Le Mentor moderne: Discours XXII.
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Discours XXII.
Zitat/Motto
Rura mihi & rigui placeant in
Vallibus amnes ;
Flumina amem, silvasque inglorius.
Flumina amem, silvasque inglorius.
Que je prefere l’agrement des campagnes à la pompe des Villes, & que sans ambition je ne prenne plaisir, qu’à l’ombre des Bois, & au murmure des eaux.
Ebene 2
Comme l’Eclogue est le genre de
Poesie, qui amuse l’imagination de la maniere la plus agréable,
c’est aussi celui, qui doit le plus à l’imagination. Il nous
transporte dans une espece de païs enchanté, où nos oreilles
sont flattées par les chants des oizeaux, par le bêlement des
moutons, & par le doux murmure des fontaines ; & où nos
yeux sont charmez par la verdure des arbres, & par l’émail
varié des prairies. Cette sorte de Poesie nous fait gouter un
doux sommeil au bord d’un ruisseau, sous un épaix feuillage ;
& elle nous fait gouter tout ce que la simple nature peut
nous procurer de plaisirs purs. C’est un songe, c’est une espece
de vision : nous souhaittons d’y trouver de la réalité ; ces
agreables images nous entrainent insensiblement,
& elles sont sur nous tout l’effet de la vérité même.
Pour donner une idée nette & juste de la Poesie Pastorale,
il est bon de considérer attentivement les premiers âges du
monde. Puisque les véritables sujets de l’Eclogue n’existent
plus, il me paroit qu’il est nécessaire à celui, qui veut se
familiariser avec eux, de les aller chercher, dans les siecles,
où ils existoient réellement. Ce sont ces tems tranquilles, où
le genre humain ne s’étoit pas encore rassemblé dans des
sociétez nombreuses, où les villes n’étoient pas encore baties,
où le commerce n’étoit pas encore établi, & où toute la
richesse consistoit en gros & en menu bétail. On fait, que
les Princes mêmes faisoient alors leur principale occupation
d’élever leurs troupeaux, que les moutons & les Bœufs
faisoient presque tous leurs sujets, & que les montagnes
& les vallées à l’entour de leur demeure faisoient tout leur
Empire. Comme les hommes de ce tems-là vivoient dans la
tranquillité, & dans l’abondance, il est naturel de croire,
qu’ils goutoient tous les plaisirs, qui semblent sortir
naturellement de la situation où ils se trouvoient, & qu’ils
les goutoient avec liberté, & sans interruption. Leur manière de vivre leur donnoit sans doute le repos
de l’esprit, & la force du corps, & le petit nombre de
leurs besoins les affranchissoit de l’avarice, de l’ambition,
& de l’envie. Comment ces passions, & les querelles
qu’elles engendrent, auroient-elles pu s’emparer de leurs cœurs,
puisque tout homme possedoit au delà de ce qui lui étoit
nécessaire, & qu’on n’avoit pas encore trouvé les moyens
d’employer le superflu ? L’amour, j’en conviens, pouroit faire
naitre parmi eux quelque innimitié, lorsque plusieurs amans
fixoient leurs desirs sur un même objet, de la perte duquel
aucune compensation ne devoit leur paroitre capable de les en
dedommager. Excepté ce seul cas, leur vie étoit un état
d’innocence, de tranquillité, & de satisfaction. Chez ces
heureux Pasteurs, l’abondance engendra le plaisir, le plaisir la
Musique, la Musique la Poesie, qui comme par une espece de
gratitude entretenoit le plaisir à qui il devoit la naissance.
De cette maniere la Race des premiers hommes étoit heureuse ;
mais, elle étoit en même temps grossiere & impolie. Avant
qu’il leur fût possible de faire des progrès
considérables dans les arts, & dans les sciences, la
tranquillité de la vie champetre étoit deja troublée, par des
esprits turbulens, qui avoient formé des Nations, levé des
armes, étudié la politique, & qui mettant au nombre de leurs
Vasseaux les paisibles bergers avoient fait, de leur vie libre
& aizée, une vie laborieuse, & misérable. Ainsi, si nous
considerons la vie pastorale, comme elle étoit avant la
naissance des arts & des sciences, nous la trouverons
grossiere, & si nous la considérons telle qu’elle fut dans
la suite, nous la trouverons pénible & malheureuse. Par
conséquent, un Auteur, qui veut se divertir à composer des
Eclogues, doit former dans son esprit l’image d’une situation,
où du sein de l’abondance, & de la simplicité des mœurs,
sortent la tranquillité, & la joye ; Il ne suffit pas, pour
faire une pastorale, de parler de campagnes, & des Prairies,
& d’en faire un Theatre agreable par la variété des
décorations : il faut qu’il represente sur ce Théatre, tout ce
que la vie champetre a d’agréable, & de touchant, sans y
faire paroitre rien de ce que cet Etat peut avoir de triste,
& de malheureux. Il est vrai qu’on peut
soutenir en general, que la verité fidellement peinte doit de
nécessité plaire à l’imagination ; mais, il est vrai aussi, que
bien souvent il est bon de ne peindre de la verité, que ce
qu’elle a de touchant & d’aimable. Il ne faut donner quelque
fois que la moitié d’une image ; mais, il faut la manier, &
l’accommoder, pour ainsi dire, d’une maniere si adroite, que
l’imagination trompée ne s’apperçoive pas, qu’on ne lui expose
pas cette image toute entiere. Il en doit être ainsi de la
Pastorale. Il s’agit de representer la vie champetre du côté de
la tranquillité, & d’en cacher tout ce qu’elle peut avoir de
petit & de bas : il faut en peindre la simplicité, mais en
