Le Mentor moderne: Discours XXIX.
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Nível 1
Discours XXIX.
Citação/Lema
Redeunt Saturnia Regna. L’age
de Saturne revient.
Nível 2
Ayant dépéché la Pastorale Italienne
& Françoise, j’en viens aux Poetes Anglois, que je
traitterai avec la Douceur d’un tendre Concitoyen ; & je ne
doute point que je ne réprésente notre Ile, avec quelques
restrictions pourtant, comme une Scene très propre pour
l’Eclogue. Peut être cela fera-t-il rehausser le prix de nos
Terres, & que la 1faction qui en
possede le plus m’en saura gré. J’observerai d’abord, que nos
Compatriotes ont tellement bonne opinion des Anciens, &
qu’ils sont si fort éloignez de la vanité de vouloir être
Originaux que la plupart de nos Pastorales ont tout pillé des
Grecs & des Latins, ou du moins qu’elles ont imité assez
servilement leurs mœurs & leurs coutumes ; ce qui donne aux
ouvrages & aux Poetes un ridicule ineffaçable.
En parcourant, il y a quelques jours un bon nombre de nos
Eclogues, j’y trouvai la valeur de cinquante troupeaux maigres,
& plus de cent corbeaux sinistres, sans compter un grand
nombre de prairies desechées, de Nymphes Pleurantes, & de
Chêries frappez de la foudre. Presque tous les poemes de ce
genre, qu’on a fait parmi-nous 2sur quelque sujet réel, sont
composez dans le meme gout. Un Berger demande à un autre
pourquoi il est si pale, si son mouton favori est estropié, si
sa flutte est brisée, ou si Phillis lui est infidelle ? Il
répond, qu’il n’a point à se plaindre de desastres ;
qu’il s’afflige d’un malheur bien plus grand ; & que Damon,
ou quelquefois le Dieu Pan, a été aux
Pasteurs par la mort. Là dessein d’autre ne manque jamais de
s’évaporer en plaintes ameres, de conjurer les &
le Crystal des eaux d’entrer dans Pendant qu’il
pousse ses pitoyables Lamentations, son ami l’interrompt, pour
lui dire, que Damon vit parmi les immortels ; & il lui
montre dans l’air une trace de lumiere. Ensuite, il l’invite à
venir prendre chez lui un repas rustique de
fromage & de noisettes. Il n’y a presque point de famille
illustre dans la Grande Bretagne qui n’ait été consolée la mort
de quelque grand personnage, par une Pastorale du même plan : je
puis dire même que dans ces sortes de pieces il n’y a pas un
seul Pasteur de la chambre haute, qui ne meure, & qui ne
revive de la même maniere, que ce Damon dont je viens de parler.
Il y a des choses, qui sont absolument
essentielles à la Pastorale ; &, par consequent, auxquelles
il ne faut pas toucher : telles sont la Scene, qui doit toujours
être à la campagne, l’innocent des mœurs, & la simplicité
des manieres, & du langage : mais, il y en a d’autres, qui
doivent, ce me semble, se prêter aux temps, & aux lieux ;
les coutumes, par exemple, les noms, & les habits. Il est
necessaire, par consequent, de prendre garde à la difference des
formats, & de comprendre, que tout ce qui convient à
l’Arcadie, à l’Italie même, ne sympathise pas
toujours avec des païs plus froids : des terroirs differens ne
produisent pas les mêmes flœurs, ni les memes fruits ; Nos
bergers ne connoissent pas les Hyacinthes, & d’autres flœurs
étrangeres ; ils ne savent pas ce que c’est que cette corne
d’abondance de fruits Grecs & Italiens, dont les Poetes les
regalent. Mais heureusement nous n’en avons pas besoin : nos
Campagnes sont assez belles & assez fertiles, pour orner
& pour enrichir une Pastorale à leurs propres dépens. La
Théologie de la Pastorale ancienne est tellement jolie, que ce
seroit domage d’y renoncer entiérement ; mais, je crois qu’il
n’en faut retenir que ce qui est connu de tout le monde ; &
qu’il est bon de suppléer au reste par la superstition rustique
de notre cru, qui peuple la Campagne de Spectres, de Sorcieres,
de Lutins, & de Fées. Les fées sur-tout, graces aux Contes
qu’on fait aux enfants, ont un etre imaginaire tout établi ;
& il est facile d’en faire des personages tout-à-fait
amusans ; Plusieurs de nos Poetes y ont réüssi ; & sur-tout
M. Pope, qui les a introduites avec beaucoup de succès dans son
