Discours XXII. Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Karin Heiling Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Mario Müller Mitarbeiter Sabine Sperr Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 07.04.2017 o:mws.6458 Justus Van Effen : Le Mentor moderne ou Discours sur les mœurs du siècle ; traduit de l'Anglois du Guardian de Mrs Addisson, Steele, et autres Auteurs du Spectateur. La Haye : Frères Vaillant et N. Prévost, Tome I, 206-215 Le Mentor moderne 1 022 1723 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Natur Natura Nature Naturaleza Nature Glück Fortuna Happiness Fortuna Bonheur Theater Literatur Kunst Teatro Letteratura Arte Theatre Literature Arts Teatro Literatura Arte Théâtre Littérature Art United Kingdom Oxford Oxford -1.25596,51.75222 France 2.0,46.0

Discours XXII.

Rura mihi & rigui placeant in Vallibus amnes ;Flumina amem, silvasque inglorius.

Que je prefere l’agrement des campagnes à la pompe des Villes, & que sans ambition je ne prenne plaisir, qu’à l’ombre des Bois, & au murmure des eaux.

Comme l’Eclogue est le genre de Poesie, qui amuse l’imagination de la maniere la plus agréable, c’est aussi celui, qui doit le plus à l’imagination. Il nous transporte dans une espece de païs enchanté, où nos oreilles sont flattées par les chants des oizeaux, par le bêlement des moutons, & par le doux murmure des fontaines ; & où nos yeux sont charmez par la verdure des arbres, & par l’émail varié des prairies. Cette sorte de Poesie nous fait gouter un doux sommeil au bord d’un ruisseau, sous un épaix feuillage ; & elle nous fait gouter tout ce que la simple nature peut nous procurer de plaisirs purs. C’est un songe, c’est une espece de vision : nous souhaittons d’y trouver de la réalité ; ces agreables images nous entrainent insensi-blement, & elles sont sur nous tout l’effet de la vérité même.

Elles avoient fait une si vive impression sur le cerveau de Mlle. Cornelie Lizard, la derniere fois que nous fumes à la Campagne, qu’elle sacrifioit son repos au plaisir d’écouter le Rossignol ; elle avoit dans sa chambre une couple de Tourterelles : & un agneau apprivoisé la suivoit par toute la maison ; & j’eus toutes les peines du monde à la rammener de cette touchante folie, par des preceptes indirects & délicatement ménagez.

Quand, dans la fleur de mon âge, je me trouvai à Oxford, la lecture de Virgile & de Theocrite me toucha si fort, que j’eus grande envie de devenir berger moi-même, & de troquer mes livres contre des moutons. Quoique l’âge, & l’experience du monde, m’ayent armé contre les tentations de la vie Pastorale, j’ai encore dans l’Esprit les beaux projets que je fis là-dessus ; &, comme ils sont rectifiés par la raison, je me trouve en état de donner d’excellens Préceptes à ceux d’entre mes Lecteurs, qui pourroient avoir les mêmes penchants, & suivre éxactement les pas des Ber-gers, & des Bergers de l’antiquité.

Pour donner une idée nette & juste de la Poesie Pastorale, il est bon de considérer attentivement les premiers âges du monde. Puisque les véritables sujets de l’Eclogue n’existent plus, il me paroit qu’il est nécessaire à celui, qui veut se familiariser avec eux, de les aller chercher, dans les siecles, où ils existoient réellement. Ce sont ces tems tranquilles, où le genre humain ne s’étoit pas encore rassemblé dans des sociétez nombreuses, où les villes n’étoient pas encore baties, où le commerce n’étoit pas encore établi, & où toute la richesse consistoit en gros & en menu bétail. On fait, que les Princes mêmes faisoient alors leur principale occupation d’élever leurs troupeaux, que les moutons & les Bœufs faisoient presque tous leurs sujets, & que les montagnes & les vallées à l’entour de leur demeure faisoient tout leur Empire. Comme les hommes de ce tems-là vivoient dans la tranquillité, & dans l’abondance, il est naturel de croire, qu’ils goutoient tous les plaisirs, qui semblent sortir naturellement de la situation où ils se trouvoient, & qu’ils les goutoient avec liberté, & sans interrup-tion. Leur manière de vivre leur donnoit sans doute le repos de l’esprit, & la force du corps, & le petit nombre de leurs besoins les affranchissoit de l’avarice, de l’ambition, & de l’envie. Comment ces passions, & les querelles qu’elles engendrent, auroient-elles pu s’emparer de leurs cœurs, puisque tout homme possedoit au delà de ce qui lui étoit nécessaire, & qu’on n’avoit pas encore trouvé les moyens d’employer le superflu ? L’amour, j’en conviens, pouroit faire naitre parmi eux quelque innimitié, lorsque plusieurs amans fixoient leurs desirs sur un même objet, de la perte duquel aucune compensation ne devoit leur paroitre capable de les en dedommager. Excepté ce seul cas, leur vie étoit un état d’innocence, de tranquillité, & de satisfaction. Chez ces heureux Pasteurs, l’abondance engendra le plaisir, le plaisir la Musique, la Musique la Poesie, qui comme par une espece de gratitude entretenoit le plaisir à qui il devoit la naissance.

