Le Mentor moderne: Discours XXVI.
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Level 1
Discours XXVI.
Citation/Motto
Pulvis & umbra sumus. . .
Horace.
Nous ne serons après la mort qu’un peu de
poussiere.
Citation/Motto
Pulvis & umbra sumus. . .
Horace.
Level 2
Ce qui me met la plume à la main
aujourd’hui c’est un motif de compassion pour ces malheureux
mortels, que leur incrédulité a rendu incapables de gouter dans
la derniere feste spirituelle, cette espérance & cette joye,
qu’elle a répandues dans les cœurs des Chrétiens. Je vais faire
tous mes efforts pour leur faire sentir, que la croyance d’une
vie à venir a une baze dans l’ame de ceux-là même, qui sont si
éloignez d’avoir quelque sentiment de Religion,
qu’ils n’admettent pas seulement l’existence de Dieu. Que
l’incrédule le plus affermi dans l’Irréligion daigne ouvrir les
yeux, & qu’il ne fasse qu’un examen superficiel du monde
visible ; n’y verra-t-il pas une certaine liaison, un certain
arrangement ? Ne découvrira-t-il pas dans tout ce vaste amas de
corps, un ordre, une harmonie, qui ne se démentent jamais ?
Quelle qu’en puisse être la cause, l’objet dont je parle existe
réellement, & se rend sensible, par le moyen de tous nos
sens, à toutes les facultez de notre ame. Si l’on entre dans
l’éxamen du Méchanisme des animaux, si l’on prend garde à leurs
passions, à leurs sensations, au pouvoir qu’ils ont de changer
de lieu, on y appercevra sans doute le même plan. Tout ce qu’on
y remarque tend à un but fixe ; & ce but change à l’égard de
chaque espece, conformément à leurs organes particuliers. Se
peut-il que les moindres corps soient disposez à répondre
exactement à leur Nature, d’une manière, qui n’est pas à la
portée de l’industrie humaine la plus étendue, & que nos
ames soient negligées ou dirigées par des regles si pauvres,
& si basses, qu’elles seroient indignes
d’avoir pour Auteur un homme médiocrement éclairé ? Quoi !
chaque passion aura un objet réel, elle trouvera de quoi se
satisfaire, & le désir de l’immortalité sera déplacé dans
nos cœurs ? Il ne sera excité que par un objet imaginaire ?
Est-il possible, que l’usage que nous pouvons faire de nos
facultez animales, récompense toujours nos soins, & que les
genereux efforts d’une ame vertueuse soient inutiles, &
n’ayent pas la moindre récompense à attendre ? En un mot, le
monde corporel sera-t-il tout plan, tout ordre ; & le
moindre spirituel ne sera-t-il que desordre & confusion ?
Selon moi, il y a une sotte crédulité, & une espece de
bigotterie à se mettre de pareilles chimeres dans l’esprit :
c’est renverser entiérement la méthode de raisonner par
analogie, & de faire de ce que nous savons deja avec
certitude, un principe de raisonnement, à l’égard de ce que nous
ne savons pas encore. S’il y a dans cette vie une seule chose,
qui ait l’air d’une récompense de la vertu accablée de malheur,
c’est la certitude d’obtenir par elle la protection de Dieu, ou
bien l’estime des honnêtes gens. Pour ce qui regarde cette
certitude consolante, nos Esprits-forts, à qui la
supériorité de leur génie inspire tant de charité pour le genre
humain, sont tous leurs efforts pour la déraciner de notre cœur,
& pour nous la faire regarder comme la plus grande des
chimeres. A ce compte-là, tout ce qui nous reste, c’est la
réputation ; mais, par malheur, il est presque impossible de la
dispenser avec justice dans cette vie, où, selon les fausses
maximes de la coutume, plusieurs mauvaises actions sont suivies
de la gloire, tandis que l’infamie est souvent le prix des
actions les plus essentiellement vertueuses. Ici une Hypocrisie
bien ménagée est placée quelquefois dans le jour le plus beau,
pendant que le véritable mérite reste caché sous le voile de la
modestie, qui est sa compagne inséparable. Ici le cœur &
l’ame se dérobent à la pénétration des hommes, & mille faux
jours font illusion à nos foibles yeux. C’est ce que Platon
exprime parfaitement dans son Dialogue intitulé Gorgias, ou il
introduit Socrate parlant de cette maniere. « Dans le Regne de
Saturne, les Dieux firent une Loi qui subsiste encore, par
laquelle ceux qui avoient couru le chemin de la
vertu & de la piété, devoient après leur mort jouir d’une
vie agréable dans certaines Isles destinées à être le séjour des
bienheureux. Ceux, au contraire, qui avoient passé leurs jours
dans le crime devoient être transportez à la demeure des ames
coupables, nommée le Tartare, afin d’y soufrir la punition de
leur impieté. Pendant tout le regne de Saturne, & même au
commencement de celui de Jupiter, c’étoient des Juges vivans,
qui décidoient du sort de chaque personne, pendant qu’elle
vivoit encore, & le même jour qu’elle devoit mourir. Il
arrivoit par là, que les sentimens de ces Juges étoient souvent
peu conformes à la Justice & à la Vérité. Pluton, qui
présidoit dans le Tartare, s’apperçut de cet abus, aussi bien
que les Gouverneurs des Isles des bienheureux, qui étoient
obligez d’y recevoir un grand nombre de gens destituez des
qualitez nécessaires pour en gouter les delices. Ils s’en
plaignirent à Jupiter, qui leur promit de remedier à cet
inconvenient. Il voulut bien même leur en découvrir la source.
