Le Mentor moderne: Discours XXXI.

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Discours XXXI.

Zitat/Motto

Formosam resonare doces Amarillida Silvas Virg.

Vous enseignez aux Echos des bois à chanter la belle Amaryllis.

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Metatextualität

J’Ai achevé de communiquer au Lecteur ce que je pensois sur la Poesie Pastorale. Tout ce que j’ai dit là-dessus n’est pas le fruit de mes propres Reflexions : je me suis approprié hardiment les Regles de certains Critiques, quand je les ai cru judicieuses ; &, lorsqu’elles m’ont paru contraires au bon-sens, je les ai remplacé par d’autres de ma façon, qui m’ont semblé plus naturelles. Je ferai aujourd’hui une espece de récapitulation de mes préceptes, en les renfermant tous dans une Allegorie.

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Allegorie

Dans l’Arcardie demeuroit autrefois un riche Pasteur nommé Menalque, qui tirant son origine du Dieu Pan, faisoit observer dans sa famille avec la derniere exactitude, les coutumes, dont les Bergers se servoient dans l’âge d’or. Il avoit pour unique enfant, une fille nommée Amarillis. Elle étoit d’une beauté charmante, sa taille étoit admirable, son air aizé, & dégagé de toute affectation ; mais, comme elle avoit été élevée à la campagne, elle étoit extrémement timide, & honteuse. Sa voix étoit d’une douceur extraordinaire, & une espece de petite rusticité, qu’on trouvoit dans sa méthode de chanter, étoit plutôt un agrément qu’un défaut. Quoiqu’avec ses compagnes sa conversation fût extraordinairement engageante, elle s’ouvroit si peu aux amants qui l’assiégeoient de toutes parts, qu’un grand nombre, fatigué de l’aimer sans espérance avoit jugé à propos de prendre parti ailleurs, & de se contenter d’une conquête moins importante & plus facile. Cette conduite réservée étoit l’effet des leçons de son Père. Son dessein n’étoit pas de ne point marier sa fille ; mais, il étoit fermement résolu de ne la donner qu’à un observateur scrupuleux des Loix de la vie pastorale. Pour être son gendre, il falloit encore remplir une autre condition. Un soir, il avoit reçu d’un Faune de ses amis une flutte d’une forme antique, avec ordre de ne choisir pour Epoux d’Amarillis que le berger, qui sut tirer de cette flutte des sons naturels, & agréables. Dès que cette aimable fille fut en âge de maturité, son Père fit publier, par tout le Canton, un Edit, par lequel il invitoit tous les jeunes bergers à venir essayer ce fatal instrument, à condition que celui qui y réüssiroit le mieux seroit l’Epoux d’Amarillis, & que le chatiment de ceux, qui s’y prendroient mal, seroit à discrétion du Père de la belle. Le Prix qu’on proposoit étoit trop beau, pour que la crainte de la punition pût détourner la jeunesse d’alentour de tenter l’avanture. Tous les Bergers un peu contens de leur habileté parurent au jour marqué dans un équipage, qui exprimoit leur gout, & leur Caractere. L’endroit où cette grande affaire dévoit être décidée, étoit une prairie émaillée de differentes flœurs, à travers laquelle serpentoit un ruisseau murmurant dans un grand nombre de petits Méandres irregulier ; vis-à-vis du lieu assigné aux Concurrents, on avoit élevé un Throne de gazon sous un dais de verdure, & on y voioit Menalque, qui avoit à sa droite la charmante Amarillis couronnée d’une guirlande de lis & de Roses. Elle étoit habillée d’un Robbe volante d’une etoffe verte fort simple. Dans une de ses mains, elle portoit sa Houlette, & dans l’autre sa flute du Faune. Le premier qui approcha du Throne, fut un jeune homme gracieux, & bienfait. Il avoit un petit air de Cour, & son habit étoit le plus riche qui eut jamais paru dans toute l’Arcadie. Il portoit une veste Cramoisie, coupée, à la vérité, à la mode des Pasteurs, mais tellement enrichie de broderie, & brillante de Pierres précieuses, que les yeux des Spectateurs éblouis de tout cet éclat, eurent de la peine à en réconnoitre la façon. Son chappeu étoit couvert d’un grand bouquet de Plumes, & sa Houlette étoit ornée par tout, d’or, & d’émail. Après avoir fait à la belle une reverance des mieux tournées, il lui adressa ce compliment : 1N’allez point consulter le Cristal des fontaines,
Bergere, que ce soin ne t’inquette pas :
Mes soupirs, mes sanglots, mes amoureuses peines,