De cette maniere la Race des premiers hommes étoit heureuse ; mais, elle étoit en même temps grossiere & impolie. Avant qu’il leur fût possible de faire des progrès considérables dans les arts, & dans les sciences, la tranquillité de la vie champetre étoit deja troublée, par des esprits turbulens, qui avoient formé des Nations, levé des armes, étudié la politique, & qui mettant au nombre de leurs Vasseaux les paisibles bergers avoient fait, de leur vie libre & aizée, une vie laborieuse, & misérable. Ainsi, si nous considerons la vie pastorale, comme elle étoit avant la naissance des arts & des sciences, nous la trouverons grossiere, & si nous la considérons telle qu’elle fut dans la suite, nous la trouverons pénible & malheureuse.

Par conséquent, un Auteur, qui veut se divertir à composer des Eclogues, doit former dans son esprit l’image d’une situation, où du sein de l’abondance, & de la simplicité des mœurs, sortent la tranquillité, & la joye ; Il ne suffit pas, pour faire une pastorale, de parler de campagnes, & des Prairies, & d’en faire un Theatre agreable par la variété des décorations : il faut qu’il represente sur ce Théatre, tout ce que la vie champetre a d’agréable, & de touchant, sans y faire paroitre rien de ce que cet Etat peut avoir de triste, & de malheureux. Il est vrai qu’on peut soutenir en general, que la verité fidellement peinte doit de nécessité plaire à l’imagination ; mais, il est vrai aussi, que bien souvent il est bon de ne peindre de la verité, que ce qu’elle a de touchant & d’aimable. Il ne faut donner quelque fois que la moitié d’une image ; mais, il faut la manier, & l’accommoder, pour ainsi dire, d’une maniere si adroite, que l’imagination trompée ne s’apperçoive pas, qu’on ne lui expose pas cette image toute entiere. Il en doit être ainsi de la Pastorale. Il s’agit de representer la vie champetre du côté de la tranquillité, & d’en cacher tout ce qu’elle peut avoir de petit & de bas : il faut en peindre la simplicité, mais en couvrir la misere.

Ce n’est pas que je veuille, que dans une Pastorale on n’introduise aucune image de peine, & de douleur : je suis seulement d’avis que l’agrément en doit faire l’essentiel. Si de cet état on faisoit une Félicité parfaite, il est certain que l’imagination de Lecteur refuseroit de se prêter à une illusion si grossiere ? Tous les hommes savent trop bien, qu’une situation entiérement à l’abri de la moindre inquiétude est incompatible avec le sort des hommes. Il est convenable de donner aux bergers une espece d’afflictions, telles, par éxemple, que peuvent être causées, par la perte d’un mouton favori ou par l’infidélité d’une maitresse. Un Pasteur peut tirer une épine de son pied, ou exprimer la mortification, où il est, d’avoir perdu le prix de la danse. Ces sortes d’inconveniens servent d’ombre au tableau, & lui donnent un air plus vrai, dans le tems qu’ils servent à relever le fond du sujet. Un genre de vivre doit être bienheureux, quand les malheurs, que je viens d’indiquer, en font les plus grandes Catastrophes.

Je voudrois qu’on agît de la même maniere dans les Caracteres d’innocence & de simplicité, qui conviennent aux Pasteurs : il est permis & naturel même de leur permettre quelques reproches, & le vol d’un agneau ou d’une boulette : des gens, parmi lesquels ces petites irrégularitez sont les crimes les plus atroces, doivent donner de l’admiration, par leur innocence, & par la simplicité de leurs Mœurs.