Ces procedez irreguliers, leur dit-il, viennent de
ce que les hommes sont jugez pendant que leur ame est enveloppée
encore d’un voile corporel ; & que la richesse, la
naissance, & la beauté, peuvent cacher les taches, & les
défectuositez, qui avilissent le fond de leur cœur. Ajoutons,
que lorsqu’ils sont examinez, ils se trouvent souvent soutenus
par une foule de témoins, qui sont intéressez à donner bonne
opinion de leur conduite passée ; Voilà ce qui trompe les Juges
les mieux intentionez, qui d’ailleurs, étant eux-mêmes du nombre
des vivans, sont environnez de leur propre corps, qui empêche la
vérité d’aller librement jusqu’à leur ame. Pour toutes ces
raisons, je trouve à propos, qu’à l’avenir les hommes ne seront
jugez qu’après leur mort, & qu’ils paroitront devant le
Tribunal, depouiliez du corps & de tout ce qui pouvoit leur
prêter un faux lustre : je veux que le Juge lui-même soit une
Intelligence pure, capable de contempler l’ame toute nue de ceux
qui paroitront devant lui. Pour cet effet, j’établis pour Juges
souverains mes fils Minos, & Rhadamante, qui
sont nez en Asie, avec Æaque, qui est né en Europe. Ils seront
obligez de tenir leur Cour dans une vaste prairie, dans laquelle
il y a deux chemins, dont l’un mene au Tartare, & l’autre
aux Iles des Bienheureux. » De ce Passage de Platon, & d’un
nombre infini d’autres, dont ses livres fourmillent, il est aisé
de conclure, quelle fut l’opinion de ce grand homme touchant
l’immortalité de l’ame. C’est un sujet si consolant par rapport
à nous, si beau, si juste en lui-même, si convenable au systême
general de la Nature, si fortement appuié sur les Notions des
hommes de tout rang, de tout païs, & de tout âge, qu’il est
inconcevable, qu’un petit nombre d’hommes s’avise de faire tous
leurs efforts pour le décréditer. Il est naturel de croire,
qu’ils y sont portez par quelque raison qui leur paroit de grand
poids. Je m’imagine l’avoir trouvée, & j’en appelle aux
pensées les plus secrettes des Esprits-forts, s’ils ne
raisonnent pas sur cet article de la maniere, que voici :
Cette maniere de raisonner a sa source dans une certaine
stérilité d’imagination, & dans un esprit extrémement borné.
Je veux bien remedier à ce défaut de lumiere de nos
Esprits-forts, & étendre la sphere de leur pénétration, en
leur mettant devant les yeux un cas naturellement possible,
& propre à leur applanir la croyance d’un Dogme, qui nous
est revélé d’une maniere surnaturelle. Supposons un homme né
sourd & aveugle, qui parvenu à l’âge de maturité perd tout
d’un coup par une Apoplexie le Tact, le gout, & l’odorat ;
& acquiert en même tems les facultez de voir &
d’entendre. Avant ce tems, le Tact, l’odorat, & le gout
étoient pour lui tout ce que les cing sens sont pour nous :
toutes les autres sensations plus déliées, & plus étendues,
étoient par rapport à lui de la même nature, dont
sont à notre égard ces plaisirs, dont nous seront rendus un jour
capables ; ces plaisirs, que l’œuil n’a point vus, que l’oreille
n’a point entendus, & qui ne sont point montez au cœur de
l’homme. Dans son prémier état, il étoit tout aussi autrorisé à
soutenir, que la perte de ces trois sens ne pouvoit pas être
réparée, par l’acquisition de quelques sensations nouvelles,
qu’un esprit-fort est en droit de soutenir, que la vie ne
sauroit subsister, si on la dépouilloit des sens, dont nous
jouissons dans ce monde. Supposons encore que les yeux de cet
homme, dans le même instant qu’il les ouvre pour la prémiere
fois, soient frappez d’une grande variété d’objets agréables,
& que ses oreilles soient flattées d’un concert mélodieux de
vois & d’instrumens : il sera étonné, ravi, extazié, &
il vous donnera une idée foible & obscure des transports où
se livrera une ame, dans l’instant que sortant de la prison, qui
l’a renferme, il entrera dans le séjour de l’immortalité, &
de la gloire.
Citation/Motto
Les Sens, dont je
fais usage dans cette vie, sont destinez visiblement à
réparer les forces de mon corps, ou à le préserver de tous
les accidens nuisibles où il est exposé. Dans une vie
simplement spirituelle, ou les forces ne seront sujettes à
aucune diminution, où nous ne serons menacez d’aucun fâcheux
accident, où nous n’aurons ni chair, ni sang, ni nerfs, ni
vaisseaux, nous serons indubitablement destituez de ce qu’on
appelle sens. Or une vie, qui n’a rien à demêler avec les
sens, est une chose absolument incompréhensible.