Le Mentor moderne: Discours XXXII.
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Discours XXXII.
Zitat/Motto
Dignum sapiente bonoque
est. La chose est digne d’un sage, & d’un homme de
bien.
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Metatextualität
On sait que je me suis fait une
Loi de ne rien écrire le Sammedi <sic>, qui n’ait de
la liaison avec les devoirs de la journée suivante. Quelle
satisfaction inexprimable pour moi, de vivre dans un tems,
où je puis suivre cette régle, en portant mes réflexions sur
une piece de Theatre. Je suis sur que le Lecteur sent déjà,
où j’en veux venir, & que j’ai formé le dessein de
parler de la Tragédie intitulée Caton1.
Prologue de la Tragedie intitulée Caton,
Par Mr. Pope.
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2Le Mortel abimé dans un gouffre
d’erreurs Du beau nom de vertus honoroit ses fureurs, quand
du Ciel descendue une Muse Heroïque
Sur la scene chaussa le Cothurne Tragique.
Le desordre à sa voix aussi tôt disparut ;
De lui-même ignoré le cœur se reconnut ;
L’Homme se développe, il se sent, il raisonne ;
Le fier Tyran en pleurs de ses larmes s’étonne,
Il paye à la bonté l’hommage, qu’il lui doit.
Se plaçant sur la scene, il dévient ce qu’il voit ;
Et sa noble douleur, qui le charme, & l’éclaire,
Lui marque du Devoir la route salutaire.
Cette Muse aujourd’hui, Peuple Anglois trop heureux,
Fera naitre en ton cœur ce trouble généreux
Ne croy pas qu’a <sic> tes yeux complaisante elle étale.
Une molle tendresse, une valeur Brutale :
L’ambitieux altier par son crime est puni,
De son cœur l’homme même est par l’amour banni.
Elle veut, en peignant des vertus plus qu’humaines,
Ouvrir les yeux Anglois à des larmes Romaines ;
Et ne daigne exciter que d’utiles Douleurs,
Qui debrouillent l’esprit, & réforment les Mœurs.
Elle éxige de nous de ces larmes touchantes,
Que répand la vertu pour les Loix expirantes,
En offrant à nos yeux dans un même portrait
Ce qu’a pensé Platon, ce que Caton a fait :
Pour le Ciel, qui voit tout matiere peu commune,
Un Héros, qui lui seul lute avec la fortune,
Et qui par son grand cœur à l’Etat enchainé
Ne tombe qu’avec lui, par sa chute entrainé.
Dieux ! qui peut voir Caton resserré dans Utique
Des débris du Sénat former la Republique,
Qu’il n’échauffe son cœur de la même vertu,
Qui soutint ce Heros, par le sort abbatu ?
Dans chacun de ses faits, une ame grande & belle
Trouve un motif à suivre un si parf <sic> ai<sic> tmodelle <sic>.
Peut-on le voir baigné dans son sang précieux
Sans briguer un trépas si grand, si glorieux ?
Quand du cruel Destin César indigne Idole
Mit l’univers conquis au pied du Capitole,
Son Triomphe éclatant de Rois Captifs suivi
Charma l’oeuil curieux du Citoyen ravi ;
Mais, voyant de Caton la venerable image
Orner honteusement ce pompeux étalage,
Rome entiere eut horreur d’un Triomphe inhumain,
Et pleura dans Caton le dernier vrai Romain.
Tout fut morne, abbatu, l’on eut dit qu’un miracle
Sous un nouage épais couvrit tout le spectacle ;
Du superbe vainqueur on ne vit plus le char,
Et Caton détourna sous les yeux de César.
Des sensibles Romains, Anglois, suivez les traces.
Respectez la vertu, qu’accablent les disgraces ;
Apprenez-le à la fin ; la tendre humanité,
Du sublime mérite est l’appui respecté.
Devouez au bon sens, éloignons du Theatre
Un Héroïsme afreux, que le peuple idolatre.
Si d’un oeuil meprisant, un autre Caton vit
Rome apprendre les arts, du Grec, qu’elle asservit,
Par de nobles efforts affranchissons la scene
De l’empire honteux d’une étrangere veine :
Pour nos vers dédaignons d’emprunter des succez,
Du fin de l’Italie, & du vif des François ;
De notre propre fond produisons des merveilles,
Où le grand Caton même eût prêté les oreilles.