Un Lecteur, qu’on a l’art de places dans un séjour si agréable, & qu’on in-troduit dans une compagnie si amusante, manque rarement de se livrer tout entier à une si aimable illusion ; mais, comme il y a un bon nombre de personnes, qui prennent plaisir à s’y abandonner, sans savoir pourquoi ils y prennent plaisir, je veux bien leur en découvrir les principes, & les déterrer dans leur propre cœur.

La premiere source de ce plaisir, c’est qu’il est naturel à l’homme d’aimer le repos. Quoique l’ambition, ou l’avarice, occupent d’ordinaire toutes les facultez de notre ame, ce sont pourtant des passions si incommodes, que nous ne nous y laissons pas entrainer par choix, mais uniquement par quelque nécessité réelle, ou imaginaire. Le but, que nous nous proposons, en courant après les richesses, & après les honneurs, c’est la félicité. Or le repos est la baze du bonheur, & c’est le desir même de la tranquillité qui nous porte aux desseins les plus étroitement liez au travail, & à l’inquietude.

Le second principe de notre gout pour la Pastorale est notre amour naturel pour l’innocence, & pour la simplicité des mœurs. La nature humaine n’est pas assez dépravée, pour ne pas estimer & respecter la vertu considérée en elle même, sans les difficultez qui l’environnent ; avec un cœur vuide de bonnes qualitez, nous ne saurions nous empecher de les reverer dans les autres. C’est là la raison pourquoi nous sommes si charmez du langage à peine articulé des Enfans, & même de la maniere dont certains brutes expriment ce qu’ils sentent. Ce qui nous rend si agréables, & les discours enfantins & ces mouvemens significatifs des Bêtes, c’est que nous sommes persuadez, qu’il n’y a ni malignité ni artifice ; & nous aimons naturellement trop la vérité, pour ne nous interesser pas à la candeur, par tout où nous la trouvons.

Enfin, nous aimons les tableaux naïfs de la vie champêtre, par ce qu’en suivant nos penchants les plus naturels nous préférerions la campagne aux villes. Il est vrai, que l’intéret general de la societé, lié à notre intéret particulier nous porte à demeurer dans les villes ; mais, ce n’est que par une espece de contrainte, & plus un homme est maitre de ses passions, & détaché du vice, plus il aime la campagne, qui paroit compter au nombre de ses fruits la santé, le repos, & le plaisir.

C’est pour cette raison, que lorsqu’un simple motif d’amusement nous porte à tracer quelque dessein, ou à faire quelque description, c’est d’ordinaire la campagne, qui vient nous offrir ses images riantes. Ajoutons, que c’étoit dans un aimable jardin, que Dieu plaça nos premiers parents, & que toute la sécondité d’imagination des anciens n’a pas trouvé un endroit plus propre à être le séjour des bienheureux, que des champs, où étoient ramassées toutes les délices rustiques.

