Le Mentor moderne: Discours XXIII.
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Nivel 1
Discours XXIII.
On
peut conclure, de ce que j’ai déja dit touchant la simplicité,
qui doit faire la baze des discours & des actions de ces
Pasteurs, que tout rafinement doit être exclus de leurs mœurs
& de leurs langage. Il faut toujours supposer leur esprit si
éloigné de la politesse & de l’art, qu’il leur est
impossible de rien dire qui sente l’affectation. On n’est pas
obligé pourtant de les representer comme absolument niais &
stupides ; puisqu’il est certain, qu’il y a eu des Esprits
naturellement beaux, avant que les arts & les sciences, qui
servent à polir les talents naturels, eussent fait quelque
progrez considerables. Il est permis par conséquent de donner à
nos bergers du bon sens, & même de l’esprit, pourvû qu’on
écarte de leur maniere de penser certains tours fins &
délicats. Tous les hommes sensez, grossiers ou polis, conçoivent
les choses essentiellement de la même maniere, parce que la
vérité se représente avec les mêmes couleurs à tous les esprits,
qui savent la discerner ; mais, ces deux especes
d’hommes different beaucoup dans la maniere d’exprimer leurs
idées. Voilà ce qu’il faut remarquer principalement, si l’on
veut réüssir dans ce genre d’écrire. Des gens qui par l’Etude,
& par l’usage du monde ont appris à ranger leurs idées dans
certaines classes, & à considérer d’une maniere abstraite la
nature generale des choses, expriment leurs pensées par des
tours concis, vifs, & surprenants. Il ne leur faut qu’un
petit nombre de paroles, pour exciter dans notre esprit
plusieurs idées, qui ont du rapport ensemble. Mais ceux, à qui
l’habitude de réflechir n’a pas donné ce tour d’esprit,
attachent leurs pensées à chaque objet particulier : ils
expriment ce qu’ils pensent, ou ce qu’ils sentent, par des
descriptions détaillées, & par certaines circonstances, qui
frappent les sens, ou qui touchent le cœur. Les prémiers se font
admirer de nous ; mais, les autres sont plus propres à nous
donner du plaisir, & à flatter agréablement notre
imagination. Un homme de Cour peut dire à sa belle :
Un berger se contentera de
dire la même chose d’une maniere bien plus simple ; Puisqu’il ne doit pas être permis aux
Bergers de réfléchir profondément, l’adresse de l’Auteur d’une
Pastorale consiste à leur faire rapporter justement autant de
circonstances qu’il en faut, pour que le Lecteur en puisse tirer
lui-même la reflexion qu’elles renferment. C’est de cette
maniere qu’un Pasteur s’y prend, pour faire entendre à son ami,
qu’il est le meilleur Musicien de tout le Canton : C’est encore dans ce même stile, qu’un
autre berger fait sentir jusqu’à quel point sa maitresse est
charmée de lui. Si jamais une reflexion est pardonnable dans une
Pastorale, c’est quand elle est si naturelle, que les objets les
plus familiers semblent l’introduire d’eux-mêmes dans l’esprit.
Telle est par exemple la pensée d’un de nos Auteurs, qui a su
rencherir dans cette occasion sur Theocrite, & sur Virgile.
Il me semble que pour rendre le Caractere de nos bergers
complet, il n’est pas mal d’y répandre une petite
doze de Religion, & même de Superstition. Il est naturel à
des gens, qui vivent à la campagne à peu près desœuvrez, &
qui sont frappez continuellement de la vue des merveilleux
ouvrages de la Nature, d’être extremement portez à en reverer
l’autheur <sic>. L’ignorance de ces sortes de gens peut
rendre superstitieuse cette espece de Piété. C’est qui est
arrivé chez les villageois de l’antiquité, & c’est qui
arrive encore chez les païsans de nos jours : ils ajoutent soi
aussi fermement aux apparitions des spectres, & des
revenants, que les païsans du Paganisme ont cru les Satyres, les
Faunes, & les Nymphes. De là vient que les Eclogues de
Theocrite, & de Virgile, sont pleines de Corbeaux sinistres,
de chênes frappez de la foudre, & d’enchantemens. J’ai
remarqué avec plaisir que celui de nos Auteurs Anglois, qui
s’est rendu le plus celebre dans ce genre d’écrire, a unité fort
adroitement ces illustres anciens, & qu’il a pratiqué cette
regle d’une maniere très judicieuse. On voit encore dans les
mêmes Auteurs un grand nombre d’expressions proverbiales, qui
contribuent beaucoup à rendre sensible le
Caractere en question. Je ne doute pas, qu’il ne faille ranger
dans cette classe les frequentes comparaisons qu’on trouve dans
les meilleures Eclogues, & qui sont si nombreuses, qu’il est
inutile d’en citer des éxemples. Je remarquerai seulement sur
cet article, que la perfection de l’art consiste quelquefois à
exprimer le sens d’un proverbe trop avili par la coutume d’une
maniere plus relevée, sans tomber pourtant dans le rafinement
& dans l’affectation. C’est ainsi qu’un de nos auteurs a
très heureusement tourné ce vœu Proverbial à Dieu fasse paix à
son ame : L’estimable Sidney passe dans la nuit sombre. Que
d’Eternels bonheurs s’attachent à son ombre.