Sur la scene chaussa le Cothurne Tragique.
Le desordre à sa voix aussi tôt disparut ;
De lui-même ignoré le cœur se reconnut ;
L’Homme se développe, il se sent, il raisonne ;
Le fier Tyran en pleurs de ses larmes s’étonne,
Il paye à la bonté l’hommage, qu’il lui doit.
Se plaçant sur la scene, il dévient ce qu’il voit ;
Et sa noble douleur, qui le charme, & l’éclaire,
Lui marque du Devoir la route salutaire.
Cette Muse aujourd’hui, Peuple Anglois trop heureux,
Fera naitre en ton cœur ce trouble généreux
Ne croy pas qu’a <sic> tes yeux complaisante elle étale.
Une molle tendresse, une valeur Brutale :
L’ambitieux altier par son crime est puni,
De son cœur l’homme même est par l’amour banni.
Elle veut, en peignant des vertus plus qu’humaines,
Ouvrir les yeux Anglois à des larmes Romaines ;
Et ne daigne exciter que d’utiles Douleurs,
Qui debrouillent l’esprit, & réforment les Mœurs.
Elle éxige de nous de ces larmes touchantes,
Que répand la vertu pour les Loix expirantes,
En offrant à nos yeux dans un même portrait
Ce qu’a pensé Platon, ce que Caton a fait :
Pour le Ciel, qui voit tout matiere peu commune,
Un Héros, qui lui seul lute avec la fortune,
Et qui par son grand cœur à l’Etat enchainé
Ne tombe qu’avec lui, par sa chute entrainé.
Dieux ! qui peut voir Caton resserré dans Utique
Des débris du Sénat former la Republique,
Qu’il n’échauffe son cœur de la même vertu,
Qui soutint ce Heros, par le sort abbatu ?
Dans chacun de ses faits, une ame grande & belle
Trouve un motif à suivre un si parf <sic> ai<sic> tmodelle <sic>.
Peut-on le voir baigné dans son sang précieux
Sans briguer un trépas si grand, si glorieux ?
Quand du cruel Destin César indigne Idole
Mit l’univers conquis au pied du Capitole,
Son Triomphe éclatant de Rois Captifs suivi
Charma l’oeuil curieux du Citoyen ravi ;
Mais, voyant de Caton la venerable image
Orner honteusement ce pompeux étalage,
Rome entiere eut horreur d’un Triomphe inhumain,
Et pleura dans Caton le dernier vrai Romain.
Tout fut morne, abbatu, l’on eut dit qu’un miracle
Sous un nouage épais couvrit tout le spectacle ;
Du superbe vainqueur on ne vit plus le char,
Et Caton détourna sous les yeux de César.
Des sensibles Romains, Anglois, suivez les traces.
Respectez la vertu, qu’accablent les disgraces ;
Apprenez-le à la fin ; la tendre humanité,
Du sublime mérite est l’appui respecté.
Devouez au bon sens, éloignons du Theatre
Un Héroïsme afreux, que le peuple idolatre.
Si d’un oeuil meprisant, un autre Caton vit
Rome apprendre les arts, du Grec, qu’elle asservit,
Par de nobles efforts affranchissons la scene
De l’empire honteux d’une étrangere veine :
Pour nos vers dédaignons d’emprunter des succez,
Du fin de l’Italie, & du vif des François ;
De notre propre fond produisons des merveilles,
Où le grand Caton même eût prêté les oreilles.
1Cette Piece a été traduite en proze françoise; mais, d’une maniere assez plaste, pour qu’on ait de la peine a y entrevoir les beautez de l’Original. On peut consulter pourtant cette traduction sur l’intrigue de cette tragedie, & sur le caractere des personages.
2M. Pope suppose ici, par une fiction poetique qui n’est pas tout à fait sans fondemnt<sic>, que l’humanité a été développé dans les cœurs, par le moyen de la tragedie ; Du moins cette vertu ne paroit avoir être gueres connue encore, du tems d’Homere, chez qui une valeur féroce, & la force du corps, font tout le mérite d’un Héros.