Discours XXII. Rura mihi & rigui placeant in Vallibus amnes ;Flumina amem, silvasque inglorius. Que je prefere l’agrement des campagnes à la pompe des Villes, & que sans ambition je ne prenne plaisir, qu’à l’ombre des Bois, & au murmure des eaux. Comme l’Eclogue est le genre de Poesie, qui amuse l’imagination de la maniere la plus agréable, c’est aussi celui, qui doit le plus à l’imagination. Il nous transporte dans une espece de païs enchanté, où nos oreilles sont flattées par les chants des oizeaux, par le bêlement des moutons, & par le doux murmure des fontaines ; & où nos yeux sont charmez par la verdure des arbres, & par l’émail varié des prairies. Cette sorte de Poesie nous fait gouter un doux sommeil au bord d’un ruisseau, sous un épaix feuillage ; & elle nous fait gouter tout ce que la simple nature peut nous procurer de plaisirs purs. C’est un songe, c’est une espece de vision : nous souhaittons d’y trouver de la réalité ; ces agreables images nous entrainent insensi-blement, & elles sont sur nous tout l’effet de la vérité même. Elles avoient fait une si vive impression sur le cerveau de Mlle. Cornelie Lizard, la derniere fois que nous fumes à la Campagne, qu’elle sacrifioit son repos au plaisir d’écouter le Rossignol ; elle avoit dans sa chambre une couple de Tourterelles : & un agneau apprivoisé la suivoit par toute la maison ; & j’eus toutes les peines du monde à la rammener de cette touchante folie, par des preceptes indirects & délicatement ménagez. Quand, dans la fleur de mon âge, je me trouvai à Oxford, la lecture de Virgile & de Theocrite me toucha si fort, que j’eus grande envie de devenir berger moi-même, & de troquer mes livres contre des moutons. Quoique l’âge, & l’experience du monde, m’ayent armé contre les tentations de la vie Pastorale, j’ai encore dans l’Esprit les beaux projets que je fis là-dessus ; &, comme ils sont rectifiés par la raison, je me trouve en état de donner d’excellens Préceptes à ceux d’entre mes Lecteurs, qui pourroient avoir les mêmes penchants, & suivre éxactement les pas des Ber-gers, & des Bergers de l’antiquité. Pour donner une idée nette & juste de la Poesie Pastorale, il est bon de considérer attentivement les premiers âges du monde. Puisque les véritables sujets de l’Eclogue n’existent plus, il me paroit qu’il est nécessaire à celui, qui veut se familiariser avec eux, de les aller chercher, dans les siecles, où ils existoient réellement. Ce sont ces tems tranquilles, où le genre humain ne s’étoit pas encore rassemblé dans des sociétez nombreuses, où les villes n’étoient pas encore baties, où le commerce n’étoit pas encore établi, & où toute la richesse consistoit en gros & en menu bétail. On fait, que les Princes mêmes faisoient alors leur principale occupation d’élever leurs troupeaux, que les moutons & les Bœufs faisoient presque tous leurs sujets, & que les montagnes & les vallées à l’entour de leur demeure faisoient tout leur Empire. Comme les hommes de ce tems-là vivoient dans la tranquillité, & dans l’abondance, il est naturel de croire, qu’ils goutoient tous les plaisirs, qui semblent sortir naturellement de la situation où ils se trouvoient, & qu’ils les goutoient avec liberté, & sans interrup-tion. Leur manière de vivre leur donnoit sans doute le repos de l’esprit, & la force du corps, & le petit nombre de leurs besoins les affranchissoit de l’avarice, de l’ambition, & de l’envie. Comment ces passions, & les querelles qu’elles engendrent, auroient-elles pu s’emparer de leurs cœurs, puisque tout homme possedoit au delà de ce qui lui étoit nécessaire, & qu’on n’avoit pas encore trouvé les moyens d’employer le superflu ? L’amour, j’en conviens, pouroit faire naitre parmi eux quelque innimitié, lorsque plusieurs amans fixoient leurs desirs sur un même objet, de la perte duquel aucune compensation ne devoit leur paroitre capable de les en dedommager. Excepté ce seul cas, leur vie étoit un état d’innocence, de tranquillité, & de satisfaction. Chez ces heureux Pasteurs, l’abondance engendra le plaisir, le plaisir la Musique, la Musique la Poesie, qui comme par une espece de gratitude entretenoit le plaisir à qui il devoit la naissance. De cette maniere la Race des premiers hommes étoit heureuse ; mais, elle étoit en même temps grossiere & impolie. Avant qu’il leur fût possible de faire des progrès considérables dans les arts, & dans les sciences, la tranquillité de la vie champetre étoit deja troublée, par des esprits turbulens, qui avoient formé des Nations, levé des armes, étudié la politique, & qui mettant au nombre de leurs Vasseaux les paisibles bergers avoient fait, de leur vie libre & aizée, une vie laborieuse, & misérable. Ainsi, si nous considerons la vie pastorale, comme elle étoit avant la naissance des arts & des sciences, nous la trouverons grossiere, & si nous la considérons telle qu’elle fut dans la suite, nous la trouverons pénible & malheureuse. Par conséquent, un Auteur, qui veut se divertir à composer des Eclogues, doit former dans son esprit l’image d’une situation, où du sein de l’abondance, & de la simplicité des mœurs, sortent la tranquillité, & la joye ; Il ne suffit pas, pour faire une pastorale, de parler de campagnes, & des