poeme Heroico-burlesque intitulé le Vol d’une
boucle de cheveux ; dans lequel, au lieu du Systeme des
Divinitez du Paganisme, il se sert de celui du Comte de Gabalis,
qui nous a donné une idée si distincte des Gnomes, des Sylphes,
& des autres peuples Elementaires. Ce qui a été dit de la
différence des Climats, du terroir, & de la Théologie, est
applicable encore aux Proverbes, aux habits, aux coutumes, &
aux divertissements des bergers. Voici par éxemple des vers, ou
ces divertissements de nos Pasteurs me semblent agreablement
dépeints par un berger animé d’une vanité Rustique. La raison, pourquoi il est nécessaire d’introduire ces
legers changements dans la Pastorale est très naturelle. La
Poesie est une imitation, & l’imitation la meilleure est
celle dont l’imagination est le plus facilement la dupe. Par
conséquent, il est bon de dépeindre les coutumes les plus
familieres, & les plus universellement connues, puisqu’il
n’est pas possible, que l’imagination soit
trompée, & divertie, par une imitation de coutumes
étrangeres, dont elle n’a qu’à peine une légere notion. Un
Lecteur un peu versé dans nos pastorales Angloises verra
facilement, que les Regles, que j’ai posées ici, sont tirées des
productions de nos Compatriotes Messieurs Spenser, &
Philips. Je ne me donnerai pas les airs de faire leur Eloge dans
les formes, & je me contenterai de dire, qu’ils ont su
rencherir sur les beautez des Anciens qui ont brillé dans ce
genre d’écrire ; & qu’en les copiant, ils ont eu l’habileté
de se rendre Originaux. Ils ont trouvé le moyen de se former un
stile Pastoral, qui represente le Dialecte Dorique de
Théocrite ; en quoi je n’ose pas dire qu’ils ayent surpassé
Virgile : j’aime mieux avancer que notre Langue est plus
suceptible, que la Latine, de cette aimable Rusticité, qui
simpathise si bien avec la maniere de penser, qu’il faut donner
aux Personnages de l’Eclogue. Si quelqu’un de mes Lecteurs
souhaite de savoir tout le secret de cette diction pastorale, je
ne saurois mieux faire que de l’envoyer aux ouvrages de ces Messieurs : il y apprendra plus en peu de jours,
qu’en étudiant avec la plus grande attention un in folio rempli
de regles.
Metatextualidade
Après avoir informé mon
Lecteur du secours qu’il peut tirer de la Lecture des
Anciens, je lui ferai voir à quels égards le bon-sens, &
la bienseance veulent qu’il s’éloigne de ces excellens
modelles.
Citação/Lema
3Tout pousse dans ces bois
mille amoureux soupirs ; J’y vis moi seul, j’y vis, sans
former des desirs,
Content de surpasser la fleur de la jeunesse,
A répandre par tout la plus vive allegresse.
Les folatres plaisirs suivent par tout mes pas,
Et les Festes sans moi ne réjouïssent pas.
Capable dans les jeux, qui nous sont ordinaires,
De vaincre les Bergers, en charmant les Bergeres,
Malgré ces beaux talents je suis sans vanité,
Et le Village entier admire ma bonté.
Dès qu’une fois mes doits font parler ma Musette,
En foule dit Hameau pour danser l’on se jette ;
Et l’on diroit à voir nos jeunes gens danser,
Qu’en suivant mes accords on ne pût se lasser.
On se repose enfin, & puis, on me tourmente,
Pour faire le recit d’une Histoire amusantes ;
Car j’en sai, cher ami, de toutes les façons,
Qui peuvent divertir & servir de leçons.
Content de surpasser la fleur de la jeunesse,
A répandre par tout la plus vive allegresse.
Les folatres plaisirs suivent par tout mes pas,
Et les Festes sans moi ne réjouïssent pas.
Capable dans les jeux, qui nous sont ordinaires,
De vaincre les Bergers, en charmant les Bergeres,
Malgré ces beaux talents je suis sans vanité,
Et le Village entier admire ma bonté.
Dès qu’une fois mes doits font parler ma Musette,
En foule dit Hameau pour danser l’on se jette ;
Et l’on diroit à voir nos jeunes gens danser,
Qu’en suivant mes accords on ne pût se lasser.
On se repose enfin, & puis, on me tourmente,
Pour faire le recit d’une Histoire amusantes ;
Car j’en sai, cher ami, de toutes les façons,
Qui peuvent divertir & servir de leçons.