Il falloit voir, ajoutai-je, comme il
fut raillé sur son bœuf roti, & sur son pudding, par un
petit Marquis François, qui, dans le tems que notre homme
avaloit avec un appetit stupide la moitié d’un Aloyau, épluchoit
la cuisse d’une Grenouille, ou cherchoit quelque truffe dans un
ragout. Je m’apperçus, sans peine, que la belle me savoit gré de
mon conte, & nous nous séparames très bons amis ; ce qui ne
seroit pas arrivé, certainement, si je n’avois pas pris pour
maxine, de ne jamais raisonner, ou disputer, avec une femelle
d’une imagination vive. Je revins pourtant chez moi plein de
très sérieuses Réflexions sur ce qui venoit d’arriver. Quoique
j’eusse été assez poli pour deguiser mes sentimes, afin de ne
pas troubler la belle humeur de ces Dames, & de ne point
passer dans leur esprit pour un vieux Misantrope, poussé
pourtant d’une véritable tendresse pour le beau-sexe je pris la
Résolution de rectifier ses idées, & de lui tracer le
véritable Caractere d’un Galant-homme.
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Lors qu’un habile sculpteur veut faire une belle
statue, il ramasse dans son imagination tout ce qu’il peut y
avoir de plus fini dans la figure humaine : il prend
toujousr pour baze la Nature ; mais, au lieu
de l’imiter servilement, il fait tous ses efforts, pour la
perfectionner. Je suis d’avis de suivre cet éxemple ; &,
pour donnner une belle idée de ce qu’on appelle
galant-homme, je ramasserai toutes les qualitez, qui peuvent
entrer naturellement dans ce Caractere. Je supposerai
d’abord, que dans un Galant- homme, ou dans un homme qui a
les manieres polies & nobles, l’extérieur n’est qu’une
image de la disposition de l’ame. Sur ce pied, je soutiens
qu’un galant-homme doit être aussi propre à contribuer au
bien de la société, que capable de faire les délices d’une
compagnie. Je pose donc pour fondement du Caractere en
question, toute la dignité, toute l’Elévation d’esprit,
& toute la beauté des sentimens, dont la nature humaine
puisse être susceptible. J’y ajoute encore une conception
nette, une raison affranchie des Préjugez, un jugement
solide, & des connoissances étendues. Quand je me
represente le cœur d’un Galant-homme je me l’imagine
intrepide dans le péril, vuide de toute passion déréglée,
& rempli de sensiblité, de bonté, & de tendresse.
Lorsque je me le depein par rapport à ses manieres, je le
trouve modeste sans timidité, sincere sans
impertinence, affable sans adulation, obbligeant
<sic>, & complaisant sans bassesse, vif sans
étourderie, & enjoüé sans indiscrétion. Ce sont là des
qualitez qu’il n’est pas fort aizé de se rendre propres ;
& ceux, qui excellent dans cet art de plaire noblement,
font un fort petit nombre : peut être même, que le Caractere
d’un galant-homme est le plus rare de tous ceux qui
s’attirent notre admiration. Non seulement la Nature doit
avoir formé exprès le cœur & l’Esprit d’un homme si
aimable ; mais, il faut encore que ces talens, & ces
sentimens ayent été formez & finis, pour ainsi dire, par
l’Education la mieux ménagée, & la plus étendue. Avant
que d’être en état de briller dans le monde, il doit être
instruit dans les principes de la Religion, avoir une idée
juste de toutes les Vertus morales, & s’être fait une
bonne provision de ce qu’on appelle Erudition polie. Il faut
qu’il n’ignore pas ce qui se passe dans les Cours & dans
les armées : il doit voyager, pour s’ouvrir l’esprit, pour
en étendre les vues, pour connoitre la politique, & les
interêts des differens états, pour polir ses
manieres, & pour se débarasser des préventions
Nationales, dont tous les peuples ont leur bonne portion. A
ces qualitez essentielles il doit joindre toutes les
qualitez agréables, comme sont la connoissances <sic>
des langues, & les exercices du corps, qui sont le plus
en vogue : il ne faut pas même qu’il croye au dessous de lui
l’art de se mettre bien. Ce n’est pas une chose
extraordinaire dans le monde, que de trouver un homme de
probité, un homme d’honneur, un brave-homme, un homme
d’esprit, un homme de Lettres ; mais, rien n’est plus rare
qu’un véritable Galant-homme. C’est proprement un composé de
tout le mérite, & de tout l’agrément, qui sont répandus,
par petites doses, dans tout le genre-humain. Un excellent
Poete anime & assaisonne toutes les parties de son
savoir, par le force de son genie : le brillant, & la
vivacité de son imagination place dans le jour le plus
avantageux, tout ce que lui fournit la Lecture, & sa
raison. Il en est de même d’un Galant-homme : La politesse
& l’agrément de ses manieres relevent & embellissent
ses vertus & ses perfections. Tout ce qu’il fait, tout
ce qu’il dit, est accompagné d’un charme
irrésistible, qui lui attire l’admiration, l’estime, &
la tendresse de tous ceux, qui en sont les témoins.