Prairies, & d’en faire un Theatre agreable par la variété des décorations : il faut qu’il represente sur ce Théatre, tout ce que la vie champetre a d’agréable, & de touchant, sans y faire paroitre rien de ce que cet Etat peut avoir de triste, & de malheureux. Il est vrai qu’on peut soutenir en general, que la verité fidellement peinte doit de nécessité plaire à l’imagination ; mais, il est vrai aussi, que bien souvent il est bon de ne peindre de la verité, que ce qu’elle a de touchant & d’aimable. Il ne faut donner quelque fois que la moitié d’une image ; mais, il faut la manier, & l’accommoder, pour ainsi dire, d’une maniere si adroite, que l’imagination trompée ne s’apperçoive pas, qu’on ne lui expose pas cette image toute entiere. Il en doit être ainsi de la Pastorale. Il s’agit de representer la vie champetre du côté de la tranquillité, & d’en cacher tout ce qu’elle peut avoir de petit & de bas : il faut en peindre la simplicité, mais en couvrir la misere. Ce n’est pas que je veuille, que dans une Pastorale on n’introduise aucune image de peine, & de douleur : je suis seulement d’avis que l’agrément en doit faire l’essentiel. Si de cet état on faisoit une Félicité parfaite, il est certain que l’imagination de Lecteur refuseroit de se prêter à une illusion si grossiere ? Tous les hommes savent trop bien, qu’une situation entiérement à l’abri de la moindre inquiétude est incompatible avec le sort des hommes. Il est convenable de donner aux bergers une espece d’afflictions, telles, par éxemple, que peuvent être causées, par la perte d’un mouton favori ou par l’infidélité d’une maitresse. Un Pasteur peut tirer une épine de son pied, ou exprimer la mortification, où il est, d’avoir perdu le prix de la danse. Ces sortes d’inconveniens servent d’ombre au tableau, & lui donnent un air plus vrai, dans le tems qu’ils servent à relever le fond du sujet. Un genre de vivre doit être bienheureux, quand les malheurs, que je viens d’indiquer, en font les plus grandes Catastrophes. Je voudrois qu’on agît de la même maniere dans les Caracteres d’innocence & de simplicité, qui conviennent aux Pasteurs : il est permis & naturel même de leur permettre quelques reproches, & le vol d’un agneau ou d’une boulette : des gens, parmi lesquels ces petites irrégularitez sont les crimes les plus atroces, doivent donner de l’admiration, par leur innocence, & par la simplicité de leurs Mœurs. Un Lecteur, qu’on a l’art de places dans un séjour si agréable, & qu’on in-troduit dans une compagnie si amusante, manque rarement de se livrer tout entier à une si aimable illusion ; mais, comme il y a un bon nombre de personnes, qui prennent plaisir à s’y abandonner, sans savoir pourquoi ils y prennent plaisir, je veux bien leur en découvrir les principes, & les déterrer dans leur propre cœur. La premiere source de ce plaisir, c’est qu’il est naturel à l’homme d’aimer le repos. Quoique l’ambition, ou l’avarice, occupent d’ordinaire toutes les facultez de notre ame, ce sont pourtant des passions si incommodes, que nous ne nous y laissons pas entrainer par choix, mais uniquement par quelque nécessité réelle, ou imaginaire. Le but, que nous nous proposons, en courant après les richesses, & après les honneurs, c’est la félicité. Or le repos est la baze du bonheur, & c’est le desir même de la tranquillité qui nous porte aux desseins les plus étroitement liez au travail, & à l’inquietude. Le second principe de notre gout pour la Pastorale est notre amour naturel pour l’innocence, & pour la simplicité des mœurs. La nature humaine n’est pas assez dépravée, pour ne pas estimer & respecter la vertu considérée en elle même, sans les difficultez qui l’environnent ; avec un cœur vuide de bonnes qualitez, nous ne saurions nous empecher de les reverer dans les autres. C’est là la raison pourquoi nous sommes si charmez du langage à peine articulé des Enfans, & même de la maniere dont certains brutes expriment ce qu’ils sentent. Ce qui nous rend si agréables, & les discours enfantins & ces mouvemens significatifs des Bêtes, c’est que nous sommes persuadez, qu’il n’y a ni malignité ni artifice ; & nous aimons naturellement trop la vérité, pour ne nous interesser pas à la candeur, par tout où nous la trouvons. Enfin, nous aimons les tableaux naïfs de la vie champêtre, par ce qu’en suivant nos penchants les plus naturels nous préférerions la campagne aux villes. Il est vrai, que l’intéret general de la societé, lié à notre intéret particulier nous porte à demeurer dans les villes ; mais, ce n’est que par une espece de contrainte, & plus un homme est maitre de ses passions, & détaché du vice, plus il aime la campagne, qui paroit compter au nombre de ses fruits la santé, le repos, & le plaisir. C’est pour cette raison, que lorsqu’un simple motif d’amusement nous porte à tracer quelque dessein, ou à faire quelque description, c’est d’ordinaire la campagne, qui vient nous offrir ses images riantes. Ajoutons, que c’étoit dans un aimable jardin, que Dieu plaça nos premiers parents, & que toute la sécondité d’imagination des anciens n’a pas trouvé un endroit plus propre à être le séjour des bienheureux, que des champs, où étoient ramassées toutes les délices rustiques.