Le Mentor moderne: Discours XXI.
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Discours XXI.
Zitat/Motto
- - Fungar inani Munere. Je
m’acquiterai d’un devoir dont je n’attends pas beaucoup
d’utilite.
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Le fameux Docteur Tillotson, dans un
Discours touchant les périls, qui accompagnent les pechez connus
par la nature & par la révélation, nous donne du dernier
jour une description très pathetique tirée de l’Ecriture sainte.
Après avoir rassemblé les differents traits, qui dépeignent cet
événement terrible, il fait la refléxion suivante
digne de toute notre attention.
Cette reflexion est digne d’un esprit orné d’un savoir
poli, & elle devroit faire assez d’impression sur tous ceux,
qui se piquent de cette sorte d’érudition, pour leur faire
éxaminer, si elle vient du gout juste, & du discernement
éxact d’un habile Critique, ou du zêle intéressé d’un Théologien
qui tache de farder sa Doctrine. Pour moi, je suis persuadé, que
quiconque lit l’Evangile dans les mêmes dispositions, avec
lesquelles il se prepare à la Lecture d’Homere, & de Virgile
n’y trouvera pas un seul passage, qui n’exprime pas les choses
d’une force plus naturelle, que tout ce qu’on admire le plus
dans ces deux Poetes, les premiers sans contredit de tous les
âges & de toutes les Nations.
Quand je
fixe les yeux sur le tableau de Raphael, qui nous represente
l’Apparition de Jesus-Christ à ses disciples après sa
résurrection, il me semble que toutes les figures, &
l’ingenieuse disposition de la piece en general, font l’effet de
plusieurs volumes, qu’on pourroit composer sur le fait, dont
elles nous donnent une idée si vive. Il est très
aizé d’y distinguer les Evangélistes & les Apôtres : le zele
& l’amour, qui paroissent dans leur attitude, & dans
leur air, nous mettent d’abord au fait. Pour la groupe des
autres disciples, qu’on voit dans un plus grand éloignement, on
lit sur tous leurs visages, quelque varieté que l’art du Peintre
leur ait ménagée, la douleur, la honte, & les remords que
leur incrédulité passée répandoit dans leur ame. En un mot, il
n’y a rien dans ce tableau merveilleux, qui ne soit extremement
propre à frapper l’imagination, & à toucher le cœur. Il me
semble que des productions pareilles à celle de Raphael, &
d’autres, qui ne sont point appellez au Ministere de l’Evangile,
sont des secours qui ne doivent point être méprisez, par ceux
que leur profession engage à enseigner les veritez salutaires.
C’est précisement dans des vues semblables, que je prends la
liberté de traiter ces sortes de matieres. Peut être quelqu’un
de ceux, qui lisent cette feuille volante, trouvera de
l’instruction, où il n’aura cherché, que de l’agrément, &
sentira l’heureux effet d’un précepte utile caché sous un trait
d’esprit, ou sous une idée peu commune. Dans
le siecle où nous sommes, tous les arts & toutes les
sciences devroient former une ligue contre le torrent du vice,
& de l’impiété, qui gagne tous les jours du terrain ; ce
seroit contribuer beaucoup à l’avancement de la Religion, que de
faire concourir toutes les differentes productions de l’esprit
humain à démontrer, qu’être insensible aux charmes de la vertu,
c’est être privé des plus belles idées, & des plus nobles
sentiments, dont l’homme puisse être susceptible. Il y a beaucoup de gens, qui n’ont ni imagination, ni
sentimens, ni genie, & qui écoutent ces sortes d’expressions
d’un air aussi indifferent que s’ils n’étoient
presens, qu’à la lecture d’une de mes feuilles volantes.
Heureusement, tous les cœurs ne sont pas ensevelis dans une
pareille léthargie ; & je ne desespere pas d’inspirer aux
gens d’esprit du gout & de l’admiration pour le stile des
Auteurs sacrez. Je me flatte même, quelque avancé en âge que je
sois, de voir le jour, où la mode permettra aux gens polis
d’être aussi charmez d’une pensée noble de St. Paul, que des
plus beaux traits de Virgile & d’Horace, & où un jeune
homme bien mis tirera un Evangéliste de sa poche, avec le même
air aisé, que si c’étoit un Auteur classique de l’Edition
d’Elsevir1. Une juste reconnoissance éxige de ceux,
qui brillent par des talents distingués, de glorifier l’Auteur
de leur être, d’une maniere proportionnée à ces talens, &
d’exciter par leurs paroles, par leurs actions, & par leurs
écrits, les esprits plus stupides & plus paresseux, à imiter
les nobles transports de leur gratitude.