Vous instruisent assez de vos divins appas. Amarillis, qui n’étoit point faite à des discours si polis, ne savoit que lui répondre, & elle se contenta de lui tendre la flute. Il l’emboucha d’abord ; mais, il y joua un air si orné de cadences & deroulements, qu’il fut impossible de le suivre à la jeunesse, qui s’étoit appareillée pour danser une contredanse : Elle sentoit que ces tons demandoient une varieté de pas, que la simple joie étoit incapable de fournir. Menalque, regardant notre Musicien d’un air d’indignation, ordonna qu’on le dépouillât de ses riches habits, & qu’on lui fît conduire un troupeau pendant une année entiere, pour apprendre à loisir les véritables manieres des bergers. Après celui-ci vint sur la Scene un jeune-homme massif & grossier. Il étoit couvert d’une peau de brebis, ses cheveux étoient en desordre, & il avoit un demi-pied de barbe. Il approcha la Bergere d’un pas lourd, & en dandinant, & il crut lui faire un compliment très gentil, en lui disant, 2qu’il avoit caressé ce matin ses brebis & baisé ses petits chevraux ; mais, qu’il esperoit de baiser bientôt quelque chose de plus aimable. Ce discours fit rougir la bergere de modestie, & de dépit ; &, en lui donnant la flutte, elle conjura tacitement les Dieux de ne point favoriser un rustre si desagréable. Il lui arracha quasi la flute des mains ; &, ayant bien de la peine à en tirer du son, il en joua d’une manière si rude, & si choquante, que tous les bergers s’écriérent tout d’une voix, qu’il leur écorchoit les oreilles, & qu’il n’y entendoit rien. Sa témérité fut bientot punie, & il fut condamné à aller garder les pourceaux, dans les endroit les plus rabotteux de toute l’Arcadie. Le troisieme qui se mit sur les rangs étoit tellement gené dans son habit de pasteur, qu’il ne paroissoit se remuer qu’avec peine ; il avança vers la Bergere, d’un pas lent, & d’un air pensif ; &, l’ayant salué gravement, il lui fit ce compliment, qu’il avoit bien médité pendant tout le jour. Comme la Reine d’Amathonte Tu remplis avec art, Divine Amarillis,
Tes cheveux blonds de Roses, & de Lis ;
Mais, c’est moins pour t’orner, que pour leur faire honte. Comme ce haut stile n’étoit pas à la portée de la belle, elle lui donna l’instrument de Musique en question, au lieu de lui repliquer. Il y joua un air tellement entortillé & varié par des dissonances si bisarres, & si recherchées, que tous les Bergers resterent sans mouvemens, comme des gens frappez de la foudre. Son habileté leur déplut au suprême degré, & il eut beau soutenir que ce qu’on trouvoit bisarre dans ses tons étoit la perfection de la Musique, & qu’il avoit appris l’air qui les choquoit si fort du plus fameux Maitre de toute l’Hesperie, on ne l’écouta pas seulement. Menalque, voyant que c’étoit un Etranger, eut pitié de lui, & il le donna à un vieux Pasteur, avec ordre de lui fournir des habits, où il seroit à son aize, & de lui enseigner à parler le langage du Païs. Ensuite on vit avancer d’un air modeste le jeune Corydon, le plus beau de tous les Bergers de L’Arcadie & uni en secret à Amarillis par les liens étoits d’une tendresse mutuelle. Il portoit les mêmes couleurs que son aimable maitresse, & il approcha d’elle d’un air naturel, mais mal assuré. Elle rougit, quand il fut proche d’elle : &, lorsqu’elle lui donna la flute, dont dépendoit leur félicité ils tremblérent tous deux ; mais, ils ne furent en état ni l’un, ni l’autre, de dire la moindre parole. Ayant adressé en secret ses vœux à Pan & aux Nymphes, il fit entendre des sons si doux & si naturels, quoi qu’un peu irreguliers, qu’il remplit tous les cœurs de mouvemens de plaisir & de tendresse. Tous les jeunes gens se prirent d’abord la main pour danser, comme s’ils y étoient portez par une force irrésistible, & les vieillards asseurérent, que pendant la nuit ils avoient souvent entendu les mêmes airs, qui selon eux n’avoient pu être jouez, que par quelque Divinité des Bois. A peine eut-il fini, que le bon Menalque descendit de son Throne pour l’embrasser, & pour le présenter à sa fille ; ce qui fit retenir toute la prairie d’applaudissemens, & d’acclamations. Au milieu de cette joye generale, l’assemblée fut surprise par une espece d’apparition très comique. C’étoit un homme habillé d’une frise bleue, & couronnée de jonc Marin. Il avoit dans sa main une ligne à pecher, & un panier sur le dos, & il étoit précedé par un petit garçon avec des habits tout dégoutants d’eau, qui portoit une bonne quantité d’huitres. On lui demanda d’où il venoit, & quel motif le faisoit entrer dans l’assemblée ? Il répondit, qu’il étoit venu pour inviter Amarillis à venir habiter avec lui le rivage de la Mer ; qu’il possédoit de grands troupeaux de veaux-marins ; & qu’il voit pour intimes amies les Nereides, & les Nayades ; Puisque vous êtes si bien avec les Nayades, lui repliqua Menalque, je m’en vais vous y envoyer. Là-dessus, les Bergers le saisiren <sic>, & le regardant comme un ennemi juré de l’Arcadie, il le jetterent la tête la premiere dans un fleuve, dont il n’est jamais revenu apparemment, puisque depuis ce tems-là on n’a plus entendu parler de lui. Corydon, & Amarillis, menerent en semble <sic> une vie longue & heureuse, & ils gouvernerent toutes les vallées de l’Arcadie. Leur Posterité a été composée de personnes qui ont vecu très long tems, puisque quatre de leurs descendans ont suffi pour remplir l’espace de plus de deux mille années. Savoir leur fils & unique heritier Theocrite, qui a laissé l’Empire de l’Arcadie à Virgile, dont le Successeur a été nommé Spenser ; qui dans nos jours a disposé de l’héritage de ses Ancêtres en faveur de son fils ainé Philips.

1Fontenelles.

2Theocrite.