Le Mentor moderne: Discours XXI.

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Livello 1

Discours XXI.

Citazione/Motto

- - Fungar inani Munere. Je m’acquiterai d’un devoir dont je n’attends pas beaucoup d’utilite.

Livello 2

Le fameux Docteur Tillotson, dans un Discours touchant les périls, qui accompagnent les pechez connus par la nature & par la révélation, nous donne du dernier jour une description très pathetique tirée de l’Ecriture sainte. Après avoir rassemblé les differents traits, qui dépeignent cet événement terrible, il fait la refléxion suivante digne de toute notre attention.

Livello 3

Citazione/Motto

« Je demande à tout homme sensé, si le tableau frappant, que je viens d’emprunter de l’écriture sainte, ne convient pas merveilleusement à ce grand & terrible jour, où celui, qui fit le monde viendra pour le juger ? Qu’on me dise, si l’esprit humain a jamais produit quelque chose de si grand, & de si proportioné à la Majesté de Dieu, & à cette Catastrophe étonnante ? Quelle petitesse découvre-t-on dans les descriptions, que Virgile fait des champs elysées, & du Tartare, au prix du tableau, que le saint Esprit nous trace du Paradis, de l’enfer, & du grand & terrible jour du Seigneur ? Sur cet article, le génie poetique du Payen est fade & puérile, auprès de l’inspiration des Auteurs sacrez. Virgile, cependant, a été celui de tous les hommes peut être, qui ait eu l’imagination la plus belle, & la mieux réglée, & qui ait su le mieux l’art de peindre les objets, avec le naturel, & les bienséances convenables. Mais le génie & la justesse d’esprit ne servent de rien ici : qui peut déclarer les grandes choses de Dieu, que celui à qui Dieu les a revelées ? »
Cette reflexion est digne d’un esprit orné d’un savoir poli, & elle devroit faire assez d’impression sur tous ceux, qui se piquent de cette sorte d’érudition, pour leur faire éxaminer, si elle vient du gout juste, & du discernement éxact d’un habile Critique, ou du zêle intéressé d’un Théologien qui tache de farder sa Doctrine. Pour moi, je suis persuadé, que quiconque lit l’Evangile dans les mêmes dispositions, avec lesquelles il se prepare à la Lecture d’Homere, & de Virgile n’y trouvera pas un seul passage, qui n’exprime pas les choses d’une force plus naturelle, que tout ce qu’on admire le plus dans ces deux Poetes, les premiers sans contredit de tous les âges & de toutes les Nations.

Esempio

Une preuve de cette beauté naturelle de nos livres sacrez se peut trouver à mon avis dans le 24 Chap. de St. Luc, que je viens de lire avec la plus grande satisfaction. On y voit le sauveur, après sa résurrection, joindre deux de ses Disciples dans le chemin d’Emmaus & se servir du privilege des voyageurs, pour leur demander la cause de la tristesse, qui paroissoit dans tout leur air. Leur étonnement, de ce qu’un homme si près de Jerusalem ignoroit ce qui venoit de s’y passer ; l’aveu qu’ils font à un inconnu de l’attachement qu’ils avoient eu pour le Prophete crucifié ; enfin la bonne-foi dont ils lui communiquent les doutes, & la douleur où les jettoit l’arrivée du troisieme jour après sa mort, sans avoir rien entendu de certain touchant sa resurrection, qui avoit fait le plus doux objet de leur esperance ; tout cela est dépeint de la maniere la plus vive & la plus touchante, & dans ce genre de stile, que les gens de Lettres appellent la noble simplicité : il en faut dire autant de l’attention, dont ils écouterent J. Christ lorsqu’il leur expliquoit les prophéties qui avoient rapport à lui ; de la douce violence avec laquelle ils l’arrêterent, quand il fit semblant de les quitter pour aller plus loin ; & de la maniere, dont ils se découvrit à eux pendant le repas. La touchante simplicité, qui regne dans le recit de tous ces incidens, ne peut que les rendre extrémement agréables à l’imagination d’un Lecteur Chretien, & lui faire sentir quelque chose de ce qui se passa dans le cœur de ces deux Disciples, lors que l’un dit à l’autre, Ne nous sentions-nous pas le cœur embrazé, lorsqu’il nous parloit en chemin, & qu’il nous expliquoit les Ecritures ?