Cita/Lema
Extrema per illos Justitia excedens
terris vestigia fecit.
C’est dans ces pais que la justice laissa ses dernieres traces, quand elle quitta la terre.
Nivel 2
Metatextualidad
J’ai déja transporté mon Lecteur
dans le pais enchanté, qu’habitent les Bergers de la
Pastorale, & je l’ai informé de la maniere de vivre de
ces bonnesgens. Dans ma feuille volante
d’aujourd’hui, j’entrerai dans un plus grand détail du
Caractere distinctif de cette Nation imaginaire.
Nivel 3
Avec toi je pourrois me plaîre
Dans le lieu le plus solitaire :
Du plus sombre cachot, l’Eclat de ta beauté
Dissiperoit l’obscurité.
Tu pourrois adoucir le Destin le plus rude,
Et d’un afreux desert bannir la solitude.
Du plus sombre cachot, l’Eclat de ta beauté
Dissiperoit l’obscurité.
Tu pourrois adoucir le Destin le plus rude,
Et d’un afreux desert bannir la solitude.
Nivel 3
Revien, Amarillis ; que l’amour
t’accompagne. Eh quels charmes sans toi, peut avoir la
Campagne ?
Nivel 3
Je chanterai Phillis sur la douce
Musette, Qu’en mourant me donna le vieux Pasteur
Admete.
Mon Père Arcas, dit-il, s’en servit le premier,
Tu merites toi seul d’en être l’Héritier.
Mon Père Arcas, dit-il, s’en servit le premier,
Tu merites toi seul d’en être l’Héritier.
Nivel 3
Un jour je me
baignai dans une source Pure : Mon Iris m’épioit à travers
la verdure.
Se voyant découverte, elle suit de ces lieux,
Mais vint fois en fuiant elle tourna les yeux.
Se voyant découverte, elle suit de ces lieux,
Mais vint fois en fuiant elle tourna les yeux.
Nivel 3
Je me crois fait d’un air à
plaire aux plus cruelles ; Les Ondes me l’ont dit, les Ondes
flattent elles ?
Non ; j’ai vu dans les eaux l’image de nos fleurs
Dérobber quelque chose à leurs vives couleurs.
Non ; j’ai vu dans les eaux l’image de nos fleurs
Dérobber quelque chose à leurs vives couleurs.
Metatextualidad
J’ai dit dans ma feuille
précédente, que l’innocence des mœurs doit être le second
caractere des Bergers ; & je crois l’avoir assez bien
prouvé, pour ne pouvoir pas y revenir sans tomber dans la
répetition. Je dirai seulement en peu de mots, que puis
qu’on suppose, dans une Pastorale, la Nature humaine aussi
peu corrompue, qu’il est possible, il faut que la probité,
& la franchise y éclattent par tout, & que si l’on y
admet quelques petites irrégularitez pour varier d’avantage
le tableau, elles ne doivent servir que d’ombre à
l’innocence, qui en est le sujet principal. Je ne saurois
mieux répandre du jour sur cette Regle qu’en rapportant
l’exemple d’un berger qui ayant trouvé sa maitresse endormie
parle ainsi de la maniere, dont il avoit profité de cette
occasion.
Nivel 3
Mon Iris l’autre jour dormoit sur
la fougere ; Les Zephirs se jouoient de sa jupe
legere.
Je baissai ses habits, & lui pris un baiser.
Condamnez moi, Pasteurs, si c’étoit trop ôser.
Je baissai ses habits, & lui pris un baiser.
Condamnez moi, Pasteurs, si c’étoit trop ôser.