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Zitat/Motto
« Je demande à tout homme
sensé, si le tableau frappant, que je viens d’emprunter
de l’écriture sainte, ne convient pas merveilleusement à
ce grand & terrible jour, où celui, qui fit le monde
viendra pour le juger ? Qu’on me dise, si l’esprit
humain a jamais produit quelque chose de si grand, &
de si proportioné à la Majesté de Dieu, & à cette
Catastrophe étonnante ? Quelle petitesse découvre-t-on
dans les descriptions, que Virgile fait des champs
elysées, & du Tartare, au prix du tableau, que le
saint Esprit nous trace du Paradis, de l’enfer, & du
grand & terrible jour du Seigneur ? Sur cet article,
le génie poetique du Payen est fade & puérile,
auprès de l’inspiration des Auteurs sacrez. Virgile,
cependant, a été celui de tous les hommes peut être, qui
ait eu l’imagination la plus belle, & la mieux
réglée, & qui ait su le mieux l’art de peindre les
objets, avec le naturel, & les bienséances
convenables. Mais le génie & la justesse d’esprit ne servent de rien ici : qui peut
déclarer les grandes choses de Dieu, que celui à qui
Dieu les a revelées ? »
Exemplum
Une preuve de cette beauté naturelle de nos livres sacrez se
peut trouver à mon avis dans le 24 Chap. de St. Luc, que je
viens de lire avec la plus grande satisfaction. On y voit le
sauveur, après sa résurrection, joindre deux de ses
Disciples dans le chemin d’Emmaus & se
servir du privilege des voyageurs, pour leur demander la
cause de la tristesse, qui paroissoit dans tout leur air.
Leur étonnement, de ce qu’un homme si près de Jerusalem
ignoroit ce qui venoit de s’y passer ; l’aveu qu’ils font à
un inconnu de l’attachement qu’ils avoient eu pour le
Prophete crucifié ; enfin la bonne-foi dont ils lui
communiquent les doutes, & la douleur où les jettoit
l’arrivée du troisieme jour après sa mort, sans avoir rien
entendu de certain touchant sa resurrection, qui avoit fait
le plus doux objet de leur esperance ; tout cela est dépeint
de la maniere la plus vive & la plus touchante, &
dans ce genre de stile, que les gens de Lettres appellent la
noble simplicité : il en faut dire autant de l’attention,
dont ils écouterent J. Christ lorsqu’il leur expliquoit les
prophéties qui avoient rapport à lui ; de la douce violence
avec laquelle ils l’arrêterent, quand il fit semblant de les
quitter pour aller plus loin ; & de la maniere, dont ils
se découvrit à eux pendant le repas. La touchante
simplicité, qui regne dans le recit de tous ces incidens, ne
peut que les rendre extrémement agréables à l’imagination
d’un Lecteur Chretien, & lui faire sentir
quelque chose de ce qui se passa dans le cœur de ces deux
Disciples, lors que l’un dit à l’autre, Ne nous
sentions-nous pas le cœur embrazé, lorsqu’il nous parloit en
chemin, & qu’il nous expliquoit les Ecritures ?
Metatextualität
Je ne me flatte pas d’être capable
de traiter ces sortes de matieres, selon leur dignité :
j’espere pourtant, que ceux qui par leurs lumieres, &
par leur vocation sont en droit de se les réserver voudront
bien ne pas trouver mauvais, si je considere ces sujets en
simple seculier ; si j’ôse faire quelques reflexions sur
l’effet, que le stile de l’Ecriture doit produire
naturellement dans l’esprit d’un Lecteur sensé ; enfin, si
je tache de l’en faire conclurre qu’un ouvrage, qui laisse
si loin derriere lui tous les efforts de l’imagination
humaine, doit avoir Dieu même pour Auteur.
Selbstportrait
Je me félicite de toute mon ame, de
n’avoir pas le cœur capable d’une si honteuse stupidité.
J’ái été toujours extrémement ému par certains passages,
que, selon la coutume de notre pais, on prononce, quand on
enterre les morts. Quand il m’est arrivé de suivre vers le
tombeau le cadavre d’un ami defunct, je n’ai jamais pu
m’empecher de songer douloureusement à tout ce qui s’étoit
passé entre cet ami & moi, & de me rappeller un
nombre de petites circonstances, aux quelles l’amitié donne
du poids, & dont les unes soulagent la douleur, dans le tems que les autres l’augmentent ;
mais, ces pensées s’évanouissoient comme un songe dès que
j’entendois ces paroles : Je suis la résurrection, & la
vie : celui qui croit en moi vivra, quand il seroit mort ;
& quiconque vit, & croit en moi, ne mourra jamais.
Ces belles paroles prononcées gravement par un homme, à qui
la certitude de parler de la part de Dieu prête de
l’Autorité, ont toujours calmé la douleur que me donnoit la
perte d’un ami ; & une douce joye y succedoit bientôt,
quand le même serviteur de Dieu faisoit entendre après
quelque intervalle ces paroles pathetiques de Job : Je sai
que mon Redemteur est vivant, & qu’il demeurera le
dernier sur la terre ; & lorsqu’aprez ma peau aura été
rongée, je verrai Gott#F::Dieu] de ma chair. Ce passage n’a
jamais manqué de m’elever au dessus de tous les intérêts
mondains, & de préparer mon cœur à la sentence
suivante : Nous n’avons rien apporté dans le monde, & il
est certain que nous n’en emporterons rien. Le Seigneur a
donné, le Seigneur a été, le Nom du Seigneur soit beni.
1Ces Editions sont sur tout estimées en Angleterre.