Metatestualità

Je ne me flatte pas d’être capable de traiter ces sortes de matieres, selon leur dignité : j’espere pourtant, que ceux qui par leurs lumieres, & par leur vocation sont en droit de se les réserver voudront bien ne pas trouver mauvais, si je considere ces sujets en simple seculier ; si j’ôse faire quelques reflexions sur l’effet, que le stile de l’Ecriture doit produire naturellement dans l’esprit d’un Lecteur sensé ; enfin, si je tache de l’en faire conclurre qu’un ouvrage, qui laisse si loin derriere lui tous les efforts de l’imagination humaine, doit avoir Dieu même pour Auteur.
Quand je fixe les yeux sur le tableau de Raphael, qui nous represente l’Apparition de Jesus-Christ à ses disciples après sa résurrection, il me semble que toutes les figures, & l’ingenieuse disposition de la piece en general, font l’effet de plusieurs volumes, qu’on pourroit composer sur le fait, dont elles nous donnent une idée si vive. Il est très aizé d’y distinguer les Evangélistes & les Apôtres : le zele & l’amour, qui paroissent dans leur attitude, & dans leur air, nous mettent d’abord au fait. Pour la groupe des autres disciples, qu’on voit dans un plus grand éloignement, on lit sur tous leurs visages, quelque varieté que l’art du Peintre leur ait ménagée, la douleur, la honte, & les remords que leur incrédulité passée répandoit dans leur ame. En un mot, il n’y a rien dans ce tableau merveilleux, qui ne soit extremement propre à frapper l’imagination, & à toucher le cœur. Il me semble que des productions pareilles à celle de Raphael, & d’autres, qui ne sont point appellez au Ministere de l’Evangile, sont des secours qui ne doivent point être méprisez, par ceux que leur profession engage à enseigner les veritez salutaires. C’est précisement dans des vues semblables, que je prends la liberté de traiter ces sortes de matieres. Peut être quelqu’un de ceux, qui lisent cette feuille volante, trouvera de l’instruction, où il n’aura cherché, que de l’agrément, & sentira l’heureux effet d’un précepte utile caché sous un trait d’esprit, ou sous une idée peu commune. Dans le siecle où nous sommes, tous les arts & toutes les sciences devroient former une ligue contre le torrent du vice, & de l’impiété, qui gagne tous les jours du terrain ; ce seroit contribuer beaucoup à l’avancement de la Religion, que de faire concourir toutes les differentes productions de l’esprit humain à démontrer, qu’être insensible aux charmes de la vertu, c’est être privé des plus belles idées, & des plus nobles sentiments, dont l’homme puisse être susceptible.

Autoritratto

Je me félicite de toute mon ame, de n’avoir pas le cœur capable d’une si honteuse stupidité. J’ái été toujours extrémement ému par certains passages, que, selon la coutume de notre pais, on prononce, quand on enterre les morts. Quand il m’est arrivé de suivre vers le tombeau le cadavre d’un ami defunct, je n’ai jamais pu m’empecher de songer douloureusement à tout ce qui s’étoit passé entre cet ami & moi, & de me rappeller un nombre de petites circonstances, aux quelles l’amitié donne du poids, & dont les unes soulagent la douleur, dans le tems que les autres l’augmentent ; mais, ces pensées s’évanouissoient comme un songe dès que j’entendois ces paroles : Je suis la résurrection, & la vie : celui qui croit en moi vivra, quand il seroit mort ; & quiconque vit, & croit en moi, ne mourra jamais. Ces belles paroles prononcées gravement par un homme, à qui la certitude de parler de la part de Dieu prête de l’Autorité, ont toujours calmé la douleur que me donnoit la perte d’un ami ; & une douce joye y succedoit bientôt, quand le même serviteur de Dieu faisoit entendre après quelque intervalle ces paroles pathetiques de Job : Je sai que mon Redemteur est vivant, & qu’il demeurera le dernier sur la terre ; & lorsqu’aprez ma peau aura été rongée, je verrai Gott#F::Dieu] de ma chair. Ce passage n’a jamais manqué de m’elever au dessus de tous les intérêts mondains, & de préparer mon cœur à la sentence suivante : Nous n’avons rien apporté dans le monde, & il est certain que nous n’en emporterons rien. Le Seigneur a donné, le Seigneur a été, le Nom du Seigneur soit beni.
Il y a beaucoup de gens, qui n’ont ni imagination, ni sentimens, ni genie, & qui écoutent ces sortes d’expressions d’un air aussi indifferent que s’ils n’étoient presens, qu’à la lecture d’une de mes feuilles volantes. Heureusement, tous les cœurs ne sont pas ensevelis dans une pareille léthargie ; & je ne desespere pas d’inspirer aux gens d’esprit du gout & de l’admiration pour le stile des Auteurs sacrez. Je me flatte même, quelque avancé en âge que je sois, de voir le jour, où la mode permettra aux gens polis d’être aussi charmez d’une pensée noble de St. Paul, que des plus beaux traits de Virgile & d’Horace, & où un jeune homme bien mis tirera un Evangéliste de sa poche, avec le même air aisé, que si c’étoit un Auteur classique de l’Edition d’Elsevir1. Une juste reconnoissance éxige de ceux, qui brillent par des talents distingués, de glorifier l’Auteur de leur être, d’une maniere proportionnée à ces talens, & d’exciter par leurs paroles, par leurs actions, & par leurs écrits, les esprits plus stupides & plus paresseux, à imiter les nobles transports de leur gratitude.

1Ces Editions sont sur tout estimées en Angleterre.