Flumina amem, silvasque inglorius.
Que je prefere l’agrement des campagnes à la pompe des Villes, & que sans ambition je ne prenne plaisir, qu’à l’ombre des Bois, & au murmure des eaux.
Comme l’Eclogue est le genre de Poesie, qui amuse l’imagination de la maniere la plus agréable, c’est aussi celui, qui doit le plus à l’imagination. Il nous transporte dans une espece de païs enchanté, où nos oreilles sont flattées par les chants des oizeaux, par le bêlement des moutons, & par le doux murmure des fontaines ; & où nos yeux sont charmez par la verdure des arbres, & par l’émail varié des prairies. Cette sorte de Poesie nous fait gouter un doux sommeil au bord d’un ruisseau, sous un épaix feuillage ; & elle nous fait gouter tout ce que la simple nature peut nous procurer de plaisirs purs. C’est un songe, c’est une espece de vision : nous souhaittons d’y trouver de la réalité ; ces agreables images nous entrainent insensi-
Pour donner une idée nette & juste de la Poesie Pastorale, il est bon de considérer attentivement les premiers âges du monde. Puisque les véritables sujets de l’Eclogue n’existent plus, il me paroit qu’il est nécessaire à celui, qui veut se familiariser avec eux, de les aller chercher, dans les siecles, où ils existoient réellement. Ce sont ces tems tranquilles, où le genre humain ne s’étoit pas encore rassemblé dans des sociétez nombreuses, où les villes n’étoient pas encore baties, où le commerce n’étoit pas encore établi, & où toute la richesse consistoit en gros & en menu bétail. On fait, que les Princes mêmes faisoient alors leur principale occupation d’élever leurs troupeaux, que les moutons & les Bœufs faisoient presque tous leurs sujets, & que les montagnes & les vallées à l’entour de leur demeure faisoient tout leur Empire. Comme les hommes de ce tems-là vivoient dans la tranquillité, & dans l’abondance, il est naturel de croire, qu’ils goutoient tous les plaisirs, qui semblent sortir naturellement de la situation où ils se trouvoient, & qu’ils les goutoient avec liberté, & sans interrup-plaisir à qui il devoit la naissance.
De cette maniere la Race des premiers hommes étoit heureuse ; mais, elle étoit en même temps grossiere & impolie. Avant qu’il leur fût possible de faire des
Par conséquent, un Auteur, qui veut se divertir à composer des Eclogues, doit former dans son esprit l’image d’une situation, où du sein de l’abondance, & de la simplicité des mœurs, sortent la tranquillité, & la joye ; Il ne suffit pas, pour faire une pastorale, de parler de campagnes, & des Prairies, & d’en faire un Theatre agreable par la variété des décorations : il faut qu’il represente sur ce Théatre, tout ce que la vie champetre a d’agréable, & de touchant, sans y faire paroitre rien de ce que cet Etat peut avoir de triste, & de malheureux.
Ce n’est pas que je veuille, que dans une Pastorale on n’introduise aucune image de peine, & de douleur : je suis seulement d’avis que l’agrément en doit faire l’essentiel. Si de cet état on faisoit une Félicité parfaite, il est certain que l’imagination de Lecteur refuseroit de se prêter à une illusion si grossiere ? Tous les hommes savent trop bien, qu’une situation entiérement à l’abri de la moindre inquiétude est incompatible avec le
Je voudrois qu’on agît de la même maniere dans les Caracteres d’innocence & de simplicité, qui conviennent aux Pasteurs : il est permis & naturel même de leur permettre quelques reproches, & le vol d’un agneau ou d’une boulette : des gens, parmi lesquels ces petites irrégularitez sont les crimes les plus atroces, doivent donner de l’admiration, par leur innocence, & par la simplicité de leurs Mœurs.
Un Lecteur, qu’on a l’art de places dans un séjour si agréable, & qu’on in-
La premiere source de ce plaisir, c’est qu’il est naturel à l’homme d’aimer le repos. Quoique l’ambition, ou l’avarice, occupent d’ordinaire toutes les facultez de notre ame, ce sont pourtant des passions si incommodes, que nous ne nous y laissons pas entrainer par choix, mais uniquement par quelque nécessité réelle, ou imaginaire. Le but, que nous nous proposons, en courant après les richesses, & après les honneurs, c’est la félicité. Or le repos est la baze du bonheur, & c’est le desir même de la tranquillité qui nous porte aux desseins les plus étroitement liez au travail, & à l’inquietude.
Le second principe de notre gout pour la Pastorale est notre amour naturel pour l’innocence, & pour la simplicité des mœurs. La nature humaine n’est pas
Enfin, nous aimons les tableaux naïfs de la vie champêtre, par ce qu’en suivant nos penchants les plus naturels nous préférerions la campagne aux villes. Il est vrai, que l’intéret general de la societé, lié à notre intéret particulier nous porte à demeurer dans les villes ; mais, ce n’est que par une espece de contrainte, & plus un homme est maitre de ses passions, & détaché du vice, plus il aime la campagne, qui paroit compter au
C’est pour cette raison, que lorsqu’un simple motif d’amusement nous porte à tracer quelque dessein, ou à faire quelque description, c’est d’ordinaire la campagne, qui vient nous offrir ses images riantes. Ajoutons, que c’étoit dans un aimable jardin, que Dieu plaça nos premiers parents, & que toute la sécondité d’imagination des anciens n’a pas trouvé un endroit plus propre à être le séjour des bienheureux, que des champs, où étoient ramassées toutes les délices rustiques.