couvrir la misere. Ce n’est pas que je veuille, que dans une
Pastorale on n’introduise aucune image de peine, & de
douleur : je suis seulement d’avis que l’agrément en doit faire
l’essentiel. Si de cet état on faisoit une Félicité parfaite, il
est certain que l’imagination de Lecteur refuseroit de se prêter
à une illusion si grossiere ? Tous les hommes savent trop bien,
qu’une situation entiérement à l’abri de la moindre inquiétude
est incompatible avec le sort des hommes. Il est
convenable de donner aux bergers une espece d’afflictions,
telles, par éxemple, que peuvent être causées, par la perte d’un
mouton favori ou par l’infidélité d’une maitresse. Un Pasteur
peut tirer une épine de son pied, ou exprimer la mortification,
où il est, d’avoir perdu le prix de la danse. Ces sortes
d’inconveniens servent d’ombre au tableau, & lui donnent un
air plus vrai, dans le tems qu’ils servent à relever le fond du
sujet. Un genre de vivre doit être bienheureux, quand les
malheurs, que je viens d’indiquer, en font les plus grandes
Catastrophes. Je voudrois qu’on agît de la même maniere dans les
Caracteres d’innocence & de simplicité, qui conviennent aux
Pasteurs : il est permis & naturel même de leur permettre
quelques reproches, & le vol d’un agneau ou d’une boulette :
des gens, parmi lesquels ces petites irrégularitez sont les
crimes les plus atroces, doivent donner de l’admiration, par
leur innocence, & par la simplicité de leurs Mœurs. Un
Lecteur, qu’on a l’art de places dans un séjour si agréable,
& qu’on introduit dans une compagnie si
amusante, manque rarement de se livrer tout entier à une si
aimable illusion ; mais, comme il y a un bon nombre de
personnes, qui prennent plaisir à s’y abandonner, sans savoir
pourquoi ils y prennent plaisir, je veux bien leur en découvrir
les principes, & les déterrer dans leur propre cœur. La
premiere source de ce plaisir, c’est qu’il est naturel à l’homme
d’aimer le repos. Quoique l’ambition, ou l’avarice, occupent
d’ordinaire toutes les facultez de notre ame, ce sont pourtant
des passions si incommodes, que nous ne nous y laissons pas
entrainer par choix, mais uniquement par quelque nécessité
réelle, ou imaginaire. Le but, que nous nous proposons, en
courant après les richesses, & après les honneurs, c’est la
félicité. Or le repos est la baze du bonheur, & c’est le
desir même de la tranquillité qui nous porte aux desseins les
plus étroitement liez au travail, & à l’inquietude. Le
second principe de notre gout pour la Pastorale est notre amour
naturel pour l’innocence, & pour la simplicité des mœurs. La
nature humaine n’est pas assez dépravée, pour ne
pas estimer & respecter la vertu considérée en elle même,
sans les difficultez qui l’environnent ; avec un cœur vuide de
bonnes qualitez, nous ne saurions nous empecher de les reverer
dans les autres. C’est là la raison pourquoi nous sommes si
charmez du langage à peine articulé des Enfans, & même de la
maniere dont certains brutes expriment ce qu’ils sentent. Ce qui
nous rend si agréables, & les discours enfantins & ces
mouvemens significatifs des Bêtes, c’est que nous sommes
persuadez, qu’il n’y a ni malignité ni artifice ; & nous
aimons naturellement trop la vérité, pour ne nous interesser pas
à la candeur, par tout où nous la trouvons. Enfin, nous aimons
les tableaux naïfs de la vie champêtre, par ce qu’en suivant nos
penchants les plus naturels nous préférerions la campagne aux
villes. Il est vrai, que l’intéret general de la societé, lié à
notre intéret particulier nous porte à demeurer dans les
villes ; mais, ce n’est que par une espece de contrainte, &
plus un homme est maitre de ses passions, & détaché du vice,
plus il aime la campagne, qui paroit compter au
nombre de ses fruits la santé, le repos, & le plaisir. C’est
pour cette raison, que lorsqu’un simple motif d’amusement nous
porte à tracer quelque dessein, ou à faire quelque description,
c’est d’ordinaire la campagne, qui vient nous offrir ses images
riantes. Ajoutons, que c’étoit dans un aimable jardin, que Dieu
plaça nos premiers parents, & que toute la sécondité
d’imagination des anciens n’a pas trouvé un endroit plus propre
à être le séjour des bienheureux, que des champs, où étoient
ramassées toutes les délices rustiques.
Exemplum
Elles avoient fait une si vive
impression sur le cerveau de Mlle. Cornelie Lizard, la
derniere fois que nous fumes à la Campagne, qu’elle
sacrifioit son repos au plaisir d’écouter le Rossignol ;
elle avoit dans sa chambre une couple de Tourterelles :
& un agneau apprivoisé la suivoit par toute la maison ;
& j’eus toutes les peines du monde à la rammener de
cette touchante folie, par des preceptes indirects &
délicatement ménagez.
Metatextualität
Quand, dans la fleur de mon âge,
je me trouvai à Oxford, la lecture de Virgile & de
Theocrite me toucha si fort, que j’eus grande envie de
devenir berger moi-même, & de troquer mes livres contre
des moutons. Quoique l’âge, & l’experience du monde,
m’ayent armé contre les tentations de la vie Pastorale, j’ai
encore dans l’Esprit les beaux projets que je fis
là-dessus ; &, comme ils sont rectifiés par la raison,
je me trouve en état de donner d’excellens Préceptes à ceux
d’entre mes Lecteurs, qui pourroient avoir les mêmes
penchants, & suivre éxactement les pas des Bergers, & des Bergers de l’antiquité.